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Full text of "Mémoires de la Société impériale académique de Cherbourg"

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SOCIÉTÉ IMPÉRIALE ACADÉMIQUE 


CH K R BO U KG. 



Religion cl Honneur. 



CHERBOURG. 

Imprimerie BEDELFONTAINE et SYFFERT, 
Ruo Napoléon, 1. 

1861 . 


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1 


MÉMOIRES 

DE LA 

SOCIÉTÉ IMPÉRIALE ACADÉMIQUE 

D> 

CHERBOURG. 


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LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE CHERBOURG A ÉTÉ FONDÉE 
PAR LOUIS XV EN 1755. 



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r 



SOCIÉTÉ IMPÉRIALE ACADÉMIQUE 

DE 

CHERBOURG. 


Religion et Honneur. 



CHERBOURG. 

Imprimerie BEDELFONTAINE et SYFFERT, 
Rue Napoléon, 1. 

1861. 


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«**’’*» COLLEGE UBRARY 
P* C. LOWELL FUND 

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LISTE 


DES MEMBRES 


DE LA 

SOCIÉTÉ IMPÉRIALE ACADÉMIQUE OE CHERBOURG. 


BUREAU. 

ÀMBéesde 

réception. 

1829 Directeur. — M. Noël , ancien Maire de Cherbourg. 

1831 Secrétaire. — M. De la Cbapelle, Docteur ès-Iettres, 

professeur de logique au collège. 

1832 Trésorier-archiviste. — M. de Poktaumont , inspec¬ 

teur de la marine. 

membres titulaires. 

1831 MM. Asselir, docteur en médecine. 

1843 Lemaistre , receveur des finances. 

1846 Le Jolis, Docteur ès-sciences, négociant. 

— Nicolazo de Barmor , capitaine de frégate com¬ 

mandant le vaisseau l’Arcole. 

1853 Frigoult, professeur au collège. 

— Lesers, chef de bureau aux constructions navales. 

1854 Besrou ÿfc, pharmacien en chef de la marine. 


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VI 


LISTE DES MEMBRES 


An. de rée. 

1854 MM. Loysel, docteur en médecine. 

1855 Le D r Dufour (O.#), premier chirurgien en chef de 

la marine. 

1856 L’abbé Le Roy (Alfred,) aumônier de la marine. 

— Bertrand-Lachênéb , employé aux constructions 

navales. 

— Delalonde, vérificateur des douanes. 

1858 L’abbé Besnard, curé de Notre-l)ame-du-Vœu de 

Cherbourg. 

— Deslardes #, ingénieur en cher des Bonis et 

chaussées. 

— Jouan $<, lieutenant de vaisseau, (en cours de cam¬ 

pagne). 

— Fleury, physicien. 

— Barrière, compositeur, professeur de musique. 

1859 L’abbé Le Pelley , vicaire général , curé de 

Sainte-Trinité de Cherbourg. 

— L’abbé Roquière, chanoine, principal du collège. 

1860 Dubois sous-intendant militaire. 

— Le Coq chirurgien major de la marine. 

1861 Le comte Boubt-Willaumez (G.$t), vice-amiral. 

— Marroin (O.#), médecin en chef de la marine. 

— Martineau des Chesnez (O. capitaine de 

vaisseau. 

/ 

membres honoraires. 

1807 MM. Claston, ancien principal du collège. 

1831 Le comte du Moncel (C.#), général de brigade du 
génie. 

1845 Digard (de Lousta), agent comptable de la marine. 
1850 Clbrel comte de Tocqueville membre du 

conseil général de la Manche. 

1853 d’Aboville (C.$t), contre-amiral, major général de 
la marine. 


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DS LA SOCIÉTÉ. 


TI! 


MEMBRES CORRESPONDANTS. 

1829MM. Marrier baron de la Gatinerie, ancien commissaire 
principal de la marine, à Fontainebleau. 

— Frimot, ancien ingénieur des Ponts et chaussées à 

Landerneau. 

— J. Travers, professeur honoraire à la faculté de Caen. 

— Bertrand, doyen de la faculté des lettres, maire de 

Caen. 

1830 Mer Daniel, évêque de Coutances et d’Avranches. 

1832 de Caumont, correspondant de l’institut à Caen. 

1834 Quénault, conseiller à la cour de cassation à Paris. 

— Pelouze, membre de l’institut à Paris. 

1835 Houel, directeur des haras à Paris. 

1839 Dufresne, ingénieur en chef des ponts et chaussées 

à Paris. 

1841 Moulin, avocat à Paris. 

— de Brébisson, naturaliste à Falaise. 

— Menant, juge à Lisieux. 

1843 Charma, professeur de philosophie à la faculté de 

Caen. 

1844 Bénard, docteur en droit. 

1846 Le comte d’HARCouRT, capitaine de frégate à Brest. 

— Lesdos (Alex.), négociant à Bordeaux. 

— Le Verrier, sénateur, directeur de l’observatoire 

impérial à Paris. 

— Thierry (Edouard), administrateur général impérial 

de la comédie française à Paris. 

1847 Chauvin, professeur d’histoire naturelle à la faculté 

de Caen. 

— Decaine (J h .), membre de l’institut, professeur au 

jardin des plantes à Paris. 

— Delisle (Léopold), membre de l’institut, ù Paris. 

— Le fcomte de Kbrckhove, président de l’académie 

d’archéologie de Belgique, à Malines. 

— Broeckx, docteur en médecine à Anvers. 

— Van dbn Wyngaert, conseiller de régence à Anvers. 

— Le vicomte de Kbrckhove, ministre de Turquie à 

Madrid. 

— Perreau, antiquaire à Tongres. 


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VII! 


LISTE DES MEMBRES 


An. de rée. 

1847 MM. L’abbé Stioobant, généalogiste à Lembeck. 

— Dübosc, archiviste de la Manche à S l -Lo. 

— Schaepkbns, directeur de l'école de peinture à 

Maestricbt. 

— Castel, agent-voyer en chef à S l -Lo. 

— Dbtiennb, docteur en médecine h Anvers. 

— Bordes, littérateur à Pont-l’Evêque. 

— Jordan, naturaliste à Lyon. 

— Le Chev er DE Thumaidb, procureur du roi des Belges, 

à Liège. 

— Ballin, littérateur à Rouen. 

1848 de Büsscber, membre de plusieurs sociétés savantes 

à Gand. 

— J. Roux, docteur en médecine à Toulon. 

— Bazan, littérateur à Tourlaville. 

— Liais (Em.), astronôme en mission au Brésil. 

1849 Didron, antiquaire à Paris. 

— Joüvin, pharmacien de la Marine à Rochefort. 

— Borgnet, secrétaire de la société d’archéologie de 

Namur. 

1850 Jardin, sous-commissaire de marine à Brest. 

— Blache, docteur en médecine à Marseille. 

— Moquin-Tandon, membre de l'institut à Paris. 

— Roelandt, professeur à l’université de Gand. 

— Thurbt, membre correspondant de l’institut à Nice. 

— Solier, botaniste à Marseille. 

— de Reume, littérateur à Bruxelles. 

— Bottin, botaniste à Carentan. 

— Robiou de Lavrignais, directeur des constructions 

navales à Paris. 

— Grillbt de Serrv, ingénieur en chef des ponts et 

chaussées à Alger. 

1851 Guichon de Grand pont, commissaire général de la 

marine à Rocbefort. 

— Lbmariê, avocat à Coutances. 

— de Montrond, ancien capitaine d’artillerie à Paris. 

— Sauvage, Avocat à Mortain. 

— Rbgnaclt, ancien bibliothécaire du conseil d'état, à 

Auteuil. 


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IX 


DE LA SOCIÉTÉ. 


il. 4e rée. 

1852MM. Delioüx, médecin en chef de la marine à Brest. 

— Mertens, littérateur à Anvers. 

— L'abbé Poullain, Curé de N.-D.-d’A)leaume à 

Valognes. 

— Catteloüp, docteur en médecine h Paris. 

— M“ e Lbcorps née Ravbnel à Fermanville. 

— de Rostaing, capitaine de frégate à Grenoble. 

— Latrolbtte, docteur ès-lettres h Caen. 

— Hippeau, professeur de littérature française à la 

faculté de Caen. 

— Lambert, conservateur de la bibliothèque de Bayeux. 

— Lbpoittevin de la Croix, littérateur à Anvers. 

— L’abbé Louis, membre de plusieurs sociétés savantes 

à S^-Marie-du-Mont. 

— Gent [Eugène), professeur à l'atbénée d’Anvers. 

— L’abbé Desroches, antiquaire à Isigny (Manche). 

— de Beaurepaire (Eugène), substitut du procureur 

impérial à Alençon. 

— L’abbé Cochet, antiquaire à Dieppe. 

— Renault, conseiller à la cour impériale de Caen. 

— Villers (G.), membre de plusieurs sociétés savantes 

à Bayeux. 

— Le Baron de Pirch, idem, à Avranches. 

— Loyer , secrétaire de la société archéologique d'A- 

vranches. 

1853 Denis-Lagarde, inspecteur de la marine ù Brest. 

— Forgais, antiquaire à Paris. 

— Don Villar y Massias, professeur à l’université de 

Salamanque. 

— Tilesius, naturaliste à Munich. 

— Don Bosfarull y Mascaro, antiquaire à Barcelone. 

— Jubinal, antiquaire, député des Hautes-Alpes à Paris. 

— M“ e Coueffin, à Bayeux. 

— de Glanvillb, littérateur à Rouen. 

— Feuillet (Octave), homme de lettres à Paris. 

— de Roissy, littérateur à Paris. 

— Sainte-Beuve, membre de l’académie française à Paris. 

— Vieillard, bibliothécaire du sénat à Paris. 

— Van dbr Heyden, architecte à Anvers. 


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X 


LISTE DES MEMBRES. 


An. de réc. 

1854MM. de Duranville, littérateur à Rouen. 

— de Chantereynb, ancien inspecteur des forêts à 

Lisieux. 

— Capitaine (Ulysse), Secrétaire général de la société 

libre d'émulation de Liège. 

— de Peyronny, ancien capitaine du génie à Paris. 

— Le Chev er Raymond-Bordeaux, antiquaire à Evreux. 

— Le D r Polman-Kruseman, secrétaire de la société 

des sciences de Zélande à Middelbourg. 

— de Lapparent, ingénieur des constructions navales 

à Paris. 

— Chasseriau, conseiller d’État à Paris. 

— Galliani, chef de bureau au ministère de la marine 

à Paris. 

— Périaux, agronome à Querqueville. 

1855 Mangin, ingénieur des constructions navales à Paris. 

1856 Le D r Decaisne, membre de l'académie de médecine 

de Belgique à Malines. 

— Bonnin, antiquaire à Evreux. 

— Fabricius, professeur d’histoire à Copenhague. 

— Eudes-Deslongchàmps , doyen de la faculté des 

sciences à Caen. 

— Greindel, ancien ministre de la guerre de Belgique 

à Bruxelles. 

— Guillaume, directeur du personnel au ministère de 

la guerre de Belgique à Bruxelles. 

— L’abbé Meynders , professeur de philosophie à 

Bruxelles. 

— L’abbé de Strêel, littérateur à Liège. 

1857 Laisné, vice-président de la société d’archéologie 

d’Àvranches. 

— Ardusset, littérateur à S l -Lo. 

— Jubé, baron de la Perelle, ancien chef de bureau 

au ministère de l'Instruction publique à Paris. 

— Adblus, littérateur à Valognes. 

— Canel, antiquaire à Pont-Audemer. 

— Dubus, président de la société historique et littéraire 

de Tournai. 

— Brochon, avocat à Bordeaux. 


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DE LA SOCIÉTÉ. 


XI 


Ad. de réc. 

1858 MM. Fouasse, inspecteur des écoles à S*-Lo. 

— Beulê, professeur d’archéologie à la bibliothèque 

impériale à Paris. 

— Lb Vot, conservateur de la bibliothèque du porté Brest. 

— Enault (Louis,) homme de lettres à Paris. 

— Vicomte d’Estaintot, littérateur à Rouen. 

— Socc aille, secrétaire de la société archéologique de 

Beziers. 

— Van Hoorebeke, avocat à Gand. 

1859 Eyriès, lieutenant d’infanterie de marine àRocbefort. 

— Pumperneel, aide-commissaire de la marine (en 

cours de campagne.) 

— Le baron Baude, membre de l’institut à Paris. 

— Jouanne (de Cherbourg), ancien secrétaire de S. M. 

l’Empereur Napoléon 1 er à Versailles. 

— L'abbé Guillebert, chanoine, curé des Pieux. 

— Bozbrian, avocat à Paris. 

— Mirault, idem à Paris. 

— Warlomont, inspecteur de l’enregistrement à 

Tournai. 

— Creüly, général de brigade du génie à Paris. 

— Le baron Doyen, sous-gouverneur de la banque de 

France à Paris. 

— Le vicomte du Moncel, ingénieur électricien près le 

ministère de l’Intérieur à Paris. 

1860 Frère (Edouard), littérateur à Rouen. 

— Julien, lieutenant de vaisseau à Toulon. 

— de Gaigneron, antiquaire à Nantes. 

— Floquet, correspondant de l’institut, au château de 

Formentin (Calvados.) 

— Le Roy, homme de lettres à Cany. 

— Wacqubz, avocat à Tournai. 

— Nicot, ancien recteur d’académie. 

— Mangon de la Landb (Alphonse), officier de cavalerie, 

retiré à Avrancbes. 

— Loyer, littérateur à Avrancbes. 

— Le Héricher, professeur au collège d’Avranches. 

— Dessalles, généalogiste â Reims. 

— Porte l et te , professeur au lycès impérial de Lille. 


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XII 


LISTE DES MEMBRES 


An. de réc. 

1860MM. Colombel, avocat à Evreux. 

— Hervé-Mangon, ingénieur à Paris. 

— L'abbé Lecardonnel, antiquaire à Sores (Manche). 

— Diegerick, professeur à l’athénée d’Anvers. 

— Mangon de la Lande (Amédée), général de brigade, 

ancien chef de l’état-major général de l’armée de 
Paris et de la l re division militaire à Paris. 

— Garnier, secrétaire de la société des antiquaires de 

Picardie à Amiens. 

— Pekelharing , pasteur de l’église mennonite à 

Middelbourg. 

— De la Plane, ancien député à S^Omer. 

— Canet, professeur au collège de Castres. 

— Verly, architecte à Lille. 

— Debacq, secrétaire de la société d’agriculture de la 

Marne à Châlons. 

— Longueville, docteur en médecine à Périers. 

— Lachelier, professeur de réthorique au lycès impérial 

de Caen. 

— Giefers, directeur de la société historique et archéo¬ 

logique à Paderborn. 

— L’abbé Ginard, curé d’Agon. 

— Namur , secrétaire de la société archéologique à 

Luxembourg. 

— Le D r Herpin, à Metz. 

— Le D r Baruffi, professeur de philosophie à l’Univer¬ 

sité de Turin. 

— Lbcoq, membre de l’institut d’Egypte à Clermont- 

Ferrand. 

— Le D r Riboli, membre de l’académie de Turin. 

— Le V le de Cussy, président de l’académie agricole à 

Paris. 

— Chatin, professeur à l’école de pharmacie à Paris. 

— Castaing, naturaliste à Bazas (Gironde). 

— Lemetayer-Masselin, archéologue & Bernay. 

— de la Sicotière, avocat à Alençon. 

— L’abbé Dufour, antiquaire à Paris. 

Foucher baron de Careil, homme de lettres, au 
château de Houlgatte par Dives (Calvados). 


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DH LA SOCIÉTÉ. 


XIII 


Ai. de réc. 

1860 MM. P arih comte db Sbmamvillb, ancien magistrat k 
Manneville. 

— Félix db Vbrnbilh, archéologue à Puyraveau. 

— Lafosse, Horticulteur à S^-Marie-du-Mont. 

— Le D r Le Pelletier (de la Sarthe) au Mans. 

— Parker, membre de plusieurs sociétés savantes k 

Oxford. 

— L'abbé Mabire, directeur de l'institution de S^-Marie 

à Caen. 

— Michel de Montuchon, antiquaire à Rennes. 

— L’abbé Nogbt, bagiographe à Sommervieux (Calvados). 

— Galonde, maître des requêtes à Paris. 

— L'abbé Legoupils, curé de Brix. 

— de Lachaumelle, directeur de l’institut impérial des 

Quinze-Vingts à Paris. 

— Le comte Paul d'Aigneaux , naturaliste à l'tle 

Marie (Manche). 

— L'abbé Hébbnstreit, professeur au collège libre de 

Colmar.. 

— Bouillbt, homme de lettres à Clermont-Ferrand. 

— L'abbé Gilbert, vicaire général à Coutances. 

— Le Bidois, receveur des domaines à Carentan. 

— L'abbé Le Brec, vicaire général k Coutances. 

— Trébutien, président du tribunal civil k Bayeux. 

— Fokker, docteur en médecine k Middelbourg. 

— Niobey (de Hambye), docteur en médecine à Paris. 

— De la Villethassez-Lecourt, généalogiste à Dinan. 

— Carlibr, archéologue k Paris. 

— L'abbé Boucher, professeur de philosophie à Reims. 

— de Guiton, antiquaire k Montanel (Manche). 

— Le D r Auzoux, à S^Aubin-d’Écroville (Eure). 

— Ollivier, ingénieur en chef k Caen. 

— Mosselhan, propriétaire à S l -Lo. 

— Herpin de Frbmont, capitaine de frégate en retraite 

à Brix. 

— Daubrêe, doyen de la faculté des sciences de 

Strasbourg. 

— Elwart, professeur au conservatoire de musique à 

Paris. 


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XIV 


LISTE DES MEMBRES DB LÀ SOCIÉTÉ. 


An. de réc. 

1860 MM.Canat de Chiïy, président de l’académie de Châlons- 
sur-Saône. 

— Le marquis de Fournès, inspecteur de l’association 

normande à Vaussieux. 

— Le D r Nittingbr, à Stuttgard. 

— Doyère, professeur de géologie à Paris. 

— L’abbé Loreau, chanoine à Auxerre. 

— Dupoirier de Porbail, agronome à Valognes. 

— L’abbé Tessero , sous-directeur du collège de 

Valognes. 

— Villemsens, artiste à Paris. 

— Tudot, conservateur du musée de Moulins. 

— L’abbé Macé, supérieur du collège de Valognes. 

— Clogenson, président de l’académie des sciences, 

arts et belles lettres de Rouen. 

— Vinit, secrétaire perpétuel de l’école des beaux arts 

à Paris. 

— Le Franc, inspecteur en chef de la marine à Brest. 

— L’abbé Vignon, professeur au collège de Valognes. 

— Gillet, secrétaire de la société académique de la 

Marne à Cbàlons. 

1861 Le Chev er Zantedbschi, professeur de physique à 
l’université de Padouc. 

— Devillers (Léopold), conservateur des archives du 

Hainault à Mons. 

— de Reverseaux, littérateur à Paris. 

— de la Morinière (Paul), avocat à Paris. 

— Van Roy, peintre d’histoire à Anvers. 


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M. L AIMA NT 


Messieurs, 

La mort a frappé en 1838, un de nos anciens confrères 
dont le nom est bien sympathique parmi nous. 

Doué d’un esprit conciliant, d’un tact parfait, d’une ins¬ 
truction variée, M. Laimant possédait toutes les qualités qui 
rendent le commerce de la vie très sûr et les relations 
littéraires agréables. Gomme homme privé, il manifesta pen¬ 
dant les temps difficiles de 1848, autant de raison que de 
prudence; comme fonctionnaire, il se montra inspecteur en 
chef de la marine aussi méritant qu’habile. 

31. Laimant (Amédée) naquit à Versailles le 20 mai 1790. 
Son père, administrateur de la ménagerie royale sous Louis 
XVI, perdit son emploi et une partie de sa fortune par suite 
de la Révolution. Il put cependant donner une éducation 
convenable à ses six enfants dont Amédée était le cinquième. 
Admis à l’école polytechnique le 10 novembre 1807, il en 
sortit comme ingénieur des constructions navales le 21 
novembre 1811, servit à Lorient, en Corse, à Rochefort; fut 
envoyé en mission en Russie, et chargé successivement des 
établissements de la marine à Guérigny et à Indret. Appelé 
dans le corps de l’inspection de la marine, il vint prendre 
la direction de ce service à Cherbourg le 27 décembre 1844. 

Deux ans plus tard, les rangs de notre société s’ouvraient 
devant lui; un remarquable mémoire sur la Corse, imprimé 
dans nos mémoires, fut présenté par ce nouveau confrère 
à cette occasion. 1 


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M. LA IM A PCT. 


rvt 


Destiné à servir près de M. Laimant, j'ai pu, pendant plu¬ 
sieurs années, saisir quelques traits du caractère de cet 
homme excellent et distingué. 

Une santé délicate et parfois les soucis du service lui 
donnaient des velléités de retraite. Le temps de ma 
jeunesse, disait-il, m'a laissé dans l’imagination un tableau 
d’âgo d'or. Quand pourrai-je, roi de mes heures, aller me 
retremper dans ces charmants souvenirs de l’enfance. Je ne 
suis pas trop vieux pour commencer ce plaisir rétrospectif, 
car que pouvons-nous achever? Notre vie est-elle autre 
chose que projets, espérances et parfois (ajoutons-le bien 
bas) déceptions? Il faut de rigueur voir notre avenir en 
beau et, dans le présent, tâcher de se plaire dans cette incer¬ 
titude du lendemain où notre vie flotte sans cesse. 

Atteint par l'âge de la retraite à Brest, où il avait été 
appelé à continuer ses service, M. Laimant fixa sa résidence 
dans ce port où, comme à Cherbourg, il avait su se concilier 
toutes les sympathies. Doué d’un grand esprit de sociabilité 
et aimant beaucoup le monde, il s’était appliqué à développer 
en lui toutes les qualités que le monde apprécie. 

En 1858, après un long voyage dans les Pyrénées et le 
midi de la France, M. Laimant vint à Paris comptant passer 
quelques semaines chez son frère atné. On félicitait notre 
ancien collègue de sa gaité, de cette égalité d'humeur qui 
sont les signes de la santé; cependant à la suite d’une très 
courte maladie, il s’éteignit le 12 septembre 1858, laissant 
d’universels regrets. 


L. DK PONTAUMONT. 


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NOTES 


SUR 

L'ADMINISTRATION MUNICIPALE 

DE CHERBOURG, 


Par M. NOËL, 

Ancien Kaire, Directeur de la Société. 


J'ai recueilli sur l'administration municipale de cette 
Tille un assez grand nombre de noies qui ombrassent la 
première moitié de ce siècle. En les réunissant, j'ai pensé 
qa’on pourrait faire un travail, qui offrirait quclqu'intérét et 
qui fournirait au moins dos matériaux à l'histoire locale. 
Assurément le sujet, en lui même, est digne de toute notre 
attention. Le sceau de l'administration est empreint sur les 
principaux actes de notre existence. Elle nous reçoit au seuil 
delà vie, protège l'enfance abandonnée, pourvoit aux besoins 
de l'éducation publique, touche à la plus grande partie des 
intérêts qui nous occupent plus tard et nous suit ainsi jusqu'à 
la tombe qu'elle referme sur nous, comme elle nous avait 
introduit d’abord à la vie civile. Sa sollicitude s’étend même 


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2 


NOTES SUR 


au-delà de notre existence ; c’est à elle que nous devons un 
dernier asile et c'est elle qui protège encore notre dernier 
sommeil. 

Les éléments du travail que je soumets à la Société, 
remontent à une époque qui lui donne un nouveau degré 
d’intérét. Le XVIII 9 sciècle venait de Gnir et, avec lui, dis¬ 
paraissait, en même temps, le désordre révolutionnaire qui 
avait signalé les dernières années. Mais ce désordre avait 
laissé des traces nombreuses et profondes qu’il fallait effacer; 
mais les institutions municipales, qui avaient régi les com¬ 
munes pendant dessciècles, n’existaient plus et celles qui les 
avaient remplacées avaient contre eux une trop funeste 
expérience pour qu’il fût possible de les continuer. Il fallait 
donc tout créer à nouveau. Une main habile saisit le pou¬ 
voir : secondée par le génie et mettant à profit la faveur des 
circonstances, elle s’occupa de reconstituer un gouvernement 
digne de ce nom. La réorganisation des administrations 
municipales fut au nombre de ses premières mesures, et 
c’est là le point de départ des institutions qui nous régis- 
sentaujourd’bui. On emprunta aux divers régimes qui avaient 
précédé celui là, ce qu’ils pouvaient avoir de bon , et la 
commune fut reconstituée sur des bases qui offraient des 
chances de stabilité et de durée. Quelques attributions ont 
disparu depuis, d’autres ont été modifiées,la composition des 
corps municipaux a varié dans sa forme, mais le principe 
est resté le même. C’est toujours le principe de la sépara¬ 
tion des pouvoirs agissant et délibérant ; le premier, forcé 
de renfermer son action dans un cercle tracé d’avance, et le 
second appelé encore à contrôler cette action dans ses 
résultats. 

Depuis cette époque, le vent des révolutions a soufflé 
plusieurs fois sur la France. Les institutions municipales 
ont participe nécessairement au mouvement général. Il no 


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t ADMINISTRATION MUNICIPALE. 


3 


sera pas sans intérêt de constater l’influence que ces révolu¬ 
tions ont exercé sur les mœurs administratives et sur la mar¬ 
che des affaires. 

Dans celte étude, nous rencontrerons les noms de ceux 
qui, les premiers, ont été appelés à faire l'application des 
principes nouvellement établis. L’administration eut d’abord 
pour chef un homme éminent, qui la dirigea pendant IS 
ans, et qui, pendant tout ce temps, lui apporta chaque jour 
le concours de son active intelligence. Il fit beaucoup avec 
le peu de ressources dont il pouvait disposer et il dût néces¬ 
sairement laisser beaucoup & faire à ceux qui devaient 
venir après lui. Mais son esprit prévoyant avait embrassé 
lpvenir; il nous a laissé de remarquables rapports et des 
projets exécutés plus lard ou restant à exécuter, et qui tous 
font foi de cette prévoyance. Ses successeurs ont pu trouver 
là d’utiles renseignements; il a jalonné la route qu’ils 
avaient à suivre, il leur a ouvert la voie du perfectionnement 
et c’est un devoir à remplir que de consigner ici l’expres¬ 
sion de nos reconnaissants souvenirs. 

L’histoire de l’administration municipale pendant la pre¬ 
mière moitié de ce siècle, comporte trois époques distinc¬ 
tes qui ont chacune un cachet qui leur est propre et qui 
peuvent donner lieu à des éludes séparées ; d’autant mieux 
que, dans chacune de ces périodes, la direction est restée à 
peu près constamment dans la même main. 

La première a commencé avec le Consulat et fini avec 
l’Empire. C’est une époque de création, et sous ce rapport, 
b plus intéressante à étudier. 

La seconde correspond à peu près tout entière au gouver¬ 
nement de la Restauration. C’est l'époque qui vit fonder le 
crédit public, l’ordre et la régularité dans les finances de 
l’État, s’étendant à celles des communes. La publicité des 
budjets dans celle de Cherbourg devint une nouvelle garan- 


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4 


NOTES SUR 


tie pour les administrés, qui, pour la première fois, purent 
connatlrc et contrôler l'emploi des fonds provenant des 
contributions des diverses natures auxquelles ils étaient 
soumis. * 

* 

La troisième époque est celle du gouvernement qui suivit 
la révolution de 1850. Ici, la forme, surtout, plutôt que le 
fond, caractérise cette dernière période : l'extension des 
attributions parlementaires passe des grands corps délibé¬ 
rants dans les modestes assemblées des communes. Leur 
composition devenue indépendante du gouvernement, ajoute 
encore aux difficultés. Si, d’un côté, chacun prend une part 
plus active et plus intéressée à la marche des affaires, si des 
discussions plus sérieuses et plus prolongées, si une publi¬ 
cité plusétenduefont jaillir de nouvelles lumières, et appor¬ 
tent de nouvelles garanties à la gestion des intérêts communs: 
de l'autre côté, le conflit des opinions sème journellement 
des entraves sur les pas de l'administration. Condamnée à 
des luttes incessantes dans le sein du conseil, en butte aux 
discussions souvent envenimées de la presse; elle ne peut 
avancer que lentement et ses meilleurs projets viennent quel¬ 
quefois se briser contre d'invincibles obstacles. 


PREMIÈRE ÉPOQUE. 


Disons un mot d'abord sur les phases qu'avait traversées 
l'administration municipale depuis 1789 jusqu’au commen¬ 
cement de cette première époque. 


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L’ADMINISTRATION MUNICIPALE. 


5 


Avant la révolution, celle administration était très variée 
tant dans le fond que dans la forme. Les dénominations 
étaient diverses. Ici c'était une mairie, là une échevinat, 
ailleurs un consulat. La constitution de 1789 établit l'unité 
partout, dans les noms comme dans les attributions, comme 
dans la composition et l'organisation des assemblées. Toute 
commune eut une municipalité et son chef qui dut porter 
le nom de maire. Gomme aujourd'hui, les attributions 
furent de deux espèces; les unes propres au pouvoir muni¬ 
cipal, les autres propresà l’administration générale del’Èlat 
et déléguée par elle aux municipalitéos. Celte division s’est 
conservée jusqu’à ce jour, mais chacune de scs parties a subi 
des modifications plus ou moins grandes. 

Tous étaient soumis à l’élection directe de l’universalité 
des citoyens actifs, qualité attribuée à tous ceux qui avaient 
au moins 25 ans, payaient une contribution directe de la ' 
valeur de 3 journées de travail et n’étaient point en état de 
domesticité. La convocation des assemblées électorales se 
faisait 8 jours d’avance, tant par publication au préne que 
par affiches aux portes des églises et autres lieux accoutu¬ 
més. 

La composition des corps municipaux différait complète¬ 
ment de ce qu’elle était auparavant et de ce qu’elle est 
devenue plus tard. Le maire était seul administrateur, tou¬ 
tes les fois que le corps municipal ne comptait pas plus de 
trois membres. Au-delà, c’était un bureau pris dans le sein 
do conseil qoi partageait avec lui les fonctions actives de 
l'administration. Le conseil seul délibérait dans les matières 
ordinaire* Augmenté d’un nombre égal de notables, nommés 
également par élection, il prenait le nom de conseil général 
et s’occupait d’affaires plus importantes. Enfin, prés de 
chaque conseil, siégeait un procureur de la commune, aidé 
quelquefois d’un substitut qui puisaient leurs pouvoirs dans 


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6 


NOTES SCR 


la même origine. Ils étaient chargés de défendre les inté-* 
rôts et de poursuivre les affaires de la communauté. 

La constitution de 93 apporta peu de modifications à cet 
état de choses; mais en Tan 111 de la République, un système 
tout nouveau prévalut. Les communes ayant 5000 habitants 
et plus, obtinrent seules une administration municipale, les 
autres n’eurent plus qu'un agent municipal et un adjoint. La 
réunion de ces agents au chef lieu de canton forma une 
municipalité cantonnale. L’élection fut toujours le moyen 
employé pour la constitution de ces nouveaux pou¬ 
voirs. 

Telle était l’organisation municipale au moment où la loi 
du 28 pluviôse an VIII, vint consacrer le système dont le prin¬ 
cipe existe encore aujourd’hui, et dont l’application à la 
ville de Cherbourg forme le commencement du travail que 
je soumets à la Société, 

Dans ce système, chaque commune, quelle que soit son 
étendue, rentre en possession de son administration muni¬ 
cipale. Il y a dans chacune d’elle un maire et un ou 
plusieurs adjoints suivant la population, un conseil munici¬ 
pal dont le nombre varie avec celui des habitants; l’élection 
est supprimée, malgré le maintien du nom de république au 
gouvernement de la France. La nomination directe appar¬ 
tient au 4* r consul et aux préfets. Les attributions sont à 
peu près celles qui avaient été établies en 1789. 

En conséquence de cette loi, le conseil municipal de 
Cherbourg fut composé de 30 membres et l’administration 
se forma avec on maire et deux adjoints, leur installation 
eut lieu par M. Le Magnen, sous-préfet de Valognes, le 12 
floréal an Vlll, correspondant au 2 mai 1800. 

Les noms des 32 habitants qui furent choisis pour com¬ 
poser le conseil et l'administration noos ont été conservés et 
donne lieu à une remarque qui peut faire présumer l’àge 


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L*ADMIN(STBATIOIf MUNICIPALE. 


7 


ou ou moins one certaine limite d’âge dans laquelle aurait 
été (ait le choix des nouveaux conseillers. Il y a tout lieu 
de croire que les plus jeunes n’avaient guère moins de 40 
ans. Car,non seulement aucun d'eux n’existe aujourd'hui, 
mais les derniers survivants sont morts il y a déjà plus de 
10 ans, et à un âge très avancé. Ce fait, contraire à ce que 
nous voyons déjà depuis longtemps, peut s’expliquer par 
les régimes de violence et de désordre qui s'étaient succédé 
depuis 1789. Les passions sont plus ardentes dans la jeu¬ 
nesse et on espérait trouver dans l’âge mûr plus de calme 
et de sagesse. 

Une autre réflexion se présente encore à l’esprit quand 
on parcourt cette liste : de tous ces noms il y en a 7 à 8 à 
peinequi se sont conservés dans notre ville. Parmi les autres, 
la plupart sont éteints et ceux qui existent encore vivent 
an loin, perdus pour leurs anciens concitoyens, et cependant 
toos ces noms appartenaient â des familles établies dans la 
ville depuis un temps plus oo moins long et non, comme 
nous l’avons vu depuis, à des fonctionnaires complètement 
étrangers aux intérêts de la cité. 

L'administration fut composée de M. Delaville, maire, 
de MM. Noël et Âsselin, adjoints. 

M. Delaville était médecin, et les soins de sa nombreuse 
clientèle devaient être un obstacle à l’accomplissement des 
devoirs que lui imposait l’administration. Il sot cependant 
concilier les uns et les autres avec une égale sollicitude. La 
plus grande partie de sa journée était consacrée à scs mala¬ 
des; ses soirées, une partie de la nuit, s’il le fallait, apparte¬ 
naient aux affaires de la commune. Il recevait rarement chez 
lui. S’il donnait un repas de fonctionnaires ou d'amis, c’était 
}iour 9 heures du soir qu’étaient faites ces invitations et il 
lui est arrivé quelquefois de faire attendre ses convives jusqu’à 
minuit; c’est que M. Delaville était avant tout l'homme du 


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8 


NOTES SIR 


devoir. Il oubliait tout, tant que sa tâche journalière n’était 
pas remplie, et cette tâche fut souvent soumise à de rudes 
épreuves. Au commencement de son administration les res¬ 
sources de la commune étaient pour ainsi dire nulles, et 
quoiqu’il ait fait à cet égard, il ne put jamais les élever 
même au niveau des besoins les plus pressants. Cependant, 
il dut faire face à des dépenses qui ne concernaient pas tou¬ 
jours exclusivement la commune et il se trouva souvent en 
face d’exigences qu’il fallut tantôt satisfaire avec discer¬ 
nement, tantôt combattre avec prudence et fermeté» 

La France était alors soumise aux rigueurs militaires, 
Cherbourg était le chef lieu de la division, et les généraux 
qui se succédaient adressaient souvent à l’adraistration des 
demandes dont le droit et la convenance pouvaient être 
contestées. M. Delaville sut résister à celles qui n’étaient 
pas fondées, et quand des mesures émanant d’une autorité 
dictatoriale pouvaient froisser les intérêts communaux, il ne 
craignit pas de les repousser par des mesures non moins 
énergiques. 

Malgré tous ces embarras et malgré les occupations très 
multipliées de sa profession, M. Delaville trouvait encore le 
temps de se livrer à quelques études scicntiBqucs, et les 
procès-verbaux de la Société Académique témoignent de 
son instruction étendue et de son caractère laborieux. 

Après vous avoir fait connaître l’homme entre les mains 
duquel reposait la direction des intérêts communaux , 
j’aborde l’histoire de l’administration elle même. 

J’ai déjà dit que les ressources financières delà commune 
étaient à peu prés nullcs et de bcaucoop inférieures aux 
besoins de première nécessité. C’est ce qui résulte d’un 
rapport fait par M. Vitrel sur les cinq derniers mois de l’an 
Vlll et sur le budjet de l’an IX. D’après ce rapport, les 
recettes qui dépassent aujourd’hui 400,000 fr. s’élevaient 


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l'administration municipale. 


9 


pour l'an IX à 3261 fr. et les dépenses à 12,072 fr. 86, ce 
qui accuse un déficit de 9000 fr. environ. 

L'administration avait alors à sa charge le traitement du 
joge de paix et de son greffier. Bientôt on y ajouta ccnxdu 
capitaine de port et de son lieutenant. 

En présence de cette extrême pénurie t on comprend aisé¬ 
ment tout ce qu'il y avait de déplorable dans la situation 
de la ville; son état moral était peut-être encore au-dessous 
de son état matériel. Il n'y avait aucune police, les rues 
étaient la plupart sans pavés, les chemins de la banlieue 
impraticables, l'éclairage était inconnu. Une ou deux fon¬ 
taines tout au plus fournissaient à la consommation des habi¬ 
tants. Toute la portion de la ville qui comprend aujour¬ 
d'hui la place Divotle et les rues environnantes, et qui autre¬ 
fois était couverte par les eaux delà mer,n'était plus qu'un 
marais insalubre, depuis qu'on avait creusé un nouveau 
lit à la rivière et que la mer s'arrêtait aux murs de quaides 
bassins environnants. 

D'un autre côté, l'administration ne pouvait entretenir ni 
collège, ni écoles primaires. Le bureau de charité n'existait 
pas. L'hospice, dépouillé par la tourmente révolutionnaire, 
était loin de suffire aux plus pressants besoins, et sa dette 
excédait 50,000 francs. 

Pour satisfaire à des besoins si nombreux et si variés, 
l'administration dût songer d'abord aux moyens de créer de 
nouvelles ressources. Aussi voit-on, dès la première année, 
proposer l'établissement d'un octroi et l'affermage des 
boues de la ville. Ce dernier revenu devait être affecté à la 
réparation des pavés. 

Le tarif d’oetroi fut calculé de manière à produire une 
recette d'environ 80,000 francs. On voit que ce chiffre est 
bien loin de celui qu'il a atteint aujourd'hui. Les motifs en 
sont faciles à comprendre. L'établissement d'un nouvel 


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NOTES SUR 


10 

impôt est toujours une chose difficile à faire accepter par 
les populations, et on ne peut y procéder qu'avec une 
grande réserve. Puis la population qui comprenait environ 
6000 âmes était loin de ce qu’elle est aujourd’hui. Les limi¬ 
tes de la ville étaient beaucoup plus rapprochées. La com¬ 
mune de Tourlavilie venait jusqu'au pont-tournant. Le 
chiffre indiqué plus haut pour le produit présumé de 
l'octroi n’a donc rien qui doive nous étonner. 

On établit aussi un poids public dont le produit devait 
s’élever à 700 francs environ. Un peu plus tard, on s’occupa 
d'un tarif pour les droits d'étalage des bestiaux amenés aux 
marchés, droits qui ne sont autres que ceux inscrits aujour¬ 
d’hui au budjet sous le nom de location de la halle et des 
places aux foires et marchés. Ce droit, dont le produit 
dépasse 25,000 francs au budjet de l'année courante était 
calculé alors pour rapporter environ 1000 francs. 

Si nous détournons un instant notre attention de ces 
détails financiers, nous trouverons le conseil livré à des 
occupations qui nous paraîtraient bien étranges aujour¬ 
d'hui. 

A cette époque, il délivrait des certificats de notoriété 
pour constater l'idcndité des personnes et d’autres à fin de 
divorce. 

Ces derniers sont peu nombreux, on n'en trouve que 
trois dans la période qui nous occupe. Ce nombre considéré 
en lui même parait insignifiant, et cependant il suffit, pour 
prouver que les prévisions des législateurs avaient été 
dépassées de beaucoup. La loi sur le divorce date de 1792 
et prit fin en 1816. Suivant un des orateurs (1) qui contri-* 
bua à son adoption, « le divorce, loin de rompre les liens 
de l'hymenée (ce sont ses propres expressions), devait les 

(1) Aubert Dubayet, séance du 30 août 1792. 


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l'administration mumcipalr. 


Il 


resserrer d avantage, et du moment où il serait permis, Imi¬ 
tes les unions devaient être heureuses. A Rome, ajoutait-il, 
il fat 300 ans en vigueur avant qu’on en usât, s 

Si nous en jugeons par ce qui s'est passé à Cherbourg, 
la France aurait été plus empressée à faire l'application du 
nouveau principe. Les trois divorces dont nous venons de 
parler eurent lieu en 1803 et en 1804. Delà jusqu'en 1816, 
il n’en reste aucune trace. A cette première époque les 
principes religieux commençaient à revenir en honneur, et il 
j a tout lieu de croire qu’antérieurement, dans les premiè¬ 
res années quisuivirent la promulgation de la loi,en l'absence 
de tout culte et sous l'influence des passions révolution¬ 
naires qui brisaient tous les freins, cette loi reçut de 
plas nombreuses applications. S'il en fut-ainsi dans une 
petite population de mœurs habituellement paisibles, que 
dût-il arriver au milieu de la population parisienne, relati¬ 
vement immense, augmentée d’un grand nombre d’hommes 
qq’j avaient attiré de tous les points de la Fance l'exalta¬ 
tion de leurs idées, séduits par leurs théories subversives 
de toute morale, excités chaque jour par leurs prédications 
incendiaires? Que dût-il arriver dans les provinces méri¬ 
dionales et dans celles ou les religions dissidentes comp¬ 
taient un grand nombre de sectateurs, dans tousccs pays ou 
les excès révolutionnaires ne connaissaient pas de limites T 
Evidemment l’orateur que nous avons cité plus haut, en 
admettant qu’il fut sincère, avait une vue qui s'étendait 
k peu de distance ou était aveuglé lui mémo par l’exaltation 
commune. 

L’examen du décret sur le divorce fournit de nouvelles 
preuves à l’appui de ce que je viens de dire. Il y a dix, 
causes de divorce indiquées et il n'y en a qu’une seule qui 
me paraisse devoir réclamer l'intervention du conseil muni¬ 
cipal, C’est le cas prévu pour absence de l’un des époux 


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12 


NOTES SUR 


pendant 5 ans sans nouvelles, et c’cst bien celui qui se 
trouve jndique dans la délibération qui a donne lieu à cette 
digression. 

Parmi les attributions du conseil qui étaient en vigueur 
alors et qui n’existent plus aujourd'hui, il y en avait une 
extrêmement importante. 

C'était à cette assemblée qu'étaient confiées les opéra¬ 
tions du recrutement. Il y avait toutefois, pour certains cas, 
un changement dans la présidence qui était attribuée au 
sous-préfet. Cesattributiousétaient considérables, elles com¬ 
prenaient celles de nos conseils de révision, et s'exerçaient 
aussi avec Passislancc des officiers de gendarmerie. Il ne 
parait pas que la législation de cette époque prescrivit le 
tirage au sort ; mais que le choix du mode de désignation 
était abaitdonné aux conseils municipaux, c'est ce qui résulte 
de la séance du 8 décembre 1803, où le conseil arrête, à 
l'unanimité : 

Qu’il usera de la faculté d'exempter quelques conscrits 
à raison de l'utilité dont ils seraient reconnus être, soit à la 
société en général, soit à leur famille en particulier; qu’il 
en exempterait 8 sur 100; 

Qu’il se réservait le droit de nommer pour l’armée active 
ceux qui occasionneraient du trouble dans l’assemblée lors 
des opérations ; 

Enfin qu'il userait .de la voie du sort pour la désigna¬ 
tion. 

La conscription militaire, décrétée en 1798, comprenait 
tous les français depuis l'âge de 20 ans accomplis jusqu’à 
celui de 25 ans révolus. La répartition se faisait en cinq 
classes; et le gouvernement faisait selon les besoins on 
appel qui était rempli en s'adressant d'abord aux plus jeunes. 
Nulle part cette loi ne fait mention des attributions confiées 
aux conseils municipaux, qui ont dù plus tard être l'objet de 


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l’administration municipale. 


13 


dispositions spéciales émanant du pouvoir exécutif. Ce 
mode de recrutement avait des inconvénients graves qu’il 
est facile d’apercevoir. Le nombre et la nature des exemp¬ 
tions étaient complètement abandonnés à l’arbitraire des con¬ 
seils, et il est à remarquer, que la principale cause soumise 
aujourd’hui aux conseils de révision et qui repose sur les 
incapacités physiques, n’est mentionnée ni dans la loi ni 
dans les délibérations dont nous nous occupons. 

Les incohérences et les vices de cette législation ne tar¬ 
dèrent pas à se faire sentir; car, à partir de 1804, on n’en 
retrouve plus aucune trace dans les délibérations du 
conseil. 

Dans cette même année 1804, l’administration munici¬ 
pale se posa un problème dont la solution reste encore à 
trouver à Cherbourg comme ailleurs, problème qui se rata* 
che aux plus grands intérêts et qui renferme en soi des élé¬ 
ments de di>cussion qui, plus d’une fois ont porté le trou¬ 
ble dans les États et ruiné des Empires. C’est la question 
toute entière du paupérisme qui s’agite sous un modeste 
projet d’extinction delà mendicitéetque nous trouvons dans 
un rapport fait par M. le maire aux administrateurs réunis 
de l’hospice et du bureau de bienfaisance. Il s’agit en effet 
de créer un système de secours assez varié et assez étendu, 
pour que chaque individu puisse subvenir à ses besoins et 
a ceux de sa famille, sans recourir à la charité privée. On 
appellcà l’appui de ce système l’action de la police, la ré¬ 
pression sévère d’un délit dont la cause peut souvent être 
innocente et amener de dangereuses irritations, le renvoi 
des mendiants étrangers, l’obligation du travail pour les 
pauvres valides, l’organisation du bureau de bienfaisance 
qui jusque là n’avait eu qu’une existence nominale, l’ad¬ 
jonction des dames de charité, des visites fréquentes chez les 
indigents, l’exemple enfin propre à augmenter le nombre 


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14 


NOTES SUR 


des personnes charitables et par suite à multiplier les 
secours. 

Dans ce rapport, on aime à trouver réunis l'esprit éclairé 
de l’administrateur et un cœur profondément ému des 
misères de l'humanité. On lit avec un vif intérêt l’exposé 
des vrais principes qui doivent présider à l’exercice de la 
charité publique et privée. La première condition est la 
connaissance exacte de la situation des familles, et pour cela 
il est nécessaire de les visiter souvent. Alors on est assuré 
de ne donner qu’à ceux qui méritent. Mais ce n’est pas là 
le seul bienfait obtenu : le pauvre n’éprouve pas seule¬ 
ment des besoins matériels ; les personnes bienfaisantes qui 
le visitent lui portent aussi les consolations, l’espérance, les 
exhortations, les bons conseils qui sont souvent des secours 
plus précieux que les premiers. L’intérél dont il est l’objet 
le touche, lui procure un instant de bien être et relève son 
courage. Sans doute on en rencontre quelques uns noorris 
dansde tels principes ou abrutis tellement par la misère, qu’ils 
restent insensibles à ce bienfait ; sans doute il y a de mau¬ 
vais pauvres qui abusent souvent des dons de la charité; 
mais tous les riches sont-ils également bons, et combien 
n’en trouve-t-on pas qui, eux aussi, abusent du bien dont 
la providence a été si prodigue envers eux. Plus coupables 
que les premiers, ils n’ont pas pour excuse l’absence de toute 
éducation et le poids de la misère sous lequel succombe souvent 
l’àme aussi bien que le corps. Si l’on était retenu sans cesse 
par la crainte de mal placer ses aumônes, on donnerait bien 
peu etl’égoisme y trouverait facilement son compte. Pour 
combattre cette funeste tendance, il faut envisager les deux 
situations opposées : donner à celui qui ne mérite pas, ou 
priver du nécessaire celui auquel il manque. Il faut faire 
un choix entre ces deux extrêmes souvent incertains. 
L’homme charitable n’bésitera pas; il donnera, aimant 


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l’administration municipale. 45 

mieux sc tromper dans le sens de la charité que dans le 
sens contraire. 

C'est-là ce qui rend indispensable, dans un bon système 
de charité publique, Tiostitution des dames qui visilrnt les 
pauvres, s’assurent de leur position , connaissent leurs 
besoins et contribuent ainsi, si non à déraciner les abus, au 
moins à les diminuer considérablement. 

C’est encore là ce qui assure h la Société de Saint-Vin¬ 
cent-de-Paul et h toutes celles qui se proposent le même 
bot l’estime et la sympathie de tous les gens de bien. 

Le bureau de bienfaisance figure pour la première fois en 
4804 dans le budjet de la ville. Une somme de 6000 francs 
lui est allouée. La ville est divisée en 5 arrondissements, 
dooc chacun est soumis à la surveillance de quatre dames de 
charité; qui doivent s’associer toutes les personnes bienfaisan¬ 
tes de leurs divers quartiers,consignersur une feuille impri¬ 
mée tous les renseignements concernant chaque famille 
pauvre, remettre cette feuille à la fin de chaque mois au 
bureau de charité et demander pour les plus malheureuses 
les secours qu’elles jugeront nécessaires. Des bons de 
soupe sont mis à la disposition des dames pour en distribuer 
aux indigents dod malades qu’elles rencontreront dans le 
cours de leurs visites. Quant aux indigents malades, lors¬ 
qu’elles sc seront assurées que des secours soot indispensa¬ 
bles à leur état, elles doivent en faire la demande h l’hospice 
qui les délivre sur des bons signés par elles, ainsi que les 
médicaments nécessaires ordonnés par un médecin, en sorte 
que sur la représeniation de ces bons et sur les renseigne¬ 
ments particuliers des dames, le bureau puisse prononcer si 
les secours seront donnés ou vendus h ceux qui les auront 
obtenus. 

Telle fut l’organisation primitive du bureau de bienfai¬ 
sance. Vers la même époque un autre établissement fut 


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NOïKS SUR 


16 

fondé par la charité privée, mais sous l’inspiration du maire 
M. Dolavillc. Une association se forma pour procurer du 
travail ainsi que l’instruction aux jeunes filles pauvres, et la 
manufacture de dentelles prit naissance dans a un modeste 
local pris à loyer sur l’Ancien Quai, dans la rue qui porte 
ce nom aujourd’hui. Une première mise de fonds de 4000 
francs suffit à cette fondation qui ne tarda pas à prospérer, 
puisque deux ans après elle achetait un terrain rue de Bailli, 
et faisait construire un bâtiment formant le noyau du bel 
établissement que nous voyons actuellement. Il est vrai que 
l’association fut obligée de contracter un emprunt, mais il 
fallut peu d’années pour l’acquitter, grâce à l’habile direc¬ 
tion de Madame Quoniam , soeur de la Providence. La 
sœur Duval, qui, après elle a dirigé l’établissement, pendant 
30 années, et que nous avons eu le malheur de perdre tout 
récemment, n’a pas déployé moins d’habililé dans son 
administration. L’association possède aujourd’hui un vaste 
terrain, sur lequel elle a fait construire plusieurs bâtiments 
pouvant recevoir de 3 à 600 jeunes filles, dont toutes, 
moyennant une subvention municipale, reçoivent l’instruc¬ 
tion primaire et 300 environ travaillent à la dentelle. Il en 
est qui gagnent jusqu’à 1 franc par jour : un résultat si 
considérable comparé à un origine si modeste, appelle 
sur les généreux fondateurs de l’œuvre et sur les dignes 
sœurs qui l’ont porté à ce degré de prospérité, tout l’hom¬ 
mage de notre reconnaissance. 

L’année 1804 se termine par un exposé du maire relati¬ 
vement à la nécessité d’un entrepôt réel. Un projet fut pré¬ 
senté montant à 70,000 francs, et les voies et moyens furent 
également indiqués. Mais il devait s’écouler encore plu¬ 
sieurs années avant qu’uu projet définitif fut adopté et que 
les travaux fussent en cours d’exécution. 

Dans le mois d’avril de l'année suivante, M. Dclaville, 


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l’administration municipale. 17 

maire, fait un long exposé sur la situation financière de la 
ville et sur les besoios de tout genre qu’elle éprouve. 

Point de balle au blé: la ville qui comptait alors plus 
de 12,000 habitants était sous ce rapport au-dessous des 
plas petits bourgs environnants ; deux fois la semaine les 
cultivateurs apportaient leur grain au marché et déposaient 
leurs sacs dans la rue, exposés à toutes les intempéries de 
(atmosphère. Deux rues étaient alternativement consacrées 
à cet usage; la Grande-Rue le jeudi, et le lundi, la rue au 
Blé, qui a longtemps porté un double nom , tiré, l’un de 
l'espèce de grain qu'on y vendait, l'autre des jours affectés 
à celte vente. Depuis l'établissement d’une balle couverte, 
Posage a supprimé le nom de rue du Lundi, de même qu’il 
l’aTait introduit sans aucune décision officielle. 

Point de magasin d’entrepôt: les commerçants subis¬ 
saient l'inconvénient des entrepôts fictifs, situés dans des 
magasins particuliers, souvent étroits, humides et peu propres 
à la conservation des marchandises. Nous venons de voir 
que rAdministration avait considéré ce besoin comme un 
des plus urgents, et qu’elle avait déjà présenté un projet ten¬ 
dant à satisfaire à cette pressante nécessité. 

Les rues de la ville étaient dans le plus déplorable état, 
la plupart mal pavées, et les autres à l'étal de chaussée 
boueuse et d’un entretien difficile. 

L'éclairage n’était pas plus satisfaisant: il y avait à peine un 
an que les premiers réverbères avaient été suspendus, et la 
ville qui consacre aujourd'hui plus de 30,000 francs à ce 
service, n'y affectait pas alors plus de 3,000 francs. 

Si les intérêts matériels étaient en souffrance, les inté¬ 
rêts moraux et intellectuels n'étaient pas dans un état 
meilleur. Les écoles primaires étaient en petit nombre , et 
l’on n'y pratiquait encore ni l’enseignement mutuel ni même 
la méthode simultanée; l’instruction secondaire venait à 

2 


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18 


NOTES SUR 


peine d’Atre établie dans une maison prise à loyer pour cet 
objet. Avant cet établissement, les parents qui ne voulaient 
pas envoyer leurs cnfanls au dehors, avaient pour toute 
ressource un pensionnat dirigé par un ancien prêtre, qui 
professait à lui seul toutes les classes, depuis les éléments de 
la grammaire jusqu'à la rhétorique. On doit cependant lui 
rendre cette justice que son zèle répondait aux besoins qu’il 
était appelé à satisfaire dans une mesure plus grande qu’on 
ne devait le supposer, et qu’il formait généralement d'assez 
bons élèves. 

Dans une masure, située au milieu des sables, qui servait 
de prison, étaiententassés pêle-mêle les hommes frappés par 
la justice et ceux qui n’étaient pas encore atteints par ses arrêts. 
La confusion ne s’arrêtait pas là : hommes et femmes, vieil— 
la ds et enfants, innocents et coupables, tout était réuni 
dans la même enceinte, dans une enceinte étroite et mal¬ 
saine, et on comprendra facilement ce qu’une pareille 
réunion pouvait produire de déplorables résultats pour la 
moralité comme pour la santé. 

L’Hospice était ce que l’avaient vu les habitants de cette 
ville plusieurs siècles auparavant, ce que malheureusement 
nous le voyons encore en ce moment Mais il n’y avait pas 
comme aujourd'hui d'autres établissements charitables qui 
suppléent dans une certaine mesure à la privation qui se 
fait sentir d'un établissement convenable. Les bâtiments de 
l’hospice n’étaient pas seulement insuffisants et leur état 
matériel déplorable, ses ressources financières ne valaient 
pas mieux. Les hommes de 93 n'avaient pas plus respecté 
le modeste asile du pauvre que la demeure somptueuse du 
riche. Les biens de l’bospice avaient été vendus révolu- 
tionnaircinenl et la ville était seule chargée de fournir à tous 
ses besoins. 

Point d’ateliers de travail : les malheureux valides ou 


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L’ADMINISTRATION MUNICIPALE. 


19 


autres, étaient obligés de recourir à la charité privée, et 
présentaient le triste spectacle de troupes de mendiants 
ayant contracté la funeste habitude du vagabondage 
et de l'oisiveté, s'attroupant devant la porte des mai¬ 
sons où à l'arrière des voitures publiques, abdiquant 
toute dignité humaine et érigeant en un ignoble métier 
l’art d'exciter la pitié publique. En un mot, la mendicité 
existait avec tout le cortège des abus et des vices qui l'accom¬ 
pagnent trop souvent. 

Une seule église était ouverte aux fidèles, et ne pouvait 
suffire à une population qui dépassait 15,000 âmes, en y 
comprenant la garnison et les marins. L'instruction religieuse 
manquait aussi bien que l'enseignement laïque, et la moralité 
publique se ressentait nécessairement de cette double insuf¬ 
fisance. 

D’autres besoins moins importants restaient encore à 
satisfaire, et les ressources étaient loin de répondre aux plus 
pressantes nécessités. 

Les recettes de la ville dans l'année précédente n'avaient 
dépassé 100,000 francs que de très peu, et les dépenses 
s'étaient élevées à 80,000 francs : encore cette dernière 
somme comprenait-elle pour plus de moitié la dépense de 
l'hospice, du bureau de bienfaisance et de la fabrique, 
car alors ce dernier établissement n'avait pas de revenus ou 
n'en avait que d'insuffisants, et la ville était obligée d'y 
subvenir. Ces trois natures de dépenses ne s’élevaient pas à 
moins de 48,000 francs, de sorte qu'il restait seulement une 
somme de 33,000 fr. pour faire face aux frais de l’adminis¬ 
tration, de la voirie, de l’instruction publique, et aux autres 
dépenses qui toutes ensembles absorbent aujourd'hui plus 
de 350,000 francs. Cette dernière somme, il est vrai, com¬ 
prend plusde 80,000 fr. pour contribution mobilière et frais 
de perception de l'octroi, et ces deux articles de dépenses 


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n’existaient pas en 4803 ; mais la somme de 32,000 francs 
n’en était pas moins bien inférieure aux besoins. 

Les chiffres qic nous venons d’indiquer sont tirés des 
comptes de l’an XII, et le budjet de l’an XIV qui fut pré¬ 
senté dans la même séance, ne s’élevait qu’à 78,300 francs 
en recettes comme en dépenses. 

Pour subvenir à tous ce* besoins, le maire proposa la 
vente des Mielles, sur le produit de laquelle 133,000 francs 
seraient donnés à l’hospice en remplacement de scs biens 
vendus. Mais l’exécution de cette vente n’eut lieu que plus 
de 20 ans après. 

Les membres de la fabrique étaient, à cette époque, nom¬ 
més autrement qu’aujourd’hui. Le conseil désignait 30 per¬ 
sonnes parmi les 100 plus haut imposés de la ville, et 
l’Évêque faisait son choix parmi les personnes désignées. 
Nous voyons une application de cette législation dans la 
délibération du 3 décembre 1803. 

L’année suivante offre plusieurs sujets de délibération 
d’un assez grand intérêt. 

» Le maire présente un nouveau projet d’entrepôt dont la 
dépense doit s’élever à 90,000 francs. Le conseil l'autorise à 
passer une adjudication, à donner à l’entrepreneur uue 
somme de 30,000 francs actuellement disponible et à 
lui abandonner le produit net, jusqu’à parfait rembourse¬ 
ment du capital et des intérêts. 

Il est question pour la première fois de la construction 
d’un collège, dans la rue de Bailly. La dépense doit s’élever 
à 100,000 francs environ. Depuis l’établissement d’une 
•école secondaire , le nombre des élèves a beaucoup 
augmenté et le local loué à cet effet devient insuffisant. Ce 
local consistait en une maison située au milieu d’un vaste 
emplacement, offrant une grande cour en ayant et, sur le 
derrière, un jardin plus grand encore, à travers lesquels 


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l'administration municipale. 


2f 


on a percé la rue Napoléon. Une portion de la maison 
reste encore aujourd'hui sur le côté Est de la rue. Cette 
maison, quoique d’une assez belle apparence, était loin de 
répondre à sa destination, et d’ailleurs il devenait nécessaire 
que la ville eût un bâtiment à elle, où elle pût faire toutes 
les appropriations convenables. 

Une question financière, qui depuis a été l’objet de nom¬ 
breuses contioverses dans beaucoup de villes, entre l'admi¬ 
nistration locale et le gouvernement, occupa le conseil à 
plusieurs reprises dans le courant de celte année. Il s'agit 
de la contribution mobilière dont le contingent attribué à la 
ville de Cherbourg s’élevait à la somme de 38,000 francs. 

Les variations qu’a éprouvées l'assiette de cet impôt attes¬ 
tent des difficultés auxquelles on n’a trouvé jusqu'ici aucune 
solution satisfaisante, difficultés qui résultent des éléments 
essentiellement mobiles qu’on est contraint d'employer, et 
qui ôtent tout espoir d'arriver jamais à une juste réparti¬ 
tion. 

Cet impôt fut établi en 1791 et composé de plusieurs taxes, 
parmi lesquelles on voit figurer un vingtième du revenu pré¬ 
sumé. Cette base fut appliquée pour plusieurs années, mais 
l'arbitraire qui présida à cette application produisit des 
résultats tellement iniques qu'on fut obligé de lui en substi¬ 
tuer de plus précises. 

À l’époque dont nous nous occupons, la fortune mobi¬ 
lière était atteinte par la taxe sur les loyers, les objets de 
luxe et les salaires des fonctionnaires publics. La contribu¬ 
tion personnelle était perçue en outre et séparément, au lieu 
d’élre confondue comme aujourd’hui avec la taxe mobilière, 
qui seule était impôt de répartition. 

Mais, chose bizarre, les éléments de la répartition entre les 
cantons et ensuite entre les communes n’étaient pas les 
mêmes que ceux de la répartition entre les individus. La 


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NOTES SUR 


22 

première se faisait, on tiers à raison de sa population, et 
les deux autres tiers à raison de la somme des patentes de 
chaque canton. 

Pour la deuxième, il n’y avait qu’une base, celle du loyer 
d’habitation, et dans celle dernière on ne comprenait aucun 
des locaux à raison duquel les habitants payaient pa¬ 
tente. 

Cette différence dans les éléments, aux divers degrés de la 
répartition, devait amener des résultats souvent injustes. Ainsi 
le fardeau était lourd pour les propriétaires et rentiers des 
communes où l’on comptait un grand nombre de commer¬ 
çants et d’indigents, puisque ces deux classes de personnes 
étaient exemptes, les unes partiellement, les autres en entier. 
Il était léger, au contraire, pour les personnes ayant le 
même degré d'aisance que les premiers, mais habitant une 
commune ayant peu de commerce et peu de misère. 

Une hypothèse, poussée aux dernières limites du vrai, fera 
sentir le yice d’un tel système. En admettant un contingent 
de 20,000 francs à répartir entre deux communes ayantcha- 
cune 1000 habitants ; la première sans commerçants et sans 
pauvres; la deuxième avec 500 habitants ayant exactement 
le même degré d’aisance que les premières, les 500 autres se 
divisant également en commerçants et en indigents : il pou¬ 
vait arriver que chaque habitant de la première commune 
payât 10 francs seulement, tandis les contribuables de la 
deuxième, auxquelson suppose une aisance égale, en auraient 
payé 20. 

La fixation de la limite où commencent les exemptions 
de la contribution personnelle et par suilede la contribution 
mobilière, offre des difficultés dans tous les systèmes, et plus 
encore dans celui où le contingent communal est établi 
sans qu’on ait tenu aucun compte du nombre des indi¬ 
gents. 


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l'administration municipale. 


23 


Poor lever celte difficulté, un grand nombre de villes 
demandèrent à payer leur contingent mobilier sur les pro¬ 
duits de leur octroi. Non seulement on évitait par là le clas¬ 
sement des indigents à faire, mais encore l'évaluation du 
loyer, qui n'est pas non plus saos embarras. Ce système avait 
pour le gouvernement l'inconvénient d'ajouter aux impôts 
indirects, ce qui pouvait mécontenter la population ; il don¬ 
nait à la fraude un nouvel aliment et les demandes furent 
l'objet d'observations et de résistances prolongées. 

Dans la séance du 28 décembre 1806, le maire annonce 
que le ministre des finances a refusé d'imposer la con¬ 
tribution mobilière à l'octroi. Le conseil persiste et adresse 
au ministre une réclamation fondée principalement sur la 
considération du grand nombre de non-valeurs et de 
demandes en réduction. Sur 2800 cotes, il y a, année com¬ 
mune, plus de 1100 réclamations. La ville contient 13,477 
habitants, mais elle ne fournit à la liste des 600 plus 
imposés du département que 10 noms. L'élévation du 
contingent provient des bases vicieuses d'après lesquelles il 
a été établi. 

Il parait cependant que cette réclamation fut accueillie, 
car on trouve dans l'année suivante la proposition d'une taxe 
additionnelle aux revenus de l’octroi, pour faire face an paie¬ 
ment de la contribution mobilière dont le chiffre se retrouve 
dans les comptes des années qui suivent. 

En 1807 un projet de halle fut présenté au conseil muni¬ 
cipal ; on ignore les motifs qui en firent ajourner l'exécu¬ 
tion. Il devait s'écouler plus de 20 années encore avant 
que ce besoin si urgent fût satisfait. 

Le bureau de bienfaisance était l'objet des préoccupations 
de l'administration. Elle proposa d'augmenter sa dotation de 
LOGO francs, attendu, dit l'exposé des motifs, que, d'après 
les uotes données par les agents chargés du récensement 


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24 


ROTES SUR 


*• 

de la population, on compte 480 familles indigentes, com¬ 
posant 1900 individus, réduitsà la mendicité ou que le moin¬ 
dre revers peut y conduire : sur ce nombre, 200 personnes 
tout au plus ont été secourues. 

Malheureusement il est difficile d’avoir quelque confiance 
dans les chiffres que je viens d'indiquer, et cette difficulté 
résulte de la nature même des choses. Il y a des misères 
sans doute qu’on peut apprécier sans crainte d’erreurs et 
dont la triste réalité s’offre d'elle même aux yeux les moins 
clairvoyants; mais à côté de celles-là, il y en a de douteuses; 
il y en a qui n’exisleut qu’eu apparence, d’autres qui sont le 
résultat de la paresse et de l'intempérance, et qui pourraient, 
siuon disparaître entièrement d’elles mêmes, au moins trou¬ 
ver un adoucissement par un changement de conduite et 
sans un secours étranger. Gomment démêler le vrai au 
milieu du faux ? Comment distinguer ces nuances dont la 
connaissance est cependant nécessaire pour donner suite à 
une juste répartition des secours publics?Comment surtout 
acquérir quelque certitude quand une opération aussi déli¬ 
cate est confiée à des agents d'un ordre inférieur, qui ne 
voient qu’en passant, et qui ne peuvent se livrerà un système 
d'investigations, auxquelles suffiraient à peine des intelligen¬ 
ces plus exercées, ayant le temps et la volonté persistante 
d'obtenir des résultats dignes de confiance? 

On remarque même une difficulté de plus dans les termes 
de la mission confiée aux agents de l’administration. Ils ne 
devaient pas seulement constater le nombre des individus 
réduits à la mendicité, ils devaient encore y joindre ceux que 
le moindre revers pouvait y conduire. Si la difficulté est 
déjà grande pour les premiers, que dire en ce qui concerne 
les autres? S’il peut arriver qu'on se trompe et surtout qu’on 
soit trompé sur l'état présent, si l’on n’obtient pas toujours 
la vérité sur une situation qui est sous vos yeux, et quipour- 


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l’administration municipale. 


25 

rait, avec beaucoup de soin, être exactement appréciée, 
comment échapper à l'arbitraire quand il s'agit de l'avenir, 
quand l'appréciation qu’on cherche est soumise à des cir¬ 
constances souvent indépendantes de la volonté humaine et 
qu'il est impossible de prévoir. 

Il est plus facile de comparer le régime économique au¬ 
quel était alors soumis le bureau de charité, avec celui qui 
a suivi son organisation en 1830, telle qu'elle existe aujour¬ 
d’hui. A cette époque, le principal secours consistait en 
soupes. En 4806, il en fut distribué 35,000, ce qui fait en 
moyenne 100 personnes ou 200 au moins, si, comme cela 
est probable, la distribution n’était pas quotidienne. Ces sou¬ 
pes étaient confectionnées à l’hospice, ce qui n'entralnait pas 
beaucoup d'embarras, puisqu’on faisait en même temps la 
soupe de la maison; mais il n'en était pas ainsi de la distri¬ 
bution ; aussi verrons-nous plus tard quece genre de secours 
fut remplacé par le pain. Le vin était aussi distribué en 
plus grande abondance; plus tard on reconnut qu'il ne 
devait être donné que comme médicament. Les autres 
secours étaient ce qu’ils sont encore aujourd’hui, sauf les 
quantités qui ont augmenté avec la population. C'étaient des 
moyens de chauffage dans les mois les plus rigoureux de 
Tannée, du lin qu'on donnait à 61er, des médicaments pour 
les malades, du linge pour les blessés et les femmes en cou- 
cbes.On y a ajouté depuis des draps prétés, et qu’on change 
après un certain temps pour être livrés au blanchissage. 

En 1808 nous voyons, par la présentation dubudjet, 
une amélioration assez notable dans les Bnances de 
la ville. Les recettes sont prévues pour une somme de 
174,000 francs, dont 123,000 en recettes ordinaires. Dans 
les dépenses de même nature, on remarque 10,000 francs 
pour l'hospice, 5000 francs pour le bureau de charité et 
6000 francs pour le pain. 


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26 


NOTES SUR 


Dans les dépenses extraordinaires, la dépense du pain sc 
trouve augmentée de 4600 fr., et 67,000 fr. sont alloués 
comme premier à-compte sur la construction d’une école 
secondaire. La plantation des arbres dans la rue de Paris 
date aussi de cette année. 

A cette époque, l’arrondissement de Cherbourg ne faisait 
qu’un avec celui de Valogncs, et cette dernière ville était le 
chef-lieu d’une vaste circonscription, supérieure en popu¬ 
lation à plusieurs départements de la France. L’Administra¬ 
tion demanda l’établissement d’une sous-préfectore à Cher¬ 
bourg. Le conseil municipal prit l’engagement de fournir 
un logement au sous-préfet et à ses bureaux, de donner 
l’emplacement d’un tribunal et d’une prison, et de contribuer 
pour 1/3 aux dépenses de construction de Pun et de l'autre. 
(Séance du 5 octobre 1808). 

Dans l’année suivante, une indemnité fut accordée an 
directeur et aux professeurs du collège, attendu que le nom¬ 
bre des pensionnaires était réduit à 3, et que les profes¬ 
seurs avaient à payer une rétribution à l’université. 

Dans la séance du 2 avril, remise fut faite au trésorier de 
la fabrique d’une somme de 1080 francs qu’il déclara lui 
avoir été volée. 

Le reste de cette année présente peu de délibérations 
importantes. Il y avait à cette époque plusieurs foires qui 
sc tenaient dans la rue des Corderies, et qu’on appelait 
foires franches, sans doute par ce qu’elles étaient affranchies 
du droit de terrage. Nous voyons dans l’exposé du budjet 
de l’année suivante que ces foires étaient tout-à-fait 
tombées. 

La police était encore bien imparfaitement dirigée. La 
ville dépensait en tout pour cet objet 2350 francs pour le 
paiement d’un commissaire, d’un agent de police et de deux 
autres agents désignés sous les titres de garde et d’appariteur: 
cette dépense dépasse aujourd’hui 15,000 francs. 


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l’administration municipale. 


27 


A mesure que l’on s’éloignait de l’état révolutionnaire où 
la France avait été plongée pendant longtemps, les ancien¬ 
nes idées de distinction et de supériorité se réveillèrent, 
PEmpereur venait d’établir une nouvelle noblesse. La vanité 
des litres et des armoiries passa des individus aux corpora¬ 
tions ; le conseil municipal voulut aussi que la ville de 
Cherbourg eût ses armoiries, cl la demande en fut faite dans 
la séance du 50 août. 

Quelques mois plus lard, nous voyons le conseil délibérer 
sur le choix d’une fillcsage qui devait être couronnée comme 
rosière, et unie à un ancien militaire, le jour désigné pour la 
fête du couronnement de l’Empereur. 

Ces derniers faits appartiennent à l'année 4809. Dans 
Pansée suivante, une question mit en émoi les populations 
des communes environnantes, La fraude portait, à ce qu’il 
parait, un grand préjudice aux revenus de l'octroi. Pour 
obvier à cet inconvénient, le conseil demanda que le 
réglement et le tarif s’étendissent à la portion des com¬ 
munes environnantes éloignées de moins de un myriamétre, 
mais avec cette différence : 4* que les droits qni se perce¬ 
vaient à Cherbourg sur tous les consommateurs ne se per¬ 
cevraient dans les communes rurales que sur les débitants, 
et sur ceux des marchands en gros qui faisaient commerce 
de productions tarifées, étrangères au territoire de l’arron¬ 
dissement communal; 2° que la perception, au lieu de se 
£tire pour le compte de la ville de Cherbourg, se ferait pour 
celui de la commune ou les marchands auraient leur éta¬ 
blissement, et à charge, par la commune, de payer sa 
portion de frais correspondants. 

Ce système était hérissé de difficultés, et on ne comprend 
pas comment il a pu être sérieusement proposé par une 
réunion d’hommes graves et intelligents. 11 n’y aurait pas eu 
moins de 25 communes atteintes par cette mesure fiscale* 


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28 


NOTES SUR 


la plus grande partie entièrement, les autres seulement en 
partie. Aussi fut-il jugé impossible et renvoyé par le préfet 
peu de mois après. 

Le conseil, réuni de nouveau pour délibérer sur cette 
question, persista dans ses idées, et, dans le cas de refus défi¬ 
nitif, il demanda qu'au moins ce système fut appliqué aux 
communes d’Équeurdreville, d'Octeville et de Tourlaville. 
La proposition cette fois était plus raisonnable, mais son 
exécution était encore d'une difficulté qui touchait à l'impos¬ 
sible. L'octroi ne peut être établi que pour des populations 
agglomérées, etlacommuncdeTourlavillequi comptait alors 
près de 5000 habitants sur un territoire très étendu, comp¬ 
tait à peine quelques centaines d'habitants dans le hameau 
le plus peuplé : nous pouvons prévoir dès à présent quel 
fut le sort de cette nouvelle proposition et nous trouverons 
plus tard la réalisation de ces prévisions. 

Dans cette même année, l'Empereur avait eu le projet de 
visiter Cherbourg. Son arrivée était annoncée pour le 41 
novembre. Nous lisons dans le procès-verbal des délibéra¬ 
tions que le conseil réuni ce jour là pour se rendre ensuite 
à la limite de la ville au devant de l'auguste visiteur, vote 
d'abord un crédit pour subvenir aux dépenses que cette 
visite devait occasionner. Mais ce crédit fut inutile et l'Em¬ 
pereur ne vint pas : des obstacles imprévus le forcèrent 
d'ajourner son voyage. 

Ce fut dans le courant du mois de mai de l'année sui¬ 
vante que ce voyage eut lieu. Annoncés d'abord pour le 22 
mai, ce ne fut que le 26 que l’Empereur et l'Impératrice 
firent leur entrée dans la ville de Cherbourg. LL. MM. 
avaient été précédées depuis quelques jours par l'arrivée 
successive de différents détachements de leur garde et d'un 
grand nombre de personnes de leur maison. 

Le prince vice-roi d'Italie, le grand duc de Wurtzbourg, 


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L*ADMINISTRATION MUNICIPALE. 


29 


le duc Dectès, ministre de la marine, le comte de Montali- 
vel, minisire de 1’intérieur, et le comte Daru, ministre 
secrétaire d’Èlat, accompagnaient leurs Majestés. 

Il était trois heures de relevée : à quelque distance en 
deçà des limites de la ville, se trouvaient les 3 généraux 
commandant la division militaire, la subdivision départe¬ 
mentale et la place de Cherbourg, à la tête de l'état- 
major. 

Plus loin, aux limites mêmes, le corps municipal atten¬ 
dait avec un fort détachement de la garde nationale séden¬ 
taire, en uniforme et sa musique en tête, avec un piquet de 
la garde d’honneur à cheval et une multitude innombrable 
de citoyens de toutes les c’asses. 

Ici je crois devoir copier exactement le procès-verbal, 
indiquant les mesures prises par l'administration pour don¬ 
ner à celte réception le caractère solennel qui lui con¬ 
venait. 

c Près des limites, à l’octroi de la promenade du Roule, 
a avait été élevé un arc de triomphe dont la principale 
» arcade était formée par la rencontre des rameaux de 
» deux grands palmiers, et les deux latérales par quatre plus 
» petits; les uns et les autres figurés avec des feuilles arlis- 
» temenl rangées. 

« Sur cet arc, on lisait les deux inscriptions sui- 
» vantes : 

« L'une : Napoleoni Magno et Mariœ Ludovic» Aus- 
triaeæ Urbs Cæsarisburgus. 

« L’autre: Ereptum tibi mox reddet, Neptune, tridentem. 

o En avant avait été dessinée, en gazon, une petite place 
» circulaire autour de laquelle s’élevaient d'autres petits 
» palmiers; à chacun était suspendu un médaillon portant 
» cette inscription, adoptée comme une sorte de mot de 
» ralliement: Napoléon, Maric-Louiso, le roi de Rome,que 


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30 


NOTES SUR 


» l'on voyait aussi sur la façade de toutes les maison de la 
» ville. 

« Lorsqu'à paru la voilure de LL. MM., M. Delavillc, 
» maire, à la tête du corps municipal, s’est approché de la 
» portière de droite, tenant à sa main un plat d'argent avec 
» des clefs et a dit : 

« Sire, nous avons l'honneur de présenter à V. M. les 
» les clefs de la ville de Cherbourg. — Nous vous recevrons 
» mal, mais nous vous aimons bien et nous venons vous le 
» dire. » 

J’ai dû citer particulièrement cette allocution qui se dis¬ 
tingue par sa concision et par une certaine originalité 
d'idées dont s'étonneront peu les personnes qui ont connu 
M. Delavillc. Le discours qu’il prononça le lendemain, à 
l'audience qui fut donnée à tous les corps, est d'un style tout 
différent, il se termine ainsi : 

a Les vaisseaux anglais qui entendirent naguère nos 
» chants d’allégresse, lorsque la Providence nous accorda 
# un héritier du trône, les entendront encore cette fois ; et la 
» lueur des feux innocents destinés à signaler nos trans¬ 
it ports, va devenir pour eux, lorsqu’ils en connaîtront l'objet, 
» la lueur de l’éclair précurseur de la foudre, a 

A la suite de ce discours, le maire lui présenta une 
•caisse à compartiments, offrant une collection des produc¬ 
tions naturelles et industrielles du pays, et un tableau statis¬ 
tique de la ville de Cherbourg. 

Le lendemain, le conseil municipal fut admis à présenter 
«es hommages à l'Impératrice, qui reçut ensuite 15 jeuues 
demoiselles et 6 ouvrières de la manufacture de dentelles, 
chargées de lui présenter une corbeille de fleurs, quelques 
pièces de dentelles, et un métier sur lequel était monté un 
voile destiné à S. M. et non encore achevé. 

La soirée du 29 fut consacrée aux fêtes offertes par le 


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l'administration municipale. 


51 


conseil municipal au nom de la ville. Une vaste rotonde de 
18 mètres de diamètre fut élevée sur la place d’Armes pour 
le bal que LL. MM. avaient bien voulu accepter. « On atait 
placé sur une estrade deux fauteuils pour T Empereur et 
l'Impératrice, et d'autres sièges pour les princes, les dames 
elles seigneurs de la cour, dit le procès-vei bal, et, tout 
auprès, étaient placées 10 dames de la villecbargées de faire 
à Leurs Majestés les honneurs de la fête. » 

Malheureusement ces préparatifs furent inutiles, quant au 
but principal : l'Empereur et l'Impératrice ne purent assis¬ 
ter à ce bal qui n’en eut pas moins lieu, et qui dura jusqu'à 
4 heures du matin (I). 

Ce bal avait été précédé d'un feu d'artifice. 

Le départ de LL. MM. eut lieu le 50, à 1 heure de relevée, 
après qu'elles eurent séjourné 5 jours dans la ville. Elles 
laissèrent à l'hospice et au bureau de bienfaisance une som¬ 
me de 10,000 francs. 

Quelques jours après, le 6 juin, parut un décret qui accor¬ 
dait 200,000 francs pour la construction d'une église, décret 
qui malheureusement n'a jamais reçu d'exécution. 

C'est de ce vojage aussi que date l'établissement à Cher¬ 
bourg d'une sous-préfecture, et par suite d'un tribunal de 1 r * 
instance : jusque là Cherbourg avait dépendu de Valognes, 
sous ce rapport. 

M. Asselin, sous-préfet de Vire, et ancien maire de Cher¬ 
bourg, fut placé à la tète de l'arrondissement, et M. Vrac, 
juge à Valognes, fut nommé président du tribunal. 

48 années se sont écoulées depuis cette époque, et il est 
remarquable que le tribunal en soit encore à son S 9 chef; 

(lj L’Impératrice était encore sous l'impression de l'affreux 
malheur arrivé dans un bal qui lui avait été offert à Paris, dans 
une salle construite en bois : ce fut, à ce qu'il parait, le motif qui 
l empécha de se rendre à l'invitation de la ville. 


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52 


NOTES SUR 


tandis que la sous-préfecture a vu 10 titulaires dans cci 
intervalle. 

L’installation du nouveau tribunal eut lieu le 23 décem¬ 
bre 1811, par M. Hubert, conseiller à la cour. 

Dans la séance du 21 septembre 1811, le conseil adopta 
plusieurs projets présentés par le maire : c'étaient d’abord 
un tribunal et une prison; puis une balle aux grains qui 
devait coûter 180,000francs; une église 220,000 francs, et 
qui devait être consacrée sous l'invocation de S.-Napolcon; 
enfin un hospice qui devait coûter 1 million, mais qui pou¬ 
vait s’exécuter par parties. 

Le 7 décembre le conseil accorde un crédit de 20,526 fr. 
60 c. pour le montant des dépenses faites pendant le séjour 
de l'Empereur et de l'Impératrice. 

Jusqties là les revenus de l'octroi avaient été concédés à un 
fermier. Ce système qui a l’avantage d'assurer une somme 
fixe à la ville, supérieure peut être à la moyenne des revenus 
qu'elle obtiendrait en régie, pareeque l'application rigou¬ 
reuse du tarifetdu réglement est stimulée par l'intérêt privé, 
ce système, disons-nous, a des inconvénients graves. Mais 
quel est le système qui en soit exempt? 

On reproche à l'impôt foncier d’affecter la source même 
de la production et de ne pouvoir se prêter à une réparti¬ 
tion exactement proportionnelle. Ce dernier défaut se ren¬ 
contre encore à un bien plus haut degré dans l'impût mobi¬ 
lier, qui ne peut atteindre les capitaux les plus élevés. Les 
contributions indirectes seules sont exemptes de ce repro¬ 
che. Chacun paie en raison de sa consommation. Mais cet 
avantage a ses compensations. La perception ne peut s’opé¬ 
rer qu'à l’aide de mesures plus ou moins gênantes pour le 
commerce. Elle exige l'intermédiaire de nombreux agents 
dont les procédés sont quelquefois blessants et les fréquen¬ 
tes visites toujours désagréables. Plus l'application des 


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L*ADMINISTRATION MUNICIPALE. 


35 


règles est sévère, plus il y a excitation k la fraude et plus la 
moralité publique est compromise. C'est doue un devoir 
pour l'administration de tempérer, par une bienveillance juste 
et éclairée, ce qu'il y a de trop rigoureux dans la stricte 
exécution des mesures, et ces tempéraments lui sont inter» 
dits quand elle abandonne à un fermier le produit de ses 
revenus. 

Ce furent ces motifs sans doute, encore bien qu'ils ne 
soient pas énoncés dans le procès-verbal, <jui engagèrent le 
maire à proposer de mettre l’octroi en régie, ce qui fut 
adopté par le conseil. 

L'année 1812 fut signalée par une grande disette de grains. 
Dans la séance du 5 juin, le maire expose que les marchés 
sont supprimés de fait, qu'un magasin de subsistances, ali¬ 
menté par la réquisition du préfet, du sous-préfet, et par 
quelques achats particuliers fournissait à peine aux besoins 
journaliers des habitants et des ouvriers employés par le 
gouvernement, et que les habitants étaient réduits à une 
ration de 25 décagrammes par jour. Le maire propose en 
conséquence d'envoyer deux commissaires dans les lieux les 
plus pourvus de farines et de grains pour y faire des achats. 

Le conseil adopte cette proposition et affecte à celte 
dépense un crédit de 120,000 francs. 

Quelques jours après, ces commissaires écrivent de 
Bouen qu'ils n’ont l'espoir de trouver à acheter que dans les 
départements de l’Eure et d'Eure-et-Loir, et témoignent 
quelque inquiétude sur la facilité des transports, attendu que 
les grains ont été arrêtés dans plusieurs départements. 

Le maire annonce qu'il vient d'acheter 9000 kilogrammes 
de riz et le conseil l'autorise à en acheter 50,000 autres. 

En 1813, d'autres malheurs fondent sur notre pays. 
L’Europe coalisée va bientôt envahir le territoire de la 
France. Le gouvernement fait un appel aux communes en 

4 


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NOTES SUR 


34 

état de Tenir à son aide. Le conseil monicipal offre, dans la 
séance do 21 janvier, 8 cavaliers armés et ouvre au maire 
un crédit de 10,000 francs à cet effet. 

Plus tard, le 14 ayril, le conseil accorda un nouveau cré¬ 
dit de 3722 francs pour les besoins de l'armée. 

Heureusement les revenus de la ville avaient pris de l'ac¬ 
croissement. Le général commandant la division militaire 
avait alors sa résidence à Cherbourg, ce qui entraînait un 
certain personnel d'état-major : il y avait une garnison nom¬ 
breuse; 6000 Espagnols prisonnniers étaient employés aux 
travaux du port et des fortifications. La consommation avait 
donc augmenté beaucoup, et les revenus de l'octroi avaient 
atteint l'année précédente près de 200,000 francs. 

Le 4 9r mai, le conseil prend on arrêté qui se ressentait du 
régime arbitraire auquel la France était alors soumise. Il 
décide que tous les propriétaires qui voudront faire bâtir 
devront joindre à leur demande le plan do leur façade pour 
être soumis à une commission. Cette mesure portait une 
grave atteinte à la liberté qu'à chacun d'user de sa pro¬ 
priété, liberté qui ne doit s'arrêter qu'aux limites de l'inté¬ 
rêt public, et dont la privation doit être compensée par quel- 
qu’avanlage, dont il ne parait pas que te conseil muuicipal 
se fut préoccupé. 

Dans le mois d'août de la même année, le maire annonce 
la prochaine arrivée de l'Impératrice, qui vient inaugurer 
par sa présence l'ouverture de l'avant-port militaire. Il est 
autorisé à faire toutes les dépenses nécessaires, à élargir et 
à percer plusieurs rues qui étaient à l'état d'impasse. Ainsi 
la rue des Bastions sc terminait, à peu de distance de la 
préfecture maritime, par la prison dont la démolition 
permit le percement de la rue jusqu'à celle du Chantier : 
l'impasse où était située la salle de spectacle devint une 
rue communiquant de la rue du Chantier à cello de la 
Bucaillc, cl portant le nom de rue de la Comédie. 


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l’administration municipale. 55 

L’Impératrice arriva effectivement le 25 août, à 8 heares 
du soir, et le lendemain elle se rendit au port militait» oh 
elle assista à la rnpture du bàlardeau qui établit une com¬ 
munication entre U rade et le port nouvellement creusé. 
Celte opération dont on attendait un grand effet n’ent pas 
tant le succès désiré. Le bâlardcau résista partiellement 
aux efforts de la mer, et le port fut plusieurs jours à se 
remplir. Ce ne fut que plusieurs années après qu’on parvint, 

au moyen d’une cloche à plopgcur, à déblayer complète- 
ment Penlrée de cet avant-port. 

L’Impératrice resta à Cherbourg une semaine entière, son 

départ n’ayant eu lieu que le !«' septembre dans la mati¬ 
née. Cet intervalle fut occupé par des promenades dans le 
courant du jour, par un bal et deux représentations théâtra¬ 
les dans la soirée. Les principaux acteurs de l’Opéra-Comique 
étaient venus et on avait restauré, autant que possible, l’an¬ 
cienne salle située rue de la Comédie. 

S. M., en parlant, laissa 6000 francs aux pauvres et com¬ 
manda deux robes à la manufacture de dentelle. 

Le 23 septembre 1813, le conseil prit une délibération 
doM le succès eût effacé pour l’avenir un nom consacré par 
I histoire depuis plus de 15 siècles, un nom qui se trouve 
mêlé, et souvent d’une manière honorable, à nos querelles 
avec l’Angleterre, celui dé la ville de Cherbourg. Le conseil 
arrêta qu’une députation serait envoyée à l’Empereur pour 
obtenir que la ville s’appelât désormais Napoléonbourg • 
heureusement ce projet resta sans exécution, par suite dei 
événements politiques qui suivirent. 

Le mois suivant, une autre adresse fut votée à l'Impéra¬ 
trice, à l’occasion de la cession faite, par l’Angleterre à la 
Soéde, de la Guadeloupe, une de nos anciennes colonies. 
Cette fois le conseil faisait du vrai patriotisme et le sentiment 
public ne pouvait que répondre unanimement à celle noble 
protestation. 


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36 


N0TE8 SUR 


Quelques mois plus tard, le pouvoir impérial n'existait 
plus. La maison de Bourbon avait été rappelée sur le trône 
doses pères. Le 17 avril 1814, le même conseil qui avait 
voté l’adresse du 23 septembre précédent à l’Empereur, 
autorise le maire à faire la dépense convenable pour la 
réception de Louis XVIII, et quatre députés sont chargés 
d’aller porter au Roi l’hommage du respect, de la fidélité 
et du dévouement des habitants de cette ville. 

Le Roi ne descendit point à Cherbourg; ce fut le duc do 
Berry; et c’est en souvenir de ce passage que fut élevé 
l’obélisque de granit qui se trouve en face de l’Hôtel de 
Ville. 

Une relation imprimée se trouve à U mairie et men¬ 
tionne, avec beaucoup de détails, les circonstances qui pré¬ 
cédèrent et accompagnèrent le séjour du prince à Cher¬ 
bourg. 

Le 11 avril 1814 une députation s’élail embarquée sur 
un cutter de I*État pour aller chercher le prince à Jersey. 
Elle était composée de 2 officiers supérieurs de la guerre et 
de la marine, de MM. Groult et Guiffard, au nom du cou- 
seil municipal; de MM. Gigault et de Lachapelle au nom de 
la noblesse, dit la relation. Celle députation ne rencontra 
point le prince. 11 était parti sur une frégate anglaise qui le 
débarqua à Cherbourg deux jours après. 

Dans le mois de mai suivant, le conseil vola une somme 
de 400 francs pour contribuer à l’érection de la statue 
d’Henry IV à Paris. 

Cependant les armées de l’Europe avaient pénétré jusque 
dans le cœur de la France. 9000 Russes furent dirigés 
sur Cherbourg, pour y être embarqués sur des vaisseaux 
venus des ports de la Baltique, cl qui devaient les recon¬ 
duire dans leur pays. Le 11 juin le conseil approuve un 
marché passé pour 4000 kilogrammes de viande et 12,000 


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l'administration municipale. 


37 


litres de cidre, destiné à l'approvisionnement de ces navires. 

Dans le mois d'octobre le conseil autorise le maire à faire 
la dépense nécessaire pour la réception du duc d'Angou- 
léme : mais son vojage fut ajourné et n'eut lieu que plusieurs 
années après. 

CVst de celle année que date l'élargissement des mes de 
la Pais et Grande-Vallée, qui permettaient à peine le passage 
d'une voiture à leur entrée du côté de la place d’Àrmes, et 
cela, sur une assez grande longueur. 13 maison* furent 
abattues au moins en partie, et l'indemnité votée s'éleva à 
85,050 francs, ce qui indique le peu d'importance de ces 
bâtiments, à la place desquels s'élevèrent des façades 
régulières, telles qu'on les voit aujourd'hui sur le côté Sud 
de chacune de ces rues. 

Les malheureux é\énements qui signalèrent la durée 
presqu'enlière de l'année 1815, et qui bouleversèrent encore 
une fois le sol de la France, devaient rejaillir sur la ville 
de Cherbourg. Aussi les registres du conseil municipal nous 
eu offrent-ils des traces assez remarquables. 

Je me bornerai à rappeler succincU ment les faits qui tou¬ 
chent à la politique et les adresses qui furent votées à 
diverses occasions. 

Un nouveau serment fut imposé aux membres du con¬ 
seil, comme à tous h*s fonctionnaires. Il était ainsi conçu : 

9 « Je jure et promets à Dieu de garder obéissance au Roi, 
a de n'avoir aucune intelligence, de n'assister à aucun con- 
a seil, de n'entretenir aucune ligue qui serait contraire à 
a son autorité, et si, dans le ressoit de mes fonctions ou 
a ailleurs, j'apprends qu'il se trame quelque chose à son 
a préju ice, je le ferai savoir au Roi. a 

A la même époque, on trouve une délibération relative 
aux armoiries de la ville, qui donna lieu plus tard à une 
ordonnance royale autorisant la ville de Cherbourg à repren- 


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38 


NOTES SUR 


dre celles qui loi avaient été accordées par tes anciens rois, 
afin, y est-il dit, de perpétuer le souvenir des services rendus, 
et consacrés par les armoiries dont elles sont l'emblème . 

Ces armoiries portaient d’azur, à la fasce d'argent, char¬ 
gée de trois étoiles à six rais de sable, accompagnée de trois 
besanls d’or, deux en chef, un en pointe. Voici l’explica¬ 
tion qu’en a donné notre collègue M. Victor Le Sens. 

L’azur peint la bonne renommée et la loyauté. Les trois 
besants, disposés en triangle, sont tout à la fois le symbole 
de la Trinité, l’expression du rachat des captifs et une allu¬ 
sion à la prospérité commerciale de notre ville au moyen- 
âge. La fasce d’argent désigne la ceinture virginale de Marie, 
seconde patronne de Cherbourg; elle est semée d’étoiles 
parce que ces astres sont les ornements de la Sainte-Vierge 
qui est appelée l'étoile de la mer; leur nombre trois est 
encore an hommage à la Sainte-Trinité. Les étoiles con¬ 
viennent également à un port de mer. 

Le 16 mars le conseil vote une adresse au Roi à l'occa¬ 
sion du débarquement de l’Empereur à Cannes. 

43 jours après, le 29, le même conseil adopte une adresse 
à l’Empereur dont les termes méritent d'étre rapportés. 

« Sire, essentiellement amis de l'ordre et de la paix sou9 
a les différents gouvernements qui ont successivement régi 
» la France, nous nous sommes fait un devoir de l’obéie- 
» sance. Nous avons obéi, mais sans perdre jamais le senti- 
» ment de nos droits que nous avons eu la douleur de voir 
» trop longtemps méconnus, et nos vœux ne peuvent être 
a que pour celui qui nous en assurera la jouissance. Vos 
a proclamations, Sire, nous annoncent enfin ce bienfait. 
» V. M., avide de toutes les gloires, et faite pour les obte- 
» nir ne voudra pas laisser à d'autres celle de nous en 
a faire jouir, et pleins de confiance dans ses promesses 
a solennelles, c'est au restaurateur de nos droits que noue 
» apportons aujourd’hui nos hommages et nos vœux. » 


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39 


l'administration municipale. 


Ces hommages forent bientôt sans objet, et trois mois ne 
s’étaient pas écoulés qu’il fallut les reporter ailleurs. 

One nouvelle adresse fut envoyée au roi Louis XVIII, 
rentrant pour la deuxième fois dans son royaume. 

Les premières phrases furent textuellement celles qui 
avaient été employées pour l’Empereur, et cette adresse se 
terminait ainsi : 

< Tel est, sire, le langage que nous avons tenu sous la 
a dictature. Blais aujourd'hui, notre langage ne peut plus 
a être que celui des bénédictions, lorsque V. M. nous 
a annonce qu'elle veut fout ce qui sauvera la France, qu'elle 
a noos promet que les leçons de l'expérience ne seront 
a pas perdues et que nous la voyons se dévouer au bonheur 
a delà France, a 

Pende temps après, une administration nouvelle prit la 
place de l'ancienne. Les bienfaits de la paix permirent au 
gouvernement de porter l'amélioration dans tous les servi¬ 
ces. C’est une ère nouvelle qui s’ouvre, et la première partie 
de ce travail se termine naturellement ici. 




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LES OLIM 

DU 

CHATEAU DE TOURLAVILLE 

PRÈS CHERBOURG, 


Par M. de POmUMONT, 

Membre de la Lésion d’Honneur et de la Société des Antiquaires de Normandie. 


Te cupiunt procores, toloqoe Oriente jurentus 
Ad tbalami ccrtamen adeat : ex omnibus uonm 
Elife, Myrrba, tibi, dum oe ait in omnibus anus. 
(Orld, Met. Hb. X,VII.) 


SOMMAIRE. 

Mention de Tourlavillc dans le moyen-âge. — Château, 

— Crimes attribués aux Ravallct.— Supplice de Julien et 
de Marguerite de Ravallct.— Mystère qui couvre le nom 
du mari de cette dernière. — Contrat de mariage cité. — 
Légalité du supplice de Julien et de Marguerite de Ratallet. 

— Leur épitaphe. — Ravallet, abbé de Hambie, leur 
oncle. — François de Rosset, biographe de Julien et 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


41 


de Marguerite de Ravallel. — Jehan de Giron, Jehan 
Gerocsme et Jehan Vipart, seigneurs de Tourlaville. — 
Extraits d'actes où figurent Jean de Ravallel, seigneur de 
Toarlaville, Magdeleine de La Vigne, sa femme, et Jean de 
Tonrlaville, mari de Scolastique de Marguerie. — Charles 
et Robert de Franquetot, héritiers du château de Tourla- 
ville. — Hervé et Jean-Baptiste de Crosville, seigneurs de 
Tourlaville. — Réunion du fief de Tourlaville à 
ceux de Crosvillc et de Bini'ille. — Hervé Fouquet 
de Réville, seigneur de Tourlaville.— MM. Clerel de Toc¬ 
queville héritent des terre et châtCuU de Tourlaville. 

— Fragments d'actes relatifs aux Ravallel, parents des sei¬ 
gneurs de Tourlaville.—Ils n'ont point quil lé leur nom patro¬ 
nymique de Ravallel après le supplice de Julien et de Mar¬ 
guerite,ainsi qu'on l’a avancé.— Jean de RavaUct, seigneur 
de Nouainville. — Jean de Ravallel, seigneur d’Fmonde- 
ville. — Thomas de Ravallel. — Françoise de Ravallel, 
femme Gringore. — Loujs de Tourlaville, seigneur 
(TEroodeville. — Philippe de Tourlaville, sieur de Fins- 
sel. — Jacques de Tourlaville, seigneur de Saint-Germain. 

— Nicolas de Tourlaville. — Julien de Tourlaville.— 
Jacques de Tourlaville, seigneur d’Czeville.— Jacques de La 
Vigne, seigneur de Tréauville. — Meurtres commis à 
Tourlaville en 1616. — Visite de M. Théophile Gautier au 
château de Tourlaville. — Notables qui habitaient la 
commune de Tourlaville au temps des Ravallet et des 
Franquetot. 


J'ai entrepris de rechercher des traces authentiques de 
cette famille Ravallet de Tourlaville qui a occupé bien 
sinistrement les traditions historiques do notre localité, et de 


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42 


LES OLIM DU 


dégager leur nom de la poussière sanglante de leurs 
archives, ainsi que de ce demi-jour romanesque où le vieux 
manoir qui fut leur berceau est encore placé. 

Du temps de GeoOroi Plantagenét, duc de Normandie* 
dans une assise tenue à Vatognes, furent reconnus les 
droits de la cathédrale de Coutances sur l’église de Tourla¬ 
ville (1). 

Roger, prêtre, c'est-à-dire, selon toute apparence, curé 
de Tourlaville, est mentionné en 1163 (2). 

Les grands rôles de l’échiquier de Normandie mention¬ 
nent en 1195 le nom de Tourlaville dans ce passage : 
Robert Tregoz rend compte de 19 sols 6 deniers du fief de 
Guillaume, de fils de Hugues de Tourlaville (3). En 1198 
on y trouve cette autre mention : Walter de Tourlaville 
rend compte de 3 sols 5 deniers sterling pour le pleige 
(plegio) (4) de Richard Landri. 

Une charte, sans date, de « Rogerus de Adevilla », con¬ 
servée eu original au* archives du département de l’Eure, 
se termine par l’indication des témoins suivants: Testibns 
Herveo presbitero, Rogcro Yeillart, Rogero Berengarii r 
Ricardo Lengien, Frogero de Torlavilla. Mais je ne pui» 
dire si ce dernier personnage tirait son origine de notre 
Tourlaville. 

En 1208, Philippe-Auguste, par ordonnance datée 
d’Ànet, confirme le don de l’église de Tourlàville à Hugues 
de Morville, évêque de Coutances et à ses successeurs. Ce 
don avait été primitivement fait auxdits évêques par charte 
de Geoflroi Plantagenét, datée de Saint-Lo (5). Nous ver- 

(1) Cartul. de l’église de’ Coutances, pièce 286. 

(2) Cartul. du prieuré de Vauville, pièce 2. 

(3) Ant. de Norm., t. XV, p. 85. 

(4) Caution. 

(5) Cart. Norm., antiq. de Norm., t. VI, p. 32 et suiv. 


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CHATEAU DE TOUR LA VILLE. 45 

roos dans la suite que ce patronage passa aux seigneurs de 
Toorlavillc. 

En 1236, Hugues, ét.êquo de Coulances, donne aux 
chanoines de la cathédrale une partie des dîmes de Tour- 
lavillc (1). 

En 1258, le même évêqne vend au chapitre de la cathé¬ 
drale, pour iOO livres tournois, la grange de Toorlaville (2). 

En 1256, on rencontre la désignation des localitées sui¬ 
vantes à Toorlaville : a Subtus fontera de Soil,—super 
Grossam Fossatum,— apud Lupifossam, — ad bequetum 
deHaia. » (5) 

En 1257, « R ad ul fus de Haia, miles, de dyocesi Ebroi- 
ccnsi », vend au chapitre de Coutances des biens situés à 
Tourlaville (4). 

En octobre 4272, une enquête est faite contre Guillaume 
de Bohon par les officiers du roi, au sujet d'une biche qui 
aurait été tuée par les prêtres de Tourlaville dans la forêt 
royale (5). 

En 1525, Jean Dose Roger, curé de l’église de TotirTa- 
îille, transige avec le chapitre de Coutances sur (a dlme des 
novales (6). Dans cette transaction il est question de : 
« territorium de Briquestout, » et de « quoddam queminum 
régalé per quod in diclo lerritorio de Briquestout divi- 
dunlurparochia (de Tourlaville) elpai ochiadeDigoviile.» (7) 

(t) Cart. de lVglise de Coutances, pièce 320. 

(2) Même cartul., pièce 279 bis. 

(3) Même cariai., pièce 34. 

H) Même cartul., p. 33. 

(5) Cartul. Norvn., antiq. de Norm., t. XV, p. 340. 

(6) Terres nouvellement défrichées. 

f7) Cartel, de l’église de Coulantes, pièce 38. Briquestout est 
peut être le lieu nommé aujourd'hui Brequecal, voisin de la 
vieille route de Cherbourg h Valognes, ou les Brequequeureg f 
triage de pièces de terre situées sur la limite même de Tourla- 
ville et de Digosviile. 


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44 


LES 0L1M DU 


En octobre 1352, le roi permet à Guillaume Chevron, 
cure de Tourlaville, au diocèse de Coulanccs, de bâtir un 
colombier de pierre au presbytère de ladite église (1). 

Eu août 1335, Jean, duc de Normandie, confirme k 
Robert du Sartrin et à Guillaume Blondel, moyennant 10 
livres 17 sols de rente, des prés sis à Èqueurdreville et k 
Tourlaville, qu'ils avaient prisé fiefierme en 1322, pour 7 
sols, 6 deniers de rente par vergée (2). 

* Le 28 mars 1707, par arrêt du parlement, le curé de 
Tourlaville fut obligé de détruire son colombier. Le plus 
ancien titre qu'il eût pu produire é l’appui de ses préten¬ 
tions était un aveu en date du 11 août 1341 (5). 


fia commune de Tourlaville possède un curieux château, 
style renaissance, qui a longtemps appartenu à cette famille 
de Ravallet, venue de Bretagne en Basse-Normandie en 
1480 (4), dont le nom est marqué clans la tradition locale 
par une série de crimes. 

C’est un Ravallet, seigneur de Tourlaville, qui assassine 
son frère; c’est un Ravallet qui fait pendre des vassaux au 
gibet du château, parce que ces infortunés n’ont pas fait 
moudre leur blé au moulin seigneurial ; c’est un Ravallet 
sur lequel plana le soupçon d’avoir enlevé la femme d'un 

(1) Trésor des chartes, registre 66, pièce 964. 

(2) Même registre, pièce 1286. Je dois ce renseignement et 
une partie de ceux qui précèdent é l'obligeance de mon savant 
ami M. Léopold Delisle, membre de l'Institut de France. 

(3} Houard, Dict. de la coutume de Normandie, I. 296. 

(4) Cette famille avait pour armes d'azur à la fasce d'argent 
chargée de trois croix de gueulles et accompagnée en chef de 
deux croissants d'argent et en pointe d'une rose de même. (Céa- 
millard, 4 degrés , f° 360.) 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


45 


écuyer voyeur de Tourlaville, et de l’avoir, après une orgie 
de nuit, tuée à coups de boule au milieu d'un jeu de quilles, 
dans un des fossés du château; c’est un Ravallet qui, pour 
se venger d'un sire de Houltevillc, dont les ânes étaient 
venus accidentellement pattredans un de ses prés, brûla deux 
de ses fermes. C’est un Ravallet, cité comme zélé ligueur, 
qui, pour se débarrasser d’un curé de Tourlaville censurant 
scs vices, l’assassina de sa main au pied de l'autel le jour 
de Pâques. Cette longue série de forfaits est terminée parle 
crimequi conduisit la belle Marguerite de Ravallcl-Tourla ville 
et Julien, son frère, à porter leurs télés sous la hache du bour¬ 
reau, en place de Grève à Paris, le 3 décembre 1603. 
Voici comment Pierre de Lestoile raconte cette mort : « Le 
mardi 2 de co mois furent décapités en place de Grève à 
Par», un beau gentilhomme Normand, riche ainsi qu’on 
disait de 10,000 livres de rente, nommé Tourlaville, avec 
sa sœur fort belle, âgée de vingt ans ou environ, et ce pour 
l'inceste qu’ils avaient commis ensemble : desquels le pau¬ 
vre père s’étant jeté à genoux aux pieds du Roy, le jour de 
devant, pour demander leur grâce, S. M. la lui avait refusée, 
ayant fait réponse que si la femme n'avait point esté mariée, 
il lui eut volontiers donné sa grâce; mais que l’étant il 
ne pouvait : bien lui donnait-il leurs corps pour les faire 
enterrer. La reyne aussi s’y trouva fort contraire et dit au Roy 
qu'il ne devait souffrir une telle abomination en son 
royaume, a (f) 

On sait que ladite Marguerite de Ravallet était, au mo- 

(1) Supplément au registre du journal de Henry IV par Pierre de 
Lestoile, p. 360,édit. Micbaud et Poujoulat, t.XV.—La Connes- 
tablie et la Maréchaussée de France, par Pinson de La Marti* 
aière, p. 1009.— Rosset, Hist. tragique de notre temps, p. 112. 
— À. Delalande, hist. des guerres de religion dans la Manche, 
p. 324.—Couppey, Ann. de la Manche, 4830, p. 267. — Asselin, 


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46 


LES OLIM DD 


ment do sa mort, épouse d'an personnage dont le nom est 
resté douteux dans l'histoire locale, qui se borne à dire qu’il 
était receveur des tailles (1). 

Aucun document relatif au mariage de Marguerite de 
Ravallet n’existe dans les actes publics de la commune de 
Tourlaville. J'en donnerai un ci-après qui provient des 
archives du château du Val, à Chef-du-Pont, et que je dois 
à l'obligeance de M. Chaillou, avoué à Caen, qui le décou¬ 
vrit en 4833 audit château, dans les papiers de la famille 
dTIouesville. Bien que les dates s’adaptent exactement 
au fait rapporté par l’histoire, je produis cet acte 
sous toutes réserves, parce que, pour moi, rien ne prouve 
qu’il ne concerne pas un des Ravallet de Sideville, où il 
existe encore un domaine qui rappelle leur nom. 

k En traictantdu mariage de noble homme Jean LcFaulcon- 
nier (2) et damoisclle Margueritte Magdelayne de Ravallet, 
tille de Jean de Ravallet, écuyer, seigneur dudit lieu, il a este 
donne pour les accorder par ledit de Ravallet a ladite 
damoiselle sa fille, la somme de 500 livres tournois de rente 

idem, de 1832, p. 231. — Le Manoir de Tourlaville, par le 
v lc Th. Dumoncel, 3. — Mém. de la Société des Antiq. de 
Normandie, t. 22, p. 174. — Cherbourg et ses environs, par 
Fleury et Vallée, p. 59. — Le Voyageur à Cherbourg, en 1858, 
p. 58. — Théophile Gautier, Moniteur du 15 septembre 1858. 

(1) Delalande, llist. dd& guerres de religion dans la Maucbe, 
p. 331. 

(2) Ce Jean Le Faulconnier appartiendrait peut-être à cette 
famille Le Faulconnier qui, au temps de la recherche de Cha- 
millard, habitait l’élection de Carentan, et avait paur armes 
d’argent à six mascles de gueulles, trois en chef, deux en fasce 
et un en pointe (Chamiilard, Anoblis, f° 470). Le registre n° 15 
des mémoriaux de la Chambre des Comptes de Normandie 
mentionne uu Jean Lefauconnier qui obtint, en 1598, l’oilice de 
trésorier général de Franee, à Caen, par résignation d’un sieur 
Jacques Brasset (voir f° CLXVI). 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE* 


47 


a prendre par chacun an au terme Saint-Michel, sur les héri¬ 
tages dudit de Ravallet et pour meubles la somme de 500 
eeosd’or et arec ce laditte fille vestuée honorablement 
aiosy qu’il lui appartient selon Tétai de noblesse le lieu 
dont elle est présentement et le lieu la ou elle va. Item lui 
donne coffre lits et menus mesnages ainsj qu’il lui en 
appartient en la volonté dudit seigneur son père touchant 
lesdits mesnages. Fait aujourd'hui 10* jour de mars 1595, 
en présence de François de Cherente (1) et de noble homme 
Jean de Tourlaville (2), maistre particulier des eaulx et 
forets de Cotentin et du seigneur de Ravallet avec paraphe. 
Donne en copie sous le seing du lieutenant général de M. le 
vieonte de Carentan le 12* jour de mai 1596. Signé : Le 
Ssavage. » 

Ào sujet de Tarrét de mort qui frappa le 2 décembre 
1605 Julien et Marguerite de Ravallet-Tourlaville, on se 
demande si cette pénalité était bien celle qui résultait des 
lois du temps sur l’inceste et l’adultère, ou si cet arrêt fut 
mitigé par suite des instances que firent près de Henri IV 
les père et mère des condamnés et môme le mari de Mar¬ 
guerite. 

Voici ce que les auteurs du XVIT siècle disent à ce sujet. 

« Entre ascendants et descendants, la punition de l’inceste 
était d’élrc brûlé vif, quand même la parenté entre le père 
et la fille, ou entre le fils cl la mère ne serait que naturelle, 
lien était de même entre le frère et la sœur, un tel crime 

(1) Un François de Cherence était en 1892 receveur des 
tailles à Avranches(Régistrès mémoriaux de la Chambre des. 
Comptes de Normandie , à ladite année , f° c.) 

(2) On trouve au registre n° 4 des mémoriaux de la Chambre 
des Comptes de Normandie, année 1586, f° LXXXIX, la men¬ 
tion d'un Jean de Tourlaville, maître des eaux et forêts du 
Cotentin. 


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48 


LES 0L1M DU 


-était puni de mort, ce qui était conforme au Lévitique, chap. 
XX. L'adultère était puni, en ce qui concernait la femme, par 
la réclusion pendant deux ans dans un hôpital ou dans un 
couvent, selon la volonté du mari et la condition de la 
femme. Pendant ce temps le mari pouvait la réclamer. 
Passé deux ans, la femme était rasée et demeurait dans 
l'hôpital ou le couvent le reste de ses jours, déchue de 
ses dot, douaire, préciput et autres avantages portés dans 
son contrat de mariage » (I). 

Il résulte de ce qui précède que la peine de mort infligée 
aux enfants de Ravallel était légale à raison de leur inceste. 
Seulement, au lieu de les brûler vifs, on les décapita, en 
considération sans doute de leur position de noblesse, ainsi 
qu'il était de privilège à cette époque. Quant au crime d'adul- 
tére, il a du être écarté dans l'arrêt par suite du désistement 
du mari de Marguerite. 

Un historien dit que les dépouilles mortelles de Margue¬ 
rite et de Julien de Ravallel-Tourlaviile furent déposées 
dans l'église d'un couvent de Paris, où celte épitaphe se 
lisait sur le tombeau : « Cy gisent le frère et la sœur, pas- 
» sant ne t'informe point de la cause de leur mort, passe cl 
» prie Dieu pour leurs Ames. » (2) 

Ce fut après cette fin tragique qu'un Ravallet, abbé de 
Hambic, oncle des suppliciés, résigna scs fonctions de grand 
cbanlre de fa cathédrale de Coulances (5). 

Dans cette mouograpbie du château de Tourlaville , 

(1) Arrêts des S octobre 1637 et 1 er décembre 1701.— Lacoiu- 
be, traité des matières criminelles, p. 19 et 27. Fardoil, traité 
de l’inceste, 1666. 

(2) Delalande, Hist. des guerres de religion dans la Manche, 
p. 336. 

(3) De Gerville, études sur le département de la Manche, p. 
266. 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


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Mos devons noter avec un certain intérêt François de 
Rosset, ee traducteur infatigable qui, dans son livre inti¬ 
tulé Histoires tragiques de noire temps , a laissé un chapi¬ 
tre sur Julien et Marguerite de Ravallet, ses contemporains. 

Né en Provence vers 1570, il eut le malbenr de concevoir dès 
sa jeunesse la passion des mauvais vers, et d’abandonner la 
carrière où sa famille le plaçait. Il commit à 18 ans un premier 
crime poétique qui l'entraîna à en commettre beaucoup 
d'autres de même nature. Peu satisfait de l'essor qu'il trou¬ 
vait en Provence, il vint à Paris chercher un plus grand 
thé&tre. Pressé par le besoin, il se fit libraire et imprimeur, 
publia one foule de traductions dont il composa la typogra¬ 
phie sans faire préalablement de manuscrit; sa faconde 
méridionale se prêtait merveilleusement à ce tour de force. 
Cest ainsi qu’il donna, avec César Oudin, une traduction de 
Don Quichotte ; puis, seul, Roland furieux, la vie de Saint- 
Philippe de Néri, le roman des Chevaliers de la Gloire, qu'il 
remania en 1616, sous le titre d'Histoire des Amants vola¬ 
ges, l'Histoire admirable des Chevaliers du Soleil, en 8 
volumes. 

Ses Histoires tragiques de notre temps sont écrites 
dans le goût prétentieux de l’école deScudéry. Pour nous, le 
seul mérite de ce livre est de contenir un chapitre se rat¬ 
tachant au château mystérieux qui fournit à l'histoire des 
environs de Cherbourg sa page la pins dramatique. Le tra¬ 
vail de Rosset serait plus intéressant s’il n’avait pas travesti 
ses héros sous des pseudonymes, s’il avait donné quelques- 
uns de ces détails intimes que les débats devant le châtelet 
de Paris durent rendre publics en 1603. Rosset, âgé alors de 
33 ans et habitant Paris, devait connaître tous ces détails. 

Ceux qui aiment les anecdotes biographiques en troio- 
veront de complètes sur cet auteur dans Foretières T p. 255, 
le Mettagiana, t. 5, p. 45, et Grand, t. 8, p. 460. 

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LES OLIM DU 


Les plus anciens seigneurs du fief de Tourlaville parve¬ 
nus à notre connaissance sont Guillaume Dufou et Robert 
d’Anneville qui le reçurent successivement à titre de 
fieflerme. Ce dernier le possédait en 1495 et le tenait de 
Madame Jeanne de France. (De Gerville , Généalogie d'An - 
neville XIV* degré). Jean de Giron, seigneur de Réville et 
de Carquebut, parait lui avoir succédé. 

Après lui vient Jean Geroesme, écuyer, qui, en février 
1518, rend au roi François 1 er hommage du fief de Tourla¬ 
ville (1). 

En 1536, nous trouvons un Jehan Vipart, écuyer, qui se 
qualifie de seigneur de Tourlaville, Ozeville et Silly (2). On 
remarque plus tard cette terre d’Ozeville aux mains de 
Jean de Ravallet-Tourlaville. Peut-on conclure de là 
que ce domaine d’Ozcville, qui parait situé à Tocque¬ 
ville, passa par héritage , comme celui de Tourlaville, 
de ce Vipart à Jean de Ravallet-Tourlaville, ou que cette 
transmission a eu lieu par vente ? 

En 1555, Jacques de Ravallet, écuyer, rend au roi Henri 
II hommage du fief de Tourlaville (5). 

Après Jacques de Ravallet vient Jean de Ravallet-Tour¬ 
laville, sieur du lieu, qui fut, dit-on, grand-maltrcdes eaux 
et forêts de Normandie en 1601, et qui devintensuite gentil¬ 
homme de la chambre du roi Louis XIII, ainsi qu’il résulte 
des actes ci-après cités (4). 

(1) Brussel, Dictionnaire des anciens aveux de Normandie .— 
On trouve 81 ans plus tard un Jehan Geroesme, gentilhomme 
napolitain, qui jouissait d'une pension de Henri IV, ù prendre 
sur la recette générale de Caen [Mém. de la Chambre des Comp¬ 
tes de Normandie pour Vannée 1599, f® XLIIIJ. 

(2) Mémoires des Ànt. de Norm., t. XXII, p. 173. Archiv. de 
Bricquebec. 

(3) Brussel, Diction . des anciens aveux de Normandie . 

(4) Il était père de Marguerite qui, suivant la combinaison de 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


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Je dois à l'obligeance de mon ami M. Moret, adjoint au 
maire de Tourlaville, d'avoir pu compulser à loisir les vieux 
registres d'état civil de cette commune pour 57 années du 
XVH* siècle (4645-1673). 

L’état civil de la commune ne remonte qu’à 4615. Je 
n’ai donc eu rien à chercher pour Marguerite et Julien de 
Bavallet, qui périrent à Paris le 2 décembre 4603; mais j’ai 
trouvé des traces nombreuses de leurs père et mère qui 
habitaient Tourlaville. J’ai noté les personnages qui ont 
possédé le château après la mort de Jean de Bavallet et 
ceux de ses parents qui ont hérité des diverses terres dont 
il était seigneur. 

Marguerite et Julien de Bavallet étaient issus de Jean de 
Bavallet-Tourlaville et de Magdelaine de La Vigne. 

Voici les citations textuelles qui concernent ces époux 
et qui embrassent la période de 4648 à 4639. 

« Le 1 er jour de janvier 4618 fut baptisée une fille pour 
Guillaume Michel, nommée Magdelaine par noble home 
Jean de Tourlaville, sieur du lieu, Esmondeville, Ozeville; 
maraine, Galljs Gjonne, femme de Guillaume Trufîert. » 

« Le 8* jour du mois de février 1624 fut baptisé ung filz 
pour noble home Jean Dancel, sieur de Bruneval, nomé 
Jean par noble home messire Jean de Tourlaville, sieur 
du lieu. Emonde vil le, Ozeville et Sainte-Croix-du-Mont, 
gentilhome ordinaire de la chambre du Boi, et damoiselle 
Goillemette Le Pclley (1). a 


certains faits, serait née au château de Tourlaville vers 1579 et 
mariée en 1594, à l’âge de 15 ans. Elle aurait eu 24 ans au 
moment de son exécution. Le journal de l’Estoile lui attribue 
en 1603 20 ans environ. 

(1) De guenlle au chef d’argent chargé d’un pal de sable bro¬ 
chant sur le tout accompagné d’un vol d'or. 


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a Le 21* jour du mois de mars 1624 fut baptise ung filz 
pour Jacques Baquesoe, nomé Louis, par noble home 
Jean de Tourlaville, sieur du lieu, Emondeville, Ozevillc, et 
Sainte-Croix-du-Mont — et Anne Durai, a 

Le 12* jour du mois juin 4624 fut baptisé à la confir¬ 
mation faicte en l'église dudit lieu (Tourla ville), ung nomé 
Fouquet, de la paroisse de Vastcvillc , lequel a été 
nomé Jean, par noble home Jean de Tourlaville, sieur 
du lieu*» 

a Le 9* jour d'avril 1628 fut baptisé un fils pour Richard 
Drouet et produit par Marie Truffoo, et allégitimé par 
sentence de justice, nommé Jean de Bonne Adventure, 
par noble homme Jean de Tourlaville, sieur dudit lieu, 
Esmondevillc, Ozevillc et Sainte-Croix-du-Mont, assisté de 
Jacques Hamel. » 

a Le 24* jour de novembre 1628 fut baptisé ung fils pour 
Jacques Hamel, sieur du Gastclet, nommé Jean, par noble 
homme Jean de Tourlaville, sieur du lieu, et Guyonne 
Lemoigne. » 

« Le 29* jour de mars 1629 fut baptisé ung filz pour Vin¬ 
cent Cabart, sieur de Beauprey, nommé Jean, par noble 
homme Jean de Tourlaville, sieur du lieu, et Thoumioe 
Rouxel. » 

« Le 8* jour de mai 1629 furent mariez Gratian Robidaa 
et Jeanne fille Jean Fossé, en présence de noble seigneur 
Jean de Tourlaville, sieur du lieu, d'Esmondeville, etc., et 
Thomas Maistre. » 

« Le 9* jour de décembre 1632 fut baptisé ung filz pour 
Jean Vigot, filz Thomas, nomé Jean, par noble seigneur 
Jean de Tourlaville et Françoise Vigot. » 

« Le vendredi, 24* jour de mars 1634 fut baptisé ung 
filz pour noble home Jean Dancel, sieur de Biruoeval, 
nommé Jean par noble home Jean de Tourlaville, sieur 4a 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


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feu, cl damoiselle Anne Dutertre (1), veuve de défunt M. 
d’Èculleville. » 

« Le jeudi 19* jour d'avril 1654 fut baptisé un fils peur 
Gratis* Robidas, nommé Jean, par noble seigneur Jean de 
Towlaville et Guillemette FourneL » 

« Le 8 ft jour de juillet 1636 fut baptisé un fils pour 
Rogier Capelle, nommé Jean, par noble homme Jean de 
Toorlaville, sieur do lieu, et Ânthoine de Gueroult. » 

c Le mardi 16 e jour de mars 1637, furent mariéz Robert 
do Parc (2), escuyer, seigneur du Mesnil-au-Val et damoi- 
telle Philippine Queslil (3), en présence de noble seigneur 
Jean de Tourlaville, seigneur du lieu, et M. de Gonneville 
et M. Le Chev OT du Mesnil, a 

Il résulte de ce qui précède que Jean de Ravailet ne 
portait pas son nom patronymique, mais bien celui de sa 
seigneurie de Tourlaville, selon l'usage du temps. 

Il possédait, en outre de Tourlaville, les sieuries d’Emon- 
deville et d’Ozeville; à partir de 1624, il ajouta aces titres 
le nom de la terre de Sainte-Croix-du-Mout. 

Il est supposable que la terro d'Emondeville lui avait été 
apportée en dot par sa femme Magdeleine de Lavigne, qui, 
d'après son acte mortuaire ci-après rapporté, paraîtrait 
native d’Emondeville (4). Je vais produire ici oe que j'ai 
trouvé au sujet de cette dame. 

« Le 14 d’apvril 1630 fut baptisée une fille pour Jean 

(1) D'azur à un croissant d’or surmonté de deux tourterelles 
d’argent et en chef de trois étoilles d’or. 

(S) D'or à deux fasces d’azur accompagnées de neuf merlettes 
de gueulle rangées 4, S, et 3. 

(3) D’argent à la fasce de gueulle accompagnés de trois roses 
de même. 

(4) Louis Chevillard, dans son Atlas du nobihmre Normand, 
place cette famille de Lavigne dans la généralité d’Atooçen, 
et date son maintien du 28 mai 1S67. 


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Vigot, fils Thomas, nommée Françoise par noble dame 
Magdeleine de Lavigne (i) et François de Montescot. a 

« Le 12* jour de juillet 1630 fut baptisé nn fils pour 
Jacques Hamel, nommé Jacques par noble dame Magde- 
lennc de Lavigne, épouse du sieurde Tourlaville, et Julien 
Grisel. a 

« Le 15* jour de febvrier 1632 fut baptisée une fille pour 
Julien Rouxel, nommée Magdelenne par noble dame Magde- 
lenne de Lavigne, et M' Jacques Cabart, sieur de Vras- 
ville. » 

« Le dimanche 7* jour de juin 1637 fut baptisé un fib 
pour Thomas Rogier, nommé Jean par noble dame Magde- 
lenne de Lavigne, et noble enfant Nycollas de Lavigne. » 

« Le lundi dernier jour du mois de may 1638 fut bapti¬ 
sée une fille pour Jean. Légier nommée Magdelainne par 
noble dame Magdelainne de Lavigne, épouse de noble sei¬ 
gneur Jean de Tourlaville, et noble home Régné du Parc, 
chevalier. » 

« Le samedi 17* jour de juillet 1638 fut baptisée une fille 
pour M* Jean Rouillon, sieur du Part, nommée Magdelaine 
par noble dame Magdelaine De Lavigne et noble seigneur 
Robert du Parc, sieur du Mesnil-au-Val. » 

«t Le lundi 16 e jour du mois d’aoust 1638 fut baptisée 
une fille pour Guill. Giot, nommée Jeanne par noble dame 
Magdelaine de Lavigne, épouse de noble seigneur Jean de 
Tourlaville, et Jean Sybran, soubdiacre et curé de Tourla¬ 
ville. *> 

« Le i* r jour d’octobre 1615 fut baptisée une fille pour 
Thomas Vigot nommée Loyse par noble dame Magdelenne 
de Lavigne, dame Tourlaville, ci noble homme Jacques 

(1) D’or à l’aigle esployé de sable et au chef de gueulle chargé 
de trois fers de lance d'argent. (Louis Chevillard, Atlas du 
nobiliaire de Normandie). 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


55 


de Tourlaville , sieur de Saint-Germain et Marguerite 
Qoevastre. » 

c Le 24* jour do mois d’août 1623 fut baptisée une fille 
ponr Thomas Bouillon nommée Jeanne par noble dame 
Magdelenne de Lavigne, dame de Tourlaville, et François 
le Talley. » 

« Le 30 e jour du mois d’avril 1624 fut baptisé nng filz 
pour Thomas Duval, nommé Benoist par noble damme 
Magdelainne de La vigne, feme de noble borne Jean de Tour¬ 
laville, sieur du lieu, Emondeville, OzevilleetSainte-Croix- 
lu-Mont, et Jean Dancel, escuier. a 
« Le 1 er jour de mai 1624, fut baptisé ung filz pour 
Pierre Bobin nommé Jean par noble damme Magdelainne de 
Lavigne, de noble borne Jean de Tourlaville, sieur du lieu, 
Emondeville et Ozeville et discrepte persone messire Jac¬ 
ques Sybran, prêtre prieur, a 

« Le 28* jour de janvier 1629 fut baptisé nn filz pour 
Joseph Baquesne nommé Jean par noble dame Magdeleine 
de Lavigne, et par noble bomme Jean du Parc, chev* r . » 
«Le 7 e jour de décembre 1629 fut baptisé ung filz, 
pour Thomas Louet nommé Bernard par noble dame Magde¬ 
leine de Lavigne, épouse du sieur de Tourlaville et M* 
Etienne sieur de Montescot. a 
Voici l’acte mortuaire de Magdelaine de Lavigne, dame 
de Bavallet-Tourlaville, décédée à l'âge d’environ 80 ans. 

« Le lundi 10* jour d’octobre 1639 noble dame Magde- 
laioe de Lavigne d’Emondeville, épouse de noble seigneur 
messire Jean de Tourlaville, chevalier seigneur de ceste 
paroisse et autres lieux, gentilhomme ordinaire delà cham¬ 
bre du Boy, est décédée ce jour, viron huit heures du 
matin. Son cœur et ses entrailles inhuméez en l’église de 
cette paroisse le XII1I* jour et son corps par nous porté* 
comme elle avait souhaité au monastère de Notre-Dame— 


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56 


LES OLiM DU 


dc-Prolection à Vallogue duquel ledit seigneur cl dame 
sont les fondateurs. » 

J'ai cherché en vain dans l'église de Touriavillc une ins¬ 
cription rappelant ce dépôt. La seule inscription do ce 
siècle qui s’y trouve est celle-ci, placée dans an coin de U 
chapelle de la Trinité, au côté droit de l’église : Cy devant 
gist damoiselle Roberte Couard (1) feme de fm Gratter. 
Lambert (2) en son vivant escuyer voyeur (3) de Tourlavillt 
laquelle décéda le XV 9 jour de juillet Van de grau 4605 . 
Dieu lui face pardon amen pater natter. M. l’abbé Bubol, 
curé de Touriavillc, a eu l’obligeance de me signaler cette 
inscription, qui est en lettres gothiques. 

Magdelaine de Lavigne mourut, comme nous venons de 
le voir, en octobre 1639. Son mari, Jean de Ravailet- 
Tourlaville lui survécut; mais nous n’avons pu trouver ni le 
lieu ni la date de sa mort, qui n’a pas dû avoir lieu à Tour- 
laville (4). On peut supposer que son service de gentil¬ 
homme de la chambre de Louis XILL le conduisait k la cour 
à certaines époques ; ce serait donc à Paris, à Saint-Ger¬ 
main ou à Blois, résidences alternatives de la cour, que son 
acte mortuaire pourrait être recherché. 

Dans les textes qui vont suivre on trouve le domaine de 
Touriavillc aux mains d’un autre Jean de Tourlaville, époux 

(1) D'argent au lion de sable armé et lampassé de gueulle 
chargé 4 sur la queue d'une étoile de gueulle. 

(2) De guenlle à on chevron d'argent, deux croissants en chef 
et une étoile d'or. 

(S) Charge créée par Henri IV pour madré les chemins publiée 
sûrs, commodes, et les mettre à l’abri des usurpations. 

(4) Voisin-la Hougue en son hisl. de Cherbourg, p. 104, fait,à 
Tannée 1623, la mention suivante : « Jean de Tourlaville fonda 
» le monastère des Bénédictines, rue au Fourdray à Cherbourg. 
M Charlotte de Lavigne, sa belle-sœur, en fai la première 
» abbesse. » 


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CHATEAU DE TOULA VILLE. 


57 


dure demoiselle de Margaeric (1). Ce nouveau posses¬ 
seur est sans doute neveu du précédent. Il n'a plus, 
comme le défont, les terres d’Emondeville, d’Ozevillc, etc., 
qu’on retrouve même du vivant du sieur de Tourlaville, 
aux mains de deux de ses parents. 

Voici ce qui touche Jean de Tourlaville, qui mourut le A 
décembre 4650. Nous remarquerons que sa femme décéda 
trou jours après lui. 


6) Voie! le trois9eau d une petite nièce de cette dame de 
Tourlaville, ainsi qu'il résulte d'un contrat de mariage passé 
à Saint-Pierre-Église au commencement du XVIII e siècle. 
— Cn lit de damas vert avec sa garniture et trois morceaux de 
tapisserie de haute lisse. Soixante aunes de toiles très fine. 
Deux paires de draps très fins. Deux douzaines de serviettes 
très fines, avec deux nappes en Venise. Neuf domaines de ser- 
viettes avec deux grandes nappes en petit damas, toutes neuves. 
Cent trente-six livres de fil fin et de colon. Soixante livres de 
lanfoie. Douze fauteuils eu escran de tapisserie. Deux courte¬ 
pointes d'indienne. Deux toilettes dont une de Marseille et l’au¬ 
tre piquée avec le dessus en gros de Tours brodé d’argent. Qua¬ 
tre domaines de chemises. Quarante-cinq mouchoirs, un jupon 
blanc de Marseille, trois garnitures de point dont deux d'Angle¬ 
terre et l'autre d’Alençon. Dix-huit coéffes tant de nuict que de 
jour. Dooze fichus de dentelle de point uni. Quatre jupons. 
Quatre corsets, un habit complet de damas de deux couleurs, 
quatre robes de satin, dont une avec de l’argent. Un habit de 
taffetas. Quatre jupons bordés d’or eSd'argent. Deux corsets de 
damas et de satin, dent un borné d’or. Trois écharpes, dont 
une de dentelle. Deux babits complets de ras de Saint-Maur. 
Une jupe, une armoire, une montre d’or avec sa chaîne. Deux 
bettes. Trois plombs; une brosse; un goblet; deux aiguilles de 
tète d'argent. Un écritoire garni d'un cornet d’argent. Une 
poudrée aussi d’argent. Ce trousseau figure pour 6000 livres au 
contrat de mariage de René de Marguerie avec Bernardine de 
Saint-Pierre, en présence de Hervé Castel, marquis de Saint- 
Pierre, capitaine-lieutenant des gendarmes d’Anjou, représenté 
par François Le Verrier, seigneur de Thoville, beau-frère de 


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LES 0L1M DU 


58 


« Le mardi 10 e jour de septembre 1641 fut baptisé un 
fils pour noble bomme messire Jean de Tourlaville, seigneur 
dudit lieu, et noble dame Scolastique de Margucrie sa 
femme, nommé Jean Bernardin, par noble home Bernardin 
de Marguerie, seigneur d’Estreham (1), grand-père du dit 
enfant, et damoiselle Marie de Pierrepont (2), fille de noble 
home Jacques de Tourlaville , seigneur de Saint-Ger¬ 
main. » 

Neuf ans plus tard nous trouvons cette mention : 

« Le dimanche 4 e jour de décembre 1650 fut inhumé 
messire Jean de Tourlaville, sieur du lieu. » 

Voici les actes dans lesquels figure sa femme Scolasti¬ 
que de Marguerie : 

« Le mercredi 25* jour de décembre 1641 fut baptisée 
une fille pour Guill. du Verbois nommée Scolastique par 
noble dame Scolastique de Marguerie (3) dame de Tourla¬ 
ville, et messire Jean Sybran, prêtre, curé de Tourlaville. » 

a Le jeudi 27* jour de février 1642 fut baptisé un fils 
pour Jean Vigot nommé Jean par noble dame Scolastique 
de Marguerie, dame de Tourlaville, et messire Césme 
Quevastre. a 

a Le mercredi 7 e jour du dit mois de décembre 1650 fut 

la füture; de Claude de Marguerie, comte de Vassy; de Magde- 
laine de Marguerie, veuve d'Adrien Clerel, seigneur de Mont- 
farville; de Sébastien Castèl, marquis de Crèvecceur, premier 
enseigne des Mousquetaires; de Charles Castel, 1 er écuyer de 
Madame d'Orléans; de Thomas d’Anneville; de Nicolas Erard, 
seigneur de Saint-Remy-desLandes; de Guillaume de Cameront 
sieur de Lanquetot, bailli de Bricquebec, tous parents desdits 
futurs. 

(1) Ce fief était dans l’élection de Vire. (Chevillard, f° 131.) 

(2) D'azur à trois pals d’or au chef de gueulle. Jean de Pier¬ 
repont avait épousé en 1619 une Franquetot. 

(3) D'azur à trois marguerites d'argent œilletées d'or au pied 
feuille de sinople. 


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CHATEAU DR T01RLAV1LLE. 


59 


inhumée noble dame Scolastique de Marguerie vcufvô de 
feu messirc Jean de Tourlaville. » 

En 1654, quatre ans après la mort de Jean de Ravallet- 
Tourlaville, époux de Scolastique de Marguerie, nous trou- 
tous le château possédé par Charles de Franquetot, son 
neveu (1). 

Les deux actes qu’on va rapporter et qni sont les seuls 
consignés aux registres dans une période de 6 années 
(1654-1659), donnent lieu de supposer que Charles Fran¬ 
quetot ne faisait pas du château de Tourlaville sa^résidence 
habituelle. 

« Le 17 janvier 1654 fut baptisée Angélique fillede Gra¬ 
tis Rouxel et de Susanne Le Crosnier nommée par mes- 
tire Charles de Franquetot, baron et seigneur de Tourla¬ 
ville, et Anne Sybran la marraine, a 

« Le 25* jour de janvier 1659 fut baptisée Catherine 
fille de Jean Lemoine, sieur de Saumarest, et de Marie Truf- 


(1) Le nom patronymique de cette illustre famille, qui compte 
des maréchaux de France, fut Guillotte. Jean Guillotte était 
vicomte de Carentan en 1512. Il eut deux fils de Laurence 
d'Orglande, sa femme : l’un nommé Robert, aussi vicomte de 
Carentan ; l’autreThomas, avocat en l'élection de Coutances, 
lequel n'a point eu de postérité. Ces deux frères, possesseurs des 
fiefs de Franquetot, Gonneville et Fortecus, demeuraient à 
Carentan lorsqu'ils furent anoblis avec le changement de leur 
nom de Guillotte en eelui de Franquetot, suivant lettres données 
par François I er , à Samte-Menebould, en septembre 1543, 
vérifiées à la chambre des Comptes le 26 du même mois, regis- 
trées au T volume des registres de la Cour des Aides, f» 259. 
Robert de Franquetot épousa une demoiselle d'Auxais et eut 
d'elle deux fils, Louis et Thomas, tous les deux successivement 
vicomtes de Carentan. Louis Ait le chef de la nouvelle branche 
d'Auxais et Thomas celui de la branche des ducs de Coigny, 
(F. Pitard, mémoire manuscrit sur la noblesse du comte de 
Mortain. — De Gerville , étude sur le département de la Man - 


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60 


LES OLIM DU 


fert, nomée par messire Charles de Franquelol, eacuier, 
seigneur de Tourlaville, et demoiselle Marie Bouillon, 
femme du sieur de La Chesnée-Blondel (1), escuier, 
marraine, a 

C’est probablement ce Charles de Franquetot qni fat 
assassiné par ses domestiques, condamnés à la peine capi¬ 
tale par arrêt du Parlement de Rouen du 18 mars 1665 
<*). 

Voici des actes où figure un Robert de Franquetot qni a 
dû succéder à Charles prénommé. 

« Le 21* jour d’octobre 1681 Robert, fils de noble 
homme François Dancel (5), et de demoiselle Anne Fonbert 
(4), a esté baptisé et nommé par messire Robert de Fran¬ 
quetot, chevalier, seigneur et patron de Tourlaville, et assisté 
de damoiselle Anne André (5), lesquels ont signé Franque*» 
lot, Anne André et Robert Jouenne. a 

che , p. 105). On trouve au registre n° 21, f» CXXXIX, année 
1604 des mémoriaux, de la chambre des Comptes de Normandie, 
la mention suivante : « Lettres patentes obtenues par M* An- 
» thoine de Franquetot, vicomte de Garent an, 61a et héritier 
>» de feu M" Thomas Guillotte Franquetot, son père, vivant 
>i receveur du domaine de Carentan, par lesquelles il est dis- 
» pensé de rapporter les contracts et quittances originalle des 
» acquisitions d’aucunes parties du dict domaine, attendu la 
» perte desdits originaux dorant les derniers troubles. * 

(1) D’argent à la fasce d’azur chargée d’un croissant d’or 
accosté d'une boule et demie de môme accompagnée de neuf 
hermines de sable quatre en chef en cinq en bas, quatre et 
une. 

(2) A. Delalande, hist. des guerres de religion dans la Man¬ 
che, p. 336. 

(3) D'or à la fasce d’azur accompagnée en chef d’un lion nais¬ 
sant de gueulle et en pointe trois tref&es de sinople. 

(4) D'argent à la fasce d’azur chargée d’un léopard d'or. 

(5) De sinople à deux sautoirs un en fasce et un éperon 
d’or. 


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CHATEAU DE TOUBLAVILLE. 


01 


« Le 5 mars 1684 Marie Magdeleine Lucas, fille légitime 
de Gnill. Lucas (I), escuyer, sieur de Bon val, et de demoi¬ 
selle Marie Anne du Pray (2), née le 28 février dernier, a 
esté baptisée et nommée par damoiselic Magdeleine Plessart 
de Saint-Martin (5), assistée de messire Robert de Franque- 
tot, chevalier, seigneur et patron de Tourlaville. Signé 
Magdelaine Plessart, Franquetot et R. Jouennc. a 

La signature de ce Robert de Franquetot est d’une 
. beauté calligraphique remarquable sur le registre des bap¬ 
têmes de Tourlaville. 

On est autorisé à supposer que les peintures allégoriques 
qui rendent le cbAleau de Tourlaville non moins curieux que 
ses traditions ont été faites du temps de Charles ou de 
Robert de Franquetot, puisque ce sont leurs armes (4) qui 
sont peintes au milieu de cos allégories dans le boudoir du 
premier étage. L’écusson des Ravallel n’y figure nulle part, 
et l’on en conçoit la raison. 

En 1698 Robert de Franquetot était encore seigneur de 
Tourlaville, ainsi qu'il résulte d’un acte d'achat de rente 
passé le 13 novembre de ladite année à Tourlaville, devant 
M« Billard, tabellion garde-notes (3). 

En 1713, nous lui trouvons un successeur dans Hervé de 
Crosville, chevalier, seigneur et patron de Tourlaville (6). 

(1) De guenlle à trois chevrons d’argent. 

(2) D'azur à la croix d’or chargée de neuf écussons de 
gueulle. 

(3) D’argent au chevron de gueulle accompagné de deux lions 
attentés de sable en chef et un lion rampant de sable en 
pointe. 

(4) De gueulle à la fasce d’or chargée de trois étoiles d’azur 
et accompagnée de trois croissants d’or. 

(5) M. Adrien Cîerel transporte une rente à Robert de Fran- 
quetot devant les notaires de Valognes, le 15 nov. 1089, titre 
nouvel le 11 oct. 1811. 

(6) Acte passé avec Richard Le Rivager, à Tourlaville, le 17 


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62 


LES 0L1M Dtï 


En la même année, les registres de la chambre des Compte* 
de Normandie mentionnent la réunion du fief de Tonrla- 
ville à ceux de Crosville et de Biniville, (1). Ce fut peut- 
être en cette apnée-là que M. de Crosville hérita de Robert 
de Franquetot. 

En 4721, la seigneurie de Touriaville passa de Hervé de 
Crosville à Jean-Baptiste de Crosville, ainsi qu'il résulte de 
divers actes constitutifs de rentes (2). Ce dernier, qui était 
président de la cour des Comptes de Normandie, fut, en 
4731, le parrain de notre célèbre abbé de Beauvais (5). 

En 4749, M. Fouquet de Réville avait succédé à M. Jean- 
Baptiste de Crosville dans la possession du fief de Tourla- 
ville (4). Un acte du 48 novembre 4774, passé chez ledit 
M. Fouquet, place des Vielles-Halles (Capucins), à Valognes, 
par M" Barbenchon et Burnouf, lui donne le titre de sei¬ 
gneur de Touriaville, Réville, Saint-Nazaire cl Biniville. Il 
était héritier au maternel de Robert de Franquetot. 

novembre 1713. Il portait d’argent à la croix de neuf carreaux 
de gueulle. 

(1) Registre n° 106 de ladite chambre, f° CVIII. 

(2) Titre nouvel à Touriaville du 23 mai 1811. 

(3) Le 13 e jour dudit mois et an que dessus, c’est-à-dire du 
mois de décembre (1731) a été baptisé par nous curé soussigné 
Jean-Baptiste Charles Marie né du 10 e jour de ce mois en légi¬ 
time mariage du sieur Jean-Baptiste de Beauvais, bourgeois de 
Paris et de demoiselle Charlotte Luce son épouse et ont été 
parrain messire Jean-Baptiste de Croville chevalier seigneur et 
patron de Croville* Touriaville et autres lieux, conseiller du 
roy en ses conseils, président en la cour des Comptes, aydes et 
finances de Normandie représenté par noble personne Charles 
Dursus, sieur de Hautmoytier, prestre et assisté par dame 
Marie Le Scellière épouse de Jacques Bouillon, sieur des Forges, 
conseiller du roy et lieutenant général de l’amirauté au siège de 
Cherbourg et dépendances, ce qu’ils ont signé. Signé Lehericey, 
curé de Cherbourg. 

(4) Acte du 21 août 1749. 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


65 


En 1789 M. Ciérel de Tocqueville, encore mineur (1), 
était propriétaire dudit domaine de Tourlaville, comme 
héritier de M. Fouquet de Réville, son oncle au maternel 
( 2 ). 

Le château de Tourlaville est possédé aujourd'hui par M. 
le B°° Ciérel de Tocqueville, de Compiègne, fils du pré¬ 
nommé. 

Par les inductions tirées des ancieus titres cités, les pos¬ 
sesseurs de ce vieux manoir peuvent être rangés dans l'ordre 
«niant : 

Guillaume Dufou. — Robert d’Anne ville (1495) et Jehan 
de Giron. 

Jehan Geroesme, 1518. 

Jehan Vipart, 1536 (5). 

Jean de Ravallel-Tourlaville, marié à Magdelainc de 
Lavigne, 1602-1639. 

Jean de Bavallet-Tourlaville, marié à Scolastique de Mar- 
guerie, 1641. 

Charles de Franquetot, 1654. 

Robert de Franquetot, 1666 (4). 

(1) D'argent h la fasce de sable accompagnée en chef de trois 
merlettes de sable et de trois tourteaux d’azur en pointe, deux 
et une. M. le comte Ciérel de Tocqueville est devenu préfet 
et pair de France sous la Restauration. 

(2) Titres nouvels des 23 mai et il octobre 1811, il octobre 
1815, dates que je dois à l’obligeance de M e Mauger, notaire à 
Tourlaville. 

(3) Une Guillemette Yipartépousa, vers 1580, un Pierrepontdfc 
la branche qui portait de gueulles à trois endentures d’or au 
cbef. Monfaut cite deux chevaliers du nom de Vipart, qui habi* 
taient la sergenterie de Dives, élection de Lisieux (Labbey de 
La Roque, Caen, 1818, p. 26et 27). Leurs armes étaient d’argent 
au lion de sable. 

(4) Les recherches de Chamillard, en 1666, font la mention 
suivante an f° 480 : Robert de Franquetot, seigneur et patron de 
Tourlaville, y demeurant, âgé de 35 ans HR. 


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Hervé de Crosvillc, 1713 (1). 

Jean-Baptiste de Crosvillc, 1721. 

Hervé Fonquet de Réville, 1749-1774 (2). 

Clércl de Tocqueville, 1789(3). 

Glérel de Tocqueville (Edouard), possesseur actuel. 

Il résulte de ces précédents que le domaine de Toorla- 
ville semble avoir été transmis par héritage depuis Jehan 
Vipart jusqu'à nos jours. 

En rapprochant la liste ci-dessus du procès-verbal arrêté 
à Bayeux le 1 er septembre 1374, chez M. de Cbamillard, 
par Pierre Campain, commis au greffe de la commission 
préposée à la recherche de noblesse faite en la généralité 

(1) J'ai été sur le point de placer au nombre des seigneurs de 
Tourlaville, entre Robert de Franquelot et Hervé de Crosville, 
Guillaume de Sainte-Marie Église, ainsi qualifié dans l'acte sui¬ 
vant extrait du registre des baptêmes de Tourlaville. « Le 11 

novembre 1677 Henriette Anne llle de Laurent de Mathieu 
» escuyer, sieur de Vaucbaux a esté baptisée et nommée par 
» damoiselle Lefebuvre assistée de Guillaume de Sainte-Marie- 
» Église escuyer seigneur du présent lieu lesquels ont signé de 
» ce requis. Signé : R. Jouenne, curé. Mais, ainsi que l'on 
verra dans la liste des notables ci-après, ce G. de Sainte-Marie- 
Église, étant directeur de la Glacerie de Tourlaville, il est proba¬ 
ble que le baptême mentionné ci-dessus aura été fait en la cha¬ 
pelle de cet établissement, et que le curé, par courtoisie, aura 
donné le titre de seigneur dn lieu (de la Glacerie) au parrain. 

(2) De guenlle à la croix boutonnée. Lange, dans ses Ephé- 
mérides Norm,, t . 2, p. 93, parle, à Tannée 1767, d'un person¬ 
nage nommé Chauffer de Fleurigny, seigneur de Tourlaville 
èt sous-doyen des conseillers maîtres des Comptes à Rouen ; 
mais je le crois étranger à la localité qui nous occupe et à M. 
de Réville. 

(3) À l'assemblée des trois ordres à Coutances, en 1780, M. 
de Tocqueville, encore mineur, y était représenté comme pos¬ 
sesseur du fief de Tourlaville, par son tuteur M. d’Octeville. 
{Procè&œrbai de Mité assemblée pour le baütape de VsUognes, 
P . 1W>. 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


65 


de Caen en 1666, on trouve les alliances suivantes qui peu¬ 
vent éclairer sur la transmission de propriété du domaine 
de Tourlaville. 

1* Alliance des Ravallet, P* 38t. Phrasie d'Aragon en 
1486, Guillemettc Lelievre en 1621, Jeanne du Moncel en 
1564, Jacqueline de Hennot en 1635, Barbe Franquetot 
d'A axais en 1655; 2° Alliance des Franquetot P 480. Diane 
de Montmorency en 1581, Françoise de Burelen 1593, Esther 
Thibaut en 1617, Catherine de Varroc en 1623, Catherine 
de Belleville en 1627 ; 3° Alliances des Crosville P 65. 
Jeanne de Pittebout en 1555, Gilonne du Moncel, Margue¬ 
rite de Trousseauville (1) et Catherine de Varroc sans date 
do mariage ; 4° Alliance des Fouquet de Reville P 272. 
Marthe de la Cour en 1580, Jeanne de Vierville en 1597, 
Kenée Clérel en 1614, Jaqueline Lelièvre en 1643, Magde¬ 
leine Questil en 1659. 

Les sept actes rapportés plus loin prouvent que le nom de 
Bavallet ne fut point supprimé à Tourlaville après l'exécu¬ 
tion juridique du 2 décembre 1603. Nous avons vu que 
le'Bavallet qui possédait le fief seigneurial de Tourlaville 
portait le nom de ce fief scion les usages du temps; les 
actes qui suivent établissent que tousles autres Bavallet por- 
taientaussi ce nom patronymique en y joignant celui de leurs 
terres on sieuries. Ainsi nous trouvons un Jean de Bavallet, 
sieur de Nouainville ; un autre Jean de Ravallet, sieur 
d*Eniondeville, qui se marie le 23 octobre 1635 et qui 
meurt quatre jours après; un Thomas de Bavallet, qui est 


(1) Dès 1419, un de ses ancêtres, Guillaume de Trousseauville, 
chevalier, rend hommage au roi d'Angleterre Henri V, ratione 
terra ru m que ex concessions regis infra ducatum Normanie 
tenet. (Collect. des actes de Brrquigny, 12 février, 4 mars, 
n° 1229.) 

5 


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66 


LES 0L1M DL 


parrain en 1628, et enfin unedamoiselle Françoise deRaval- 
let qui se marie en 1663. 

La contexture de ccs actes ne permet pas de douter que 
les Ravallet y dénommés ne soient bien les parents des sei¬ 
gneurs de Tourlaville; cependant on semblerait remarquer, 
dans deux alliances mentionnées en ces actes, qu’une cer¬ 
taine dérogeance, ainsi qu’on le disait alors, les avait, 
atteints. 

« Le 13 9 jour d’octobre 1626 est baptisé un fils pour 
Joseph Baquesne, nommé Julien, par messire Julien Sybran, 
prêtre, curé de Tourlaville et Jean de Ravallet. # 

« Le 4* jour de febvrier 1631 furent épousez Thomas 
Rogicr et Marie, fille de Nicollas Agnès, présence dudit 
Agnès et de Jean de Ravallet, sieur de Nouainville. » 

« Le 21 e jour de juillet 1632 fut inhumée Jeanne, feme 
de M. Jean de Ravallet, sieur de Nouainville. * 

« Le mardi 23 e jour d’octobre 1635, furent mariés 
noble home Jean de Ravallet, sieur d’Fmondeville , et 
Marguerite Vigot, veufve de deffunct Hylaire Mai>trel, fait 
en présence de Thomas Vigot et Jacques Hamel. » 

« Le mardi 27* jour de novembre 1635 fut inhumé noble 
home Jean de Ravallet, sieur d’Emondevillc. » 

«Le 15 e jour de janvier 1628 fut baptisé un fils pour AI®. 
Guillaume Bouillon, sieur de la Place, nommé Thomas par 
noble hohime Thomas de Ravallet, ctdamoisclle Jeanne du 
Praël (1) femme du sieur de Beauprey. » 

« Le 21 novembre 1663 Thomas Graingorc épousa 
damoiselle Françoise de Ravallet, présents Gillo, Jacques 
Le Fcbuvre, Pierre et Thomas Hamel, Thomas Fournel et 
autres. » 

(1) D’argent au chevron de sable accompagné de trois tréfilés 
de meme. 


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CHATEAU DE TOUELAVILLB. 


67 


A U suite des Ravallet «pi ont quitté leur nom patrony¬ 
mique pour adopter celui de Tourlaville, bien que ne pos¬ 
sédant pas ce fief, on note Louis de Tourlaville, sieur 
(TEroudeville; Philippe de Tourlaville, sieur de Flossel; 
Jacques de Tourlaville, sieur de Saint-Germain, dont la fille 
épousa en 1641, ainsi que nous l'avons vu plus haut, un 
Pierrepont; Nicolas de Tourlaville, Julien de Tourlayille et 
Jacques de Tourlaville, sieur d'Ozeville. 

Voici les textes qui les mentionnent : 

« Le 21* jour de marsl615ful inhumé noble home Loys 
de Tourlaville, sieur d’Eroudeville. » 

c Le 12* jour de juin 1620 fut baptisée une fille pour 
Joseph Baquesne nommée Innocente par noble homme Phi¬ 
lippe de Tourlaville, sieur de Flossel, JcanDubostde Digos- 
vüle et demoiselle Philippe de Bricqueville(l) veuve de M\ 
Guillaume Bouillon, sieur du Parc. » 

L’enfant, parrain dans Pacte suivant, est peut-être le fils 
du précédent. 

« Le samedi 18* jour de juillet 1648 fut baptisée une 
fille pour Guillaume Dormant nommée Philippe par noble 
enfant Philippe de Tourlaville et Françoise Chanceignicr de 
Sortosville. » 

« Le 9* jour du mois d'octobre 1622 fut baptisé ung 
filz pour Philippe Lecrosnier, bourgeois de Cherbourg, nom¬ 
mé Jacques par noble home Jacques de Tourlaville, sieur 
de Saint-Germain, et (illisible) femme de Philippe du 
Monchel. » 

« Le 19* jour du mois d'avril 1624 fut baptisée une fille 
pour honorable home Julien Sjbran, sieur du V (illisible) 


(i) D’argent chargé de six feuilles de chêne de sinople trois, 
deux et nne. Les Bricqueville-Colombières portaient paléd'or et 
de gueulle de six pièces. 


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68 


LES 0L1M DU 


nommée Gabriclle par noble home Jacques de Tourlaville, 
sieur de Saint-Germain, el Mariette, femme de honorable 
home Tboumas Bouillon. » 

« Le 21° jour de décembre 1628 fut baptisée un 61s 
pour François Dupont nommé Jean par noble homme Jac¬ 
ques de Tourlaville, sieur de Saint-Germain, et Jeanne, fem¬ 
me de Christoflc Sybran. » 

« Le 1 er jour de juillet 1626 fut inhumé noble homme 
Nicolas de Tourlaville, » (1) 

« Le lundi 1 er jour de juillet 1640 fut inhumé noble 
homme Julien de Tourlaville en l'église de Nostre-Dame 
de Tourlaville. » 

« Le 19 # jour d'avril 1655 fut baptisé Julien, fils de 
Pierre Truflert et de Jeanne Brisson, nommé par Jacques 
de Tourlaville, sieur d'Ozeville, et Marie Bouillon la mar¬ 
raine. » Undatus'domi. 

Ayant de clore cette liste des Bavallet, je citerai les deux 
actes ci-après où Jacques de Lavignc, probablement oncle 
.maternel de Marguerite et de Julien de Ravallcl-Tourlaville, 
est mentionné. 

a Le Dimanche 11 e jour de novembre 1635 fut baptisé 
un fils pour Thomas Ingouf nommé Jacques, par noble sei¬ 
gneur Jacques de Lavignc, sieur de Tréauville et Marie 
Truflert. » 

c< Le lundi 17 e jour de mars 1636 fut baptisé un fils 
pour Berlhelol Truflert nommé Jacques par noble homme 
Jacques de Lavigne, sieur de Tréauville, et Denyse 
Blondel. » 

(1) Dans l’église de Neutmesnil, sur le mur occidental de la 
nef, on lit l’épitaphe datée du 18 juillet 1626, d’une Guillevnettede 
Tourlaville, veuve d’Arthur Desmoutiers, seigneur et patron de 
Neufmesnil. 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


69 


L’histoire locale, aiosi que nous l’avons vu, fait peser sur 
plusieurs générations de la famille Ravallet de Tourlaville 
une série de crimes. Le souffle sinistre qui en émanait 
plane encore sur leur château, après deux siècles d’abandon. 
A Dieu ne plaise que je veuille agrandir la tache sanglante 
qui déshonore leur mémoire en leur attribuant les trois 
meurtres relatés ci-après. Je cite textuellement le registre 
mortuaire de Tourlaville pour l’an 1616. 

c Le 4* jour de mars 1616 fut inhumé messire Jacques 
de Gueroolt (1), sieur de Saint-Gabriel, qui avait esté 
tué le soir précédent près sa porte à coups de harque- 
buse. » 

« Le dimanche 18* jour de septembre 1616, fut inhumé 
Benoist Le Sauvage qui avait été tué le soir précédent près 
sa maison à coups de pistolet. » 

<* Le même jour, dimanche 18 septembre 1616, fut 
inhumé Jean Guilbert qui avait été tué le jour précédent 
près des Flottes.» 

Le meurtre de ces infortunés a peut-être été commis 
par les corsaires calvinistes qui, vers cette époque, sillon¬ 
naient les eaux de la Manche et en désolaient les côtes. 

Je ne terminerai pas cette notice sur le château de Tour- 
(avilie sans rapporter ici la charmante page que ce vieux 
manoir a inspirée à M. Théophile Gautier, qui vint à Cher¬ 
bourg, en août 1858, pour les fêtes impériales. 

« On nous avait beaucoup parlé du château de Tourîà- 
ville et de l’histoire mystérieuse qui s’y rattache. Tourlaville 
n’est qu’à cinq kilomètres de Cherbourg : une simple pro¬ 
menade avant déjeûner et qui ne dérangeait en rien nos pro- 

(1) De gueulle à trois lions d’argent l’un sur l'autre pas¬ 
sant. 


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70 


LES OLIM DU 


jets du jour. C’eût été manquer à nos devoirs de voyageur 
que de ne pas faire celle petite excursion; aussi nous voilà 
parti sur un char-à-bancs de louage. La route est char¬ 
mante, et comme elle s'élève en pente douce, on domine 
bientôt Cherbourg, avec ses toits d'ardoises rejointoyées de 
ciment, scâ bassins, ses forts et sa rade, puis on s’enfonce à 
droite par de jolis chemins de traverse bordés d’arbres et 
de haies, et l'on arrive au château de Tourlavillc. 

« Le premier aspect du château, ruiné juste à point pour 
être pittoresque, saisit comme un décor d’opéra. Un large 
fossé, dans lequel court une eau vive où de vieux arbres 
trempent le bout de leurs branches, sépare le chemin de 
la cour d’honneur. Le fossé est enjambé par un pont 
menant à une porte enveloppée d’un lierre vigoureux qui. 
forme comme un arc-de-triomphe en feuillage. Le pont 
franchi on entre dans la cour que traverse, parmi les pier¬ 
res, les graviers et les débris, un petit ruisseau d’eau lim¬ 
pide. Le manoir proprement dit, bâti en équerre avec les 
communs et les bâlimcntsd’exploitation, s'élève à la gauche. 
Son architecture est dans le style renaissance. Le corps de 
logis principal offre six fenêtres à croisillons de pierre for¬ 
mant deux étages et surmontées de lucarnes à piliers et à 
volutes échancrant un haut toftaigu, bordé sur la crête d'une 
acrotère interrompue par trois corps de cheminée. Une 
seule des tours subsiste : elle est ronde et coiffée d’un loti 
en éteignoir, et a une bonne silhouette seigneuriale. L’autre 
tour, que fait supposer la symétrie nécessaire du plan, a été 
abattue, comme l’indiquent des arrachements et des décom¬ 
bres à la place où elle devait s’élever et qu'occupe une 
petite chapelle bâtie sans doute en expiation du crime qui 
fait nne légende au château de Tourlaville comme à un 
burg du Rhin. Les autres bâtiments à demi tapissés de plan¬ 
tes pariétaires n'ont rien de particulier, si ce n'est quelque 


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CHATEAU DE TOUBLAVILLE. 


7 ! 


moulure de porte, quelque ornement sculpté, quelque 
lucarne ouvragée montrant qu'à cette belle époque, Part ne 
dédaignait pas d’apposer son cachet aux constructions les 
plus humbles et de l’usage le plus vulgaire. 

a 11 faut bien vous dire la légende du lieu; — la cause 
célébré; — nous le ferons en aussi peu de mots que possi¬ 
ble, empruntés à on petit livre local. Ce château était habité 
autrefois par une famille de Ravallet qui avait la seigneurie 
de Toorlaville. Convaincus du crime d’inceste, deux enfants 
de cette maison, Julien de Ravallet et la belle Marguerite, 
sa sœur, femme de noble homme Jean Le Faulconnier, 
forent condamnés à mort et exécutés sur la place de Grève 
à Paris, le 2 décembre 1603. 

« La tradition attribue aux ancêtres de ces suppliciés une 
série de crimes. Leur père, Jean de Ravallet, gentilhomme 
de la chambre de Louis XIII, et Madeleine de Lavigoe, 
leur mère, ainsi que Jean de Ravallet, abbé de Hambie, leur 
oncle, firent diverses fondations pieuses pour effacer ces 
crimes héréditaires. 

«Voici le fait réduit à sa pins simple expression; mais ce 
souvenir suffit pour donner un intérêt dramatique et ropta~ 
aesque à ce manoir demi-ruiné et d’apparence si paisible, 
et où régnait une sorte de fatalité monstrueuse, comme celle 
de la tragédie grecque, et dont les murs semblaient suer le 
crime sur ceux qui les habitaient. 

« Aujourd’hui, rien ne rappelle ce passé sinistre. Le 
manoir est la propriété de M. de Tocqueville : une famille 
de paisibles cultivateurs l’occupe, et s’arrange le mieux 
qu’elle peut dans cette ruine légendaire. 

« La grande salle du rez-de-cbaussée, où l’on voit une 
haute cheminée à pilastres creusés de cannelures, est deve¬ 
nue la cuisine ; un lit, enfermé dans une sorte de botte b la 
mode bretonne, rappelant assez les cadres de navire, garnit 


L 


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72 


LES 0L1M DU 


l’un des angles. Des vases de cuivre jaune bien fourbi dont 
le nom local est canes, — un ressouvenir grec, peut-élre v 
maintenu à travers les siècles, — sont rangés sur les plan- 
ches avec des cuillers, des moules à chandelle et d'autres 
ustensiles aussi en cuivre ; sur les murs l'imagerie d'Epinal 
a collé ses grossières gravures sur bois, plaquées de cou¬ 
leurs violentes. Nous avons remarqué, dans ce musée campa¬ 
gnard, un saint Thomas, accompagné d'une complainte en 
trente couplets. Ces images enluminées nous plaisent. Elles 
ont du caractère dans leur barbarie et indiquent chez leurs 
incultes possesseurs un naïf sentiment d'art, contenté à peu 
de frais sans doute, mais respectable et touchant. Pour les 
chaumières, la fabrique d'Êpinal remplace le mont Athos, 
qui peuple le monde Slavo-Grec de ses décalques bysan- 
tins. 

« L'escalier conduisant aux étages supérieurs est assez 
bien conservé : quatre élégantes colonnes en supportent les 
paliers et en forment la cage. Les révolutions des degrés 
sont douces et bien ménagées; dans la principale pièce figu- « 
rait naguère, au-dessus de la cheminée, le portrait de la 
belle Marguerite de Bavallet, qu'on a enlevé depuis. Elle est 
représentée, dit la notice, debout, dans la cour du château 
de Tourlaville, et entourée d'amours aux yeux bandés, 
qu'elle repousse pour sourire à un seul dont les yeux sont 
sans bandeau et les ailes tachetées de sang. De la bouche 
de Marguerite part cette légende : Vn me svffil : 

«Ça été pour nous un vif regret de ne pas voir cette pein¬ 
ture singulière et mystérieuse aux emblèmes énigmatiques, 

.où le seul amour excepté est l'amour clairvoyant, l'amour 
aux ailes sanglantes. 

« Les autres chambres sont assez délabrées; les boiseries 
se déjettent, les parquets baillent, les peintures chancissent 
et l'abandon règne en maître dans ce logis, que peut»être le 


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CHATEAU DE T01RLAV1LLE. 


73 


soir hantent les spectres de ces terribles Bavallct, dont 
l'amour même était un crime. Sur les vitres dépolies par 
l'âpre vent de la mer, la moisisurc a plaqué ses lèpres 
jaunes. Contre ces carreaux étamés d'efflorescences, que de 
fois, regardant dans sa rêverie l'Océan lointain, la belle 
Marguerite appuya cette tête charmante qui devait tomber 
en grève sous la hache du boureau ! 

a Chaque pièce a son inscription amoureuse et lugubre, 
que l'on déchiffre encore sous la fumée du temps. Ici : 
a Ce qui me donne la vie me cause la mort . » Là : Sa froi¬ 
deur me glace les veines et son ardeur brûle mon cœur . a 
Pins loin : a Même en fuyant Von est pris. 0 Autre part 
b pensée se formule en vers enlacés à des arabesques 
d’or: 

a Plusieurs sont atteints de ce feu. 

Mais ne s 9 en guérit que fort peu. » 

«Devise digne des jarretières de Tcmblèque et des mir¬ 
litons de Saint-Cloud. 

«A quelques endroits l'inscription explique et commente 
une allégorie au sujet bizarre, aux couleurs assombries. 
Au-dessus d'une peinture noirâtre, on lit: « Les deux n'en 
font qu'un; » au-dessus d’un autre : « Ainsy puisse-je 
mourir ! 

a Faut-il dans ces devises, lieux communs delà galanterie 
du XVI* siècle, concelti à la Pétrarque, fort de mode encore 
en province, voir des allusions à une passion coupable et 
contre nature? Les loyalles et pudicques amou rs du sieur Sca- 
lion de Virbluneau, sont illustrées à chaque page d’emblèmes 
et de légendes de ce genre : Cœurs percés, pluie de sang, 
larmes de deuil, holocaustes, lacs d’amour, flammes renver¬ 
sées, complications dechatnes, poignards en croix, têtes de 
mort couronnées de roses et autres sots rébus de l'hiérogly¬ 
phique amoureuse de l'époque. Malgré tous ces attributs 


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• 74 


LES OLIM DU 


sinistres, Scalion n'était poorlant qu'un fort bonnéte 
imbécile. 

a La chambre à coucher est décorée d'une façon originale; 
des imitations peintes de faïence bleue et blanche recou¬ 
vrent les murailles et le plafond arrondi en dôme qui con¬ 
tinue la forrao octogone delà salle. Sur la corniche se dres¬ 
sent des vas es, des potiches à dessins d’azur ; les panneaux 
représentent des paysages en camaïeu. Dans un pan coupé 
se creuse l’alcôve. À cause de leur ton clair, les peintures se 
sont mieux conservées là que partout ailleurs, et il faudrait 
peu de chose pour rendre à cette élégante ornementation sa 
fraîcheur première (1). » 


NOTABLES 

QUI HABITAIENT LA COMMUNE DE TOURLAVILLE 

Aü TEMPS DES RAVÀLLET ET DES FRANQUETOT. 


REGISTRE des enterrements, baptêmes, etc., faitx 
en Véglise de Tourlaville par ISessire Julien Sybran, 
prêtre curé du dit lieu et par messire Guillaume 
Truffert, prêtre son vicaire en Vannée 1615 et parachevé 
par Guion Challes prêtre vicaire. 

Le 29* jour d’avril 1615, fut inhumée damoisellc Maryedè 

(1) Moniteur Universel, journal officiel de l'Empire Français, 
du 15 septembre 1858. 


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CHATEAU DB T0ULAV1LLE. 


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Gueroult, veuve de feu M* Jean Cabart, sieur de La 
Chesoée. 

Le 27* jour de mai 1617, fut inhumé, dans la chapelle 
Notre Dame de grâce, religieuse personne Arnouf Bortout, 
(termite, résidant au dit lieu. 

Le 9* jour de février 1619, fut baptisé un filz pour Tho¬ 
mas Maistrel, nommé Jacques par noble homme Jacques 
du Mouchel sieur de Mariinvasl, Elloy Potier et Marie 
feme de Guillaume Le Monnyer. 

Le 7* jour de novembre 1621 fut baptisé un fils pour 
noble home Jean Dancel, nommé Gilles par noble home 
Gilles Adam, sieur de la Haulle et damoiselle Jeanne Cabart. 

Le 23* jour de janvier 1622, fut inhumé Jacques Bouil¬ 
lon, capitaine du dit lieu. 

Le 7* jour du mois de janvier 1623, fut baptisée une fille 
pour noble home Jean Dancol, sieur de Bruneval, nommée 
Angélique par damoiselle Guillemctte Le Pelay veuve de 
défunt Gratien Dancel, sieur des Flottes, et noble home 
Pierre Potier, sieur de Courcy. 

Le 19* jour de mars A 623, fut baptisée une fille pour 
Collas Fremin, nommée Magdelenne par damoiselle Philip¬ 
pine de Bricqneville, veuve de maître Guillaume Bouillon, 
et messire Philippe Truffert, prêtre. 

Le 6 9 jour de juillet 1623, fut baptisée une fille pour 
honorable home Vincent Cabart, nommée Marguerite par 
messire Jacques Cabart, curé de Vraville et damoiselle 
Catherine, femme de noble home Jean Dancel, sieur de 
Bruneva). 

Le 9* jour du mois d'octobre 1623, fut baptisé un fils 
pour honorable home Guillaume Bouillon, sieur de la Place, 
nommé Sanson par honorable home Sanson Le Peley, sieur 
do Gravier, et damoiselle Philippe de Bricqueville, veuve 
de honorable borne Guillaume Bouillon, sieur du Parc. 


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LES OLIM DU 


Le 14 e jour d’août, 1624 fut baptisée une fille pour ho¬ 
norable home Thomas Bouillon, nommée Marye par Marie 
Folliot, feme de honorable home Guillaume Le Roux et 
Pierre Potier, escuier. 

Le 17* jour de novembre 1624, fut baptisée une fille 
'pour Mathurin Garson, nommée Reine, par damoiselle 
Adricnne de Brucan et messire Jacques Sybran, prêtre. 

Le 23 e jour d’octobre 1627 fut inhumé messire Jacques 
Sybran, prêtre, prieur. 

Le 18* jour de febvrier 1629, fut inhumée damoiselle 
Catherine Potier, en son vivant épouse de noble home Jean 
Dancel, sieur de Bruneval. 

Le 7* jour de mars 1629 fut inhumé messire Guillaume 
Bouillon, sieur de La Place. 

Le 8 mars 1630 un acte de baptême mentionne comme 
parrain un individu qui se qualifie de Verdier de Cher¬ 
bourg. 

REGISTRE de l'église de Tourldville — tenu par 
messire Julien Sybran, curé du dit lieu et messire 
Jacques Michel, son vicaire en Vannée 1631. 

Le 11* jour de septembre 1631 fut baptisé ung filz pour 
Robert Henry, nommé Michel par messire Guillaume Le 
Roux, et damoiselle Philippe de Bricqueville. 

Le 21* jour d’octobre 1632 fut inhumé messire Jacques 
Michel, prêtre, vicaire de notre paroisse. 

REGISTRE de Vannée 1636 et suivantes, tenu par 
messire Sybran curé et messire Fleury Truffert , son 
vicaire . 

Le samedi 3* jour de may 1637 fut baptisé un fils pour 
messire Jean Dancel, sieur de Bruneval, nommé Pierre par 
noble homme Pierre Foubert de Marlinvast, et Anglique 
Dancel. 

Le lundi 13* jour do février 1638 fut inhumé frère Chris- 


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CHATEAU DE TOURLAYILLE. 


77 


(ophe Noël, en la chapelle de son hermitage, par moi raes- 
sire Fleury Truffer!, prêtre, vicaire de Tourlaville. 

Le 10* jour de novembre 1638, fui baptisée une fille pour 
Doblehome Jean Dancel, nommée Jeanne, par noble damoi- 
selle Jeanne Pinabel, femme et épouse de monsieur de 
Beoseville de Marlinvast, et messire de la Champaigne-Bel- 
leville, parrain. 

Le 10* jour de novembre 1638, fut baptisé un Gis pour 
David Trenel, nommé Gilles par messire Bertrand, mar¬ 
quis de Gonneville, et Catherine Trenel sa tante. 

Le vendredi 15* jour d'avril 1639, fut inbumé discrepte 
personne messire Julien Sybran, prêtre, curé de l'église de 
M. D. de Tourlaville sy devant. 

Acte de baptême de juin 1642 dans lequel figure comme 
parrain Guillaume Basan, escuyer, sieur de Querqucville et 
vicomte de Yalognes,.avec damoiselle Marie Bouillon, femme 
de Thomas Trufferl, sieur de La Valette. 

Acte d’août 1642 où figure la femme de Jean Lucc, lieu¬ 
tenant de Tourlaville. 

Le jeudi 11* jour de décembre 1642, fut baptisée une 
fille pour Adrien Fcnard, nommée Marie par Jeanne Gérard 
et Louis Cabart sieur de Denneville. 

Le présent registre , contenant quarante-deux feuil¬ 
lets dont deux en blanc que nous avons barrés et 
croisés a été par nous paraphé au désir de Vart. 21 
de la déclaration du roy du 9 avril 1636, suivant notre 
procès-verbal dé ce jour premier juin 16i6. — Signé 
H. de Mesnildot et Farcy. 

Le samedi 13 mars 1649, mourut messire Jean Sybran, 
curé de Tourlaville. 

Le jeudi 23* du mois de septembre 1649, furent mariés 
Gilles Blondel, escuycr, sieur de La Chesnée de Digosvillc, 
avec Marie Bouillon, veuve de défuncl messire Thomas 


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78 


LES OLIM DU 


Truffer!, sieur de La Valette, fail en présence de mesaire 
Jean Blondel, escuier, sieur de Verbôist, et le sieur curé de 

. . . . et le sieur de Bcaurcpère, cousin, et le siear 

du Qualel, son frère, aussy escuyer. 

En 1 650 Jacques Savoy était curé de Tourlaville. Ot 
ecclésiastique possédait une très belle écriture et mettait an 
grand soin dans la rédaction des actes. A partir de 1631 les 
dits actes mentionnent le nom des mères des enfants. 

Le Lundi 6 e jour de juin 1650, fut baptisée une fille pour 
m* Jean Lemoigne , sieur du Manoir, nommée Marie 
par Françoise Quesvatre, femme de Monsieur de Saumarest, 
et noble borne Guill. Blondel, sieur de La Chesnée. 

Le dimanche dernier juillet 1650, honnête homme Tho¬ 
mas Bouillon, fils de Guillaume et de damoiselle Marie Le- 
pelé,ses père et mère, et damoiselle François Suhard, fille de 
feu Nicolas Suhard, escuier, sieur d’Orbigni, et de damoi¬ 
selle Françoise d’Argence, ses père et mère, tous deux 
demeurant en cette paroisse de Tourlaville, ont esté mariez 
par le sieur curé de Saint-Martin Daudouville, par nostre 
permission en la présence de Louis André, escuyer, sieur de 
Landrurie, Thomas Vincent, Hervé Dursus, et plusieurs 
autres, recours aux registres de la dicte paroisse de Saint- 
Martin-d’Audouville. 

Le jeudi 19* jour de Janvier 1651, lut baptisé un fils 
pour Pierre Bcrtaut et Marie Jennet, nommé Pierre par 
Pierre du Parc, escuyer, sieur de Barville, Jeanne Luce, 
femme de Monsieur Philippe Sibran, marraine. 

Le 27 janvier 1652 fut baptisé Louis, fils de François de 
Monlfiquct, cscuycr, sieur de Saint-Simon, et de damoi¬ 
selle Jeanne Foubert, nomé par Hervicu Le Berceur, 
escuyer, et damoiselle Jeanne Jullien, la marraine. 

Lc3 e jour de juillet 1632, fut inhumé damoiselle Jeanne 
Foubert dans la chapelle du Saint-Rosaire. 


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CHATEAU DE TOURLAYILLE. 


79 


Le Si aoust 1652, fut inhumé Anlhoine de Caqucray, 
sieur des Friches, entrepreneur de la Verrerie de ce lieu. 

Le 18* jour de mars 1657, fut baptisé Julian, fils de Tho¬ 
mas Bouillon et de damoisellc Françoise Suhard nommé par 
noble home messirc Julian de Vanborel, escuyer, seigneur 
et patron de DigovHIe, et damoisellc Jeanne Dancel. 

Le 21 mars 1658 fut baptisé Jacques, fils de Simon 
Dupont et de damoiselle Marie Bernier, nommé par Jacques 
de Caqueray, escuyer, sieur de Montbrun, et damoiselle 
Jeanne Dancel, marraine. 

Le 28* jour de septembre 1658 fut baptisé Pierre, filz 
de Adrien Fenard et de François Courtin, nommé par M. 
Pierre Martinet, escuyer, sieur de la Bonne vie, et damoi¬ 
selle Marguerite de Brucan, marraine. 

On voit figurer au registre des mariages de 1659 un Guil¬ 
laume Luce, sieur de Grandcamp (l). 

(1) C'est près de cette terre que se trouve le périmètre d’un 
camp romain, qu’un récent abbattis de bois rend très visible. 
Ce camp, situé au lieu de la Fosse du Catel , dans le bois 
de la G lacer ie, appai tenant au général du Moncel, présente 
environ 28 hectares de superficie, d'après le plan cadastral de 
Tourlaville. A l'est on remarque les reste d'un rempart qui a 
encore en moyenne 7 mètres au-dessus du sol et 3 mètres 
d'épaisseur. C’est au pied de ce rempart que se trouve la Fosse 
du Catel , vaste fossé d’une largeur moyenne de 12 mètres, qui 
s'étend du sud do camp vers la mer. Ce rempart et ce fossé ont 
été coupé en plusieurs endroits pour les accessions nécessaires à 
l exploitation. Ce côté du périmètre est le seul qui semble avoir 
été, à une époque reculée, fortifié par la main de l’homme; les 
trois autres côtés présentent des défenses naturelles que Ies 
Romains recherchaient toujours dans leurs campements. Du 
point le plusélévé (où devait se trouver \evexiltum du prétoire), 
la Tue embrasse au nord les coupures rapides de terrain qui 
descendent vers le hameau Luce et la mer; à l'ouest, le sol 
rocheux et tourmenté qui s’incline vers la Glacerie, le moulin 
Ingouf et la route impériale n° f S ; au sud les Traînes, la Bois- 


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LES OLIM Dl! 


Le 6 juin 1660 Richard Lucas, escuier, sieur de Néhou, 
prêtre, et damoiselle Marguerite de Bongard sont parrain et 
marraine. % 

En février 1661, Jacques Gabart, escuyer, sieur de Vras- 
ville est parrain. 

Le même mois 1661 François Dancel, escuyer, sieur de 
Saint-Jean à Touriaville, épouse, à Virandeville, damoiselle 
Anne Foubert. 

Le 14 mai 1661 décès de Jacques de Bernières, escuier, 
sieur de la Cherisière. 

Le 11 juillet 1661, Jean Gabart, escuyer, sieur de Beau- 
prey, est témoin. 

En février 1662, Guillanme dcHanot, escuyer,sieur de la 
Valette, est témoin. 

Le 8 avril 1663 décès de Jean Dancel, escuier, sieur de 
Bruneval. 

Le 3 juillet 1669 naissance d’une fille pour Marin de 
Franconville, Nicolas de Bongard, escuyer et Catherine de 
Bongard parrain et marraine. 

REGISTRE coté et paraphé par Jacques du Mous- 
lier, escuier seigneur et patron de Sainte-Marie Dau- 
douville , conseiller du roy lieutenant général civil et 
criminel au baillage du Costentin pour le Vicomte de 
Valognes, le 16 e jour de janvier 1670. 

, Le 24 février 1670 damoiselle Jeanne duPresle veufve de 
feu m e Vincent Gabart escuier sieur Beaupré a esté 

saye et le cours sineux du ruisseau le Gulpereux qui coule vers 
la mer; à Test, la ferme du Grandcamp, et, dans l'éloignement, 
celles de Barville, de Brucan, et les grands bois du Theil. Non 
loin de ce camp, dans un champ nommé les Buissonnets f porté 
au cadastre sous le no 1205 et appartenant à la famille Ganu, on 
a découvert, il y a cinq ans, à une assez grande profondeur, 
des cendres et des débris romains. 


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CHATEAU DE T0URLAY1LLE. 


81 


iohumée dans la chapelle du Rosaire de cette église aagée 
de 70 aos ou viron, par moy Jacques Savoy curé, présents 
maist Jacques Cabart, escuier, sieur des Essarts et mais! 
Jean Cabart, escuyer, sieur de Beauprey, son fils et quantité 
des parr. entre lesquels Macs Gralien Luce et Denys 
Bertrand pbres. 

Le 9 août 1670, messire Jacques Savoy prestre et curé 
de cette parr. aagé de 76 ans a esté inhumé au haut du 
chœur de cette église par vénérable et discrepte personne 
messire Jean Doguet, prestre, curé du Tbeil, bachelier en 
théologie soubs signé, présents messire Nicolas Luce 
vicaire, messire Denys Bertrand, prestre et plusieurs autres. 

Le 9 janvier 1670 Jacques de Lemperiére escuier sieur 
deCourseville, est parrain. 

REGISTRE coté par Jean Leceilliere, escuier sieur 
de Luqueville conseiller du roy lieutenant civil à Valo- 
gnés le 12 fev. 1671. 

Le 28 mars 1671 Jean Gauvin, bourg, de Cherbourg,âgé 
de 70 ans ou viron a esté inhumé en la chapelle de Thermi- 
tage qui est au pied de la montagne du Roule par moy 
Nicolas Luce vicaire soussigné, présents messire Nicollas 
Vigot, Denys Bertrand pbres et plusieurs autres. 

Le 4 septembre 1671 Christophe de Bellcville, escuier 
sieur des Prays-de-Brix, est témoin. 

REGISTRE paraphé par Pierre Razan, escuier 
sieur de Querqueville, le ik mars 1672. 

Le 7 avril 1672 décès de la fille de M. Claude Pinel Co is 
en la glacerye royalle. 

Le 29 août 1672 Angélique, fille de Laurent de Mathieu, 
escuier sieur de Rauchot et de Catherine de Bongard a esté 
inhumée dans la chapelle du Rosaire âgée de 2 ans 3 mois. 

Messire Robert Jouenne, prestre, bachelier en théologie 
delà Faculté de Paris, est curé de Tourla ville 1674. 

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LES OLIM DU 


REGISTRE des baptesmes, mariages et sépultures 
de la paroisse de N.D. de Tourlaville pour 1674, remis 
à Estienne Bissel, curé du dit lieu, par Jacques Le Fe- 
bure sieur des Noëttes (1), conseiller du roy juge ordi¬ 
naire et vicomte de Cherbourg et de Tollevast. 

Le 1 er jour d’avril 1674 Guillaume , fils de Richard 
du Chesne et de Louysc Ouïstre travaillant à la Gla- 
cerie royalle de Tourlaville né du dernier jour de marsa esté 
baptizé et nommé par Guillaume de Sainlc-Marie-Église, 
escuyer, seigneur du lieu cldamoiselle Marie Anne du Prey 
femme du sieur de Bonval, escuyer. Signé de Sainte-Marye 
et Marie Anne du Prey. 

Le 17 avril 1674 Claude fils Gratian Drouet et de Louyse 
de La Haye né du premier de ce mois a esté baptisé et nom¬ 
mé par m® Claude Pinel, sieur du lieu, et damoiselle 
Catherine de Bongard femme du sieur de Vanchot. Signé 
Pinel et C. de Bongard (I). 

Le 18 septembre 1674 figure comme parrain m®Jacques 
de la Fontaine, sieur de TKpiney, bourgeois et baillif de la 
haute justice de Cherbourg. 

Le 4 octobre 1674 Julian fils de Guillaume Truffert et de 
Marguerite Le Brun né d’hier a esté baptizé le parrain 
noble homme Julian Rosette, escuyer sieur des Landelles, 
la marraine damoiselle Anne Fouberl femme du sieur de 
Saint-Jean escuyer. 

Le jeudy 11® jour d’octobre 1674 Catherine Renée fille 

(1) Ce magistrat serait-il un des ancêtres du comte de l'empire 
Lefevre-Desnoucttes, général de division, commandant de la 
Légion d’Honneur , grand’eroix de l’ordre de la Réunion , 
qui a servi avec tant de distinction dans les guerres du premier 
Empire. 

(1) Il est probable que ce baptême, ainsi que le précédent, ont 
été célébrés en le chapelle de la Glacerie de Tourlaville. 


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CHATEAU DE T0ULAV1LLE. 


83 


de m* Philippe Caule, sieur de* Ventes, et de Gabrielle 
Lace nasquit el fut baptizée, le parrain Philippe Poclin, mais- 
ire de la Glacerye royalle de ce lieu, la marraine damoi- 
selle Renée Simon, femme du sieur de Néhou, escuyer. 
Signé Renée Simon et Philippe Pocquelin. 

Le 26 décembre 1674 Marie fille de Jean Gallyê décédée 
d'hier a esté inhumée dans le cimetière présence de messire 
Jean Potier prestre et un pauvre garson dit Mistin. Signé 
Pollier. 

Le samedi 26* jour de janvier 1673 Richard Anne, fils, 
en légitime mariage de Robert de Sainte-Marie-Église, 
escuyer et de damoiselle Marie de la Marre, a été baptisé 
el nommé par Richard Lucas, escuyer sieur de Néhou, assis¬ 
té de damoiselle Anne Le Duc, lesquels ont signé de ce 
requis. Signé Lucas, Anne Le Duc et R. Joucnne. 

Le dimanche 27 avril 1673, Catherine Juliane, fille de 
François Dancel, escuyer, sieur de Saint-Jean, et de daraoi- 
sclle Anne Foubert, née d'hier en légitime mariage a esté 
baptizée; la marraine noble daraeGuillemette Simon, femme 
da sieur de Barville, assitéc de Julian du Praël, escuyer, 
siear de Maabré. Signé Guillcmette Simon et Julian du 
Prael. 

Le 26 décembre 1673, Richard Lucas, escuyer, sieur de 
Nehou, décédé d'hier, a esté inhumé dans la chapelle du 
Saint-Rosaire, présence de Guillaume Lucas, escuyer, sieur 
de Bon val. Signé Bonval. 

Le 2 e jour de febvrier 1676 Marie Catherine, fille de 
Simon et de Thomasse Truffer!, nasquit et fut baptizée, 
la marraine noble dame Catherine Qucslil, assistée do 
noble homme Pierre du Parc, escuyer, sieur de Barville. 
Signé C. Questil et Duparc. 

Du mardy 10 mars 1676, Guillaume, fils de Claude Pinel, 
sieur du lieu, et de damoiselle Henriette Le Febure, né 


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84 


LES OLIM DU 


d'hier, a esté baptizé, le parrain Guillaume de Sainte-Marie- 
Église, cscuyer, sieur du lieu, assisté de damoiselle Marie de 
La Marre,, femme du sieur du Manoir, escuyer. Signé 
de Sainte-Marie, Marie de La Mare et R Jouenne. 

Le samedi 4 avril 1676, Claude Guillaume, fils de Pierre 
Adam et de Jeanne, né d’hier en légitime mariage, a esté 
baptizé; le parrain Claude Pinel escuyer sieur du lieu (1) 
assisté de damoiselle Anne Le Duc, femme du sieur de 
Sainte-Marie, escuyer. Signé Pinel et Anne Le Duc. 

Le mercredi 27 may 1676, Robert Claude, fils de m* 
Pierre Jumel et d’Anloincllc Saindelis,néd'bicr, a esté bap¬ 
tisé; le parrain Robert de Sainte-Marie-Églisc, cscuyer, 
sieur du Manoir, assisté de damoiselle Henriette Lcfeburc, 
femme du sieur Pinel. Signé H. Lefeburc et R. de Sainte- 
Marie-Église. 

Le 10 e jour d'aoust 1676, fut baptisé Claude Hervé, fils 
en légitime mariage de noble personne Guillaume Lucas, 
escuyer, sieur de Bonval, et de damoiselle Anne Marie du 
Prcy, nommé par dame Marie de la Luzerne, dame de Fon¬ 
tenay, assitéc de Claude du Noyer, escuyer, conseiller secré¬ 
taire du roy, lesquels ont signé au présent de ce requis. 
Signé Marie de la Luzerne de Fontenay, Dunoyer, 
R. Jouenne. 

Le mardi 21 oclobrc 1676 Louyse Anne, fille deGralian 
Drouet et de Louise de La Haye, née d'hier, en légitime 
mariage, a esté baptisé; le parrain noble homme Guillaume 
de Sainte-Maric-Église, cscuyer, sieur du lieu, la marraine 
damoiselle Anqe Le Duc son espouse. Signé G. de Sainte- 
Marie et Anne Leduc. 

Le dimanche 28 février 1677, Louis Lucas, escuyer sieur 
de Saint-Luc, et damoiselle Françoise des Rosiers, ont con¬ 
tt) Ces mots ont été biffés par le signataire Pinel. 


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CHATEAU DE TOCRLAVILLE. 


85 


lrac(é mariage en face de notre mère Sainte-Église, toutes 
choses de droit gardées, en présence de Guillaume Lucas, 
sieur de Bonval, de Laurent de Mathieu, escuyer, sieur de 
Vauchot, et de Jean Hervé, escuyer, sieur de Senecé, capi¬ 
taine au régiment de Normandie, lesquels ont signé à ce 
requis, Lonys Lucas, Françoise des Rosiers, de Bonval, de 
Yanchaux, Senessey, R. Jouenne. 

Le 3* jour de juin 1677 Anne fille légitime de Louis 
Roger et d’isabeau Lemarcand, a esté baptisée et nommée 
par damoisellc Anne Le Duc assistée de Guillaume de Sainte- 
Marie- Église, escuyer sieur du lieu, son époux, lesquels ont 
signé au présent acte de ce requis. Anne Leduc, G. de 
Sainte-Marie-Église et R. Jouenne. 

Le l tr août 1677 Guillaume fils de Pierre Jumel et 
d’Antoinette Sainldelis né de ce jour a été baptisé et nommé 
par Guillaume deSainte-Marie-Église, escuyer sieur du lieu, 
assisté de damoiselle Marie-Anne du Prcy dame de Bonval, 
lesquels ont signé de ce requis, G. de Sainte-Marie-Église, 
Marie Anne du Prey et R. Jouenne. 

Le SI novembre 1677 Guillaume, fils de Thomas Bazan, 
et de Catherine Gringore, né d’hier, a esté baptisé et nommé 
par damoiselle Anne Le Duc de Sainte-Marie-Église, assis¬ 
tée de Guillaume Lucas, escuyer, sieur de Bonval. Signé 
Anne Le Duc, de Bonval et R. Jouenne. 

Le 6 mars 1678 François, fils de Michel Nicolle, et de 
Scolastique Luce, né d’aujourd’hui et baptisé a esté nommé 
par Jean Dancel, escuyer, sieur *du dit lieu, advocat au 
Parlement de Paris, conseiller et procureur du roy en la 
Mareschaussée de Poictou, assisté de damoisellc Anne Fou- 
bert,damede Saint-Jean, lesquels ont signé. Anne Foubert, 
Dancel, R. Jouenne. 

Le 24 avril 1678 Claude Robert, né en légitime mariage 
de Robert de Sainle-Maric-Église, escuyer, sieur du Ma- 


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86 


LES OLIM DU 


noir, et de damoisrile Marie de La Mare, a esté baptisé 
et nommé par honorable personne m* Claude Pinel 
assiste de damoiselle Catherine de Bongard, lesquels 
ont signé de ce requis. Signé C. de Bongard, Pinel et B. 
Joucnne. 

Le 21 juin 1678 un Jean-François Luce, bourgeois de 
Cherbourg, capitaine de Tourlaville, figure comme témoin 
dans un acte de mariage. 

Le 28 novembre 1678 a esté baptisée une fille sortie du 
mariage de Pierre Adam et de Jeanne Charpentier nommée 
Catherine par damoiselle Catherine Charron et Robert de 
Sainte-Marie-Église, escuyer parrain et marraine. Signé 
Catherine Charron et B. de Saintc-Marie-Église. 

Le Registre de 1679 est coté par Pierre Bazan, 
escuyer seigneur et patron de Montaigu et de Querque- 
ville, conseiller duroy lieutenant général antien (sic) 
civil à Valognes . 

Le 10 mai 1679 un abbé Gracien Luce était chapelain de 
la Glacerie. 

En juillet 1679 Alexandre de Sainte-Marie-Église est 
parrain de Marie Thérèse de Sainte-Marie-Église, fille de 
Robert, escuyer, et de Marie de Lamarre. 

Le 20 septembre 1679 Guillaume Le Seillière, sieur de 
Grismesnil, conseiller du roy, vicomte de Cherbourg, est 
parrain. 

En novembre même année Guillaume de Sainte-Marie- 
Église, escuyer, directeur de la Glacerie royale, est par¬ 
rain. 

En avril 1680 Claude Pinel, fils de Claude Pinel, direc¬ 
teur de la Glacerie, assisté de damoiselle Marie de Lamarre, 
est parrain. 

Le 13 mai 1680 Marie Thérèse, fille légitime de m* 
Guillaume Lucas, escuyer, directeur de la Glacerie, et 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


87 


damoisclle Marie-Anne Du Prey, a esté baptisée et nommée 
par damoiselle Marie Thérèse Fouquet, Bon Thomas Castel, 
escuyer, marquis de Saint-Pierre, compère. Signé Marie 
Thérèse Fouquet, B. J. Castel Saint-Pierre et B. Jouenne. 

Du 11 novembre 1680 Hervey Julian fils né eu légitime 
mariage de Claude Pinel eide damoiscllc Henriette Lefcbure 
a été baptisé et nommé par noble et puissant seigneur 
messire Hervé Le Berceur, escuyer, marquis de Fontenay et 
damoiselle Anne Marie Poullain, commère. Signé Marie 
Anne Poulain, Fontenay et B. Jouenne. 

Le 12 septembre 1681 Guillaume Lucas, escuyer, sieur 
de Bonval, directeur de la Glacerie est parrain. 

Le 28 septembre 1681 Charles Odos de Boniot, escuyer, 
sieur de Sainte-Marie, commissaire d’artillerie est parrain. 

Le 10* jour de novembre 1681, Robert, fils de Guillau¬ 
me Lucas, sieur de Bonval, a.esté baptisé et nommé par 
mesure Robert du Feix, chevalier, seigneur et marquis de 
la Haye-du-Puits, à la chapelle de la Glacerie, ne pouvant 
le porter à l’église à cause du péril imminent. La marraine 
Marie du Mesnildot, dame d’Octcville. Signé Robert du Fay 
de la Haye du puis.—Marie du Mesnildot et R. Jouenne. 

Le 51 décembre 1681, Guillaume deSainl-Marie-Eglise, 
escuyer, demeurant à la Glacerie royalle de Tourlaville, est 
décédé cette nuict, a esté inhumé le l* r Janvier 1682, dans 
la grande chapelle, en présence de Guillaume Lucas , 
escuyer, sieur de Bonval, et de messires Gracien Luce et 
Charles Burnouf préstres, chapelains de la dite Glacerie. 
Signé Mangon, vie. 

Le 8 mai 1683, Robert de Sainte-Marie-Église, sieur du 
Manoir, a esté inhumé dans la grande chapelle en pré¬ 
sence de messire Nicolas Vigot et messire Jean Potier. 
Signé Robert Jouenne. 

Le 26 septembre 1688 a esté baptisée Françoise Michelle, 


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88 


LES OLIM DD 


fille de Jacques Lecorps, el de Marie Dinan, nommée par 
damoiselle Françoise de la Fontaine, assistée de Maistre 
Michel Gossin, escuyer, sieur de Magneville, bourgeois 
avocat au parlement de Paris. Signé F. de la Fontaine, Gos¬ 
sin et B. Jouenne. 

Le 21 feuburier 1689 a esté baptisé Charles d’Aboville, 
fils de Nicolas d’Aboville, escuyer, sieur de la Porte, et de 
damoiselle Anne Guerel, nommé par Charles de Mesnileury , 
escuyer seigneur et patron de Gonneville, et noble dame 
Anne Beaudrap. Signé G. du Mesnileury cl Beaudrap. 

Le 5 novembre 1690 a esté inhumé messyre Bobert 
Jouenne curé dudit lieu dans le cœur (sic) de l’église. Signé 
Surcouf vicaire. 

Le 25 avril 1695, acte de baptême dans lequel Guillau¬ 
me Lucas, escuyer, sieur de Bonval, directeur général de 
la Glacerie royalle de Tourlaville, est parrain. 

Sentence du 27 novembre 1705 du baillage de Valognes 
en faveur de Germain Faullain, curé de Tourlaville, contre 
Bobert de Franquetot, son seigneur. (Uabbé Piton-De$prez r 
Etrennes coutancaises 1857 p. 164.) 


• J’en étais là, dans la correction [de l’épreuve de ces Olim y 
lorsque je reçus d’un de mes amis la lettre suivante. 


Tourlaville, 20 septembre 1859. 

. J’ai lu avec un vif intérêt vos recherches sur notre 

vieux manoir, et les textes que vous y avez joints. Cela me 
permet de rattacher à des dates précises des faits que ma mémoire 
a conservés depuis mon enfance. 

±° Jacques de Guéroult , sieur de Saint-GabrieU —Acte 
mortuaire du 4 mars 1616, page 69. Si Ravallct de Tourlaville 


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CHATEAU DE T0URLAV1LLE. 


89 


oe fat pas, personnellement, Fauteur du meurtre en question il 
eut do moins bien certainement le malheur d’en profiter. Jacques 
de Gaéroult n'avait pas d'enfants ; ses héritiers, terrifiés par sa 
mort, n'osèrent réclamer et ses biens passèrent aux mains du 
dit Ravallet. Voici du reste, sur les circonstances de ce meurtre, 
les détails que j'ai recueillis de la bouche de mon père. Ce que 
je Tais dire est une tradition de notre famille, car les Cabart 
étaient alliés au sieur de Saint-Gabriel. Jacques de Guéroult 
était on vieillard aimé et estimé de tout le monde. Il vivait seul 
dans son manoir de Saint-Gabriel, s’occupant de la culture de 
ses terres et surtout de l’élève des poulains. Un soir d'hiver 
(3 mars 1616), pendant la veillée, une voix inconnue vint crier 
du dehors : Tous les poulains sont à la lande ! Le vieillard 
eoToie immédiatement valets et servantes à la recherche des 
poulains et reste seul à la maison. Quand les domestiques ren¬ 
trèrent ils trouvèrent leur maître assassiné à sa porte. Les pré¬ 
cédents criminels du seigneur de Toulaville lui firent imputer, 
à tort on à raison, ce lâche forfait à la suite duquel il devint 
possesseur du domaine de Jacques de Guéroult. 

2° La terre de la Fieffe (sur la montagne du Roule) fut le 
thé&tred'un fait analogue. Les propriétaires de cette ferme étaient 
deux jeunes hommes, deux frères, qui eurent le malheur, par 
une cause demeurée inconnue, d'encourir la haine d'un Raval¬ 
let. L'un de ces jeunes gens fut tué, en plein jour, de la main du 
seigneur de Tourlaville, dans une auberge de Cherbourg ; l'autre, 
saisi dans sa maison de la Fieffe, fut attaché à la queue d'un 
cheval et traîné tout sanglant de la Fieffe au château de Tour- 
laville où il mourut en arrivant. Jean de Ravallet, il est triste 
de le dire encore, acquit sans difficulté l'héritage des deux 
frères. 

3° Jean Cabart , sieur de Beauprey, cité comme témoin dans 
facte du 24 février 1670, page 81. Un neveu et héritier de ces 
Ravallet, légiste exercé, procédait dans ses empiétements d’une 
manière plus douce et plus adroite. La terre des Essarts, dont 
Jean Cabart de Beauprey était propriétaire, avait, en 1706, une 
avenue de chênes magnifiques. Ces arbres faisaient les délices 
de leur maître et excitaient la convoitise du seigneur de Tour¬ 
laville son voisin. Ce dernier employa d’abord diverses subtilités 
polies pour se les faire céder, mais le sieur de Beanprey répon¬ 
dait toujours que ces arbres étaient l'ornement de sa propriété 


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90 


LES OLIM DU 


et qu’il y tenait autant qu’à la terre elle-même. Ne pouvant arri¬ 
ver à son but par la persuasion, messireRobert finit par employer 
un moyen que la législation de l’époque permettait malheureuse¬ 
ment. Un jour d’été il se place sur le chemin que devait parcou¬ 
rir le grand valet du sieur de Beauprey occupé des travaux de 
la moisson. « Si tu veux, lui dit-il, estre langager etfaitard avec 
» ton maistre tu te trouveras faict plus que bien. A ins au retour 
» ne sois reserrant aux gerbes de froument pour s’espandre ça et 
» là au chemin. Tou maistre est chaud et prompt a colère et ne 
» veut du tout estre reprips, il sera bigearre en ses façons de 
»> faire ce que viendras incontinent me confesser. » Le valet 
suivit les instructions du seigneur et tout se passa comme celui- 
ci l’avait prévu. Le maître jure, s’emporte et châtie l’insolent 
par un coup de fourche. Ce dernier quitte aussitôt la grange des 
Essarts et va déposer sa* plainte aux mains du seigneur justicier 
de la paroisse. Procès-verbal est dressé et poursuites sont diri¬ 
gées contre Jean Cabart de Beauprey, à raison de voies de 
fait contre son serviteur. Cela terminé, le seigneur de Tourla- 
ville fit offrir secrètement de suspendre toute poursuite moyen¬ 
nant la cession, à bon compte, des fameux chênes origine de 
tout le mal; mais le sieur de Beauprey était trop entier pour 
transiger ainsi. « Toutou rien » fut sa réponse. Le malheureux, 
exproprié de tous ses biens par un long procès, vit le domaine 
do ses ancêtres passer aux mains du seigneur de Tourlaville. 
Nul ne sut où* se retira ce Jean Cabart. Le vieillard, de qui 
mon père tenait ces détails, se nommait Gratien Gcorgette ; il 
rencontra, sur le chemin de Valognes, l’infortuné sieur de 
Beauprey et ses deux jeunes filles. Le père échangea avec lui 
quelques paroles et le quitta en lui disant : « Mon poure Geor- 
gette nous nous en allons au débaux. » 

Je ne sais si j’orthographie convenablement ce mot qui, daos 
la langue de nos campagnes, exprime l’acte d’un homme dont 
la tête est perdue de‘désespoir et qui va où le hasard le con¬ 
duit. Le mot parait vieillir ; je ne l’entends presque plus. Son 
dérivé débauché ou débauchié est au contraire très usité, mais 
l’idée qui s’y attache est bien affaiblie. A chaque instant vous 
entendez nos paysans vous dire, quand les choses ne marchent 
pas à leur gré : J'en site tout débauchié ! 

Recevez, etc. 

Ch. Cabart Dauneville. 


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CHATEAU DE TOURLAVILLE. 


91 


Je vais clore ici mes investigations touchant le vieux 
manoir de Tourlaville, car il ne faut pas oublier trop 
longtemps les préceptes classiques de notre enfance et 
Horace qui nous dit en souriant et le doigt levé : Ne quid 
nimis ! Bien de trop. 


TeurtblTillfr-Hagiie, SS septembre 18Sf. 


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NOTICE 


SUR 

LA GALERIE COUVERTE A LOGAN 

DE BETTEVILLE-ED'SIIRE, 

Par H. BERTRAND IACHÈNÉE (1), 

Associé-titulaire. 


Une de nos galeries celtiques les plus belles et les mieux 
conservées se rencontre à 8 kilomètres E. de Cherbourg, 
à 500 mètres au N. de la route de cette ville à Saint-Pierre- 
Église. Elle est placée, non sur Digosville, comme on Ta à 
tort avancé, mais à 1 kilomètre de la limite de cette com¬ 
mune, dans celle de Bretteville, près d’un carrefour, sur la 
hauteur au S. du village de la Forge, dans un champ nom¬ 
mé le Clo$-de$-Pierres, appartenant aujourd’hui au sieur 
Jean Liot, cultivateur demeurant dans le voisinage, au 
hameau Liot. 

(1) Cet article résulte de notes que j’ai prises en 1846 et 1860, 
et que j’ai complétées, le 15 octobre 1858; avec le concours de 
MM. Besnou et Poindextre. 


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À LOGAN DE BRETTEVILLE-EN-SA1RE. 


93 


Ce qui donne nne grande importance à cette galerie et la 
rend éminemment digne de fixer l'attention de l'archéologue, 
c’est la présence d'un logan , qui y fait suite du côté 
do Nord. La pierre probatoire est longue de 2 m 20, 
large de 2* et épaisse de 0* 60; au-dessus est une rainure 
de 2* 40, profonde de 0° 07, qui s'étend dans le sens de la 
longueur, en descendant sur le côté, et dans laquelle on 
remarque douze trous régulièrement creusés et espacés. Mal¬ 
heureusement ce rouler n'est plus mobile : il a été déplacé 
de façon qu'au lieu d'un support unique il a maintenant 
deux pierres pour soutiens: l'une est longue de 2 m 60, large 
deO* 75 et haute jde l m 05 ; l’autre offre une longueur do 
0“ 65, uue largeur de l m et une hauteur do l m 15. 

Plus loin, à 2“ 60 du logan , et toujours sur la même ligne, 
est one pierre large de O 10 50, longue et haute d'un mètre. 
Elle forme Tune des extrémités du monument, qui, è partir 
de là jusqu'à l'autre bout, présente une longueur de 20 
mètres, dans la direction du N.-O. au S.-E. 

La rangée Est de la galerie a huit jambages encore en * 
place, un tombé à l’intérieur vers le milieu, et un autre à 
l'extrémité S.-E., éloigné de la rangée de 0“ 66. Vers celte 
extrémité S.-E., il y a en outre six jambages complètement 
renversés. 

La rangée Ouest offre onze jambages tous bien en place, 
à l'exception d'un seul, qui soutient néanmoins encore une 
des pierres du toit. En dehors de celte rangée sont renver¬ 
sés cinq autres jambages. 

Quant aux pierres du toit, elles ont 2 m de longueur 
moyenne , une largeur de 1* à l m 25 et une épaisseur de 
0"50 à 0 m 40. Trois de ces pierres sont encore bien en place, 
une ne porte plus que sur un jambage et est renversée en 
dehors de la rangée E., une autre est tombée dansJ’inté- 
rieur, et deux gisent à l’extrémité S.-E. 


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94 NOTICE SUR LA GALERIE COUVERTE A LOGAN. 


La largeur du couloir varie de l m à O® 60; les jambages 
n'ont pas plus d'un mètre de hauteur. 

Deux^pierres de fortes dimensions, distantes l'une de 
l'autre de 0“ 70, se voient en face de la pierre probatoire, à 
cinq mètres de la rangée E. de la galerie. 

Le propriétaire, le sieur Liot, nous a fait connaître qu'il 
y a 15 à 20 ans, deux étrangers, se disant de Lyon, le 
prièrent de creuser entre ces deux pierres. Ils furent assez 
heureux pour trouver, à une profondeur de cinquante centi¬ 
mètres, deux médailles paraissant en billon, et d'une 
grandeur analogue à celle des anciennes pièces de deux 
sous. Il se rappelle fort bien qu’elles étaient de forme irré¬ 
gulière et sans empreintes. 

Le cisl-vean à rouler de Bretteville-en-Saire s’élève 
dans une contrée jadis chère aux Druides, pleine encore de 
leurs souvenirs et riche en monuments de leur culte. Situé 
à une petite distance de la mer (1 k. 1/2) et du point cul¬ 
minant de Brellefcy (1 k.), il se trouve sur la limite du 
' quartz en roches, du stéaschisle et de l’arkose. La pierre qui 
le ferme au N.-O. est de stéaschisle grossier quartzeux, 
ainsi que quelques jambages et deux des pierres du toit; les 
autres pierres, y» compris celles qui supportent le rouler , 
sont d’arkose à poudingues. Une particularité très remar¬ 
quable, c’est que le rouler seul est de granit : il a donc été 
apporté de loin, au moins de Maupërtus ou de Carneville, 
ce qui prouve l'importance du rôle attribué au logan dans 
les cérémonies des Gaulois. 



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DESCRIPTION 


DE 

LA TABLE ADI FÉES DE LORION, 

Par M. BERTRAND LACRÊNÊE, 

Associé titulaire. 


• 

II existe dans nos environs, à 9 kilomètres de Cherbourg, 
one pierre druidique peu connue. Je résume ainsi les notes 
que j'ai prises sur place avec M. Poindextre, le 23 octobre 
1858, relativement à cette pierre, qui porte le nom de 
Table aux Fées : 

Elle est placée dans le bois de Mémont ou de Bellcvillo, 
qui occupe, au Mesnil-au-Val, une partie du plateau de 
Lorion, l’un des points les plus élevés de la presqu’île de la 
Manche. Elle est de quartz grenu, comme les nombreux 
rochers qui l'entourent. A 30 mètres auN.-O. est une roche 
appelée le Gros-Rocher, au pied de laquelle il y a une jolie 
source dite Fontaine aux Fées . 

La table est un peu inclinée, bien unie en dessus, et, au¬ 
tant qu'on peut en juger, pareillement en dessous, où, vers 
letnilieu, on voit transversalement le jour. Sa longueur est 
de 3® 60 à l’O. et de 3 m 30 à TE.; sa largeur au milieu, de 
2“ 10, et son épaisseur de 2 m . Son volume, déjà assez consi¬ 
dérable, l’était jadis davantage,car, au S., une portion supé- 


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1)6 


TABLE AUX FÉES DE LORION. 


rieure en a été enlevée, longue de i m 10, large aussi de 
i m 10 et épaisse de O m 90; ce qui rend irrégulier le côté S. 
du quadrilatère. 

Les supports, si toutefois il en existe, sont tellement en¬ 
fouis qu'on ne les aperçoit plus; seulement une petite roche, 
appuyée contre une autre, semble soutenir très faiblement 
la table à l'un des points de son extrémité N., où elle pose à 
peine sur la terre, tandis qu'au bout opposé elle y est com¬ 
plètement enfoncée. 

Une fissure horizontale s'observe tout autour de cette 
pierre volumineuse, à peu près vers le milieu; trois ou qua- 
tres autres fissures, qui sont obliques, se remarquent dans le 
sens de sa hauteur. 

La position de la Table aux Fies de Lorion et les tra¬ 
ditions qui s'y rattachent nous portent à la regarder comme 
druidique.. 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE . 

DE 

L’ARRONDISSEMENT DE CHERBOURG. 


LE GÉNÉRAL JOUAN, 


Par H. de PONTAUMONT, 

Membre de la Légion d'Honneur, 

Archiviste de la Société Impériale Académique de Cherbourg. 


Nobis pleraque digoa 
cogoilu obveoere, quaoqaam 
ab aliis iocelebrata. 

(Tacite. Aooal, lib. VI, 
Cap. Vin 


SOMMAIRE. 

Volontaires de la Manche. — Bataille do Valmy.— Com¬ 
bat de Menin. — Conquêtes de la Belgique et de la Hol¬ 
lande. — Guerre de la Vendée. — Siège d’UIm. — Batail¬ 
les de Hohenlinden. — Combats de Neumarck et de Franc- 
kenmarck. — Sacre de l'Empereur. — Bataille d'Iéna. 

— Siège de Dantzick. — Bataille de Friedland. — 
Combat d v Ebersberg. — Bataille d’Essling. — Combat 
d'Enzersdorf.— Bataille de Wagram.— Guerre d'Espagne. 

— Défense d’Aranda. —Batailles de Dresde et de Leipsick. 


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98 


GALERIE BIOGRAPHIQUE. 


— Défense du département du Mont-Blanc. — Défense 
de Briançon. — Règne des Cent-jours. — Affaires de 
l'Ardèche en 181 S. — Événements à Cherbourg en 1830. 

On reconnaît aujourd'hui que le but le plus utile des tra¬ 
vaux littéraires et scientifiques de province est la production 
de monographies locales. C'est par suite de cette pensée que 
j’ai recueilli les notes suivantes sur la vie d’un officier géné¬ 
ral, né dans notre arrondissement, et qui appartient à cette 
noble classe d’hommes du premier empire qui ne songeaient 
qu’à verser dignement leur sang pour la patrie. J'ai pris pour 
base de mon travail un journal écrit par le général au mi¬ 
lieu de l'agitation des camps et des garnisons étrangères, au 
courant de la plume et du combat; un dossier de pièces offi¬ 
cielles que sa famille a bien voulu me confier, et enfin le 
souvenir que j'ai conservé des récits sympathiques d’un de 
mes oncles, chef de bataillon au 27* de ligne en même temps 
que M. Joüan, qui était son ami et son compatriote. 
Quelques traits résumeront l’ensemble de cette individualité. 

M. Joüan était d'une taille haute et vigoureuse et portait 
militairement la tète. Il était doué d’un esprit studieux, juste 
et modeste. Il avait une intrépidité de premier ordre et une 
vigilance extrême. 11 affectionnait ses soldats et vivait de leur 
régime sans rien perdre delà dignité de son commandement, 
aussi leur dévouement pour lui était sans bornes. L'humanité 
de M. Joüan était si connue, qu'au milieu d’une guerre qui 
eut des fureurs sans exemple dans notre histoire, on vit une 
ville d’Espagne, en 1811, lui voler des reraerclments et lui 
exprimer ses regrets de le voir quitter scs murs. A Dresde, 
enlevé hors de la mitraille, où il avait laissé le bras gauche, 
son patriotisme ardent eut le bonheur de ne pas voir ces der¬ 
nières et lugubres heures où nos aigles sanglantes furent 
forcées de replier leur vol sur la France. 


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LE GÉNÉRAL JOÜAN. 


99 


Jacques-Casimir Joüau naquit à Saint-Christophe-du- 
Foc (Hanche), le 4 mars 1767. Son père, Jacques-François 
Joôan, était propriétaire-cultivateur; sa mère s'appelait Su¬ 
zanne Lechevalier. Leur famille secomposait de trois enfants. 
Ils quittèrent Seint-Chrislophe-du'Foc en 1773 et allèrent 
habiter les Pieux, où le jeune Joüan résida jusqu'à son 
départ pour l'armée. L’instruction qu’il reçut fut celle qu’on 
donnait alors aux jeunes gens destinés à l'agriculture. A 14 
ans il se livra exclusivement aux travaux agricoles ; cepen¬ 
dant l’histoire et les voyages faisaient l’occupation de ses 
soirées d’hiver. 

Il est probable que le jeune Joûan fût resté cultivateur 
tonte sa vie sans la révolution qui vint changer tant de con¬ 
ditions. Une garde nationale s’étant formée aux Pieux dans 
l'hiver de 1789-1790, il fut élu sergent-major d’une compa¬ 
gnie de cette milice, puis envoyé par elle comme délégué à 
la réunion des électeurs du district de Cherbourg. Ceux-ci le 
désignèrent pour assister à Paris, en qualité de député des 
gardes nationaux, à la fédération du 14 juillet 1790, hon¬ 
neur qu'il dut sans doute à l’avantage d’étre un des plus 
beaux hommes du pays. Il était alors d'une grande timidité: 
son caractère doux et conciliant, sa bonté naturelle, son obli¬ 
geance, le faisaient aimer de tous ses camarades. Sa taille 
de 3 pieds 10 pouces qu’embellissait l’uniforme, attira les 
regards de Louis XVI à une revue des fédérés aux Champs- 
Élysées; le roi lui demanda son âge, son pays, sa profession, 
et lui conseilla de se faire militaire. 

Le SI octobre 1791, le jeune Joüan s'enrôla dans le 2* 
bataillon de volontaires de la Manche, Organisé à Coutances, 
le 2S dudit mois, par le général Wimpffcn, et dans lequel 
il fut nommé lieutenant de grenadiers. Ce bataillon, envoyé 
à Valognes où il resta sept mois, dirigé ensuite sur Avran- 
ches, se mit en route pour le théâtre de la guerre le 11 


V 


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400 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


juillet 1792, le jour même où T Assemblée Législative décla¬ 
rait la patrie en danger. Il arriva le 16 août suivant au camp 
de Weissembourg, et eu partit presque aussitôt pour aller 
joindre à Pont-à-Mousson l’armée du général Keller- 
mann. 

Peu de jours après, le 20 septembre, le lieutenant Joüan 
reçut son baptême de feu à la bataille de Valmy, où un éclat 
d’obus lui contusionna la hanche gauche. Cette victoire rem¬ 
portée contre les Prussiens, qui avaient envahi une partie de 
la Lorraine et de la Champagne, est le premier succès de nos 
armées républicaines. 

Le gain de cette journée détermina la reprise de Verdun. 
Le lieutenant Joüan concourut ensuite à l’attaque du Mont- 
Pellingcn, près de Trêves, à la prise de Deux-Ponts, de 
Hombourg, de Carlsberg, et à différents autres combats où 
il mérita les éloges du général Estourncl, commandant la 
brigade. 

L’armée de la Moselle, aux ordres de Houchard, s’étant 
mise en mouvement le 17 juillet 1793, le 2* bataillon de la 
Manche, placé à l'avant-garde du corps des Vosges, fut vive¬ 
ment engagé avec les Prussiens sur les hauteurs de Kreutz- 
berg, près de Deux-Ponts. L’ennemi se retira, abandonnant 
sa position. Le bataillon de la Manche s’établit au village 
d’AbstuI, et ne cessa pendant plusieurs jours d’être har¬ 
celé par les cavaliers du Royal-Allcmand, parmi lesquels sc 
trouvaient malheureusement des émigrés français. 

Ici se présente le premier fait d’armes personnel au brave 
Joüan. Le 26 juillet, ayant sous son commandement la 
compagnie de grenadiers dont il était lieutenant et un déta¬ 
chement de gendarmerie à pied, il s’empare à la baïonnette 
de la petite ville de Landsthul, et s’y maintient jusqu’au 28, 
au milieu d'escarmouches continuelles. Mais un péril immi¬ 
nent l’attendait dans sa retraite pour rejoindre l’armée. A 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


101 


peine avail il fait une demi-lieue, que sa troupe est atta¬ 
quée par un escadron de hussards prussiens ; elle repousse 
ccUecharge.clconlinueson mouvement, pressée par rennemi 
qui n’attendait qu’une occasion favorable pour fondre de 
nouveau sur elle. Le détachement croyait trouver sa bri¬ 
gade à Abstul; il fut surpris, en approchant de ce village, de 
ne plus apercevoir les Françaisdans la plaine qu’ils devaient 
traverser sans défense contre la cavalerie ennemie. La perte 
du détachement paraissait inévitable, lorsqu’un hasard 
heureux lui fit rencontrer une voiture de foin, qu’il renversa 
derrière lui sur un petit pont à l’entrée du village; cette 
barricade arrêta assez longtemps l’ennemi pour permettre 
aux Français de gagner un bois où leur- brigade faisait 
balle. 

Le 2« bataillon de la Manche fut envoyé à l’armée du, 
Nord. Il arriva à Lille le 26 août, et dans la nuit même il 
partit avec une colonne, aux ordres du chef de brigade Jar- 
don, pour concourir à l’attaque de la ville de Lannoy, 
qu’occupaient les Hollandais. La place résista; mais les 
cuirassiers de Waldcck, accourus à son secours, perdirent 
leur colonel et le tiers de leur effectif sous le feu du 2* 
bataillon de la Manche et du 1 er delà Gironde. 

Après le combat de Menin du 15 septembre, le bataillon 
de la Manche alla renforcer la brigade du général Michel 
aux avant-postes de Lille, devenus l’arène de sanglantes 
escarmouches. Le 23 octobre, il enleva à la baïonnette les 
villages retranchés de Sailly et de Willema et prit une pièce 
de canon. La brigade s’étant portée en avant pour l’appuyer, 
les Autrichiens du camp de Cisoing, l’abordèrent avec impé¬ 
tuosité, tandis que d’autres troupes manœuvraient sur ses 
flancs pour la cerner. Elle se vit sur le point d’étre enfer¬ 
mée dans une petite plaine entre les villages de Hem et de 
Forest et la Marcq, cours d’eau profond, que ses bords bour- 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE. 


beux ne rendaient pas guéable. Le moment était critique. 
Le lieutenant Joüan eut mission de s'emparer du pont de 
Forest, seul endroit par où là retraite pouvait s'opérer; il 
y courut avec deux compagnies de grenadiers et un obusier, 
chargea vigoureusement l'ennemi qui s'y établissait, le rejèta 
dans des enclos voisins, et l'y contint pendant que la colonne 
effectuait, le passage de la Marcq; puis se repliant sur la bri¬ 
gade, il en forma l'arrière-garde. Le 27, cette brigade attaqua 
les Autrichiens dans les mêmes postes, les en délogea, et 
emporta à l'arme blanche le village fortifié de Templeuve ; 
ces positions furent reprises le lendemain. Le général Michel 
eut 600 hommes mis hors de combat dans ces différentes 
affaires contre un ennemi si supérieur en force. 

Le lieutenant Joüan fut nommé capitaine dans son 
bataillon le 8 novembre 1793, après 14 mois de cam¬ 
pagne. 

Une nouvelle organisation de l'armée réunit les batail¬ 
lons en demi-brigades. Le 2 e bataillon de la Manche, le 1 er 
de l'Ailier et le 7* du Pas-de-Calais, dont la fusion se fit 
le 3 janvier 1794, formèrent la demi-brigade dite de 
l'Ailier. 

L'armée du Nord s'ébranla le 26 avril ; la demi-brigade 
de l'Ailier fut détachée, sous les ordres du général Thiéry, 
pour opérer une diversion. Elle se porta sur les postes 
retranchés de Leers, de Wattrelos et de Templeuve, où des 
combats sanglants se suivirent. Le 30, une colonne de 10 à 
12,000 Anglais et Hanovriens, chassée de Moëcron par le 
général Macdonald, abandonna à la demi-brigade de l'Ailier, 
qui la mit en déroute dans sa retraite, 1 f pièces de canon 
et tous ses équipages. Le 9 mai suivant, la demi-brigade 
eut, sur le même terrain, une nouvelle affaire, moins bril¬ 
lante quant aux résultats, mais beaucoup plus sanglante; 
une centaine de ses hommes furent tués par des batteries 


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LE GÉNÉKAL JOUAN. 


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qui la foudroyaient. L'ennemi ne se retira qu’après quatre 
heures du combat le plus animé. La colonne du général 
Thiéry alla prendre position au Mont-Castel, à une lieue de 
Tarcoing, sur la roule de Courtrai. 

Elle occupait ce point important le 17 mai, lorsque les 
armées combinées du duc d’York et du prince de Cobourg 
firent une attaque générale sur toute la ligne d’opérations, 
depuis Mons-en-Puelle jusqu’à Turcoing, et de l’autre côté 
delà Lys,depuis Werwick jusqu’au Pont-Rouge, près d’Ar- 
mantières. La position du Mont-Castel ne tarda pas à être as¬ 
saillie par une division hanovrienne, qui eut d’abord quelque 
avantage, et fut ensuite culbutée, avec une perte de 700 hom¬ 
mes et 5 canons. Une affaire plus considérable s’engagea le 
lendemain, et coûta 8,000 hommes à l’ennemi; la seule bri¬ 
gade Thiéry lui prit 36 bouches à feu. Enfin, le 22, se livra 
la meurtrière bataille de Turcoing, à laquelle l’Empereur 
d’Aqtriche assistait. L’action commença dès la pointe du 
jour par l’attaque des retranchements de Lcers, que la demi- 
brigade de l’Ailier emporta à la baïonnette, après la plus 
vive résistance; les capitaines Joüan et Blondel, de Caren- 
tan, s’y firent particulièrement remarquer. Bientôt les deux 
armées se trouvèrent aux prises sur toute la ligne ; 200 
pièces de canon tonnaient de part et d'autre ; 10,000 tirail¬ 
leurs combattaient dans les champs clos de haies; des char¬ 
ges à l'arme blanche s’exécutaient à tout moment ; on se 
battit avec acharnement jusqu’à 10 heures du soir. La demi- 
brigade de l’Ailier perdit dans cette journée 330 hommes, 
dont 13 officiers. 

La bataille de Turcoing fut suivie du passage de la Sam- 
bre, de la reddition d’Ypres, et de la victoire remportée à 
Fleurns par le général Jourdan. Tournay, Mons, Bruges, 
Ostende et Anvers, tombèrent au pouvoir dps Français. La 
demi-brigade du capitaine Joüan se porta sur Oudenarde, 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE. 


pois sur Grammont, Enghien, Vilvorde, où clic prit rang 
dans la division du général Lemaire. Cette division força la 
ville de Malincs, occupée par les Anglais, qui évacuèrent 
précipitamment la place en barricadant les rues et les portes 
de la ville, de chariots chargés de pierres. Elle passa la 
Démer le 20 juillet, franchit la Nèthe près de Lierre, fit 
occuper le fort Lillo, et, suivant toujours le mouvement de 
l'armée, alla prendre position entre Bretla etBcrg-op-Zoom, 
afin de contenir les fortes garnisons de ces deux places. 

Après avoir conquis toutes les provinces de Hollande en- 
deçà des Boucbes-du-Rhin, l’armée prit ses cantonnements 
sur le Waal, vis-à-vis de Bommel, attendant que la gelée 
facilitât le passage du fleuve. Un froid vigoureux vint aider 
à scs opérations. Le28 décembre, le général en chef Picbe- 
gru passa le Waal à la tête de ses troupes. La division 
Lcmaire'.baltit les Hollandais au Vieux^Bois, et s'empara de 
Sebvenherg et de Wilhamstadt. Berg-op-Zôom venait de 
capituler; la demi-brigade de l'Ailier y fui envoyée à la fin 
de janvier 4795, et s'y embarqua, peu de temps après, pour 
passer dans la province de Zélande, où elle occupa Flessin- 
gucetles Iles deWalcheren, de Sud-Bévcfand ctdeSchowen. 
Le 5 juin, elle s'embarqua à Ziriczée pour se rendre à Bru¬ 
ges, d’où, le 44 juillet, elle se mit en route pour la Vendée. 

Arrivée à Laval avec le général Gratien, qui en avait prb 
le commandement en route, la demi-brigade alla camper 
dans les environs de cette ville. Le capitaine Joûan, déta- 
taché à la Gravclle, eul une affaire sérieuse avec lesinsurgés, 
en escortant un convoi de grains de Grey à Laval ; un offi¬ 
cier et plusieurs grenadiers furent tués, une douzaine 
d'hommes furent blessés. La demi-brigade soutint un com¬ 
bat de six heures, aux portes de Nantes, contre une multi¬ 
tude de partisans qu'elle mit en déroute. Elle arriva à 
Challans et s’y cantonna. La disette régnait dans cette mal- 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


105 


heureuse contrée, que la guerre ravageait depuis trois ans. 
Le camp de Challans en souffrit cruellement. Le soldat était 
réduit à la demi-ration de la plus mauvaise'qualité. Les 
hommes qui s’écartaient pour aller chercher quelques ali¬ 
ments dans la campagne étaient toujours massacrés : c'est 
ainsi que les deux frères Le Grancher, de Cherbourg, gre¬ 
nadiers dans la compagnie du capitaine Joüan, furent odieu¬ 
sement égorgés dans une ferme, à une demi-portée de fusil 
du camp. 

La guerre civile en Vendée était nominalement finie ; 
mais le pays n’était point pacifié. Il fallait surveiller les 
rebelles et tenir constamment la campagne. Après un mois 
de séjour et de misère à Challans, la demi-brigade fit par¬ 
tie d’une colonne dirigée sur [Belleville à la poursuite de 
Charette; puis elle campa successivement à Machecoul, 
à,Saint-Philibert, à Saint-Léger, à la Vieille-Vigne, enfin à 
Chantcnay, où elle 'eut une rencontre avec des insurgés 
qu’elle mit en déroute. 

Les privations, les fatigues et les maladies avaient con¬ 
sidérablement affaibli la demi-brigade de l’Ailier. Au mois 
de mars 1796, elle partit de Montaigu pour se rendre à 
Loches; mais à Chinon on lui donna l’ordre de rétrogader 
sur Angers, ensuite de se porter sur Segré, dont les envi¬ 
rons étaient de nouveau désolés par la chouancrie. Le capi¬ 
taine Joüan prit part à une expédition qui eut un engage¬ 
ment très-sanglant avec les rebelles près du village de 
Noellet. 

Par suite d’un acte de pacification conclu entre le géné¬ 
ral Hoche et les chefs vendéens, la demi-brigade de l’Ailier 
fut envoyée dans le nord du département de la Mayenne 
pour procéder au désarmement des habitants. L’adjudant- 
général Bourgeois vint alors la commander. Il la conduisit 
dans le Bocage Normand, où les troubles, [ftüsieurs fois 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE 


réprimés, notaient pas encore apaisés; un de ses bataillons 
se dirigea sur Avranches, deux compagnies allèrent à Gran¬ 
ville, Elle arriva dans l'arrondissement de Vire ap commen¬ 
cement de jnin, et y resta cantonnée jusqu’au 18 septem¬ 
bre, époque à laquelle elle partit pour Lesnçven et Lander¬ 
neau. 

Le 22 octobre suivant, la demi-brigadp l’Ailier, forte 
encore de 1,800 hommes, fut démembrée pour former, avec 
d’autres corps, la 27* demi-brigade de ligne, dont l’effectif 
fut porté à 4,000 hommes. Le capitaine Joiian reçut le com¬ 
mandement de la 8 e compagnie du 2 e bataillon. 

Peu de temps après, cette demi-brigade fut désignée pour 
faire partie d’une expédition qui se préparait à Brest, sous 
le commandement en chef du général Hoche, et que devait 
transporter en Irlande l’escadre du vice amiral Morard de 
Galles, Elle mit è la voile le 18 décembre. Plusieurs de ses 
bâtiments firent des avaries de nature à les obliger de ren¬ 
trer au port. De ce nombre fut la frégate la Piliçité , sur 
laquelle était la compagnie du capitaine Joftqn. Gravement 
endommagée, elle se trouva hors d’état de prepdfe la mer et 
ramena ses troupes à Brest. 

Au mois de février 1797, la 27* demi-brigade se rendit 
de Brest à Nantes. La. compagnie du capitaine Joiian occupa 
successivement Saumur, Châleauroux et Tours, où les esprits 
étaient dans une fermentation très-menaçante. D’un côté 
l’on cherchait à embaucher les troupes, de l’autre on les atta¬ 
quait; elles avaient souvent des collisions avec les habitants, 
dont les opinions monarchiques venaient de reprendre de 
l’espoir par les succès du parti royaliste dans un grand 
nombre de collèges électoraux. A l’occasion de l’exécution 
d’un déserteur qui devait avoir lieu à Tours le 5 juillet, la 
foule se rua sur le peloton de service et blessa plusieurs sol¬ 
dats. Mais ce n’était pas seulement avec la garnison que les 


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U GÉNÉRAL JOUAS. 


107 


habitants de Tours avaient des démélés, ils se battaient aussi 
entre eux. Le 27 juillet, anniversaire de l’événement du 9 
thermidor, la fusillade s’engagea sur la place d'Aumont entre 
les royalistes et les jacobins; il fallut l’intervention des trou¬ 
pes pour mettre fin h l’effusion du sang. 

Bientôt survint le coup d’état du 18 fructidor. Les choses 
changèrent de face; l’effervescence des esprits se calma 
subitement, et la jeunesse turbulente qui voulait dominer 
dans la ville, dépose les armes. 

Le capitaine Joüan quitta Tours dans le courant de l’an¬ 
née 1798. Il fut envoyé en garnison aux Sables-d’OIonne, 
et se trouvait détaché à l’Ile d’OIéron, lorsque la 27* demi- 
brigade reçut l’ordre de se rendre à l’armée qui se rassem¬ 
blait en Alsace sous le commandement du général en chef 
Jourdan. Elle se mit en route le 18 décembre. Dans celte 
longue marche, par une saison rigoureuse, les soldats étaient 
sans habits, sans chaussure; plusieurs villes sur leur passage 
firent des collectes pour les vêtir. 

Arrivée h Shasbourg, la demi-brigade fut dirigée 
sur Sehlestadt pour s’y compléter, ot de là sur Co- 
blenlz pour occuper la forteresso d’Ehrenbreistein, qui 
venait de se rendre après un long blocus; mais à Neusladt- 
Anderhart, le général en chef Bernadotte lui fit prendre 
rang dans son armée dite d’observation du Palatinal. Avec 
la 27*, le général de brigade Ney s’empara de Manheim 
dans la nuit du 2 au 3 mars 1799. Bernadotte fit en¬ 
suite investir Philisbourg, siège qui fut bientôt aban¬ 
donné, par suite de l’insuccès du général Jourdan à Sto- 
kach et de sa retraite sur la Suisse. La division revint à 
Manheim. Le bataillon du capitaine Joüan, qui était à 
Sehwetringen, se rendit dans les environs de Mayence* 
où des escarmouches avec l’ennemi le tinrent constamment 
en haleine. 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE. 


Sur ces entrefaites, le général de division Muller vint 
prendre le commandement des troupes stationnées snr le 
Rhin au-dessous de Landau ; elle se rassemblèrent à Mann¬ 
heim au nombre de 20,000 hommes. Le capitaine Joüan 
fut alors replacé à la tête d'une compagnie de grenadiers, 
dans le 3 e bataillon de sa demi-brigade. Muller se porta en 
avant, occupa Bruchsal, évacuée parl’ennemi, s'établit près 
de Brettcn,et rétrograda sur Wisloch à rapproche de l'archi¬ 
duc Charles accouru de Zurich pour s’opposer à une armée 
que de faux bruits évaluaient à 50,000 hommes. La 27* 
demi-brigade repassa le Bhin près de Spire, sans avoir eu 
d’autres combats que quelques affaires d’avant-postes. 

Elle resta sur la rive gauche du fleuve jusqu'à la fin 
d'octobre; puis, repassant sur la rive droite au bac’d'Oppen- 
heim, avec le général Nansouty, elle se dirigea sur Gerns- 
heim, par un temps affreux, à travers des marais où le sol¬ 
dat laissait une partie de sa chaussure, et'rejoignit l’armée à 
Ladenbourg. Le 3 e bataillon occupa Neckers-Gemtind et 
autres positions en avant d'Heidelberg, où l'ennemi vint fré¬ 
quemment le combattre ; le capitaine Joûan eut une affaire 
sanglante avec des paysans armés, commandés par des offi¬ 
ciers autrichiens, dans une attaque qu'il fit sur la petite 
ville d’Hirscborn. Bientôt la vallée du Necker devint le 
théâtre de combats plus considérables ; nos postes y furent 
repoussés par l’ennemi, qui avait reçu de grands renforts ; 
on s'y battit vivement le 2 décembre ; la lutte recommença 
le lendemain cl dura toute la journée avec le même achar¬ 
nement. Nos troupes durent céder à la supériorité du nom¬ 
bre. Un armistice ayant été conclu dans la nuit du 3 au 4 
entre le général Ney, commandant notre armée, et le géné¬ 
ral autrichien Starray, la 27 e demi-brigade fut envoyée en 
cantonnement sur la rive gauche du Bhin, pour en garder 
les passages depuis Gcrmersheim jusqu'à Lauterbourg. A la 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


109 


fio de janvier 1800, elle alla tenir garnison à Mayence. Son 
état n’y fut pas heureux : la solde était toujours arriérée ; 
les hommes manquaient souvent de viande et quelquefois 
de pain. 

Moreau vint prendre le commandement en chef de l’armée 
du Rhin, comprenant les troupes stationnées en Suisse et 
celles qui se trouvaient sur les deux rives du fleuve jusqu'à 
Dusseldorf. Tous les corps se rapprochèrent de Strasbourg; 
la 27 e demi-brigade quitta Mayence le 3 mars, et se rendifau 
fort de Kehl. 

Le 25 avril, pendant que le gros de l’armée commençait 
à effectuer le passage du Rhin, une division réunie à Kehl 
sous les ordres du général Sainte-Suzanne, et dont faisait 
partie la 27% marcha à l'ennemi, le battit et le poursuivit jus¬ 
qu’à OfTembourg. La compagnie de grenadiers du capilaiue 
Joüan se trouvait à l’avant-garde de la brigade du général 
Ronycr. Ce mouvement agressif n'était qu’une diversion 
pour faciliter les manœuvres du général en chef. Après deux 
jours de luttes incessantes, la division rétrograda sur Kehl, 
rentra en Alsace, et, le 30, se porta de nouveau sur la rive 
droite du Rhin par le pont de Neuf-Brisach. Hile traversa 
Fribourg, franchit sans obstacle le fameux passage du Val- 
d’Enfer, pénétra dans Neustad, et arriva à Ferrembach au 
bruit du canon de la bataille de Mæskirck. 

La division passa le Danube le 5 mai, prés du vieux ch⬠
teau de Fortembcrg, et opéra sur la rive gauche du fleuve, 
où de rudes affaires l’attendaient dans les forêts de la 
Souabe. 

Le 9 mai, en approchant du village de Grana, l’avant- 
garde de la brigade du général Drouet fut surprise et sabrée 
par des hulans. Le 15, un combat très-vif se livra dans les 
bois de Papelaw, dont la lisière était pleine de tirailleurs. 
Débusque sur un point, l'ennemi se reforma sur un autre; 


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GALERIE BIOGRAPA1QUE 


chassé d’un bois, il s'établit prés d'un tillage en face, dans ies 
jardins fermés de palissades, où le protégeaient sa cavalerie et 
quelques pièces de canon. Il en fut encore délogé. La lutte 
recommençait dans les bois ; mais la nuit et une pluie 
d'orage vinrent mettre Gn à cette série de combats. 

Ne voyant plus d'Autrichiens le lendemain, on crut qu’il 
s'étaient tout—à-fait retirés. Cependant le capitaine Joüan, 
dont la compagnie occupait la lisière de la forât, conçut des 
soupçons sur cette subite disparition de l'ennemi ; il monta 
à cheval et alla en reconnaissance dans les environs. D’u* 
point culminant à l'extrémité du bois, il aperçut distincte¬ 
ment deux fortes colonnes d’infanterie qui, venant du côté 
d’Ulm, s’approchaient, l’une par la gauche du Danube, l'au¬ 
tre par un ravin. Il en avisa l'officier supérieur par un mot 
au crayon ; mais cet officier, aussi conGant que le général 
Drouet, n'en tint aucun compte. Le capitaine Joûan avertit 
scs camarades de ce qu’il avait vu ; sa compagnie se mil sous 
les armes. Bientôt le général Drouet vint au bivouac de sa 
brigade. Apercevant dans le lointain sur la gauche des trou¬ 
pes de toutes armes qui longeaient rapidement les haies 
comme pour le tourner, il envoya un officier de dragons les 
reconnaître : c'était une des colonnes signalées. Surpris de 
la sorte, le général ordonna des dispositions de défense ; 
mais il était trop tard : déjà l'ennemi tombait sur les derriè¬ 
res de la brigade, dispersant la grand’garde du quartier 
général et pillant les bagages. Le 3* bataillon de la 27*, 
engagé avec l'ennemi, cherchait à arrêter Son mouvement, 
lorsque deux autres colonnes autrichiennes débouchèrent par 
des points différents. La brigade se vit alors enveloppée de 
toutes parts. Il fallait se tirer du feu croisé qu'elle essuyait 
de tous côtés à la fois. Elle se jeta dans un bois, où elle eut 
moins à souffrir de la mousqueterie et du canon; mais, ne 
pouvant opérer sa retraite du côté du Danube, elle se repor- 


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LE GÉNÉRAL JOÜAN. 


411 


ta à droite, brisant à la baïonnette la ligne de fea qai l’en- 
toarait,et s’avança par des terrains affreux. Là, elle rencon¬ 
tra la brigade de réserve qui accourait à son secours avec le 
général Collard. On reprit l’offensive, on se battit jusqu’à 
la nuit. Le petit corps du général Drouet fut très-maltraité ; 
la27*demi-brigade perdit plus de 200 hommes; celle de 
ses compagnies de grenadiers qui avait essuyé le premier 
choc, fut entièrement détruite ; tous les équipages tombèrent 
an pouvoir des hulans. Si l’ennemi, avec ses forces si supé¬ 
rieures, eût su profiter de l’avantage de sa position, la bri¬ 
gade Drouet devait être prise ou anéantie. 

Du 18 mai au 18 juin 1800, le corps auquel appartenait 
le capitaine Joûan ne cessa d’avoir des engagements très- 
meurtriers dans la Souabe, tant sur les bords du Danube que 
sur ceux de l’iller. Le 22 mai, attaqué au pont d’Erbacb, 
il se retira sur Minsingcn, reçut du renfort, et soutint un 
combat qui coûta à l’ennemi 400 prisonniers et 2 canons. Il 
se battit ensuite à Riedlingen, à Buchan, et sur la route de 
Bibcrach à SchaffhoUse qu’il était chargé d’éclairer. Le 5 
juin,une mêlée opiniâtre eut lieu sur les rives de Piller, où le 
feld-maréchal Staff fut pris avec 2,000 hommes. La 27 6 , sous 
les ordres du général divisionnaire Richcpancc, y rivalisa 
d’ardeur avec les autres corps ; forcée d’abord dans sa posi¬ 
tion, elle se fit jour à travers la cavalerie, et lutta jusqu’à la 
nuit sur la chaussée de Wurtzach. Le 15 juin, dans sa retraite 
précipitée de Buchau sut* Kulmunlz, le petit corps du géné¬ 
ral Drouet fut gravement engagé dans les bois, près du vil¬ 
lage de Brandenbourg, depuis le matin jusqu’à dix heures 
du soir. Le capitaine Joüan, laissé en arrière avec sa compa¬ 
gnie, s’embusqua dans un taillis à l’entrée d’un défilé, cl fit 
sur un régiment de hussatds une décharge, puis uu feu de 
deux rangs qui arrêtèrent celle cavalerie, pendant que le 
général Drouet, par de bonnes manœuvres, se tirait d’une 


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112 


GAERIE bioguapaique. 


situation critique. Enfin, le 17 juin, Ia27*fut de nouveau aux 
prises à Erolsheim avec les mêmes ennemis. Sa perte dans 
ces deux jours s’éleva à 300 hommes. 

La brigade Drouet remonta l’Iller jusqu’au Danube sans 
rencontrer d’obstacles; seulement la compagnie Joüan, mar¬ 
chant en tête de l’avant-garde, eut une escarmouche au pont 
de Gcislingen avec un détachement de hulans, qu’elle mit en 
fuite. Réunie devant Ulm, la division Richepance investiteette 
place. Le blocus ne présenta rien de particulier jusqu’au 8 
juillet. Ce jour-là, vers onze heures du soir, la garnison fit 
une sortie vigoureuse dans la directionqu’occupait la27',dont 
les avant-postes se replièrent précipitamment sur un bois où 
se trouvait une partie de la demi-brigade. L’ennemi les y 
suivit; deux coups de canon à mitraille, pointés au centre de 
sa colonne, arrêtèrent son élan. Il fut culbuté à la baïon¬ 
nette, sabré par la cavalerie et poursuivi jusqu’aux portes 
de la ville, laissant quantité de morts et de blessés sur le ter¬ 
rain et 200 prisonniers entre nos mains. 

Un armistice, conclu le 15 juillet 1800, suspendit les hos¬ 
tilités. Le bataillon du capitaine Joüan fut envoyé en can¬ 
tonnement àKircheim. Mais, le 31 août, on reçut la nouvelle 
de la rupture de l’armistice, et le bataillon partit immédia¬ 
tement pour Blaubcuren, où se rassembla la brigade du géné¬ 
ral Drouet, dont il continuait à faire partie. Ce corps se diri¬ 
gea sur la Bavière par Weissenhor, et alla camper entre 
Wasscrbourg et Muhldorf, où la division du général Riche¬ 
pance opéra sa réuuion. 

Toute l'armée de Moreau se trouvant massée devant l’en¬ 
nemi, on s’attendait à une action prochaine, lorsque la con¬ 
vention de Hohenlinden, annoncée par l’ordre du jour du 
20 septembre, vint la disperser. Les troupes reprirent les 
cantonnements qu’elles occupaient lors du précédent armis¬ 
tice; la division Richepance rentra en Wurtemberg, le 
bataillon du capitaine Joüan retourna à Kircheim. 


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LE GÉNÉRAL J0UAN. 


113 


On croyait à la paix quand, le 12 novembre, il fut 
ordonné au général Bichepance de se porter de nouveau 
sur Munich. La brigade Drouet se mit en marche pour se 
rendre dans les environs de Dachau, puis elle alla former 
l'avant-garde de sa division, échangeant quelques coups de 
fen avec les postes avancés de l'ennemi, qui se retirèrent 
snr Flnn. 

Cependant l'armée s'était concentrée en ordre de bataille 
snr trois points rapprochés; le généralissime était au cen¬ 
tre avec quatre divisions et la réserve de cavalerie; le géné¬ 
ral Lecourbe commandait l'aile droite, le général Grenier 
l'aile gauche. Un grand triomphe allait mettre le comble à 
la gloire de Moreau et donner une nouvelle page à nos fastes 
militaires. La bataille de Hohcnlinden se préparait. Elle 
eut lieu le 3 décembre. L'action commença dès sept heures 
do matin, par un temps de neige qui permettait à peine de 
voir à deux cents pas. La brigade Drouet et toute la division 
Bichepance firent des prodiges de valeur. Le capitaine 
Joüan reçut une blessure à la tête en chargeant l'ennemi; 
mais il ne voulut point se retirer du feu et coopéra jusqu'à 
la fin au succès de cette journée. On se battit de part et 
d'autre avec beaucoup d'opiniâtreté. Enfin, après une lutte 
vive et sanglante, la victoire se décida pour nos armes. Le 
capitaine Blondel, de Carcntan, de la 27 6 demi-brigade, 
fat mis à l'ordre du jour de l'armée. Les Autrichiens, que 
commandait l'archiduc Jean, perdirent 6,000 hommes tués 
ou blessés, 12,000 prisonniers, 100 pièces de canon. Cette 
bataille ouvrit à notre armée le chemin de la Haute-Autriche. 

L'ennemi repassa l'Inn à Muhldorf pendant la nuit. Les 
Français franchirent cette rivière à Roseinbeim, Moreau se 
dirigeant sur Lauffen, Lecourbe sur Saltzbourg, Grenier sur 
Braunau. La 27° demi-brigrade, qui se trouvait avec le 
général Drouet à l'avant-garde de l'armée du centre, eut 

8 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE 


114 

on combat très vif, le 16 décembre, près de Neomarck; 
elle en soutint un autre le lendemain à Franckenmarck, 
un troisième le 18 dans les environs de Schwenslad, et un 
quatrième le 19 à Limbach, sur la Traun, dont le pont fut 
forcé à la baïonnette, sous la mitraille. Le capitaine 
Joüan perdit une vingtaine de ses grenadiers dans ce 
passage, ainsi que dans l'attaque d’un bois où un grand 
nombre d’équipages de luxe et de chariots de bagages 
ennemis furent abandonnés aux vainqueurs. 

La lutte ne cessait à la nuit que pour recommencer au 
jour. Le 20 décembre, la 27 e était de nouveau engagée lors¬ 
qu’un officier d’ordonnance du général Meerfeld, passant à 
travers les balles des tirailleurs, viqt annoncer que le géné¬ 
ralissime de l’armée autrichienne demandait un armistice. 
Ce parlementaire fut conduit au général Richepance, qui 
consentit, pour sa division, à une suspension d’armes pro¬ 
visoire, aux termes de laquelle l’ennemi devait continuer sa 
retraite et passer immédiatement sur la rive droite de l’Ens. 
La division se cantonna à Steyr; elle n’était plus qu'à 53 
lieues de Vienne. Les Autrichiens se retirèrent derrière 
l’Yps. L’armistice fut signé entre le général Moreau et 
l’archiduc Charles, qui venait de remplacer le prioce Jean 
dans son commandement. La brigade Drouet campa sur 
l’Erlaw à l’avant-garde de la division Richepance. 

On attendait la paix du congrès de Lunéville. Elle se 
conclut enfin, et la nouvelle en parvint sur les bords de 
l’Erlaw le 11 mars 1801. L’armée fil ses préparatifs pour 
rentrer en France. La 27* demi-brigade se mit en marche 
le 20 mars, rétrograda sur Braunau, lorsqu’un incident 
lui fit donner l’ordre de reprendre les cantonnements qu’elle 
venait de quitter. Le courrier, chargé de porter de Ratis- 
bonne à Vienne la notification du traité de paix, ayant été 
retardé dans sa route, et la notification n’étant point par- 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


415 


venue au général en chef à l'époque convenue. Moreau 
ordonna à l'armée de reprendre ses anciennes positions. 
Toutes les divisions retournèrent sur leurs pas. La brigade 
Drouet, qui se trouvait à l'avant-garde, fut le corps qui 
s avança le plus loin ; le 5 e bataillon de la 27* alla s'établir 
1 Wels. Mais on ne tarda pas à être tiré d'incertitude, et 
les Français reprirent définitivement le chemin de leur 
patrie. La compagnie Joüan fut laissée dans Braunau pour 
en faire la remise aux troupes impériales. Elle rejoignit sa 
brigade et continua sa marche sur Augsbourg, où elle 
séjourna quelque temps. La 27* passa alors sous les ordres 
da général Decaen. Le capitaine Joüan partit d'Âugsbourg 
avec sa compagnie pour escorter le trésor de l'armée 
jusqu'à Strasbourg, où il arriva le 29 avril. 

Après avoir passé deux années de garnison en cette 
ville, i| la quitta le 29 juin 4803 pour aller stationner à 
Bile. Les demi-brigades prirent, au mois de décembre, la 
dénomination de régimens et des uuméros; la 27* devint par 
suite le 27* régiment d'infanterie de ligne. Les deux premiers 
bataillons et l'état-major se rendirent au camp de Boulogne; 
le 3* bataillon et le dépôt restèrent en Suisse; la compagnie 
Joüan fut détachée à Fribourg. L'évacuation du territoire 
helvétique par les troupes françaises s'opéra le 40 février 
4804. Le 3* bataillon et le dépôt du 27* vinrent occuper 
Buningue ; ils fournirent en même temps la garnison du 
fort de Landskronn. ' 

Député pour la garnison d'Huningue au sacre de l'Empe¬ 
reur Napoléon, M. Joüan se rendit à Paris dans le courant 
de novembre. 

Au mois de juillet 4805 s'accomplissait pour M. Joüan 
l'un des actes les plus heureux de sa vie : il épousait, à Hu- 
ningue, M“* Marie-Anne Marty, âgée de 24 ans, issue d’une 
des meilleures familles de la ville. Cette excellente femme, 


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116 


GALERIE BIOGRAPHIQUE. 


douée de toulcs les vertus de son sexe, fut le modèle des 
épouses et des mères. 

La guerre s’étant rallumée avec P Autriche, le capitaine Joüan 
devait faire la campagne que termina la journée d’Austerlitz. 
Il fut désigné pour commander à la grande armée un batail¬ 
lon de dragons à pied ; mais la capitulation d’Ulm, ayant 
fourni assez de chevaux pour monter ces dragons, le capi¬ 
taine Joüan dut retourner à son bataillon, parti d’Huningue 
pendant son absence, et qu’il rejoignit à Mayence. On lui 
donna le commandement de trois compagnies pour se ren¬ 
dre à Nimègue. A Andernach il reçut un contre-ordre et 
revint à Mayence. Le bataillon alla s’établir sur la droite 
du Rhin, entre ce fleuve, le Mein et la Nidda. Quelques 
centaines de conscrits avaient complété son effectif. La divi¬ 
sion du général Lorge, à laquelle il appartenait, passa dans 
le grand duché de Hesse-Darmstadt, où le général Brous- 
siervinten prendre le commandement. Le corps d’armée de 
réserve réuni dans cette principauté sous les ordres du 
maréchal Lefebvre fut dissous après la paix de Pres- 
bourg. 

Au mois de juillet 1806, le bataillon alla se réunir à son 
régiment sur les bords du lac de Constance, à Lindau et 
à Ravensbourg, d’où il se mit en route, le 33 septembre, 
afin de se porter vers la Prusse, qui venait de prendre une 
attitude menaçante. Le 37 e de ligne se dirigea sur Ulm 
et Bayreuth. Au moment d’entrer dans cette dernière ville, 
le 7 octobre, M. Bardet, colonel dû 27% reçut un ordre por¬ 
tant que les grenadiers et les voltigeurs de son 3* bataillon 
se rendissent immédiatement sur la route de Hoff pour se 
mettre à la disposition du général de brigade Colbert. Le 
capitaine Joüan partit avec ses deux compagnies, fortes de 
380 hommes ; elles furent incorporées le lendemain dans 
deux bataillons d’élite. 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


117 


La brigade Colbert, appartenant au 6* corps, sous les 
ordres du duc d’Elchingen, suivit, un moment la chaussée de 
Géra, se porta ensuite sur Roda par des chemins de tra¬ 
verse, et entra dans Iéna à onze heures du soir, après seize 
heures de marche. Elle traversa la ville et alla bifouaquer 
en dehors de la porte de Weimar; les troupes étaient exté¬ 
nuées de fatigue. Près de ,là se trouvaient l'Empereur et le 
corps d'armée du duc de Montebello. 

Cette nuit était celle du 13 au 14 octobre 1806. Le len¬ 
demain devait -se donner la grande bataille qui allait 
livrer à nos armes la monarchie prussienne. Ce jour vint 
accompagné d’une brume épaisse et humide, mais sur la¬ 
quelle ne tarda pas à luire un soleil radieux. 

Les armées française et prussienne, qui étaient en présence 
depuis la veille à une portée de canon Tune de l'autre, se 
mirent en mouvement dés le matin. Le bataillon de 
grenadiers du capitaine Joüan s’établit sur un plateau, prés 
d’un petit bois, à la hauteur du village de Kripendorf. Il 
se forma en deux demi-bataillons, l’un sous les ordres du 
commandant Rippert, l’autre confié à M. Joûan, à qui le 
maréchal d'Elchingen dit en passant : « Capitaine, vous 
avez là une excellente position; il faut la défendre avec 
la plos grande opiniâtreté. » 

Le brouillard les avait d'abord cachés à l'ennemi, qui 
était à demi-portée de canon ; mais l'atmosphère s'éclaircit 
vers dix heures du matin. Aussitôt ils furent vivement atta¬ 
qués par l’artillerie et par les tirailleurs. Le major Losivy, 
qui les commandait, tomba frappé d’un coup mortel; le chef 
de bataillon Rippert, blessé en même temps, fut emporté 
hors du feu. Le capitaine Joûan prit le commandement des 
deux demi-bataillons, et en forma un seul carré. La capa¬ 
cité dont il fit preuve en cette circonstance mérite une 
mention particulière. 


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118 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


Les trois pièces de canon qui défendaient ce petit carré 
sont démontées. Tout-à-coup une massede cavalerie s'a vance, 
et un régiment de cuirassiers saxons le charge à fond sur 
deux faces sans pouvoir l'entamer. L'artillerie recommence 
à foudroyer nos grenadiers; ses projectiles les déciment à 
vue d'œil. Le capitaine Joüan est blessé à l'avant-bras gau¬ 
che. Le bataillon change de place pour éviter la batterie 
qui l'écrase. A peine a-t-il exécuté ce mouvement qu'une 
brusque attaque de l'ennemi a lieu sur le village de Kri- 
pendorf et sur le petit bois, défendu par le 25* léger et un 
bataillon de voltigeurs; cavalerie, artillerie, infanterie enne¬ 
mies arrivent à la fois. Le brave Joüan repousse successi¬ 
vement deux charges des dragons saxons. Mais, craignant 
d'étre tourné par une forte colonne qui s'avance sur sa gau¬ 
che, il se relire derrière un ravin, où il est vivement canonné. 
A ce moment surviennent la cavalerie française cl le corps 
du général Augereau; l'ennemi est abordé et mis en déroute; 
le bataillon de grenadiers, celui de voltigeurs et le 25* léger 
reprennent les positions qu'ils avaient le matin. 

Le major-général prince deNeufchâtel s'approche et dit au 
bataillon de grenadiers : « L'Empereur est content de votre 
conduite; vous avez rendu service à l'armée en conservant 
celte position pendant trois heures, a 

Cependant l'action générale continuait: 500,000 hommes 
étaient aux prises et 800 pièces de canon tonnaient de toutes 
parts. Encore un moment, et la bataille va se décider. Le grand 
choc a lieu, choc de courte durée, mais sanglante! terrible; les 
rangs de l'ennemi sont rompus; infanterie, cavalerie, artil¬ 
lerie, tout est culbuté, confondu, mis en fuite sur la route 
de Weimar. La victoire est complète; 50,000 prisonniers, 
60 drapeaux, 500 pièces de canon, sont les trophées de cette 
grande victoire qui nous ouvrit les portes de Berlin. 

Le capitaine Joüan coucha sur le champ de bataille. 


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LE GÉNÉRAL JOÜAN. 


119 


Qoel horrible spectacle l’entourait! Les gémissements 
des mourants, les cris des blessés qu’on n’avait pas encore 
recueillis, ne lui permirent pas, quoique accablé de fatigue, 
de prendre un instant de repos. Les souffrances de ces 
malheureux, dont plusieurs se traînèrent jusqu’à son 
bivouac, lui faisaient oublier celles qu’il éprouvait lui- 
même de la blessure qu’il avait reçue dans la joornée. 

11 partit le lendemain pour Weimar, et arriva dans la nuit 
devant Erfurt, où une garnison de 9,000 hommes déposa 
les armes. Le bataillon de grenadiers y séjourna quelques 
semaines. 11 occupait la citadelle de celte place lorsqu’on 
y apporta, pour être envoyée en France, la colonne élevée 
à Bosbach en mémoire de la déroute de l’armée du prince 
de Soubise, en 1757, et sur laquelle était gravé ce quatrain 

absurde de Frédéric 11 : 

a On traite ainsi les soldats 
» D’un peuple sot et volage, 

9 Aussi vaillant au pillage 
» Que lâche dans les combats. » 


Parti d’Erfurt le 6 novembre, le capitaine Joüan arriva 
le 6 à Berlin, où commandait le général Oudinot. 

Le 16 décembre, la division des grenadiers réunis de 
ce géoéral , à laquelle appartenait le capitaine Joüan, 
partit pour la Pologne. Elle fit son entrée à Varsovie le l* r 
février 1807. Le général Le Marois était gouverneur de cette 
ville; il accueillit avec la cordiale affabilité d’un compatriotè 
le capitaine Joüan et lui offrit ses services. Lo 3 février,la 

division se mit en marche pour Pullusk. La élW * 

extrêmement rigoureuse. On se logea difficilement & 
Pultusk; il y avait à peine une maison pour chaque compa¬ 
gnie. Le capitaine Joüan y reçut de Berlin une lettre du 
colonel Bardet, lui annonçant qu’il allait être nommé che 


de bataillon. 


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120 


GALERIE BIOGRAPHIQUE. 


On passa la Narew le 9 février, et l’on se dirigea sur 
Bialystock. Deux pieds de neige couvraient la terre, et le 
froid était excessif. Un corps d’armée russe approchait; 
on rétrogada sur Ostrolenka. Le 16, il se livra près de cette 
ville un combat dans lequel les Busses perdirent beau¬ 
coup de monde. Le général Oudinot apprit le soir même, 
au bivouac d’OstroIenka la nouvelle delà victoire d’Eylau. 

Les vainqueurs d’Ostrolenka remontèrent la Narew à 
travers un pays pauvre et désert. Ils prirent quelques jours 
de repos à Hohenstein et à Villenberg, cantonnements des 
troupes du maréchal duc d’Auerstaëdt, et rejoignirent la 
grande armée le 16 mars, à Osterode. Napoléon en partit 
bientôt pour porter son quartier-général au château de 
Finkenstein, près de la petite ville de Rosemberg; la divi¬ 
sion Oudinot l’y suivit. C'est à une revue passée dans les 
jardins de Finkenstein, le 20 avril 1807, que l’Empereur 
proclama officiellement M. Joüan chef de bataillon. 

Des troupes russes et prussiennes étaient parties de Pil- 
lau pour débarquer à l’embouchure de la Vistulc, afin d’atta¬ 
quer le maréchal Lefebvre, qui faisait le siège de Dantzick. 

Le général Oudinot reçut, le 22 mai, l’ordre de se porter 
rapidement au secours du maréchal. 11 fit appeler le com¬ 
mandant Joüan. « Tous mes aides-de-camp, lui dit-il, sont 
à parcourir les cantonnements pour rassembler la division. 
J’ai besoin d’un officier de confiance pour aller à Dantzick 
remplir une mission. Pour mettre plus de célérité dans 
votre marche, prenez quatre hussards; courez à franc étrier. 
Vous direz à M. le maréchal Lefebvre qu’ayant l’ordre d’aller 
le seconder, ma division sera demain de très-bonne heure 
à sa disposition, et que je fais passer une brigade dans le 
Frisch-Nérang pour se joindre à ses troupes en cette partie 
du blocus. Partez sans délai; vous avez 14 lieues à faire. » 
Le commandant Joüan se mit en route à trois heures de 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


421 


l’après-midi, et le lendemain, avant le lever du soleil, il 
arrivait an quartier-général du maréchal Lefebvre, à Pitzi— 
kendorf. Le maréchal était à la tranchée; son visage rayonna 
de joie en recevant le message verbal qn'on lui apportait. 
De prompts renforts loi étaient d’antant plus urgents 
qn’en ce moment même une flotte de 50 voiles, mouillée 
dans la Yistule, débarquait des troupes sous la protection 
des forts de Weichselmünde et de Newfahreveasser, occupés 
par les Prussiens. 

M. Joüan fut désigné par le maréchal pour commander la 
place à Langfurt, où étaient les magasins cl le matériel du 
siège. 

Dans la journée du 24 mai 1807, la garnison fit une sor¬ 
tie par le fort Hagelsberg et fut repoussée. Le 25, dès la 
pointe du jour, l’ennemi, débarqué à Weichselmünde, 
éprouva on nouvel échec en'attaquant une brigade des gre¬ 
nadiers réunis. En même temps , la. corvette anglaise la 
Téméraire, qui voulait entrer dans Danlzick pour y déposer 
on chargement de poudre, fut capturée. Le 26, le maré¬ 
chal Lefebvre somma la place de sc rendre, afin d’éviter 
l’assaut. Le feld-maréchal Kalkreuth , gouverneur, de¬ 
manda une suspension d’armes de 5 jours; le feu cessa 
immédiatement. Danlzick ouvrit ses portes après deux 
mois de résistance et 51 jours de tranchée ouverte; 
le comte de Kalkreuth obtint la même capitulation qu’il 
avait accordée 14 ans auparavant à la garnison française de 
Mayence. 

Le général Oudinot retourna à Maricnbourg, d’où sa divi¬ 
sion, passée sous les ordres du duc de Montebello, partit le 
6 juin au matin. Elle arriva le 8 à Deppen, sur la Passarge. Le 
6* corps et la garde impériale bivouaquaient sur les bords de 
eatte rivière, dont le passage fut forcé le lendemain. L’armée, 
réunie en partie, traversait de vastes plaines; on avait en 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE 


122 

vue plus de 100,000 hommes, s’étendant jusqu'aux li¬ 
mites lointaines de l’horizon; c’était un tableau digne de 
cette époque. 

La division laissa Guttstadt sur sa droite, et arriva le 
10 juin, à la nuit, devant Heilsberg. Les abords de cette 
ville furent le théâtre d'un combat sanglant, qui se prolon¬ 
gea jusqu’à dix heures du soir. Le lendemain, on prit posi¬ 
tion en face d’une longue ligne de retranchements, que l’en¬ 
nemi évacua pendant la nuit. Nous le suivîmes dans sa 
retraite, à travers un pays où il n'existait point de chaussées 
viables. Le temps était affreux; une pluie torrentielle 
inondait le sol. A cet orage succéda, le 13 au matin, un 
soleil brillant. Le corps des grenadiers traversa dans la jour¬ 
née le champ de bataille d’Eylau. Des inscriptions indi¬ 
quaient la sépulture des héros de la grande lutte do 8 
février 1807: ici le général Gorbineau; là, les colonels 
Dalhman, Boursier, Lacuée; sur un autre point, 30 officiers 
du 14* de ligne, inhumés ensemble. Une de ces inscriptions 
marquait la tombe du colonel Le Marois, de Bricquebec. Les 
Busses avaient respecté ces modestes monuments funèbres, 
élevés à des braves par leurs frères d’armes. La division 
Oudinot établit son bivouac à une lieue de Domneau, 
pour se porter le lendemain sur Friedland, où une bataille 
décisive devait terminer la guerre de Pologne. 

Le 14 juin au matin, la fusillade, puis le canon, se firent 
entendre dans la direction de Friedland. Le général Oudinot 
partit sur-le-champ; une marche forcée le mit bientôt 
en prése/ice des Busses. Sa division de grenadiers 
soutint jusqu’à midi les attaques réitérées ÿe l’ennemi, et 
contribua à l’arrêter en attendant la grande armée. Une 
forte colonne de cavalerie légère, les carabiniers, les dragons 
du général Grouchy, les cuirassiers du général Nansoutj, 
débouchèrent successivement dans les plaines de Friedland. 


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LE GÉNÉRAL J0UAN. 


123 


A trois heures, l’Empereur parut avec la garde, à la suite 
de laquelle marchaieut plusieurs corps d'infanterie et des 
divisions de cavalerie. Alors commença réellement la 
bataille ; jusque-là la lutte n'avait été que l'avant-scène 
do grand drame qui allait avoir lieu. L'action devint 
générale à cinq heures du soir; à onze heures nous 
portions les derniers coups et la bataille était gagnée. Le 
génie de Napoléon venait de détruire l'armée russe et 
d'anéantir la grandeur moscovite sous les yeux de l'Empe¬ 
reur Alexandre, des Grands-Ducs et des meilleurs généraux 
du Nord. C'est alors que Napoléon était vraiment le 
naître du monde et l'arbitre des destinées de l’Europe. 

On se mit le lendemain à la poursuite des débris de l’ar¬ 
mée russe. Le corps des grenadiers réunis partit de Fried¬ 
land le 15 juin 1807, franchit le Prégel à Vélau, et arriva 
le 20 sur le Niémen, en face de Tilsitt.Un armistice fut con¬ 
clu le 21. Le 25, en présence des colonnes françaises et 
russes qui bordaient les rives du fleuve, eut lieu la célè¬ 
bre entrevue de Napoléon et d'Alexandre, sur un radeau 
au milieu du Niémen. La paix fut signée à Tilsitt le 8 
juillet 1807. 

Mais, dés le 30 juin de cette année, la division Oudi- 
not avait rétrogradé sur Kœnigsberg, pois sur Dantzick, 
où elle entra le 15 juillet. Elle eut ordre de tenir garnison 
en cette place, dont le général Bapp était gouverneur. Le 
corps des grenadiers réunis fut mal à Dantzick; il y perdit 
beaucoup de monde par les lièvres. 

Passé chef de bataillon titulaire au 34* régiment de ligne 
le 29 janvier 1^08, M. Joüan fut attaqué par l’épidémie ; 
du Yerder, où il se trouvait détaché, on le rapporta en ville 
dans un état très-grave. Sa maladie ne lui permit point de 
suivre sa division lorsqu’elle partit pour la Silésie, au mois 
d'août 1808. A peine convalescent, et ne pouvant encore se 


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424 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


tenir à cheval, il quitta Dantzick avec an détachement, et 
rejoignit son corps à Gross-Glogau. La division, ayant 
Tordre de se rapprocher des frontières de France, se dirigea 
sur Bantzlau, Gorlitz, Bautzen et Dresde, d’où le régiment 
du commandant Joüan se rendit & Ploen, par Frienberg et 
Zwickau. Il se porta ensuite sur Bamberg, et alla pren¬ 
dre de nouveaux cantonnements dans les environs de Wurfz- 
bourg. 

Encore imparfaitement rétabli, Bf. Joûan se rendit 
en permission à Huningue, où il arriva le 26 décem¬ 
bre, après une absence de deux ans et demi. Le 44 
février 4809, il reçut une lettre du général Oudinot qui 
lui annonçait que sa division était dissoute, et qu’il était 
nommé, à dater du 22 février 4809, chef de bataillon au 
96* régiment de ligne s’organisant à Augsbourg. 

On lui donna provisoirement le commandement de plu¬ 
sieurs détachements cantonnés le long du Danube. Il occupa 
tour à tour Bain, Nenbourg et Schrobenhausen. Dans les 
premiers jours d’avril 4809, il se rendit à Fridberg pour se 
mettre à la disposition du général Oudinot, qui avait ordre 
de réorganiser sa division de grenadiers. Ce général l’envoya 
à Lechausen commander un bataillon qui ne se composait 
encore que d’un détachement du 96* de ligne, et qu’il fallait 
former avec d’autres troupes arrivant de France. 

Ce bataillon, promptemeut organisé, devint le 4* du 96* 
et forma, avec le 4* du 94* et le 4* du 95*, une demi-bri¬ 
gade, sous les ordres du colonel Coquereau, laquelle fit 
partie de la 4” brigade de la 4” division du 4** corps 
d’armée. La brigade était commandée par le général Albert, 
la division par le général Tharreau, et le corps d’armée 
par le général Oudinot. Ce corps, qui prit Tancienne déno¬ 
mination de grenadiers réunis, fut organisé le 49avril 
1809. Le même jour il s’achemina vers l’Autriche. La paix 
venait d’étre rompue par cette puissance. 


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LB GÉNÉRAL JOUAft. 


125 

Dès le lendemain, le corps du général Oodinot eut un 
combat à Pfaffenhofen. Il pissa prés d’Eckmühl, et arriva 
en vue de Ratisbonne au moment où finissait la bataille de 
ce nom. Après avoir effectué le passage de lTnn à Muhldorf 
et celui de la Sallza à Burghausen, on se dirigea sur Bran* 
nsa, Riedt, Haag , Lambach , où l'Empereur passa la 
revue de l'armée. La division à laquelle appartenait M. 
Jouan partit de Wels le 4 mai dans la matinée. Après avoir 
marché quelques heures, elle entendit devant elle une forte 
canonnade, méléc d'un feu soutenu de mousqueterie. 
Précipitant sa marche, elfe arriva bientôt sur le théâtre de 
cet engagement, qui devenait des plus vifs. C’était la 
2* division du 4 * corps, commandée par le général Cla¬ 
parède, ayant en tête la brigade du colonel Coehorn, qui 
attaquait Ebersberg. Cette petite ville, située au pied d'une 
colline surfa rive droite de la Traun, a un très-long pont en 
bois qui unit Wels et Lintz. Le terrain sur la rive gauche, 
bas et marécageux à une grande distance, était coupé 
par une chaussée donnant accession au pont. Cette position 
était opiniâtrement défendue par un corps de 30,000 Autri¬ 
chiens. Ils avaient placé à la porte de la ville une grande 
batterie qui tirait à mitraille; les maisons étaient créne¬ 
lées et pleines de tirailleurs. 

Tel était l’état des choses lorsque la 4" division vint 
prendre part à ce combat. Elle avait à sa suite l'artillerie 
de réserve du corps d’armée. On la mit en batterie ; elle 
domina celle de l'ennemi, foudroya tous les obstacles. Une 
demi-heure après, le pont, balayé par la mitraille, fut forcé 
à la baïonnette. Mais quelle horrible lutte! les morts et les 
blessés étaient amoncelés à l’entrée du pont et sur le pont, 
sans compter ceux que la Traun charriait dans son cours. 
Cependant une partie des troupes ennemies s’étaient retran¬ 
chées dans un vieux château ayant une vaste cour fermée, et 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE 


426 

s’y défendaient avec acharnement. L’artillerie dirigea son 
feu sur elles; un obus éclata dans un caisson de poudre et 
détermina une explosion qui fit cesser le combat. Le corps 
d’armée autrichien était presque détruit. « L'affaire d’Ebers- 
a berg, dit le bulletin de la grande armée, est un des plus 
a beaux faits d’armes dont l’histoire puisse conserver le 
a souvenir...• Le voyageur dir^ : C’est ici, de cette superbe 
a position, de ce pont d’une si longue étendue, de ce chà- 
a teau si fort par sa position, qu’une armée de 50,000 
a Autrichiens a été chassée par 7,000 Français, a 

Les vainqueurs, s’éloignant des ruines enflammées d’Ebers- 
berg, allèrent passer la nuit à 2 lieues de là, en avant des 
colonnes du duc de Rivoli. Ils se rendirent le lendemain 
à Ens. La division y prit un jour de repos, puis se dirigea à 
marches forcées surMelck, et arriva le 9 mai àSchœnbrunn, 
aux portes de Vienne. Cette capitale, qu'on venait de forti¬ 
fier, voulut résister. Lorsque la l r# divisiondul* r corps pénétra 
dans ses murs le 10 au matin, elle reçut de la mitraille 
tirée du bastion du palais impérial. Son chef, le géné¬ 
ral Tharreau, fut blessé. Nos troupes se retirèrent en 
barricadant les rues. Des batteries d'obusiers firent feu sur 
la ville à la nuit close. L’ennemi riposta de ses remparts 
en lançant aussi des projectilles creux. Plus de4,800 obus 
tombèrent dans la ville; l’incendie.s’y manifesta en divers 
endroits. On cessa le feu vers une heure du malin. Le 
généralOrcilly, gouverneur de la place, capitula le 42, elle 
lendemain l’armée française fit son entrée dans Vienne. 

Cependant la possession de la capitale de l'Autriche ne 
finissait pas la guerre. La grande bataille qui devait clore la 
campagne restait à livrer. M. Joüan reçut au bivouac de 
Vienne, les 14 et 16 mai 1809, deux forts détachements de 
conscrits, expédiés de France, qui portèrent à 1200 hom¬ 
mes l’effectif do son bataillon. Malheureusement ces jeunes 


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LB GÉNÉRAL JOÜAN. 


127 


gens n’étaient pas exercés; ils avaient sans doute du courage, 
mais on ne pouvait que médiocrement compter sur eux 
dans les évolutions rapides que les circonstances rendent 
nécessaires sur le champ de bataille. 

L’armée se mit en mouvent le 19 mai, pour passer le 
Danube en face d’Ebersdorf, à 5 lieues au-dessous de 
Tienne, à l’endroit où le fleuve est divisé en trois bras sépa¬ 
rés par les Iles de Schœchet et de Lobau. Le général Oudi- 
not alla prendre position à Ebersdorf. L’établissement du 
pont sur le dernier bras du Danube fut achevé le 21 au 
matin. Le corps du duc de Rivoli passa sur la rive gauche 
dans la journée; les divisions Oudinol s’ébranlèrent à minuit 
pour y passer à leur tour. 

Au point du jour commença la bataille d’Essling. Les 
troupes du général Oudinot, après avoir franchi les brous¬ 
sailles dont le bord du fleuve est couvert, s’avancèrent en 
colonnes dans l’immense plaine qui s’étend au-delà de ces 
taillis. Les boulets de l’ennemi les atteignirent en appro¬ 
chant du village d’Essling; un des premiers coups tua le 
cheval du chef de bataillon Joüan. On voyait alors débou¬ 
cher dans la plaine la garde impériale, que précédait la 
division Saint-Hilaire. Le général Oudinol arriva en pré¬ 
sence d’un corps d’armée autrichienne, près du village de 
Gross-Aspern. Aussitôt ses 36 bataillons, déployés en colon¬ 
nes, furent engagés sur toute la ligne, à la gauche du corps 
du duc de Rivoli,qui s’étendait jusqu’à Eesling. La bataille 
devint tout-à-coup terrible. L’ennemi avait une artillerie 
formidable qui faisait un ravage affreux dans nos rangs ; 
cependant les français gagnaient du terrain, ils s’avançaient 
toujours, tandis qne les tirailleurs à pied et à cheval dis¬ 
putaient vaillamment le vide entre nos colonnes et le village 
de Gross-Aspern, déjà dépassé. Des charges de cavalerie 
s'exécutaient avec bonheur pour nous. Le feu le plus vif se 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE 


428 

soutenait sans relâche, mais la victoire ne semblait pas don* 
tense, lorsque la canonnnade commença à se ralentir de 
notre côté. En même temps le corps d’armée du général 
Ondinol se mit en mouvement rétrograde par sa droite, sans 
nécessité apparente. On en reconnut bientôt la cause. Déjà 
nos pertes étaient énormes ; le bataillon du commandant 
Joüan se trouvait diminué de plus du tiers et toute la demi- 
brigade avait cruellement souffert. Son chef, le colonel 
Coquereau, venait d’étre blessé, et, # en se retirant, il avait 
remis son commandement à M. Joüan. 

Celui-ci suivait par échelons avec son régiment le mou¬ 
vement de retraite, quand le capitaine d’artillerie à cheval 
Lebel vint le supplier de suspendre un instant sa marche, 
et de le protéger pour emmener sa batterie, dont la plupart 
des chevaux avaient été tués. Le commandant défénT à sa 
demande et contint l’ennemi. La batterie enlevée, il pour¬ 
suivit sa retraite; mais une distance considérable le sépa¬ 
rait déjà de sa division ; un corps de cavclerie autrichien ne 
tarda pas à lui couper le passage. Deux de ses bataillons se 
mirent en ligne derrière un mamelon; le troisième resta en 
colonnes sous la volée de pièces d’artillerie qui les fou- 
droyaieut à mitraille. M. Joüan voyait à chaque instant ses 
soldats frappés à ses côtés ; un de ses capitaines, qui lui 
donnait un avis, tomba à ses pieds, blessé mortellement par 
un coup de biscaYen; lui même eut en ce moment le haut 
de son kolbach emporté par un boulet, et deux biscaïens 
traversèrent, à droite et à gauche, le- bas de la redingote 
qu’il portait par dessus son habit. 

Bientôt une forte colonne d’infanterie se présenta pour 
l’attaquer de front ; elle voulait surprendre le bataillon et 
s’approcha à demi-portée sans rien manifester d’hostile. 
« Ne tirez pas, nous sommes Bavarois, » dit en s’avançant 
celui qui la commandait « Feu ! il n’y a pas de Bavarois 


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LE GÉNÉRAL JODAN. 


129 


à farinée, » s'écria aussitôt lo commandant Joüan. Une 
décharge à bout portant faite sur cette troupe la refoula sur 
elle-même; elle fut mise eu fuite et poursuivie jusqu'à l'en¬ 
trée du village d'Essling, qui venait d'être réoccupé par 
l'ennemi. 

Isolé ainsi et pouvant être cerné d’un moment à l'autre, 
le chef de bataillon Joüan, qui avait fait reconnaître le ter¬ 
rain par des hommes intelligents, opéra sa retraite sur les 
derrières de Gross-Aspern, et alla se réunir à la division du 
général Legrand, du corps de Masséna, postée au bord du 
Danube. 

Une violente fusillade se fit entendre de nouveau près 
d'Essling; c'était la garde impériale qui reprenait ce 
village. Le général Legrand ne tarda pas à être attaqué par 
les colonnes ennemies refoulées sur ses tirailleurs. Le 
commandant Joüan prit part à ce combat, qui dura plus 
d'une heure. 

Le général Legrand l'engagea à partager sa fortune ; 
car il venait de s'assurer, par des reconnaissances, que 
la retraite par le taillis était trop difficile, et que par la 
plaine elle était impraticable, l'ennemi s'y trouvant alors en 
force considérable. Vers neuf heures du soir, par un calme 
profond, les Français se mirent en mouvement sans 
braille long de la lisière du bois, et parvinrent à Centrée du 
pont, où le commandant Joüan trouva sa division rangée en 
colonnes pour protéger la retraite. 

Des ponts provisoires furent établis, et, au bout de trois 
jours, l'armée put sortir de l'tle de Lobau et repasser sur la 
rive droite du Danube. Les hommes qui avaient été confon¬ 
dus dans la retraite rejoignirent; chaque corps compta 
ses blessés et ses morts. Le bataillon [du commandant 
Joüan avait perdu la moitié de son effectif, et, en défalquant 
ceux qui étaient à l'ambulance, il se trouvait réduit à 350 

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130 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


combattants. Plus do 30,000 hommes des deux armées tom¬ 
bèrent àEsslinget à Gross-Aspern. 

Pendant ce temps, l’armée construisait des ponts sur pilo¬ 
tis, pour passer de nouveau sur la gauche du Danube, où 
était l'ennemi. Ce travail touchant à sa 6n, le commandant 
Joüan rentra dans l’tle de Lobau le 2 juillet. 

Dans la soirée du 4 juillet, les formidables batteries éta¬ 
blies dans Ptlc de Lobau furent démasquées, et ouvrirent le 
feu sur les batteries autrichiennes de la rive gauche, afin de 
protéger le passage du fleuve, qui commença avec la nuit. 
Entre neuf et dix heures, par un temps excessivement noir, 
un orage affreux éclata sur notre armée. Les éclairs sillon¬ 
naient la nue, le tonnerre et l'artillerie retentissaient à la 
fois avec les chariots roulant sur les ponts ; les chevaux 
hennissaient d'effroi. Cette tourmente dura plus d'one 
heure; elle ne ralentit pas le mouvement des troupes. 
L'armée passa sur la rive gauche du fleuve pendant cette 
sinistre nuit du 4 au 5 juillet 1809 ; le commandant Joüan 
y arriva en bateau avec son bataillon à cinq heures du 
matin. 

Béuni et formé en colonnes, le corps du général Oudinot se 
mit immédiatement cnmarchedansladirectiond'Enzersdorf. 
Il s'empara du château de Sachsengaud, vieil édifice à tourel¬ 
les gothiques que l'ennemi avait fortifié; 900 hommes y 
capitulèrent. 11 se porta ensuite sur le village de Rutzendorf, 
et l'enleva au pas de charge, en chassant les Autrichiens qui 
l'occupaient. 

Toute l’armée s'était déployée dans la vaste plaine d'En- 
zersdorf. Yers huit heures du soir, le corps du général Oudi¬ 
not se porta en avant sur un terrain très-accidenté. La l r * 
division marchait en bataille; au sortir d'un ravin, ellesc 
trouva tout-à-coup en face d’une ligne d'infanterie autri¬ 
chienne, qui fit sur elle une décharge meurtrière. Le combat 



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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


151 


i engagea aussitôt ; mais l’ennemi se relira an bout d’une 
demi-heure. 

L’armée autrichienne, commandée par l’archiduc Char¬ 
les, était forte de 350,000 hommes. Elle s’étendait de Sta- 
deau àWagram. L’armée française, sous les ordres de l’Empe¬ 
reur, n’était guère moins nombreuse. Elle avait sa gauche 
appuyée à Gross-Aspern, son centre à Glurendorf, et sa 
droite à Raschdorf. Des deux côtés tout était prêt pour une 
lutte décisive. La bataille de Wagram allait se livrer le len¬ 
demain. 

Le 6 juillet 1809, dés la pointe du jour, 400,000 hom¬ 
mes et 1,800 pièces de canon se mirent en mouvement 
dans les plaines de Wagram, et furent bientôt aux prises sur 
un terrain étudié, fortifié par l’ennemi depuis plusieurs 
mois. 

L’ordre de bataille fut promptement formé. Le prince de 
Ponte-Corvo occupa la droite, ayant en seconde ligne le 
maréchal Masséna, que le prince Eugène liait au centre, 
composé des corps des généraux Oudinot, Macdonald et 
Marmont, de la garde impériale et des cuirassiers. Le maré¬ 
chal duc d’Auerstaëdt marcha de la droite pour arriver au 
centre, pendant que l’archiduc Charles, dont les dispositions 
étaient l’inverse de celles de Napoléon, dirigeait le général 
Bellegarde sur Stadelau, à sa droite qui sc trouvait liée par 
les corps des généraux Colloredo, de Niller et de Lichtens¬ 
tein à la position de Wagram, occupée par le prince de 
Hoheozôllern, et à l’extrémité de la gauche à Neusiedel, où 
débouchait le corps de Rosenberg, pour déborder les trou¬ 
pes de Davoust. Les colonnes de Rosenberg et de d’Auers- 
taédt se rencontrèrent au point du jour : leur choc donna 
le signal de la bataille. En moins d’une heure, les troupes de 
Rosenberg furent culbutées et rejetées au-delà de Neu¬ 
siedel, position que le duc d'Auerstaëdt tourna ensuite pour 


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132 


GALERIE BIOGRAPHIQUE. 


se diriger sor Wagram. La canonnade s’était engagée sur 
toute la ligne. L’ennemi renforçait toujours sa gauche, tandis 
que c’était sur son centre que Napoléon avait des vues. En 
même temps, la droite de l’archiduc, s’étendant du Danube 
à Wagram, s’avançait précédée de 60 pièces de canon, pre¬ 
nait à revers l'armée française, et menaçait l’tle de Lobau 
et ses ponts. La garde impériale fut opposée sur ce point à 
la marche de l’ennemi. Le général Lauriston, s’y portant 
avec 100 pièces de canon, s'avança, sans tirer, jusqu’à demi- 
portée, et ouvrit un feu qui foudroya les rangs autrichiens. 
On ne distinguait aucun des coups de cette prodigieuse 
canonnade : c’était une détonation unique qui ressemblait à 
l’explosion d’un immense magasin à poudre. 

Pendant ce temps, le centre de l’armée, où se trouvait le 
général Oudinot, s’était porté en avant. Le chef de batail¬ 
lon Joüan, formant avec sa brigade la gauche de la division, 
attaqua en flanc avec six bouches à feu et força à la retraite 
une colonne ennemie d'environ 2,000 hommes, qui mar¬ 
chait vers nos tirailleurs pour faire une diversion sur la 
gauche du corps de Davoust. 

Vers midi, un aide-de-camp du prince d’Essling vint 
annoncer à l’Empereur que ce maréchal se soutenait diffi¬ 
cilement dans sa position, où il avait derrière lui le corps 
autrichien deKIcnau, et que déjà l’une de ses divisions était 
rejetée dans l’tle de Lobau. Napoléon, apercevant alors le 
feu de Davoust qui avait dépassé Neusiedel : a Allez, dit-il 
à l’aidc-de-camp, courez dire à Masséna qu’il attaque et 
que la bataille est gagnée.» Tout-à-coup les formidables 
colonnes que commandent les généraux Oudinot, Macdo¬ 
nald et Marmont, se précipitent au pas de charge sur le vil¬ 
lage de Wagram, centre de l’armée autrichienne. 

Dans ce mouvement décisif, le commandant Joüan fut 
renversé avec son cheval, qui eut une cuisse brisée par un 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


<33 


boulet. 11 cherchait à sc dégager, quand ranimai, sc rele- 
?anl avec vivacité, lui retomba sur le corps. Quelques gre¬ 
nadiers le relevèrent. Pendant ce temps, les colonnes 
Pavaient dépassé; il se mit à doubler le pas pour les rejoin¬ 
dre. Mais un obus vint éclater à peu de distance et lui brûla 
la figure. Il fut aveuglé complètement. Un grenadier le con¬ 
duisit à une baraque abandonnée, où il s'assit au ihilieu de 
cadavres.£Le |général Navelet, de l'artillerie du 2 e corps, 
passant avec son'parc de réserve fit monter le blessé, sur le 
cheval d'un canonnier. Ce canonnier et le grenadier l'ac¬ 
compagnèrent jusqu'au village de Baumersdorf, où il se 
reposa un moment. Le grenadier le mena ensuite dans un 
antre village, à proximité des ponls où Ton avait établi une 
ambulance. M. Joüan se croyait entièrement aveugle. Un 
chirurgien le visita et déclara que ses paupières étaient seu¬ 
lement fermées par une inflammation qui se dissiperait 
dans peu de jours. Il passa la nuit sur la paille au milieu 
d'un grand nombre de blessés. 

Un bruit confus de voitures et de cris d'hommes retentit 
bientôt. Ce tumulte était occasionné par une terreur pani¬ 
que dont voici la cause. Dès que la bataille de Wagram fut 
définitivement gagnée, l'Empereur envoya le prince de 
Ponte-Corvo reprendre position du côté d’Enzersdorf, par¬ 
ce qu'il était présumable que l'archiduc Jean, baltuàBaab le 
14 juin et rejeté sur la gauche du Danube, chercherait à 
rallier l’archiduc Charles. Bevenant ainsi sur ses pas, le 
corps d'armée du maréchal Bernadotte, composé do 
Saxons dont l'uniforme ressemblait à celui des Autri¬ 
chiens , épouvanta une colonne de nos équipages où 
étaient les domestiques, les vivandiers, les traînards ; 
tous se mirent à fuir vers les ponts, croyant que c'était 
l’ennemi qui avait débordé notre aile droite et se rejetait 
sur les derrières. Le bataillon de garde à l'entrée des ponts 
dut croiser la baïonnette sur cette foule effrayée. 


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134 


GALERIE BIOGRAPHIQUE. 


Conduit le lendemain dans Plie de Lobau, déjà encombrée 
do prisonniers, M. Joüan se logea dans le village de Schwe- 
cat, près d’Ebersdorf. Au bout de cinq jours ses yeux com¬ 
mencèrent à s’ouvrir. 

Le 15 juillet 1809, il se mit en route pour rejoindre 
l’armée du côté de la Moravie, en passant par les champs de 
Wagram. 11 revit les lieux où il avait combattu neuf jours 
auparavant, l’endroit où l’obus l’avait aveuglé. On distin¬ 
guait la nationalité des morts par leurs uniformes, car peu 
d’entre eux avaient été dépouillés. Il reconnut parmi 
les cadavres le corps de l’adjudanl-général Duprat, chef 
d’état-major de sa division, tué le 6 au village de Deutsch- 
Wagram. Le sol était jonché de morts, d’armes et do che¬ 
vaux : c’était là sans doute que l’ennemi avait fait ses der¬ 
niers efforts. 

Quittant ce champ de carnage M. Joüan suivit la trace de 
l’armée, et arriva le 18 à Znaïm. Cette ville était pleine des 
troupes du prince d’Essling. Il apprit qu’un armistice y avait 
été conclu le 19, et que le corps d’armée dont il faisait par¬ 
tie, devant occuper jusqu’à la'paix les environs de Vienne, 
avait repris la route de Laab. Le commandant Ipüan 
retourna donc sur ses pas. Le 91 juillet au soir, après 
sept jours de marche par une chaleur suffocante, il rejoignit 
son bataillon, cantonné dans un hameau près de Gross- 
Aspern. Ce corps n’avait plus que 400 hommes, dont 5 
officiers. Les autres bataillons de la brigade n’étaient guère 
moins délabrés. Toute la division se réunit, et alla camper, 
le 1 er août 1809, près du village de Kagram sous Vienne, et 
y resta deux mois. 

Les conférences ouvertes à Altenbourg entre la France 
et l'Autriche traînant en longueur, on fit des préparatifs 
pour reprendre les hostilités. La demi-brigade du comman¬ 
dant Joüan s’établit à Stokereau ; d’autres troupes allaient 


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LB GÉNÉRAL JOÜAN. 


135 


aussi changer leurs cantonnements, lorsque la paix fut signée 
an cblteaa de Totis près de Gomorn, en Hongrie. 

M. Joüan repassa le Danube à Vienne le 2 novembre 
1809, pour se rendre dans le Palatinat du Rhin, vers lequel 
(ont le corps d’armée du maréchal Oudinot s’achemina par 
différentes routes. Ou devait marcher à petites journées 
afin de reposer les troupes. Le commandant Joüan prit le 
chemin de Saint-Polten, et resta hait jours dans des village 
entre cette ville et Mclck. Arrivée à Ens, sa demi-brigade 
reçut l’ordre d’aller eu cantonnement sur les confins de la 
Bohême. Elle j resta jusqu’au 13 décembre, repassa le 
Danube & Linlx, fit un court séjour entre Braunau ctPassaw, 
et partit ensuite pour Augsbourg, en passant par Mühldorf, 
Hohenlinden et Munich. Le 12 janvier 1810, M. Joüan 
arriva à Ulm, où il resta trois semaines, chargé du com¬ 
mandement de cette place, de concert avec un colonel Bava¬ 
rois qui remplissait les mêmes fonctions au nom de son 
gouvernement. D’Ulm il se rendit à Heidelberg, et de là 
dans des cantonnements aux environs de Wisloch. 

Là il reçut l’ordre d’échelonner sa troupe le long de la 
chaussée qui mène do Pfortzheim à Garlsruhc, à l’occasion 
du passage de l’archiduchesse Marie-Louise , qui se 
rendait en France comme Impératrice des Français. 
En retournant dans ses cantonnements, M. Joüan eut, à 
Brascha), un entretien avec Gustave IV, ex-roi de Suède, et 
it f^ a chez la grande-duchesse de Bade, belle-mère de ce 
sonverain. 

Le régiment de M. Joüan se réunit à Manheim, passa le Rhin 
et fut cantonné près de Spire jusqu’à la fin d’avril, époque à 
laquelle lui parvint l’ordre de sc porter sur lescôtesde l’Océan. 
Il quitta les bords du Rhin le 2 mai 1810, et arriva en juin 
à Nantes, où se trouvait presque toute la division du général 
Thareau, dont il faisait partie, et de laquelle il était séparé 
depuis son départ de Vienne. 


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136 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


C’est à cette époque que M. Joüao reçut les lettres paten¬ 
tes ci-après transcrites, qui lui conféraient le titré de Che¬ 
valier de l'Empire, honorable noblesse qui prenait son ori¬ 
gine dansla Légion d’Honneur. 

« NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et les constitutions de 
l'État, Empereur des Français, Roi d’Italie, Protecteur de la 
Confédération du Rhin, Médiateur de la Confédération 
Suisse, à tous présents et à venir Salut. Notre amé le sieur 
Joüan, membre de la Légion d'Honneur,désirant jouir de la 
faveur que nous avons voulu accorder aux membres de cette 
Légion par notre statut du 1 er mars 1808, s'est retiré devant 
notre cousin le Prince Archi-Chancelier de l'Empire, lequel, 
aprèsavoir fait vérifier en sa présence par le Conseil du Sceau 
des titres que par notre décret du 14 avril 1807 nous aVons 
nommé ledit sieur Joüan membre de la Légion d’Honneur 
et qu’il possède le revenu (1) exigé par nos statuts, nous 
a présenté l'avis de notre dit conseil et les conclusions du 
Procureur général, sur quoi nous avons, par ces pré¬ 
sentes signées de notre main, autorisé le dit sieur Jacques- 
Casimir Joüan, chef de bataillon au 96 e régiment de ligne, 
né à Saint-Christophe-du-Focq, département de la Manche, 
le 4 mars 1767, à se dire et qualifier Chevalier en tous actes 
et contrats, tant en jugement que dehors; Voulons qu'il soit 
reconnu partout en ladite qualité et jouisse des honneurs atta¬ 
chés à ce titre, après qu’il aura prêté le serment prescrit par 
l’art. 37 de notre second Statut du 1 er mars 1808, devant celui 

(1) Par ses décrets des 1 er mars 1808 et 12 mars 1813 l'Empe¬ 
reur Napoléon I er avait décidé que les membres de la Légion 
d'Honneur et ceux de l'ordre de la Réunion, justifiant d'un 
revenu de 3,000 fr. et désignant leurs livrées et armoiries, rece¬ 
vraient le titre de Chevalier de l'Empire. Ces titres ne devenaient 
transmissibles qu'après confirmation impériale pendant trois 
générations successives. {Bull, des Lois de 1613, p. 441.). 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


137 


ou ceux qui seront par nous délégués à cet effet. Voulons que 
le titre de Chevalier soit transmis à sa descendance mascu¬ 
line directe, légitime, naturelle ou adoptive, après toutefois 
que les trois premiers appelés à recueillir le dit titre auront 
successivement obtenu nos lettres de confirmation, confor¬ 
mément à notre décret du 3 mars 1810. Permettons au dit 
sieur Joûan et à ceux de ces descendants qui recueilleront 
le titre de Chevalier, de porter en tous lieux les armoiries 
telles qu’elles sont figurées aux présentes et qui sont d’or au 
cheval arrêté de sable, surmonté d'une gerbe de bled de 
sinople et soutenu d'un champagne de gueules du tiers de 
Pécu au signe des chevaliers ; pour livrées, les couleurs de 
Pécu, le vert en bordure seulement. Chargeons notre cousin 
le Prince Archi-Chancelier de l'Empire de donner communi¬ 
cation des présentes au Sénat et de les faire transcrire sur 
ses registres, car tel est Notre plaisir : Et afin que ce soit 
chose ferme et stable à toujours, notre cousin le Prince 
Archi-Chancelier de l'Empire y a fait apposer par nos ordres 
notre grand sceau en présence du Coqseil du Sceau des titres. 
Donné en notre palais de Saint-Cloud, le 18* jour du mois 
d’août de l'an de grâce 1810. Signé : NAPOLÉON. Scellé le 
24 août 1810. Le Prince Archi-Chancelier de l'Empire, 
signé: Cambacérès. Enregistré au Conseil du Sceau des titres, 
R. ch. 3 P 123. Signé : Le Baron Dudon. Transcrit sur les 
registres du Sénat le 28 août 1810. Le chancelier du Sénat 
signé : Laplace. a 

Peu de temps après, la demi-brigade reçut l'ordre de par¬ 
tir pour l’armée d'Espagne, où elle arriva le 17 octobre 
1810. 

Elle passa la frontière à Jrun, où elle laissa deux compa~ 
gnies, et se rendit à Fontarabie. Un grand convoi de voi¬ 
tures s’y trouvait ; elle l'escorta jusqu'à Tolosa, en laissant 
encore une compagnie à Oyarsun et deux à Hernani. D’au- 


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GALERIB BIOGRAPHIQUE 


1res compagnies furent détachées à Villa-Franca, Villa- 
Beal, Bergara, Mondragon, en sorte que le 96' de ligne se 
trouva échelonné sur la ronte entre Jrun et Vittoria. Il 
était chargé d'escorter les convois à travers un pays qu’in¬ 
festaient des bandes de guérillas, parmi lesquelles se faisait 
remarquer celle de Janrequi, dit Pastor, berger de Villa- 
Beal. 

Le chevalier Joüan fnt appelé dans la garde impériale et 
nommé chef de bataillon au régiment des gardes nationales 
le 20 aoùt'1810, avec ordre d'attendre oe corps à Vittoria. 
Il y arriva de Bayonne le 25 novembre. C’était un des plus 
beaux régiments de la jeune garde, tant pour la taille des 
hommes que pour la tenue et 1’elTectif. 11 était commandé 
par le colonel Couloumy, ancien major du 96* de ligne. Le 
chevalier Joüan fnt immédiatement reçu dans ce corps, 
où il eut pour collègue le baron Zœpffel, neveu de la 
dochesse de Feltre. 

Sa première expédition dans ce nouveau régiment, dont 
il commandait le 2* bataillon, fut dirigée contre les guéril¬ 
las de la province d'Alva. Le 27 novembre 1810, le géné¬ 
ral Caffarelli l’envoya à Salvatierra, avec ordre de poursui¬ 
vre une des bandes de Mina. Il la suivit en vain jusqu’à 
Segura, puis dans la vallée d'Estolla : divers signaux l’aver¬ 
tissaient de l'approche des Français, en sorte que, prévenue 
à temps, elle était toujours partio quand nous arrivions. 
Le commandant Jottan revint à Salvatierra après une 
course inutile. Il se mit de nouveau en campagne à la 
poursuite de la même bande et de celle do Dos-Pellos, 
mais avec aussi peu de succès ; on leur prit seulement 5 
hommes, dont deux blessés, dans la vallée d’Araquil. Nos 
colonnes mobiles n’avaient d’autre résultat que de déplacer 
les Espagnols, qui se sauvaient dès qu’elles approchaient 
et revenaient quand elles étaient parties. 


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LE GÉNÉRAL J0UAN. 


139 


- Le bataillon rentra à Vittoria le 20 février 1811, et en 
repartit le lendemain pour Miraoda-de-Ebro, en formant 
l'escorte d’on convoi de projectiles. Le général Dorsennc, 
gouverneur de la Vieille—Castille, confia an chevalier 
Joâan le commandement de la place de Briviesca et la 
surveillance de la route depuis Miranda jusqu'à Bnrgos. Il 
était en outre chargé d’escorter les convois, les estafettes elles 
généraux voyageant isolément, car il fallait tout protéger 
contre les guérillas. Les bandes qui sillonnaient cette con¬ 
trée étaient celles de Longs, de Merino et de Carlazar. Une 
nuit, le général Foy, envoyé du Portugal à Paris avec des 
dépêches importantes, arriva à Birviesca, après s’étre arrêté 
36 heures à Burgos. Le commandant Joâan, qui venait d’ap¬ 
prendre la présence de Longs dans les environs, détermina 
le général à attendre le matin pour continuer son voyage, et 
le fit fortement escorter jusqu’à Pancorbo. Mais le comman¬ 
dant de celte dernière place, trop confiant dans le danger, 
donna au général une si faible escorte qu’elle fut attaquée 
dans les gorges d’une montagne, où elle eût été détruite 
entièrement sans un secours tout fortuit qui survint. Le 
général en fut quitte pour le pillage de ses bagages et la 
perte de sa vditure jetée dans un torrent. Au mois d’avril 
de la même année, le duc de Baguse, venant de France, 
passa par Briviesca pour aller à Salamanque y prendre le 
commandement de l’armée de Portugal, rentrée sur le ter¬ 
ritoire espagnol. A la même époque passèrent successive¬ 
ment, pour se rendreen France, le duc d’Elchingen, le prince 
d’Essting et le duc d’Istrie, maréchaux de l’Empire. 

La vie du chevalier Joûan à Birviesca était aussi heureuso 
qu’elle pouvait l'être au milieu d’une guerre acharnée. 
L’aménité de son caractère et son humanité lui avaient 
concilié l’estime et même l’affection sincère des Espagnols. 
Cette lettre en est la preuve. 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE 


a Al S r Juan, (enicnte Coronel de la Guardia Impérial nacio- 
nal, Gab° del Imperio, commandante la plaza en Bribiesca. 

Qualqnicra quepncada séria bon tas del jefedeEscnadron 
que reemplaza a V. m., nos es muy sensible el qne se releve 
Ÿ. m. de esta plaza, y cese en el mando, pnes la snavidad 
conque ha snfrido micntras mâchas faltas, es cl acierto con¬ 
que V. m. ha conciliado el servicio militar, cor los intereses 
de este vecindario, nos hacian justamente desear la perma- 
nencia de Y. m en esta ; pcro, y a que nueslra desgracia nos 
le lleba a otra parte, asiguramos con toda sinceridad el 
agrademiento general a la mucha proteccion qne ha dis- 
pensadoal pueblo y que desca, con ansia,asl el, como toda la 
municipalilad, ocasiones y facultades de servir a V. m. 

Agradece lambien sus olertas que hace V. m. en su carta, 
et créa que nos baldremos de sue fina amistad en todas las 
circnnstancias que ocuran. 

Dios guarde a Y. m. muchos anos. Bribiesca, 7 julio de 
1811. 

Alezandro de Arre, Francisco de Sotto, Manuel Angulo, 
Juan del Yall. » 

Vers la même époque, le commandant Joûan, avec 4-50 
hommes et 20 gendarmes à cheval, avait été envoyé àPoza 
pour y lever une réquisition. En arrivant dans cette ville, il 
revit le général espagnol Don Pueblo Morillo, qu’il avaitconnu 
assez intimement à Briviesca. Le générasse promenant seul 
sur la place, dit au commandant Joiian en passant prés de lui 
une première fois : « Ne savez-vous rien de Longa ?» En 
passant de nouveau, il lui dit encore : a Longa a couché 
cette nuit i Salas, à 2 lieues d’ici. » Enfin, au troi¬ 
sième tour de promenade, il ajouta: « De l’énergie; ne me 
compromettez pas ! » Après s’étre promené un moment, 
il se retira. 

Cet avertissement de l’amitié fit prendre au chevalier 


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LE GÉNÉRAL JOÜAN. 


141 


Joüan la résolution d'aller attaquer Longs. Après trois quarts 
d'heure de marche, il rencontra la guérilla, qui se portait sur 
Poza : elle se composait d'environ 800 hommes à pied et 
d'une centaine de chevaux. L'ennemi fut chargé avec 
vigueur à la baïonnette et culbuté dans une rivière, tandis 
que sur un autre point la retraite lui était coupée. On lui 
fit 219 prisonniers. Cette petite victoire de Salas fut mise à 
Tordre du jour de l'armée. 

Quelque temps après, le roi d'Espagne, Joseph Napoléon, 
se rendant de Madrid à Bayonne, arriva à Birviesca avec sa 
maison militaire, et y passa la nuit. La ville fut illuminée. 

Au moment de son départ, le roi fit appeler le comman¬ 
dant de la place, et le chargea de remercier en son nom les 
habitants du bon accueil qui lui avait été fait. Les Espagnols 
estimaient et aimaient le roi Joseph. 

M. Joüan, remplacé dans son commandement deBriviesca, 
rassembla son bataillon et partit, le 16 août 1811, pour Bur- 
gos, d'où le régiment se rendit à Palencia. A peine arrivé, 
le chevalier Joüan fut envoyé par le général Paillard à 6 
lieues de là pour exécuter une réquisition. Des guérillas le 
sorveillèrént du haut des montagnes pendant toute sa route; 
il eut même un engagement assez sérieux le 24 août, entre 
Tartoles et Pénafiel, avec la bando de Martinez, qu'il mit en 
fuite. 

A son retour à Palencia, le régiment des gardes nationales 
de la garde impériale, celui des fusiliers-chasseurs et deux 
escadrons de cavalerie hollandaise, formèrent une brigade, 
sous les ordres du général Lanaberrc. Elle fit sans succès uno 
excursion de quinze jours, qu'elle poussa jusqu'à Santadcr, 
revint à Palencia, partit pour Yalladolid, et, poursuivant sa 
route parSimancas, Tordesillas, Toro, Fuentè-Sauco, arriva 
à Salamanque le 13 septembre 4811. 

Des troupes se réunissaient à Salamanque pour aller ravi- 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE 


U2 

tailler Ciudad-Rodrigo, bloquéo par Wellington. II s’y trou¬ 
vait quatre divisions, deux d’infanterie de ligne commandées 
par les généraux Souham et Thiébaut, et deux de la garde 
impériale sous les ordres des généraux Dumoustier 
et Roguét. Le régiment des gardes nationales fit par¬ 
tie de la division Dumoustier. Ces troupes, dont le 
général Dorsenne prit le commandement en chef, se 
mirent en marche sur trois colonnes, avec un grand 
convoi de vivres et de munitions pour Ciudad-Rodrigo. 
Elles débouchèrent devant cette place par trois points diffé¬ 
rents. Le général anglais en avait levé le blocus, et campait 
à quelque lieues delà, près de Fuentè-Guinaldo. Le ravi¬ 
taillement s’opéra sans obstacle. 

Cependant le duc de Raguse, qui devait être rendu à Cuidad- 
Rodrigo en même temps que les divisions de Salamanque, 
n'était pas encore arrivé le lendemain au soir. Le général 
Dorsenne alla prendre position à une lieue de l’armée enne¬ 
mie. Enfin, après un retard de 60 heures, le duc de Raguse 
parut, traînant à sa suite une longue file de voitures do luxe. 

On avait joint Wellington, et l’on se trouvait en force. 
L’ennemi allait donc être abordé, ainsi que l'espéraient tous 
les Français. Mais le maréchal eu décida autrement. A la 
nuit, les deux divisions de la garde impériale reçurent l’or¬ 
dre de rétrogader sur Ciudad-Rodrigo, puis, parvenus aux 
portes de cette ville, d’aller reprendre position avec le reste 
de l’armée en face de l’ennemi. Pendant ce temps,Wellington 
levait son camp et effectuait paisiblement sa retraite. Ainsi 
50,000 hommes d’élite se retirèrent, sans coup férir, devant 
20,000 Anglais. Nous nous disions : Ah ! si l’Empereur était 
ici ! 

La division du général Dumoustier revint à Salamanque. 
Le régiment des gardes nationales fut envoyé en cantonne¬ 
ment à Toro. Il en partit le 20 octobre pour aller à Bena- 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


143 


▼ente, pois à Astorga, où il resta 15 jours, et ensuite à Léon, 
quartier-général de la division Damoustier, Au bout d’un 
mois de séjour dans cette ville, le chevalier Jo&an reçut Tor¬ 
dre de se rendre avec son bataillon à Benavente, pour y ser¬ 
vir sous les ordres de Mouton-Duvernet.. On apprit h Bena¬ 
vente, en janvier 1813, la prise de Valence par le général 
Suchet. C’était un important succès. Mais la perte de Ciù- 
dad-Rodrigo affaiblit notre joie. Ce revers fut le résultat 
de la faute de Marmont h Fuentè-Guinaldo. 

On dut alors évacuer les provinces de Galice et de Léon. 
La division Domoustier rétrograda sur Burgos. Le régiment 
des gardes nationales de la garde se miten route pour Vallado- 
lid par Villa-Sando, Villa-França, Medina-del-Rio-Seco, 
emportant avec lui ses nombreux malades dans des charrettes 
traînées par des bœufs. Sa marche ressemblait plutôt à une 
évacuation d'hôpital qu’à un mouvement militaire. De$ 
1800 hommes que présentait l’effectif de ce beau régiment 
en entrant en Espagne, il en restait à peine 700 sous les 
armes. 

Le régiment desgardes nationales fut renvoyéà Lerma,sur 
la route de Madrid. Il y arriva le 11 février 1813, et s’établit 
dans un superbe ch&teau servant de caserne depuis l’entrée des 
Français en Espagne.' Le 19 février, le chevalier Joiian fil une 
expédition dans la vallée de TArlanza pour recueillir les con¬ 
tingents en subsistances imposés à'divers villages. Desguéril¬ 
las le harcelèrent pendant tout le trajet, ce qui ne l’era- 
pécha pas de ramener à Lerma 37 voitures de grains et de 
fourrages, du vin et du bétail. 

Un bataillon de marche vint au mois d’avril 1813 relever 
le régiment des gardes nationales, destiné pour Aranda-de- 
Douro. 

Huit jours après l’arrivée du régiment à Aranda le che¬ 
valier Joüan fut désigné, par le général Vandc-Maesen, pour 


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GALEBIE BIOGRAPHIQUE 


aller appuyer les opérations du colonel de hussards Merlin, 
qui avait à remplir, à dix lieues de là, plusieurs missions. 
Conformément à ses instructions, il détruisit une imprimerie 
et une fabrique d'armes dans un village à trois lieues d'Aillon, 
et revint à Aranda, amenant prisonnière une junte insur¬ 
rectionnelle de la province de Burgos. 

Les troupes qui stationnèrent à Aranda ne tardèrent pas 
à partir. Le régiment des gardes nationales de la garde, 
resté seul dans la place, s’y fortifia. Le commandant Joûan 
cl un capitaine du génie furent chargés de ce travail. On 
établit une redoute près du pont du Douro, sur la route de 
Boa; on ferma de palissade l’évéché, transformé en caserne; 
on bastionna le jardin d'un couvent. Pendant que ces ouvra¬ 
ges s'exécutaient, on profila du passage du 31 e léger, colo¬ 
nel Giflinger, pour faire une expédition jusqu’à Penaranda 
et rapporter des vivres. Le 9 juin 1812, le chevalier Joûan 
alla de nouveau requérir des subsistances dans des villages 
assez éloignés, d'où il rentra avec des bœufs et une douzai¬ 
ne de voilures chargées de pain et de vin. Des guérillas 
n’avaient cessé de le suivre. 

On avait été prudent en se fortifiant daus Aranda. Les 
bandes nombreuses qui infestaient les environs ne tardèrent 
pas à s’approcher. Le 11 juin, 300 de leurs cavaliers se 
montrèrent au tour de la place, et enlevèrent quelques 
soldats qui, malgré une consigne sévère, s'étaient avanturés 
dans les champs. Le lendemain, qui était un dimanche, se 
passa tranquillement. Mais, dans la soirée, la ville prit 
une physionomie inacoutumée. Des groupes parlaient à 
voix base sur les places, aucune femme ne se montrait sur 
les promenades. 

Dans la nuit, vers une heure, une fusillade se fit enten¬ 
dre du côté du Douro : c'étaientles guérillas qui attaquaient 
nos postes. Le commandant Joiian s'habilla à la hâte et se 


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LE GÉNÉRAL JOOAN. 


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rendit dies son colonel. Celui-ci et le baron Zœpffel couru¬ 
rent à l’évêché, où le régiment était caserné, tandis que 
le chevalier Joftan se portait rapidement à la redoute où 
était son bataillon. 

Les guérillas nous attaquaient à la fois sur les deux 
rives du Dooro, mais aucun factionnaire n’avait été sur¬ 
pris. Un piquet de 30 hommes qoi se trouvait sur la place, 
rallia tous les petits postes extérieurs et gagna la redoute 
en combattant. Le brave officier qui commandait ce piquet 
fut blessé mortellement en faisant cette intelligente 
retraite. 

Cependant l'ennemi était parvenu dans la ville. Ne pou¬ 
vant se tenir sur le quai, que battait la mitraille de la 
redoute, il s’établit dans des maisons qui la dominaient. De 
là il tirait sans danger sur les Français. Jusqu’alors la gué¬ 
rilla paraissait peu nombreuse sur ce point ; mais une colon¬ 
ne de 7 à 800 hommes vint la renforcer vers cinq heures 
dn matin. Le commandant 'Joftan, déjà attaqué de front, 
fot encore prb en flanc par les fenêtres et les toits des mai¬ 
sons du faubourg. La compagnie de voltigeurs deson batail¬ 
lon dut abandonner le parapet, après avoir vu son capitaine 
(M.Le Pesant, de Coutanccs) grièvement blessé. La position 
n’était plus tenable. Il fallait succomber ou chasser l’ennemi. 
Le commandant Joftan se vit dans la dure nécessité d'incen¬ 
dier le faubourg. Le feu se propagea rapidement et délogea 
les guérillas. 

Tandis que ces choses se passaient à la redoute, la caser¬ 
ne de révêché était vigoureusement attaquée, et défendue 
avec une rare énergie. L’ennemi s’y était porté en masse 
poor l'enlever de vive force. A neuf heures du matin, il fit 
une nouvelle tentative, et éprouva on nouvel échec. A onze 
heures, le baron Zœpffel exécuta une sortie 'par le jardin 
de l’évéché ; mais, au lieu de charger les guérillas à la 

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GALERIE BIOGRAPHIQUE 


baïonnette, il fit battre la charge et engagea une rade fusillade 
arec eux. Il fut grièvement blessé d’un coup de feu, et 
contraint d’opérer sa retraite sur la redoute. Enhardis par 
ce résultat, les Espagnols entreprirent une troisième attaque, 
qui demeura encore infructueuse. Ils se découragèrent. 

À neuf heures du soir, la portion do régiment casernèe. 
& l T évêché vint se joindre à celle qui était dans la redoute, 
où se trouvèrent alors réunis 900hommes déterminés à com¬ 
battre jusqu’à la mort. 

Le lendemain 17 juin 1812, l’ennemi parut en force sur 
la gauche do Douro. Les Français étaient préparés pour de 
nouvelles attaques. La fusillade recommença dès sept heu¬ 
res du matin. 

Dans la soirée, les guérillas' incendièrent l'évêché. Le 
commandant Joftan fit tirer sur eux un coup de canon à mi¬ 
traille qui les dispersa. 

Le 18 au matin, la fusillade reprit, mais faiblement. Une 
partie des guérillas avaient quitté la ville dans la uuit. On 
aperçut bientôt la dernière de leurs colonnes se retirant par 
la route de Saint-Este van de Gosmas. 

A neuf heures du matin, des signaux furent faits, et un 
Espagnol, ancien officier d’artillerie, se présenta de la part 
de l’alcade. Ou l’introduisit dans le fort. Il apprit aux Fran¬ 
çais que les guérillas qui venaient de les attaquer s’élevaient 
à 9,000; qu’ils étaient sous les ordres du maréchal-de- 
camp don Joseph Duran, proclamé par la junte de Plie de 
Léon commandant militaire de l’Aragon ; et que ce géné¬ 
ral, venu avec un corps de 5,000 hommes, s'était grossi des 
bandc> du curé Merino et du chanoine Fraysé. Il attachait, 
dit l’officier espagnol, la plus haute importance à s’emparer 
de la garnison d’Araoda, qui gênait extrêmement les com¬ 
munications des insurgés sur le Douro. 

Cette attaque fit sentir la nécessité d’avoir un réduit for- 


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LB GÉNÉRAL JOCJAN. 


147 


lifii pour se rnellre à l’abri d’un pareil coup do main. On 
s'occupa donc de réparer les fortifications et d’en faire de 
nouvelles. 

Un bataillon polonais, fort de 700 hommes, vint de Val- 
ladolid, an commencement de juillet, renforcer la garnison 
<f Aranda. Trois jours après son arrivée, ce bataillon partit 
pour assurer les subsistances. L’expédition devait rester 
deux nuits dehors. Le troisième jour deux de ces Polonais 
rentrèrent blessés & Aranda, et rapportèrent qu’ils avaient 
été assaillis par des masses d'Espagnols dans an village où 
ils faisaient halte, que les postes avaient été massacrés et le 
bataillon détruit après une lutte désespérée. 

Le 10 juillet 1812, les Français apprirent que Duran 
avait organisé ses bandes, et qu’il devait diriger une nou¬ 
velle attaque sur Aranda, avec 4 bouches à feu, dès l’arrivée 
de renforts attendus de l’Âragon. Les officiers ,se concer¬ 
tèrent , on réunit la troupe, et tous jurèrent qu’ils 
combattraient jusqu’à la mort. Les dispositions de défense 
les plus énergiques furent adoptées. On plaça des combus¬ 
tibles dans les maisons voisines du fort, avec une garde pour 
mettre le feu à ces bûchers en cas d’attaque. Ces préparatifs 
jetèrent la consternation dans la ville. Une députation des 
notables vint implorer l’humanité du colonel Couloumy. 
Il leur fut répondu : « Nous sommes tous décidés à 
mourir, mais nous vendrons chèrement notre vie. Puis¬ 
que Duran ne fait combattre ses bandes que par les 
fenêtres, il y a nécessité de brûler les maisons pour 
éloigner de tels adversaires. » Le 15 juillet, plu¬ 
sieurs pelotons de cavalerie se montrèrent sur les bords du 
Douro. Une agression était imminente, et nos troupes pas¬ 
sèrent la nuit sous les armes. Aucun ennemi ne parut le 
lendemain. Bientôt on apprit que Duran congédiait ses 
bandes et se retirait dans la province de Soria. Les Français 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE. 


ne connurent pas la cause qui avait porté à cette retraite; 
ils conjecturèreut que la députation des notables d’Aranda 
n'y était pas étrangère. 

De fâcheuses nouvelles parvinrent à Aranda vers la fin de 
juillet 1812: l'armée française sous les ordres du duc de 
Baguse avait été défaite aux Arapiles, près de Salamanque; 
le roi Joseph-Napoléon quittait Madrid, ; on abandonnait le 
Portugal; le siège de Cadix était levé. Le général Foy, arrivé 
à Boa, fit savoir, le 31 juillet, à la garnison d'Aranda, qu’il 
la laissait libre sur le parti qu’elle avait à prendre; que, 
quant à lui, il serait le 2 août à Lerma pour y séjourner 
jusqu'à nouvel ordre, s’il n’était pas contraint par l’ennemi 
d’abandonner cette position. 

A ces nouvelles, qui n’annonçaient que trop nos pro¬ 
chains désastres, les officiers de la garnison d’Aranda s’as¬ 
semblèrent en conseil ; il fut unanimement déridé qu’on 
suivrait le mouvement de retraite du général Foy. 

Le 2 août 1812, à 10 heures du matin, les Français éva¬ 
cuèrent Aranda, emmenant leurs blessés et leurs malades, 
au nombre de 113, dont 13 officiers. Ils arrivèrent à Lerma 
à dix heures du soir; les troupes du comte Foy bivoua¬ 
quaient autour de la ville. 

Le régiment des gardes nationales de la garde se rémit en 
marche le 4 août pour se rendre à Burgos. Le général Rey 
commandait dans cette place, où se trouvait le quartier 
général du duc de Baguse. Le 10, au soir, il prévint le chef 
de bataillon Joüan qu’il était désigné pour commander un 
détachement de 680 hommes devant escorter jusqu’à Birvics- 
caunaide-de-campdeMarmonl, le colonel Favier, qui allait 
porter à l’Empereur, en Russie, le funeste bulletin des Ara- 
piles. M. Joüan se rendit à neuf heures chcx le maréchal pour 
recevoir ses ordres, et partit la nuit même. Huit jours après, 
une nouvelle escorte, mais celte fois des plus ridicules, lui 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


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échut. 11 fui chargé d’accompagner, avec 1000 hommes, le 
général d’Étoquigny et une espagnole, sa maîtresse, qui 
retournaient à Valladolid. 

An mois de septembre, le régiment des gardes nationales 
» rendit à Yittoria. En escortant un convoi entre cette 
ville et Tolosa, le chevalier Joûan se vit forcé, par suite 
d’indisposition, de rester à Mondragon. Il rentra malade à 
Yittoria. Dès qu’il fut rétabli, le général Thouvenot le char¬ 
gea du commandement des dépôts de la garde impériale. 11 
apprit à Yittoria l’entrée de Napoléon à Moscou; il y 
reçut, peu après, ce 29* bulletin si lugubre annonçant que la 
grande armée n’existait pins. 

En lévrier 1813, il fit partie, sous le général Mouton- 
Dnvernet, d’une expédition dirigée contre Longa.Gette colon¬ 
ne, forte de 1100 hommes, alla jusqu’à Pou ; elle courut le 
pays pendant sept jonrs sans pouvoir atteindre le chef de 
guérillas qu’elle cherchait. Après 24 heures de repos à Yit¬ 
toria, la même colonne reprit campagne; elle opéra du côté 
de Yilla-Franca et de Segura, et eut, avec les bandes de 
Mina et de Jaurcgni, deux engagements qui lui coûtèrent 
beaucoup et n’corent aucun résultat définitif. Les guéril¬ 
las ne se proposaient nullement de battre les Français, mais 
bien de les harceler et d’intercepter leurs communica¬ 
tions. 

Revenu à Yittoria, le commandant Joûan apprit que la 
friction de garde impériale attachée à l’armée d’Espagne 
avait reçu l’ordre de rentrer en France. La division Dn- 
monstier partit donc de Yittoria le 17 février, passa la 
Bidaasoa le 22, et arriva à Bayonne le 23. 

Le chevalier Joûan quitta Bayonne le 26 février, ayant 
sons ses ordres le régiment des gardes nationales et le 7* 
de voltigeurs de la garde, avec lesquels il marcha par étapes 
jnsqu’à Bordeaux. De nouveaux ordre» l’attendaient dans 


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GALERIE BIOGRAPHIQUE 


150 

celte ville. Il y trouva M. le baron Auguste Jubé, préfet du 
Gers, qu’il avait connu à Cherbourg dans le contrôle de la 
marine, et deux commissaires des guerres qui avaient pré¬ 
paré un service de voitures par lequel ses troupes se 
rendirent en poste à Paris, où elles arrivèrent dans la 
soirée du 14 mars 1813. 

A une revue passée le 28 du même mois dans la cour 
des Tuileries, M. Joûan reçut des mains de l’Empereur la 
croix d’officier de la Légion d’Honneur. 

Quelques jours plus tard M. Joûan passa dans son grade 
au 7* régiment des voltigeurs de la garde, et le 26 mai sui¬ 
vant colonel-major du l* r régiment de la même arme. 

Le colonel Joûan ne tarda pas k partir pour la nouvelle 
grande armée, où son régiment prit rang à Dresde, dans une 
division de la jeune garde, commandée par le général 
Barrois. Gette division arriva à Bichofs-Vcrda le 19 
mai, et alla bivouaquer à 1 lieue de Bautaen, prés d’un ch⬠
teau où l’Empereur venait d’élablirsoo quartier général. On 
se battit le 21 sur les rives de la Sprée. La lutte 
recommença le lendemain avec plus d’acharnement : ce fut 
la bataille de Bautscn. Dès midi les passages de la Sprée 
étaient forcés. Toutes les positions des alliés furent enlevées, 
malgré la plus opiniâtre défense et les avantages du terrain. 
A la chute du jour, M. Joûan fut détaché avec sou 
régiment sur les derrières du corps du maréchal duc de 
Reggio, pour empêcher l’ennemi d’intercepter la route de 
Dresde. Il y passa la nuit, et rejoignit sa division le 22 au 
matin. L’armée alliée, rejetée la veille sur sa seconde ligne 
retranchée, fut de nouveau culbutée. Cette victoire eût été 
décisive si nous avions eu une cavalerie suffisante. 

Après cette bataille, le 1" régiment des voltigeurs de la 
garde passa dans la division Dumoustier. 

Celte division fil son mouvement par la route de Rei- 


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IM GÉNÉRAL JOUAN. 


151 

ehenbach. On cnl dans celte journée du 23 mai une aBsire 
qui ne servit qu'à ralentir la poursuite des Français et à 
protéger la retraite des alliés. En trois jours de combat la 
Saxe venait d'étre reprise. L’ennémi fut suivi le 24> sur la 
route de Gorlilz, attaqué cl repoussé le 26 à Bunlzlau. La 
jeune garde traversa cette ville le 27, et alla s’établir près 
de LigniU, dans la Silésie prussienne. 

Toole l’armée continuait à marcher en avant, lorsque 
l'armistice de Plesswitz vint suspendre son mouvement. 
Napoléon porta son quartier général deNeumarckà Dresde. ' 
Les troupes de M. Joftan prirent des cantonnements le 
long de l’Oder, dans la Basse-Silésie, où il occupa tour à 
tour les villages de Leissendorf, de Brieg et do Kralkowilx. 
In CSte de l’Empereur fut avancée de cinq jours; cela 
annonçait la reprise prochaine des hostilités. Le propriétaire 
dn château de Kralkowilx, chez lequel logeait le colonel, 
revint le 13 de la petite ville de Carolatb, quartier général 
do feld-maréchal Bulow,et dit à son béte qu’il y avait va le 
prince royal de Suède Bernadotte et le général Moreau. 

L’armistice ne devait finir que le 16 août à minuit; le 
Md-maréchal Bâlcbcr le rompit dés le 14, en attaquant 
brusquement le prince de la Moskowa. L’Autriche, décla¬ 
rant la guerre à la France, se réunissait à la coalition avec 
200,000 combattants. Les alliés marchaient avec 600,000 
hommes pour envelopper les 300,000 soldats de Napoléon ; 
mais ce grand homme allait suppléer à l’infériorité numéri¬ 
que de ses troupes par la puissance de son génie. La divi- 
sion dont faisait partie M. Joflan quitta ses cantonne¬ 
ments le 13 août, et suivit la direction de Lauban, sur la 
Queiss, puis celle de Lowemberg, où elle franchit le Rober 
pour aller prendre position avec l’armée en faoe des Fr us- 
siens. Ceux-ci se retirèrent. 

Le 23 août 1613, les Français rétrogadèrent sur Dresde, 


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132 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


que menaçaient les Autrichiens. Le chevalier Joüan resta sent 
sur le Bober avec un régiment de la garde et trois escadrons 
de chasseurs. Il eut ordre de ne partir qoe le 24 au malin, 
avec mission de faire suivre les retardataires. En arrivant à 
Lauban, il reprit 300 jeunes Français qne des hnlsns 
emmenaient; ces conscrits étaient complètement démora¬ 
lisés. Sa troupe tourna Gorlils, traversa Baulsen, et rejoi¬ 
gnit l’armée à Schmidfeld le 23, à dix heures du soir. 11 
faisait depuis plusieurs jours un temps fort mauvais. On 
dormait sans abri dans la boue sur le bord des routes. 

L’armée fut en mouvement toute la nuit pour se concen¬ 
trer sur Dresde le 26 août 1813. La jeune garde prit la 
jtême direction dès quatre heures dn matin. Le chevalier 
Joüan, faisant fonctions d’adjudant-général, se mit à la tète de 
l’avant-garde à la première balte. Bientôt il entendit crier 
derrière loi: Faites place, c’est l’Empereur ! En moins d’nne 
minute Napoléon arriva. Il dit au chevalier Joüan sans Var- 
réter : «Suives moi un moment. » M. Joüan obéit : « C’est 
vousqni commandes?—Oui Sire.— Il parait que les jeunes 
gens qnc vous aves repris à Lauban n’ont pas fût éclater 
beaucoup de satisfaction. — Il y en avait. Sire. — Oui, 
mais ce n’était pas le plus grand nombre. J’espère que ceux 
que vous ailes diriger dans le cours de cette journée feront 
mieux leur devoir que ceux-là ne l’anraient.fait. —- Je le 
pense comme Votre Majesté, et j’oseraisméme en répondre. 
— Bon, dit l’Empereur. — Attendes votre troupe; nous 
nous reverrons peut-être aujourd'hui.» Déjà la fuûllade se 
faisait entendre sur les bords de l’Elbe, et le canon grondait 
au-delà de Dresde. La division Dumoustier entra dans cette 
ville à trois benres de l’après-midi. A quatre heures, le 
prince de Schvrartsemberg, généralissime de l’armée autri¬ 
chienne, commanda l’attaque. Ses 180,000 hommes, formés 
en six colonnes, précédées chacune de 80 pièces de canon* 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


153 


s'élancèrent sur les ouvrages français qui défendaient les 
abords de Dresde. Napoléon, qni n'avait à lui opposer que 
65,000 hommes, vit A l’instant le péril et le salut. Au lieu 
d'attendre l’assaut, il ordonna l’attaque dans les faubourgs. 

Sur la place, à l'extrémité du pont de l'Elbe, le général 
Dumoustier et M. Joflan trouvèrent l’Empereur i cheval 
avec sou état-major, il dit au général Dumoustier : « A la 
porte de Plauen ! Qu’on mette sur le champ l'artillerie en 
batterie, » Puis s’adressant à M. Joflan : « Et vous à la 
redoute; si elle est prise, il faot la reprendre immédiate¬ 
ment, et y laisser une compagnie de sapeurs. » 

La division se porta rapidement à travers la ville sur le 
point désigné. Une canonnade qui croissait de minute en 
minute éclatait à l'entrée du faubourg; les boulets sillon¬ 
naient les toits des maisons et tombaient dans les rues. 
L’avant-garde déboucha sous la mitraille par la porte de 
Plauen et en força le passage. MM. Joüan et Dumoustier, 
avec trois officiers supérieurs en tête de la première colon¬ 
ne, se précipitent sur une batterie autrichiennne, sabrent 
les canonniers qui la servent, et s’en rendent maîtres avant 
l’arrivée du reste de leurs troupes. 

La redoute que l’Empereur avait indiquée à M. Joflan 
tenait encore, mais elle était tournée et vigoureusement 
attaquée par les Autrichiens. M. Jottan s’y porta avec 
l'avant-garde et une batterie d'artillerie légère. Son mouve¬ 
ment est soutenu par les fusiliers-chasseurs. L'ennemi est 
abordé et chassé à la baïonnette; sa retraite est coupée; un 
de ses bataillons’, rejeté en désordre dans des jardins voisins, 
est pris par le colonel Gambronne, accouru avec le 3* de 
voltigeurs. 

Pendant ce temps, les régiments de la garde arrivaient 
successivement et se formaient les uns en bataille, les autres 
en colonnes. Une artillerie formidable les foudroyait à bon- 


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154 


GALERIS BIOGRAPHIQUE 


let, et le* Français n’avaient encore que fort peu de canons 
en batterie ponr riposter à l’ennemi. Au milieu de ce feu 
terrible, le comte Dumoustier est grièvement blessé; le 
général hollandais Tindal le remplace et éprouve le même 
sort. 

Un moment après, vers six heures du soir, M. Joüan 
a le bras gauche emporté par un boulet. Il jette son 
sabre, afin do tenir de la main droite les rênes de 
son cheval ; mais un autre boulet fracasse la mâchoire 
inférieure de cet animal, qui tombe et se renverse sur son 
cavalier. M. Joüan, aidé de quelques voltigeurs, parvint 
A se relever. 

Il avait l’avant-bras presque entièrement détaché, ne tenant 
plus que par quelques nerfs et par un fragment de la man¬ 
che de son uniforme. Toutefois il souffrait peu de cette 
affreuse blessure; il éprouvait seulement un engourdissement 
dans l’épaule et une vive altération. Mais son sang coulait à 
flots, il était urgent qu’il allât se Caire opérer. Cependant il 
ne se retira du fen qu’après avoir donné quelques ordres et 
fait placer une batterie de 8 canons, pour protéger la redoute 
dont la défense lui avait été spécialement recommandée par 
l'Empereur. 

En approchant de la porte de Dresde, au milieu des pro¬ 
jectiles qui labouraient le terrain, il rencontra le comte Cu¬ 
rial, qui lui dit avec émotion : a Et vous aussi, mou cher 
Joüan; il n’en restera donc pas aujourd’hui ? Je vais pren¬ 
dre le commandement de la division. Vous aurez bien de la 
peine A entrer en ville, tant il y a d’encombrement à la 
porte.» Il y pénétra pourtant, sans trop de difficulté, avec le 
sapeur qui l’accompagnait. Le premier objet qui frappa ses 
regards à l’entrée ducorp»-de-garde fut le cadavre du colo¬ 
nel Desbayes, des chasseurs de la vieille garde. 

M. Joüan fat aperçu dans Dresde par le docteur 


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LB GÉNÉRAL JOÜAN. 


155 


Joeob, chirurgien-major du l' r des voltigeurs de la jeune 
garde. Cet officier de santé le conduisit chez un carrossier ; 
un aide-chirurgien l’accompagnait. Avant de procéder à 
l’amputation, il voulut appeler du monde pour tenir le 
patient; M. Joüan s’y opposa, en disant qu’il subirait bien 
l'opération sans qu’il fût nécessaire de l’attacher. 

On apporta dans la même maison plusieurs officiers supé¬ 
rieurs de la jeune garde, blessés devant la porte de Plauen, 
entre antres le chef de bataillon polonais Truskouski, qui, 
horriblement mutilé, mourol pendant la nuit. Par une tou¬ 
chante confraternité d’armes, les domestiques de cet officier 
l’enterrèrent le lendemain dans le jardin do la maison, avec 
le bras amputé du colonel Joâan. 

Le blessé cul une nuit assez tranquille; mais le matin, 
en s’éveillant après un sommeil de quatre heures, il 
fit partir l’appareil appliqué sur son amputation. Le sang 
jaillissait jusqu’au fond de l’appartement lorsque le chirur¬ 
gien arriva. 11 fallut lui mettre le tourniquet et procéder 
de nouveau à la ligature des artères. Il souffrit beaucoup 
pins de cette seconde opération que de la première. 
Anton autre accident ne survint, et il entra promptement 
envoie de guérison. 

Aimé de ses camarades, estimé de ses chefs, M. Jottao 
était continuellement visité par des officiers de la garde. 
Le comte Dumoustier, blessé moins grièvement, en¬ 
voyait tous les jours savoir de ses nouvelles et lui porter 
les journaux qu’il recevait du quartier général. 11 fut l’objet 
d’une sollicitude non moins vive de la part de Moulon- 
Davemet. Les généraux Lobau et Curial vinrent également 
le voir sur-son lit de douleur. 11 reçut aussi la visite du colo¬ 
nel Cambronne, un jour que ce brave officier traversait 
Dresde avec son régiment de voltigeurs. Cambronne trouva 
H. Joüan lisant un journal, et lui dit brusquement ces 


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1S6 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


mots, en entr’ouvranl la porte: « Bonjour, Joüan. Ah! 
c’est bien, l'esprit est tranquille, de la résignation; conti¬ 
nuez. Adieu, mon vieux; je sois pressé et content; je m’en 
vais. » Et il s’çn alla effectivement sans plus de phrases. 

Des voltigeurs du 1" régiment, ayant reconnu le cheval 
de M. Joüan qu’on voulait vendre en ville, le lui ra¬ 
menèrent. Ce pauvre animal était dans un état pitoya¬ 
ble : il avait toote l’extrémité de la mâchoire inférieure 
emportée, de manière que la langue, n’étant plus soutenue 
par la rangée de la pince, pendait de deux & trou pouces; 
la bouche ainsi mutilée fonctionnait très-difficilement. M. 
Joüan recommanda à ses domestiques d’en avoir le plus 
grand soin. 11 tenait beaucoup à ce cheval, qu’il montait 
depuis 4 ans, et qui avait reçu sous lui bien des blessures. 
On réussit à le conserver, et son maître l’amena avec lui à 
Cherbourg; il vécut encore plus de 20 ans, paissant, 
exempt de tout travail, dans les herbages de la propriété de 
M. Jouan, à TréaoviHe. 

Le 12 septembre 1813, M. Joüan parvint à sortir de son 
lit. Le 17 il put descendre dans la rue, et le 19 il alla se 
promener en ville jusqu’au pont de l’Elbe. Le général Cu¬ 
rial le rencontra. « Tous voici donc! lui dit-il. Eh bien, 
puisque vous sortez, il faut que je vous conduise un de ces 
jours chez l’Empereur. Je vous ferai prévenir le matin, afin 
que vous ayez le temps de vous préparer, puis j’irai vous 
prendre en voiture. » 

Cette présentation eut lieu le surlendemain 21, à une 
heure do l’après-midi, a Sire, dit à l’Empereur le comte 
Curial, voici un blessé du 26 août, qui n’a pas été trop 
longtemps à se guérir. » L’Empereur répondit : « Je savais 
bien qu’il n’en mourrait pas, d’après ce qui m'avait été rap¬ 
porté par Lobau. » En s’adressant à M. Joüan : Hâtez-vous 
de vous rétablir; op vous placera au commandement d'un 


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LK GÉNÉRAL J0UAN. 


157 


bon département, vous tous y reposerez, et si malheureuse¬ 
ment la guerre continuait l’année prochaine, vous y feriez 
encore bien votre pli, n’est-ce pas ? » — Oui, Sire, répon¬ 
dit le colonel Jottan. 

Ne pouvant plus servir activement, il quitta la garde 
impériale, et fut nommé général de brigade le 4 " octobre 
suivant. 

M. Jottan partit de Dresde le 17 octobre 1813, à 
la suite de la jeune garde, coucha la première nuit à Meis- 
sen, la seconde dans une chaumière où le général Dumous- 
tier vint partager son gîte, et arriva à Leipsick le 9, à quatre 
heures du soir, après avoir été sur le point d’étre prb par 
des cavaliers prussiens. 

L’Empereur arriva le 13 octobre à Leipsick. Dès le len¬ 
demain un engagement eut lien près de celte ville. La san¬ 
glante Inlte de Wachau survint le 16. Enfin le 18 com¬ 
mença la désastreuse bataille de Leipsick. Ce terrible drame, 
dont l’issue paraissait si incertaine dés le début, mit le géné¬ 
ral Joâan dans une anxiété qui ne lui permettait pas de res¬ 
ter chez lui. En allant aux renseignements à la porte 
de la ville, il rencontra le général Goehorn, que des 
soldats portaient sur un brancard. Ce brave le reconnut, lui 
lendit la main, et lui montra ses blessures, auxquelles il ne 
tarda pas à succomber ; il avait les deux jambes fracassées. 
Un peu plus loin, il vit le général Jarry, arrivant à cheval, 
trat couvert de sang. Il courut à lui, et en reçut ces paroles: 
« Ah ! je viens d’étre blessé mortellement par mes propres 
troupes. Les Saxons que je commandab ont tourné 
leurs armes contre nous, et, pour adieu, m’ont en¬ 
voyé des balles dans l'épaule et dans une cuisse, a 11 vit 
ensuite le général Gouloumy, son colonel en Espagne, qui 
avait eu une jambe emportée; scs traits altérés, son moral 
affecté dénotaient sa fin prochaine. 


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158 


GALER1B BIOGRAPHIQUE. 


A onze heures du soir, les généraux Jotian et Dumous- 
tier apprirent que, les Français ayant épuisé leurs munitions 
(ils avaient tiré dans la journée 95,000 coups de canon), 
l’Empereur venait'd’ordonner là retraite. Déjà le matériel 
commençait à évacuer la ville. Les deux généraux montè¬ 
rent aussitôt en voilure et parvinrent à sortir de Leipsick, 
au milieu de l’encombrement et avec les plus grandes diffi¬ 
cultés. Ils passèrent les ponts à la suite des caissons de la 
garde, et se trouvèrent bientôt à la queue d’un parc d’artil¬ 
lerie commandé par le colonel Lignen, avec lequel ils firent 
route jusqu’à Lutzen. Ils franchirent la SaaleàWeissenfelds, 
où ils bivouaquèrent au milieu d’une grande batterie d’ar¬ 
tillerie à cheval, sous les ordres du colonel Lavoy. Le 20, 
il se mirent en marche dés l’aube, à la suite des caissons de 
l’intendance générale et suivirent toute la journée une route 
couverte à perte de vue de parcs d’artillerie cl de voitures. 
Ils rencontrèrent le général Dubretonà la file do sa division. 
Il leur fit part du désastre arrivé au pont de l’Elster, et leur 
offrit du beurre et du paiir, qu’ils acceptèrent comme un 
présent du ciel. 

MM. Joûan et Dumoustier partirent d’Erfurt, le 22 octo¬ 
bre, avec un convoi d’officiers généraux et supérieurs blessés, 
qu’escortait un peloton de garde impériale. Ils arrivèrent le 
même jour à Gotha, le 23 à Eisenach, le 24 à Fulde, et le 
25 à Schluchtern. Mais dans cette dernière étape ils couru¬ 
rent quelque danger. Après avoir traversé la petite ville de 
Hunefeld, ils aperçurent des piquets de cavalerie qui sor¬ 
taient d’un bois et se dirigeaient sur eux. Le général Joûan 
était le seul des blessés du convoi qui pût marcher. Il se mit 
A la tète des soldats de l’escorte et de quelques domestiques 
afin de combattre cette cavalerie qu’on ne pouvait éviter. 
Ces dispositions de défense imposèrent à ces cavaliers, qui 
se bornèrent à tirer quelques coups de carabine. 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


159 


MM. Joüan cl Dumoustier prirent des chevaux de poste 
à Schluhtcrn, partirent le soir même pour Gelnhausen, et 
gagnèrent Hanau vers minait. Les Bavarois qui s’étaient, eux 
aussi,déclarés contre la France, campaient près de cette ville, 
d’où Ion apercevait leurs feux de bivouacs au-delà du 
Mein. Le comte Dumoustier, épuisé de fatigue, voulait res¬ 
ter à Hanau, mais le général Joüan finit par le décider à 
continuer sa route. Ils en partirent après une heure do 
repos, atteignirent Francfort le 96, à quatre heures du 
matin, et arrivèrent à Mayence le même jour à dix heures. 

Là, M. Joüan fit ses adieux au général Dumoustier, et 
partit le 99 octobre 1813, pour se rendre à Huniogue, où il 
arriva dans la soirée du 7 novembre. 

Les alliés s’approchaient des frontières de France ; la situa¬ 
tion de cet empire, naguère si paissant, était alarmante. Les 
débris de notre armée ne se composaient que de malades ; 
nos régiments n’étaient plus que des cadres; la nation était 
épuisée d'hommes, découragée, divisée d’opinions, en pré¬ 
sence de l’Europe armée contre nous. Dans ce déplorable 
état, comment repousser une invasion ? Le général Joüan 
ne tarda pas à apprendre que les colonnes ennemies s'avan¬ 
çaient sur le Rhin. 

Craignant d’être fait prisonnier dans une place que l'en¬ 
nemi ne pouvait oublier, le général Joüan s’éloigna d’Hu- 
ningue avec sa famille le 97 novembre, pour se retirer à 
Nancy, où il arriva le 4 décembre 1813. 

Le 94 décembre, il reçut du duc de Feltre, ministre de 
la guerre, l’ordre de se rendre immédiatement à Genève, 
afin de prendre le commandement du département du Léman 
et celui d’une brigade d’infanterie qni s’y formait. Il partit 
pour sa destination le lendemain 95. 

A son arrivée à Neufchâteau, apprenant que l’ennemi 
avait passé le Rhin à Bàle, il pcit la route de Langres, au 


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160 


GALERIE BIOCRAPHIQGE 


lieu de suivre celle de Besançon. Honingue et Belfort 
étaient déjà bloqués, Yesoul était envahi. Parvenu à Dijon, 
il se présenta sans délai au général commandant la divi¬ 
sion; mais il ne put obtenir aucun renseignement précis. Un 
accueil plus fructueux l’attendait chez le général Vaux, 
commandant le département. De Morey, où il apprit l’occu¬ 
pation de Ferney, il se rendit par une route de traverse à 
Lons-le-Saulnier. Un homme aux sentiments français, U. 
Bergonnier, en était le préfet. Le général reçut tous les ren¬ 
seignements possibles, et se dirigea sur Bourg, pour tâcher 
de pénétrer dans Genève par la route de Lyon. Mais, entre 
Pont-d'Âin et Nantua, il rencontra, au milieu de la nuit, les 
voitures du baron Capellc, préfet du Léman, et du comte 
Bambuteau, préfet du Simplon, qui venaient de quitter leurs 
départements envahis par l’ennemi. Le baron Capelle apprit 
à M. Joüan que les coalisés avaient fait leur entrée à Genève, 
et que la garnison de cette place s’était retirée sur Cham¬ 
béry avec son commandant le général Jordy. M. Joüan 
n’avait plus à s'occuper du Léman, mais il avait à penser aux 
troupes qui en étaient sorties. Il rétrograda avec les deux 
préfets jusqu’à Pont-d’Ain. N’ayant pu trouver le moyen de 
passer à Chambéry par Seyssel, il se rendit à Lyon, se diri¬ 
gea sur Pont-dc-Beauvdisin et les Echelles, et arriva à 
Chambéry le 2 janvier 1814. 

Il y trouva le baron La Boche, commandant la 7* division 
militaire, venu la veille de Grenoble. Cegénéral de division le 
chargea du commandement du département du Mont-Blanc, 
dont le baron Finot, neveu du duc de Bassano, était préfet. 

M. Joüan s’était établi dans on hôtel à Chambéry, lors¬ 
qu’un personnage vint avec M. Domieux, maire de la ville, 
le prier d’accepter un logement chez lui;ce personnage était 
le général de Boignes, autrefois au service du Sultan de 
Mysore, qui avait rapporté de l’Inde une fortune colossale. 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


161 

Marié à une demoiselle d’Osmont, de Caen , cel homme 
généreux voulait qu'un compatriote partageât avec lui sa 
table et sa maison. 

Genève était au pouvoir des alliés; on ne pouvait douter 
qoe le département du Mont-Blanc ne fût bientôt envahi. 
Le général Joüan inspecta les troupes stationnées à Annecy, 
Frangy, Rumilly et postes correspondants. Elles s’élevaient 
à 1500 hommes environ. Deux colonnes autrichiennes, 
fortes de 16,000 hommes, l'une venant de Genève, l'autre 
dn Yalais, le forcèrent de se replier sur Annecy, puis sur 
Chambéry, où se réunirent toutes les forces dont il 
pouvait disposer, lesquelles se montaient à peine à 2,500 
hommes, soldats , gendarmes et douaniers. Nulle résis¬ 
tance n'était possible avec de si faibles moyens dans une 
ville ouverte. 

Après avoir dirigé sur Grenoble les magasins des dépôts, 
et lait approvisionner la garnison du fort Barreaux, il éva¬ 
cua Chambéry dans la nuit du 19 au 20 janvier 1814, 
et se replia sur l'Isère, avec le général de division La 
Boche. 

Le sénateur Saint-Vallier, commissaire extraordinaire 
de l'Empereur dans la 7* division militaire, envoya le géné¬ 
ral Joüan dans le département des Hautes-Alpes pour y 
surveiller et activer l'approvisionnement et l'armement des 
places fortes, notamment de celle de Briançon. Arrivé à Gap 
le 50 janvier, il s’occupa sans relâche des moyens de 
mettre le département en état de défense. Il visita Embrun, 
Mont-Dauphin, Guillcstre, Queyras, Briançon, et, commu¬ 
niquant aux habitants de ces rudes montagnes le patriotisme 
dont il était animé, il parvint, malgré les difficultés de la 
saison, à faire exécuter des travaux de défense. 

Il était spécialement chargé de la défense de Briançon, 
qu'on supposait devoir être attaqué. Il y établit son quartier- 

11 


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162 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


général. C’osl dans cette place que le général d’Ànthouard 
lui fit part des bruits qui circulaient touchant la restauration 
des Bourbons. Ces nouvelles se confirmèrent bientôt 
Malgré cette pénible éventualité, le général Joüan était 
déterminé à se défendre dans Briançon jusqu’à la dernière 
extrémité. Le feld-maréchal de Bubna le somma les 24, 
26 et 20 avril 1814, de rendre la place aux troupes 
autrichiennes sous ses ordres. Un refus laconique fut fait 
à deux de ces sommations ; la troisième reçut la réponse 
suivante : 

« Monsieur lo feld-maréchal, j’ai reçu la lettre que Votre 
Exc. m’a fait l’honneur de m’adresser de Chambéry le 27 
courant, à laquolle je réponds par la présente. 

k V. Exc. aurait une trop pauvre opinion de moi, si je 
rendais à l’étranger la place importante de Briançon sans 
avoir soutenu un siège jusqu’à la dernière extrémité, a 
« La réputation de V. Exc. est pour moi un sûr garant 
qu’elle ne cherche pas à me tromper en alléguant les 
évènements politiques survenus, dit-elle, dans le gouverne¬ 
ment de mon pays. 

« Je suis un vieux soldat mutilé, je crois connaître l’hon¬ 
neur militaire et les devoirs qu'il impose. J’ai reçu de l’Em¬ 
pereur l’honorable mission de défendre la place de Brian¬ 
çon; je considère toujours ses ordres comme étant dans 
toute leur force, tant qu’un autre gouvernement, légalement 
reconnu, ne m’en donnera pas de contraires. 

« C’est dans ces sentiments que je prie V. Exc. de vou¬ 
loir bien agréer, etc. 

a Signé : Le chevalier Joüan. » 

Au commencement de mai, près d’un mois après l’abdica¬ 
tion de l’Empereur, il reçut du lieutenant-général Marchand, 
succsscur du général La Roche dans le commandement de 
la 7 e division militaire, l’ordre de reconnaître l’autorité de 
Louis XVIII. 


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LE GÉNÉRAL JOÜAN. 


163 


Lors du passage à Briançon do l'armée d'Italie, qui ren¬ 
trait en France, le général Joüan fit réintégrer dans les 
magasins de celte place une grande quantité de munitions. 

Il partit de Briançon le 22 mai 1814 et alla prendre 
le commandement du département de la Drérae. 

Remplacé dans son commandement par le maréchal de 
campGuiot, M. Jouan quitta Valence le 13 août 1814. 
Il fit on séjour de près d'un mob à Parts, et % eut une 
audience du comte Dupont, alors ministre de la guerre. 
Obéissant à l'ordre qui lui prescrirait de rentrer dans 
ses foyers, il arriva le 3 octobre à Tréauvilie, après 

10 ans d'absence, et retrouva sa vieille mère, qu'il n'avait 
pasvuedepub 1804. 

Au retour de l'Empereur, M. Joüan reçut, le 13 
avril 1815, une dépêche qui l'invitait à se rendre dans 
le plus bref délai près du prince d'Eckmühl, miobtre de la 
guerre, pour recevoir une destiqation. Le général était le 25 
à Paris. 

Il se rendit le 26 au palais de l'Élysée. L'Empereur ne 
tarda pas à paraître. Quand vint le tour de M. Joüan, 

11 loi demanda où il avait perdu son bras: a Le 25 août 
1813, répondit le* général, à Dresde, en avant de la 
porte de Plauen, où je commandais l'avant-garde do la divi¬ 
sion Domoustier. — C'est malhcureu* que vous ne puis¬ 
siez plus servir en campagne ; M. le prince d'Eckmül, un 
bon département au général. » L'Empereur salua d'un petit 
mouvement de la tôte et passa. 

Le 27 avril, M. Joüan partit de Paris avec son 
aide-de-camp Fabien. Le 4 mai au soir il était rendu 
à Privas. M. Lucien Arnault, préfet du département, 
l’avait précédé de quelques jours. Le département de l’Àr- 
déche se trouvant sous le régime de l'état de siège, le géné¬ 
ral Joüan avait à Privas les attributions les plus étendues, 


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164 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


bien qu'il relevât du lieutenant-général Ambert, comman¬ 
dant la 9* division à Montpellier. 

Ses occupations étaient trés-multipliées. On appelait la 
classe de 1815; le conseil de révision était en permanence 
pour les jeunes gens rappelés au service, et qui montraient 
en général peu de bonne volonté. On les dirigeait ensuite 
par détachements sur Tannée active. On fit venir au chef- 
lieu tous les militaires retraités: quelques-uns se décidèrent à 
servir. On les réunit à des gardes nationaux, et Ton en for¬ 
ma un bataillon de 600 hommes, qui fut envoyé à Collioure 
pour y tenir garnison. En même temps le ministre de la 
police signalait au général Joüan beaucoup de royalistes 
turbulents et conspirateurs qu’il fallait surveiller. 

Les choses en étaient là, lorsqu’on apprit à Privas, à la fin 
de juin 1815, la funeste nouvelle de Waterloo. Alors tout 
changea de face dans ce département aux passions ardentes. 
Le 9 juillet, M. Jotian reçut l'arrêté suivant : « Le 
» préfet du département de TArdéche, pour le Roi, déclare 
qu’il a repris, au nom de S. M. Louis XVUI, roi de 
» France et de Navarre, l’administration du département de 
d TArdéche. M. Arnault, soi-disant préfet de TArdéche, et 
» M. le général Joüan, soi-disant commandant le dépar- 
» tement, sont invités à se retirer pour éviter les malheurs 
» et les déchirements que leur présence et leur opposition 
» à la reconnaissance du Roi pourraient occasionner. Leur 
» mission ayant cessé avec le gouvernement usurpateur 
» qui les avait nommés, il est expressément défendu à 
» toutes les autorités civiles et militaires de les reconnaître 
» et de leur obéir, sous peine, conformément à l’or don- 
» nance du Roi, d’être considérées et traitées comme 
» rebelles. — Donné à Aubcnas, le 8 juillet 1815. 
ci Le préfet de TArdéche, pour le Roi, Signé d’Indy. a 
Dans cet état de choses, le général Joüan et M. Lucien 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


165 


Arnault quittèrent l’Ardèche, où l’exercice de leurs fonctions 
devenait impossible. Ils sortirent de Privas le 10 juillet 1815, 
à cinq heures du matin, escortés par la gendarmerie, qui les 
accompagna jusqu’à Tain, où ils franchirent le Rhône et se 
séparèrent. Le général sc rendit à Valence. Il y rédigea un 
exposé succinct de ce qui avait eu lieu dans le département 
de l’Ardèche pendant la durée de son commandement, y 
joignit une copie de l’arrété du préfet d’Indy, et adressa 
ces pièces au ministère de la guerre, attendant ses ordres à 
Valence. 

Une réaction qui rivalisait avec les scènes de 1793 
souillait le midi de la France. Le général Joûan apprit à 
Valence l’assassinat du maréchal Brune, celui des Mame- 
loocls de la garde impériale au dépôt de Marseille, les 
meurtres de l’Ardèche, les massacres de Nîmes. Valence 
n’eut heureusement pas à gémir de ces hideux excès du 
délire politique. 

Cette ville ne tarda pas à être occupée par une division 
autrichienne du corps d’armée du feld-maréchal Bubna. 
Elle était commandée par le général autrichien comte Fol- 
liot de Crenneville, originaire des environs de Valognes, 
mais qui avait quitté ce pays longtemps avant la révolution. 
Le général Joûan lit connaissance avec cet ancien compa¬ 
triote. Le comte de Crenneville l'accueillit avec une fran¬ 
chise toute militaire, et lui offrit éventuellement sa pro¬ 
tection. Il est de fait qu’à cette époque les ennemis les 
plus acharnés de l’armée n’étaient pas les étrangers. 

Le 31 juillet, M. Joûan reçut du ministre de la 
guerre l'accusé de réception des pièces qu’il lui avait adres¬ 
sées relativement à son commandement dans l’Ardèche. Le 
14 août, le môme ministre lui expédia une seconde dépêche, 
par laquelle on lui annonçait que le marquis de Fange était 
nommé au commandement du département de l’Ardèche, et 


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466 


GALBR1B BIOGRAPHIQUE 


qu’il eùl à sc rendre dans scs foyers pour y attendre de nou¬ 
veaux ordres. Le général Jotian partit de Valence le 16 
août 1815. 

Le 25 au matin il entrait à Valognes. Le colonel prussien 
qui y commandait était de Lignitz;ilse trouvait être le 
neyeu d’une baronne do Brieg, chez laquelle M. Joûan 
avait logé pendant l’armistice de Plesswitz, en 18f3.il exposa 
.vcc convenance au général Joiian qu’il ne pouvait l'autori¬ 
ser à se rendre à Cherbourg, par la raison qu’il tenait 
cette place en état de blocus. 

Redevenu agriculteur à son retour à Tréauville, le géné¬ 
ral Joiian fit valoir sa propriété. L’année do 1816 
fut extrêmement humide; les pluies commencèrent à la fin 
de juin et durèrent jusqu’à l’arrière-saison. Les récoltes 
furent très mauvaises et une grande disette s’ensuivit en 
1817. Le général Joûan soulagea bien des souffrances pen¬ 
dant cette dure année; il faisait cuire du pain deux fois par 
semaine pour nourrir les pauvres de sa commune. 

Le 25 octobre 1817, le duc d’Angoulémc arriva à Cher¬ 
bourg. M. de Vanssay, préfet de la Manche, écrivit an géné¬ 
ral Joiian afin de rengager à présenter au prince les officiers en 
demi-solde, dont le nombre était alors considérable. Le doc 
questionna avec bienveillance M. Joûan sur ses campagnes, 
et l’invita à dîner. 

A compter du l 9r juillet 1818, le général Joûan, resté 
jusqu’alors en demi-solde, fut admis à la retraite ; mais sa 
pension ne fut réglée qu’en novembre 1819. 

L’éducation de ses enfants détermina M. Joûan à quitter 
la campagne. Il loua sa propriété et acheta une maison à 
Cherbourg, en face de l’hospice civil, rue Tour-Carrée, où il 
vint s’établir le 24 octobre 1823. 

Dans cette position il partagea les travaux du conseil 
municipal et fut administrateur zélé de l’hospice civil. 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


167 


Le 6 août 1830, M. Joüan reçut du ministre de la 
guerre sa nomination au commandement de la place de 
Cherbourg, en remplacement du général Galdemar. 

Le chevalier Joûan, alors Agé de 63 ans et retraité depuis 
12 années, ne s’attendait guère à être rappelé au service. 
Cependant il accepta avec reconnaissance l’emploi que le 
nouveau gouvernement lui conférait et entra en fonctions 
le 9 août 1830. 

Ce jour-lè, à une heure de l'après-midi, il y eut une 
réunion des électeurs à la mairie, afin de nommer une com¬ 
mission pour remplacer le sous-préfet, M. de Puibusque, 
qui était parti. Le général Joûan fut élu président de celte 
commission, et nommé par acclamation commandant de la 
garde nationale, qui s'organisait à Cherbourg. Le maire, AI. 
Collart, qui avait donné sa démission, fut remplacé provisoi¬ 
rement par un des adjoints. 

Déjà le nouveau gouvernement avait envoyé comme com¬ 
mandant supérieur à Cherbourg le maréchal-de-camp 
Hulot d’Osery, dont le trop fameux général en chef Moreau 
avait épousé la sœur. Hulot d’Osery avait eu le bras droit 
emporté à Essling, dans l’état-major du maréchal Oudinot; 
il avait perdu un œil dans une autre aflaire. Par son ordre 
du jour du 10 août, il installa le général Joüan dans ses 
nouvelles fonctions de commandant de Cherbourg et des 
forts. Les troupes du département de la guerre formant la 
garnison de la place se composaient du 64 e régiment de 
ligne, d’un bataillon du 4 e de la même arme, d’un batail¬ 
lon du 6* léger, d’une compagnie de canonniers vétérans et 
de deux compagnies de discipline et de pionniers. 

Il y avait alors à Cherbourg quatre adjudants de place; 
deux étaient d’anciens émigrés que le général Joûan ne 
pouvait conserver en fonctions. Il les remplaça par le capi¬ 
taine Fabien, son ancien aide-de-camp, et par un autre capi- 


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168 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


(aine retraité, M. Merci, qui avait été adjudant-major dans 
les grenadiers réunis à la grande armée. 

Charles X et sa famille .allaient venir à Cherbourg s'em¬ 
barquer pour l’exil. Le 12 août, après l’arrivée du courrier 
de Paris, le comte Hulot d’Osery dirigea sur Valogncs un 
bataillon du 64 e avec 2 pièces de canon, et fit partir pour 
Carentan la garde nationale de Cherbourg, dont le comman¬ 
dement fut donne à l'ancien colonel Chaufart. Cette expé¬ 
dition inutile avait pour prétexte de favoriser l’entrée de la 
famille royale dans la presqu'île du Cotentin, où pourtant 
rien ne s’opposait à sa marche. 

Le départ précipité de la garde nationale causa de 
l'émotion dans la ville. Pendant toute la journée du 13, la 
maison du général Joüan fut remplie de personnes qui 
venaient demander des nouvelles de l’expédition. Des mères, 
des épouses fondaient en larmes; le général, n'ayant reçu 
aucune dépêche, uc pouvait que donner des consolations à 
ces femmes éplorées, mais il ne parvenait guère à les ras¬ 
surer. Elles redoutaient une collision entre la garde natio¬ 
nale et l’escorte de Charles X. Enfin, le 14 au matin, on 
apprit que le bataillon dirigé sur Valognes rentrait à Cher¬ 
bourg, et que la garde nationale, qui avait poussé son mou¬ 
vement jusqu'à Carentan, était aussi en marehe rétrograde. 
Ces troupes rentrèrent dans la soirée, pendant la nuit et dans 
la journée du 15. Les gardes nationaux, exténués de fatigue, 
écloppes pour la plupart, revinrent les uns par groupes, les 
autres en charrettes. Cette expédition de Carentan fut un 
malentendu de l’autorité. Elle a fourni à Michel Le Goupil, 
poète et barbier-tisserand au Roule, le sujet d’un petit 
poème fort amusant, intitulé la Carentanade. 

Les commissaires chargés de surveiller la marche de la 
famille royale et son embarquement arrivèrent à Cherbourg 
le 14 août 1830 au soir, ayant laissé Charles X et sa suite 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


169 


à Valognes, où ils devaient séjourner jusqu'au 16, en atten¬ 
dant que les navires nolisés pour les porter en Angleterre 
fussent prêts à les recevoir. Ces commissaires, au nombre de 
cinq, étaient MM. le maréchal Maison, Odilon-Barrot, de 
Schonen, de la Pommeraye et le colonel Jacqueminot. 

Toutes les mesures militaires pour rembarquement de la 
famille royale ayant été prises, Charles X partit de Valo¬ 
gnes le 16 août, à 9 heures du malin. 

A une heure de l'après-midi, le convoi royal entra à 
Cherbourg par l'avenue du Cauchin et le quai Ouest du 
port de commerce. Il suivit la rue Corne-de-Cerf, la rue du 
Chautier, traversa le Parc-aux-Bois, et se rendit au port 
militaire, où se trouvaient les paquebots américains le 
Greal-Britain et le Charles-Caroll , affrétés au Havre pour 
transporter à l’étranger les princes proscrits. Charles X, le 
due et la duchesse d’Angouléme, la duchesse de Berry et ses 
deux enfants, qui étaient tous dans la même voiture, 
mirent pied & terre, et s'embarquèrent aussitôt, avec quel¬ 
ques personnes de leurs maisons, sur le Great-Britain % aux 
ordres du capitaine de vaisseau Duraont-d'Urville, com¬ 
mandant en chef de l'expédition. Le reste de leur suite prit 
passage à bord du Charles-Caroll , capitaine Couey, lieu¬ 
tenant de vaisseau. Ces deux bâtiments, escortés par la cor¬ 
vette de charge la Seine , que commandait le capitaine de 
frégate Thibault, et précédés de l'aviso le Bôdeur , capitaine 
Quernel, appareillèrent à deux heures et demie et firent route 
pour l'ile de Wight. Tout se passa aussi tranquillement 
qu'on pouvait le désirer. Les 7 à 800 gardes-du-corps et 
gendarmes d'élite qui avaient accompagné la famille royale, 
ne descendirent pas de cheval à Cherbourg; ils reprirent 
immédiatement la route de Valognes, et se rendirent à 
Saint-LÔ, où s'opéra leur désarmement. 

Le comte d'Osery quitta Cherbourg le 19 août. 


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170 


GALERIE BIOGRAPHIQUE 


Le général Maucomble remplaça le vicomte Proteau 
dans la subdivision du département de la Manche, et le 
lieutenant général Teste succéda au marquis de Clermont- 
Tonnerre dans la 14® division militaire. 

Compris dans l’ordonnance du 5 avril 1832, qui mettait 
à la retraite les maréchaux-de-camp âgés de 62 ans, 
M. Joüan reçut, le 27 dudit mois, Tordre de cesser ses 
fonctions à dater du l® r mai suivant. Il fut à cette époque 
créé commandeur de la Légion-d’bonneur. 

En 1841, M. Joüan quitta Cherbourg et retourna habi¬ 
ter sa propriété de Tréauville. 

Porté par le vœu des habitants aux modestes fonctions de 
maire de cette commune, le vieux général les exerça avec 
ce dévouement dont tous les actes de sa vie ont été cm» 
prêtais. 

La mort lui enleva Oberlé en 1847. Il fut péniblement 
affecté, au milieu des infirmités de sa vieillesse, de la perte 
de ce modèle des serviteurs militaires qui était attaché à sa 
personne depuis près de 40 ans. La fin d’Oberlé précipita 
la sienne. Heureusement que dans ce triste moment le géné¬ 
ral avait auprès de lui son fils Henri, récemment promu au 
grade de lieutenant de vaisseau. (1) 

Cependant le général, courageux encore malgré le poids 
de son grand âge, voulut aller aux Pieux le 3 mars, pour 
assister aux opérations du tirage»de la classe de 1846. La 
saison était rigoureuse; il souffrait de la goutte ; ce déplace¬ 
ment lui fut fatal. 

Le dimanche suivant, 7 mars 1847, à 2 heures du matin, 

(1) Henri Joüan, chevalier de la Légion d’Honneur, né à 
Tréauville le 25 janvier 1821, fit en 1840 la mémorable expé¬ 
dition de Sainte-Hélène, qui ramena en France les restes mortels 
de Napoléon I er . Il sert en ce moment h la Nouvelle-Calédonie, 
où il commande la Bonite . 


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LE GÉNÉRAL JOUAN. 


171 


le général Joüan mourut à Tréauville, à Pâgc do 80 ans cl 
3 jours. Il snccomba,*dans les bras do son fils, à une attaque 
de goutte remontée, après trois jours d’une indisposition 
quitta veille encore, ne présentait aucune gravité. Le vieux 
général s'éteignit sans agonie, en pleine connaissance, avec 
ce calme de conscience que donnent à l'heure suprême une 
vie sans reproches et les consolations de la religion. 

Ses obsèques furent célébrées è Tréauville le lendemain, 8 
mars. Un grand concours d'habitants y assistaient en deuil, 
avec un recueillement qui témoignait de la sympathie géné¬ 
rale. La garde nationale, la gendarmerie des Pieux, les 
douaniers de Diélette en uniforme, rendirent au défunt les 
honneurs militaires. La cérémonie se termina par un dis¬ 
cours prononcé par M. Noël, directeur de la Société aca¬ 
démique, alors sous-préfet de Cherbourg. 

« Cette terre, dit-il, recouvre l’un des plus nobles débris de 
nos armées. Le général Joüan appartenait à cette vaillante 
génération qui s’émut, en 1792, aux dangers de la patrie, 
et qui porta sur tous les points de l'Europe le glorieux dra¬ 
peau de la France. Il n’était pas seulement un soldat intrépi¬ 
de ; il avait encore les qualités qui conviennent au comman¬ 
dement. Aussi ne tarda-t-il pas à s’élever au-dessus d’une 
partie de ses compagnons d’armes. Bientôt il attira les re¬ 
gards de l’Homme extraordinaire qui présidait alors aux 
destinées de la France, et il eut l’honneur de faire partie de 
cette Garde qui éleva si haut la gloire du nom français. 
L’Empereur, en partant pour l’exil, le quitta avec le grade 
de général de brigade. Privé d’un bras, qu’il avait laissé 
snr un de nos derniers champs de bataille, le général Joüan 
rentra dans ses foyers après nos revers de 1815. L’édu¬ 
cation de ses enfants le força d'aller habiter Cher¬ 
bourg, où il remplit avec distinction et surtout avec un zèle 
admirable de nombreuses fonctions administratives. Le 


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172 


LE GÉNÉRAL JOUAN. 


Conseil municipal, la commission administrative de l'hospi¬ 
ce, et divers comités dont le général fit partie, lui fourni¬ 
rent l’occasion de manifester ce jugement droit, ces con¬ 
naissances pratiques, cet esprit de sagesse et de prudence, 
qui le distinguaient à un haut degré. En 1830, il fut investi 
du commandement de la place de Cherbourg. L'estime 
et la vénération qui s'attachaient à sa personne exercèrent 
une influence heureuse dans les jours difficiles. Le séjour du 
général dans cette ville fut pour lui le temps des plus cruel¬ 
les épreuves. Frappé successivement dans ses affections les 
plus chères, il supporta les amers chagrins de la mort avec 
le calme dont il avait donné tant de preuves devant les 
boulets de l'ennemi, a 


Notre arrondissement se fera toujours gloire d’étre la 
patrie du général Joüan, qui fut à l'armée le type de l'hon¬ 
neur et de l'intrépidité. Nul homme ne fut plus loyal ni plus 
humain. Poisse le souvenir de son mâle et noble courage 
planer sur les nombreux enfants de la Manche qui seront 
appelés à la défense de noire drapeau ! 


Carentan, le 18 octobre 1889. 


-w- 


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VIE 

N BIENHBOREDX THOMAS HÉLIE, 

DE BIVILLE, 

COMPOSÉE AU XIII e SCIÈCLB PAR CLÉMENT, 
PUBLIÉB AVBC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES, 

Par Lé«p«l» DELISLE, 

Membre de l'Institut, correspondant de la Société académique de Cherbourg. 


(Lie i U Séance di 3 mars 1860.) 

À l’occasion des honneurs qui ont été récemment décer¬ 
nés à la mémoire du Bienheureux Thomas Hélie de Biville, 
la Société académique de Cherbourg avait eu l’idée de 
recueillir dans scs mémoires un travail que le Journal de 
Valognes avait publié en 1848 et dans lequel j’avais tenté 
d’éclaircir plusieurs points de la vie du saint personnage. 
Quoique le temps n’ait apporté aucune modification aux con¬ 
clusions posées dans mon premier essai, j’ai cru qu’au lieu 
de se borner à une simple réimpression, il vaudrait mieux 
publier l’opuscule composé vers la fin du XIII e siècle, 
par un clerc nommé Clément, et d’où dérive à peu près exclu¬ 
sivement ce qu’on peut savoir avec certitude de la vie du 
B. Thomas Hélie de Biville. La Société ayant bien 
voulu approuver cette proposition, je me suis efforcé de 
remplir convenablement la tâche qui m'était confiée. 


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m 


VIE DU BIENHEUREUX 


Je n'ai rien négligé pour donner au texte de l'opuscule 
de Clément toute la correction nécessaire pour en rendre 
Tintelligence facile. Ce texte sera précédé d'observations 
sur les sources bibliographiques, sur la valeur des tra¬ 
ditions se rattachant à la vie du B. Thomas, sur les carac¬ 
tères du calice et de la chasuble conservés à Biville et enfin 
sur la perpétuité du culte rendu au B. Thomas depuis le 
milieu du XUI 9 siècle jusqu'à nos jours. Je réserverai pour 
des notes placées au bas des pages l'examen et l'explication 
de plusieurs passages du texte latin. 


I. — De la vie du Bienheureux Thomas composée 
par Clément. 

Le plus ancien et le plus précieux document qui nous soit 
parvenu sur le B. Thomas est une vie latine, com¬ 
posée par un clerc nommé Clément. Jadis l’église de Biville 
possédait un registre sur parchemin dans lequel cette vie 
était transcrite. Au commencement du dernier siècle, quand 
on s'occupa de la canonisation du Bienheureux, le registre 
fut apporté à Valognes. Il y fut perdu, peut-être par la 
négligence de M. Lallier, curé et official de cette ville. 

En 1673, Michel Cossin, prêtre de Cherbourg, Pavait 
emprunté pour en tirer une copie qui ne nous est pas 
parvenue (1). 

Quelque temps auparavant, un religieux du couvent des 
Bécollets de Bouen, Arthur du Monstier, non moins recom¬ 
mandable par sa piété que par sa science, avait visité avec 

(1) Mémoires conservés h l'hôpital de Coutances ; p. 59 de la 
copie de ces mémoires faite par M. l'abbé Colliu, pour l'église 
de Biville. 


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THOMAS HÉLIE DE BIVlLLE. 


175 


une infatigable persévérance toutes les parties de la Nor¬ 
mandie et recueilli d’innombrables documents sur nos anti- 
quitta ecclesiastiques. Le 25 juillet 1641, il était à Bivillc. 
La dame du lieu lui procura une copie de la vie latine con¬ 
tenue dans le registre de l’église paroissiale ; le lendemain 
il collationna lui même celle copie (1). Plus tard, le père du 

(l) Puisque l’occasion s’en présente, je demande la permission 
de rapporter en noté une lettre dans laquelle il est question de 
la vie du B. Thomas Hélie, copiée par le P. du Monstier. Cette 
lettre, adressée à D. Anselme Le Michel et conservée en original 
à la Bibl. Imp. (ms. latin 1067 de S.-Germain, f. 132), donnera 
une idée des difficultés que le courageux récollet rencontrait 
dans ses recherches. 

Mon révérend père, 

Ce petit mot sera pour vous avertir que le père Artus du 
Monstier, recollé, a passé par icy, d’où il n’a rien eu que les 
noms de quelques abbezquisout dedans l’obituaire, sans scavoir 
la datte ny le temps qu'ils ont vescu. Il vous en pourrait bien 
faire acroire plus qu’il n’y en a : car il n’a veu ny nostre bibiio- 
tèque ny nos archives, non pas mesme nos reliques. 11 disoit au 
commencement qu’il sçavoit tout ce qui estoit icy ; mais luy aiant 
refusé de voir ce qu’il demandoit, nous avons bien veu le con¬ 
traire. Il a esté chez Monsieur de Conches, qui luy a faict voir 
le cartniaire qu’il a, d’où il a peu colliger quelque chose, mais il 
n’y demeura pas long temps, et cependant qu’il y fût je fis ce 
petit abrégé des remarques qu’il avait faict au monastère de Lyre 
d’où il venoit, à cause qu’il avait laissé tous ses mémoires sur 
la table de l’hostcllcrie ; s’il ne fût arrivé si tost qu’il fit, ou 
que je m’en feusse aperçeu plustost, j’en eusse bien colligé 
davantage. J’ay tout veu et l’ay faict voir au révérend père. Je 
vous eusse volontiers désiré icy pour deux heures, bien qu’il me 
semble qu’il n’a pas grand chose. J’ai remarqué particulièrement 
un catalogue desabbezqui sontsaincts de Saint Wandrille, mais 
le reverend père prieur dit qu’il y en a autant dans le cloistre. 
Item j’ai remarqué une coppie d’un cartulaire des abbéz de 
Saint-Evroul, ou autres choses remarquables ; le tout estoit 
contenu en cinq ou six feuilles de papier. Jecroy que monsieur 


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176 


VIE DU BIENHEUREUX 


Monstier, fil entrer la vie latine du B. Thomas, dans 
un grand recueil qui n’a pas élé imprimé, et dont l’exem¬ 
plaire autographe est conservé à la Bibliothèque Impériale, 
sous le n° 966,4, du Supplément latin. C’est dans ce volume 
qu’au mois de mai de 1847, je remarquai la vie latine du 
B. Thomas que depuis longtemps on considérait- comme 
perdue. 

La copie d'Arthur du Monstier n'était pas unique, comme 
je Pavais d’abord pensé. Dans le huitième volume des Acta 
mnetorum me mis septembres, publié à Bruxelles, en 1853, 
le Père Antoine Tinnebrock a signalé trois autres copies de 
l'ouvrage de Clément, conservées dans les cartons des 
anciens Bollandistes : la première, envoyée à Bolland par 
Jacques Dinet, confesseur de Louis XUI; la deuxième, don¬ 
née en 1662 à Henschen et à Papebroke par le célèbre Huet, 
qui fut depuis évêque d'Avranchcs ; la troisième communi¬ 
quée en 1672 par le P. Pierre Champion. A l’aide de ces 
trois exemplaires, le P. Antoine Tinnebrock a donné dans 

le grand prieur les luy avoit données. De Seès il avoit fort peu 
de chose. Il me dit n’avoir rien eu du Mont Saint Michel, mais 
néant moins il en avoit colligé quelque chose dans Avranche; 
que j’ai veu fortconfusement.il avoit encore deux manuscripts, 
où il y avait trois ou quatre vies de Saincts comme celle cy 
Vita beati Pétri Âbrincensis , monachi savigniacensis , et une 
autre d'un nommé B. Thomas, avec quelqu’autre chose que la 
briefveté du temps m’a empesché de pouvoir remarquer s’il 
alloit encore dans nos monastères, vous pourriez avoir une 
coppie de tout ce qu’il a, en adverlissant quelqu’un, j’ay faict 
en sorte qu’il ne s’en est point apperceu. C’est pourquoy il ne 
faut pas luy en parler, s’il vous plaist. Je me recommande à vos 
saincts sacrifices. 

Vostrë très affectionné confrère, 

F. Aug. Jbuardac. 

De Conches ce 22 sept. 1641. 


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THOMAS HÉLYE DE RIVILLE. 177 

le recueil des Bollandistes une édition de l’ancienne vie du 
B. Thomas qui laisse peu à désirer. 

La préface de l’opuscule de Clément nous révèle dans 
quelles circonstances l'auteur se mit à l'œuvre. Les pèlerins 
arrivaient en foule au tombeau du B. Thomas Hélie. Pour 
être en état de satisfaire leur curiosité, un nommé Alain, 
probablement curé de Biviiie, s’adressa à Clément pour 
avoir un traité sur la vie, les vertus et les miracles du Bien¬ 
heureux. Une pareille invitation donne au travail de Clé¬ 
ment un caractère officiel qui en augmente l’importance. 
Mais il n’en faut pas moins rechercher sur quelles bases 
repose la narration qu'il nous a laissée. Il avait été témoin 
oculaire des faits qu'il raconte : quœ vidi, quœ manus meœ 
eontreclaverutU (1). Il avait assisté à une enquête faite par 
Jean d'Essej, évéque de Coulances, et par Baoul des Jar¬ 
dins, sur la sainteté de Thomas Hélie(2). Enfin il avait sous 
les yeux le rouleau original sur lequel était consigné le pro¬ 
cès-verbal de la môme enquête (3). C’est donc un auteur 
contemporain, et qui a travaillé d’après les renseignements 
les plus authentiques. 

L'ouvrage se divise en deux parties. Dans la premiè¬ 
re, intitulée Vila beati Thomœ Conslantiemis , l'auteur 
traite de la vie et surtout des vertus du B. 1 bornas. 
La seconde partie, intitulée Miracula beali Tkomœ Heliœ , 
renferme soixante et six chapitres, où sont racontés les 
différents miracles qui passaient pour s’étre accomplis 
au tombeau du Bienheureux. La manière dont ces mira¬ 
cles sont racontés mérite de fixer l’attention. Souvent 
le récit affecte la forme d'une déposition recueillie par un 


(1) Prologue de la Vie. 

(2) 1b., et Mirac., c. LX. 

(3) Prologue de la Vie. 


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VIE DD BIENHEUREUX 


juge. Par exemple : Narrai Guillclmus de Sancta Cruee , 
rector ecclesiœ Beati Germant de Trâileio , diocesis 
Conslantiensis, presbyter, juralus (1). — Narrai vir nobi- 
lis Valvanus, miles , dominas de Vauvilla , juratus (2). 
— CeciltOy uxor Odonis prœfati , jurata 9 narrai (3). 
Ce sont exactement les formules que nous rencontrons dans 
les procédures canoniques faites au XIII e et au XIV e siècle. 
Pour le vérifier, on n’a qu'à jeter les yeux sur les pièces du 
procès de canonisation de Saint-Yves, publiées dans le 
recueil des Bollandistes (4). 

Outre ces formules, il faut encore remarquer le soin que 
Clément met à distinguer les miracles constatés dans deux 
enquêtes différentes. D’où je crois pouvoir conclure que la 
seconde partie de l'ouvrage est un fidèle extrait des enquê¬ 
tes officielles auxquelles Clément avait assisté et dont il 
gardait le procès-verbal écrit sur un rouleau de parche¬ 
min. 


11. — De la vie du B. Thomas, rédigée en vers français. 


Le registre de Biville dont j'ai parlé, renfermait une 
seconde vie du Bienheureux, écrite en vers français de huit 
syllabes. Arthur du Monstier l'y vit en 1641, mais il ne 
l'inséra pas dans son recueil. Environ un demi siècle plus 
tard, Toustain do Billy ayant trouvé ce registre chez M. 
Lallier, transcrivit les vers français et les envoya à Fou¬ 
cault, intendant do la généralité de Caen. La copie faite par 

(1) Mirac., c. I. 

(2) Ibid., c. VIII. 

(3) Ibid., c. XVtl. 

(A) Mai, IV, 512. 


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THOMAS HÉLIE DE B1 VILLE. 


179 

Toustain de Billy est maintenant à la Bibliothèque Impé¬ 
riale^). Elle n’est pas d'une correction irréprochable: le 
bon curé du Mesnil-Opac n'était pas Irès-familier avec notre 
ancienne poésie. M. Ptuquel, de Baycux, semble avoir con¬ 
nu du même ouvrage un texte différent ; mais il n'indique 
pas où il l’a rencontré (2). Nous en sommes donc réduits à 
la copie défectueuse de Touslain de Billy. Le titre, qui 
manque dans cette copie, peut être rétabli, à l’aide d'un 
mémoire conservé aux archives hospitalières de Coutances 
(3). Nous y lisons : 

« Dans ce même registre, relié en parchemin, en lettres 
b gothiques, est encore décrite la vie de ce B. Thomas en 
b vers gaulois avec ce titre : 

La vie sainte , mœurs et miracles de Monsieur Tho¬ 
mas de Biville. 

Nomen Baptistœ, cognomen nominis iste 

Gessit qui dudum vestivit frigore nudum . 

In istis duobus vesibus est nomen actoris. 

Hic incipit vita boni Thomœ de Biville . 

Nous devons être curious 

Etc. 

D’après ces vers énigmatiques, on a supposé que l’auteur 
s’appelait Jean de Saint-Martin. A part cette conjecture, le 
seul renseignement que nous ayons sur le versificateur, c’est 
qu’il avait appris à parler le langage de la Hague (v. 30). 
Tout porte à croire qu’il vivait à la fin du XI II* siècle ou 
au commencement du XIV 1 2 3 4 . Gomme il l’annonce lui-même, 

(1) Suppl, franc., 1028, p. 96 et s. 

(2) Mémoire sur les trouvères normands , dans les Mém. de la 
Soc . des antiquaires de Normandie , 1824, 2 e partie, p. 441. 

(3) Ce mémoire est intitulé : Mémoire concernant les princi¬ 

pales choses sur lesquelles on peut informer . 


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480 


VIE DU BIENHEUREUX 


il s’csl borné à traduire un ouvrage latin, c’est-à-dire la vie 
composée par Clément. 

Dans la copie de Toustain de Billy, le récit s’arrête à la 
mort du Bienheureux Thomas; il n’y est pas question des 
miracles. Cependant le titre et le vers 43 peuvent faire 
soupçonner que le traducteur s’était occupé des deux parties 
du traité de Clément. 

Dans l’état où il nous est parvenu, l'opuscule français se 
compose d’environ 1100 vers. Le style et la versification n'ont 
rien de remarquable. Pour en donner une idée, rapportons 
le passage où sont racontées les premières années de la vie 
du Bienheureux. 

Ne vous poret pas bouche dire, 

Ny cuer penser, ny clerc cscrire, 

La bonté de li, non demie, 

O les biens qu’il fist en sa vie 
Cyoull bien de grand bonté signe, 

Ou il parleut de cuer benigne ; 

À ses escolicrs doucement 
Montreuty amiablement, 

Fus en franchicz ou en latin 
Et si aleut chcscun matin 
Au monstier dire sen service, 

Et puis, de retour de l’yglise, 

Vient trestout dret à l’cscole. 

Pour moustrer es clers la parole;* 

Et quant enseigni les avet, 

Si comme faire le savet. 

Si de temps ust petit espace, 

S’il venet, plein de la Dieu grâce. 

Au mousticr a tant vespres dire. 

En loant le soverain sire. 


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THOMAS HÉLIE DE BlVILLE. 


181 


Yglise aymeut sas toutes choses, 

Qu’il la laissas!, bien dire l’ose , 

Ne pour cousins ne pour nevous. 

Laissiez la cour, et elle vous. 

Pour ne pas prolonger davantage cette citation, je renver¬ 
rai au curieux travail que M. Gouppey a consaeré à la vie 
rimée du B. Thomas dans les Mémoires de la Société Acadé¬ 
mique de Cherbourg (1). 

III.— Des vies modernes du B. Thomas. 

Les ouvrages qui restent à examiner sont modernes et 
moins importants que les deux anciennes vies dont il a clé 
jusqu’à présent question. 

En première ligne se présente un très-rare livret intitulé : 
Récit de la vie et des miracles du B. Thomas Helye de 
Biville, prestre , curé de Véglise de Saint-Maurice , dans 
le diocèse de Coûtâmes ; par François LeMyere , mineur 
observantin du couvent de Bayeux. Bayeux, Pierre le Roux, 
1638. in-18 de 108 pages au moins (2).— Il commence par 
une épitre dédicatoire ; vient ensuite l’approbation de deux 
docteurs en théologie, Renoufet J. Le Bel, chanoine de Landes 
à Bayeux; puis un avis au lecteur, par lequel on voit que 
François Le Myere a travaillé d’après l’ancienne vie latine 
et d'après la tradition. L’ouvrage se compose des parties 
suivantes : 1° (page 1) Récit de lame du B. Thomas Helye, 
prestre; —2° (page 51) Récit des miracles de sainct Thomas 
prestre. Les pages 57 à 70 renferment les miracles arrivés 

(!) Année 1853, p. 104-143. 

(2) Cet ouvrage, dont je n’ai vu qu’un exemplaire très défec¬ 
tueux, est indiqué dans la Bibliothèque historique de la France , 
éd. de Fevret de Fontette, t. I, p. 695, n. 10960, et dans le 
Manuel du bibliographe Normand , par M. Frère, II, 208. 


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VIE DU BIENHEUREUX 


au XUI» siècle; c’est un abrégé de la narration de Clément. 
Suivent (page 71 à 85) d’autres miracles « arrivez depuis peu 
de temps » (1624-1632). Ils sont au nombre de vingt et un. 
— 3° (p. 87) Est-il loisible de vénérer et invoquer le Bien¬ 
heureux Thomas , attendu qu'il n'est point canonisé , 
ou Apologie pour les pèlerins du B. Thomas . 

A la fin du XVII e siècle, Jean Hélie, religieux de l’HÔ- 
tel-Dieu et curé de Saint-Pierre de Coulances, composa 
une vie du B. Thomas, dont il était, disait-on, parent. 
Approuvée le 27 janvier 1691 par Pierre de Blanger, le 28 
par Gilles Douer et le 10 mai suivant par l'évêque de Cou- 
tances, elle a pour titre : La vie et les miracles du B . Tho¬ 
mas Hélye, prestre, curé de Saint-Maurice au diocèse 
de Coutance , et aumônier de saint Louis , roy de France, 
avec un recueil de plusieurs instructions touchant l'hon¬ 
neur qu'on luy doit rendre , sa qualité de thaumaturge, 
sa béatification , sa canonisation, sa confrérie et la trans¬ 
lation de son corps. Le 20 avril 1692, l’auteur donna à l’église 
de Biville son livre copié sur parchemin en 78 feuillets, « pour 
servir d’original et estre mis dans les archives au trésor 
d’icelle église, après avoir esté de luyparaphé. » Cet exem¬ 
plaire est encore conservé à l’église de Bi ville. En 1822, M. 
le curé de cette paroisse fit imprimer le travail de Jean 
Hélie, sous le titre de Vie et miracles du B . Thomas Hélye, 
etc. (Cherbourg 1822; un volume in-12 de 162 pages). 
Mais l’édition ne reproduit pas tout à fait exactement le ma¬ 
nuscrit. Ainsi on n’y trouve pas les félicitations en vers que, 
suivant l’usage du temps, l’auteur reçut de plusieurs de ses 
compatriotes : Michel Rihouey, professeur de grammaire 
dans l’Académie de Coulances, Pierre Duboscq, professeur 
d’éloquence au collège de Coulances, François Le Bel 
(Belus), prêtre, professeur d’humanités au collège de Cou- 
lances, Pierre Jourdain, prêtre, de Coulances, et Guillaume 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLE. 


185 


Cœnens , grammairien , de Saint-Pierre de Coutanccs. 
Jean Hélie manquait de critique, te livre qu'il a composé 
n’est à proprement parler qu’une œuvre d’imagination, 
dans laquelle il amplifie le récit primitif de Clément (1). 

Soixante ans après Jean Hélie, Trigan, curé de Digoville, 
composa la vie du vénérable Thomas Hélie y prêtre , curé 
de Saint-Maurice , dit le Bienheureux Thomas , et la 
fit imprimer à la suite de La vie et les vertus de messire 
Antoine Pâté (Coutanccs, J. Fauvel, 1747; un vol. in-8°). 
Cet ouvrage est très-supérieur aux deux précédents; malheu¬ 
reusement Trigan venait trop lard : déjà le précieux registre 
de l’église de Biville était perdu; de sorte que le curé do 
Digoville ne put remonter lui même aux sources originales. 

H. l’abbé Colin, auteur d’une Vie du B. Thomas Hélye % 
publiée à Coutanccs en 1841 (in—12 do 290 pages), n’a pas 
été plus heureux. Il n’a connu ni le texte latin de Clément 
ni le poème français. Cependant le livre qu’il a donné est 
fort estimable et a justement fait oublier ce qui avait été 
imprimé jusqu’alors sur l'histoire du B. Thomas. L’auteur a 
poursuivi scs recherches même après la publication de son 
travail. Un tel zèle ne pouvait rester sans récompense. M. 
Colin a découvert aux archives de l’hôpital de Coutanccs 
une liasse de papiers relatifs au B. Thomas Hélie. Elle ren¬ 
ferme des pièces intéressantes et font parfaitement connaî¬ 
tre les procédures qui furent commencées sous le règne de 
Louis XIV pour obtenir la canonisation officielle du B. 
Thomas (2). 

(1) Comme se rattachant directement à l'ouvrage de Jean Hélie, 
il faut encore citer une vie du B. Thomas Hélie , prêtre de 
BMlle, extrait du manuscrit en parchemin , etc. (Cherbourg, 
Boulanger, sans date ; in~18 de 84 pages), qui a eu plusieurs 
éditions. 

(2) La copie que M. l'abbé Colin avait faite des documents 
trouvés à l’hôpital de Coutances m’a été communiquée en 1847 
par M. Guillebert, curé des Pieux. 


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VIE DU BIENHEUREUX 


Dans ccs dernières années, la vie du Bienheureux a clé 
l’objel de plusieurs mémoires pour lesquels les documents 
originaux ont été mis à contribution. Citons d’abord le grand 
travail inséré dans le tome VIH des Acta sanclorum mensis 
oclobris. On peut dire sans exagération que le P. Tinnc- 
brock, auteur de ce travail, est bien près d'avoir épuisé la 
matière. Il est regrettable que M. Guillebert n’ait pas eu 
connaissance de la dissertation des Bollandistes, quand il a 
publié, en 1858, le volume intitulé Le Bienheureux 
Thomas Hèlye dans son véritable jour (Cherbourg, 1858, 
in-12). M. Guillebert a le mérite d’avoir mis à profit les deux 
anciennes vies du B. Thomas retrouvées depuis une quin¬ 
zaine d’années; mais il s’est peut être attaché avec trop de 
conGance aux données de la tradition et au récit de quel¬ 
ques écrivains modernes. C’est là un véritable danger dont 
s’est habilement préservé M. Gilbert, auteur d’une Notice 
sur le Bienheureux Thomas Hèlye , prêtre de Biville (Cou- 
tances, 1859, in-18). Ce petit livret est un bon résumé de ce 
que la critique la plus sévère nous autorise à croire sur l’his¬ 
toire du B. Thomas. 

Pour compléter l’énumération des travaux consacrés à la 
vie du B. Thomas Hélie, il ne faut pas omettre le mémoire 
soumis en 1859 à la Congrégation des rites (1), pour faire 
reconnaître le culte rendu à ce saint personnage. 

Je ne parle pas des auteurs qui ont accordé à la vie du 
B. Thomas une place plus ou moins grande dans les histoi¬ 
res générales et dans les compilations hagiographiques. Ces 
auteurs n’ont fait que répéter les récits du P. Le Myere 
et des autres biographes du XVII e et du XVIII e siècle. 

(1) Confirmations cultus ab immemorabili tempore pœstiti 
servo Dei Thomœ Helyœ , presbytero sæculari et cleemosynario 
sancli Ludovici IX , regis Galliarum , Beato nuncupato, positio 
super casu excepto. Romæ 1859, in-4° 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLE. 


185 


Ainsi, pour résumer cet examen bibliographique, nous 
possédons aujourd'hui: —une vie latine, composée auXIII e 
siècle par Clément, — une traduction française de l'ouvrage 
de Clément par un rimeur qui vivait sous Philippe le Bel, 
— et différentes vies rédigées par des auteurs modernes. 
Hais ces derniers écrivains n'ayant point connu d'autres 
documents originaux que l'ouvrage de Clément et la vie 
française, la valeur de leurs récits est tout à fait secondaire 
et ne peut jamais balancer l'autorité des deux auteurs con¬ 
temporains. 

IV. — De quelques traditions relatives au B. Thomas. 

Presque tous les biographes qui depuis deux siècles ont 
écrit la vie du B. Thomas ont rapporté des faits qui repo¬ 
sent uniquement sur des traditions plus ou moins solidement 
établies. Suivant ces traditions, le Bienheureux Thomas 
Hélie aurait été curé de Saint-Maurice et aumônier de saint 
Louis. 

NiClémentni l’auteur de la vie rimée ne parlent des fonc¬ 
tions de curé exercées par Thomas Hélie. Mais le peu d’im¬ 
portance de cet emploi permet à la rigueur de supposer 
qu'ils ont cru inutile d’en entretenir les lecteurs. Le silence 
qu’ils gardent sur ce point n’est donc pas une raison suffi¬ 
sante pour rejeter une tradition à l'appui de laquelle on 
montre dans l’église de Saint-Maurice une étole qui passe 
poar avoir appartenu au B. Thomas (1). 

(l) Suivant plusieurs historiens modernes, les femmes encein¬ 
tes touchent cette étole avec une grande confiance. Pareil usage 
existait au moyen âge dans différentes églises. Ainsi Eudes, 
prieur de Cantorbéry, dans une lettre adressée à Philippe, 
comte de Flandres, vers 1175, rapporte qu’une femme, en travail 


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VIE DU BIENHEUREUX 


L'autre point mérite un examen plus approfondi» La 
qualité d'aumônier de saint Louis serait en effet le litre le 
plus éclatant que Ton pût ajouter au nom du Bienheureux 
Thomas. Je ne craindrai donc pas d'entrer à ce sujet dans 
quelques détails. 

Clément ne dit rien des rapports du Bienheureux Thomas 
avec le roi de France. Même silence dans la vie en vers 
français. Clément rapporte bien que Thomas Hélie séjourna 
à Paris, mais avant d'avoir reçu la prêtrise et pour étudier 
la théologie : per annos circtter quatuor lheologiam Parisim 
audivit; ce que l'ancien rimeur traduit ainsi : 

Et encoire tant nous diron 
Que par quatre ans ou environ 
Fut à Paris Thomas Hélie 
Pour y ouir de théologie. 

Ce ne fut évidemment pas pendant ce séjour que Thomas 
fut aumônier de saint Louis. On dira : rien n'cmpéche qu'il 
n'y soit retourné dans la suite sur l'invitation du roi. A cela 
je réponds: Clément ne fait pas la moindre allusion à cet 
emploi, qui eût été cependant le fait capital de la vie du B. 
Thomas. Comment ce fait eût-il été laissé de côté par un 
historien qni n'a pas négligé les moindres détails arrivés à 
sa connaissance? Expliquera-t-on ce silence en disant avec 
M. Couppey (1) que «l'auteur ne cherche pointé jeter un 
éclat mondain sur la vie de Thomas Hélie ? « Un tel argu¬ 
ment n'est pas sérieux. Rappelons-nous, en effet, le but que 
se proposait Clément : il voulait renseigner les pèlerins sur 
la vie, les vertus et les miracles du Bienheureux. Compren- 

d’enfant depuis trois jours et à l’article de la mort, n’eut pas été 
plus tôt ceinte d’une étole bénie par Thomas Beket, archevêque 
de Cantorbéry, qu’elle mit heureusement au monde un enfant 
plein de vie. (Martène, Collectio^ 1, 883.) 

(l) P. 120 du Mémoire précité. 


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THOMAS HÉLIE DE B1VILLE. 


187 


drait-on la conduite d'un écrivain qui, chargé do raconter 
la vie d’un personnage, ne mentionnerait pas le fait le plus 
important de cette vie? On a allégué un sentiment d’humi¬ 
lité chrétienne: mais depuis quand cette vertu a-t-elle con¬ 
sisté è taire la gloire du prochain? D’ailleurs, si Clément 
eût été mu par ce sentiment, il n’aurait pas non plus parlé 
d’antres rapports mondains qui tournent aussi à la gloire de 
Thomas Hélie. On a hazardé une autre explication : Clé¬ 
ment n’avait pas besoiu de parler de faits que personne 
n’ignorait. Mais n’en pourrait-on pas dire autant de la 
plupart des faits qu’il n’a point dédaigné de raconter ? 
Bailleurs, il ne faut pas l’oublier, le livre a été composé 
pour des pèlerins qui accouraient en foule è Biville des 
diverses parties du monde : ex diversis arbis climatibus ad 
ipriut tumulum confluentibm. Apparemment ces étrangers 
ne savaient pas d’avance les détails de la vie du Bienheu¬ 
reux: autrement le livre qu’on faisait à leur intention aurait 
été inutile. Ainsi Clément n’avait aucune raison de passer 
sous silence la charge d’aumônier que le Bienheureux eût 
remplie près du roi de France. On peut aller plus loin et 
affirmer sans hésitation qu'il devait en entretenir ses lec¬ 
teurs. 

Semblable à la plupart des vies de saints et des recueils 
de miracles, l’opuscule de Clément a été composé pour rele¬ 
ver les mérites de Thomas Hélie. Pour atteindre ce but, 
rien n’a été négligé par l’auteur; il s’étend longuement 
sur les missions que les évêques de Coutanccs et d'A- 
vranches lui donnèrent; sur l’intérêt que ses maîtres en 
théologie, Eude de Chûteauroux et Hugue de Saint- 
Cher, portèrent à sa mémoire ; sur ses liaisons avec la dame 
de Bricquebec et avec le seigneur de Vauville; sur le témoi¬ 
gnage même du epré de Biville. Mais quelle circonstance 
eût mieux mis en relief le mérite de Thomas, que l’honneur 


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VIE DU BIENHEUREUX 


dont saint Louis l'eût comblé en le choisissant pour au¬ 
mônier ? Celte circonstance eût alors produit une impres¬ 
sion d'autant plus profonde, que Clément écrivait peu 
d'années après la mort de saint Louis, c'est-à-dire au mo¬ 
ment où l’on appréciait le mieux les mérites de cet excel¬ 
lent prince, et où tous les Français suivaient avec impatience 
les procédures de la canonisation solennelle. 

On reconnaîtra, je l'espère, que rien n'empéchait Clément 
de donner au B. Thomas la qualité d'aumônier de saiut 
Louis, et que tout, au contraire, le portait à le proclamer 
hautement, s'il en avait été revêtu. De là, n'est-on pas fondé 
à croire que ce titre ne doit pas lui être donné? C’est là, je 
le sais, une preuve négative. Mais voyons si l'opinion con¬ 
traire s'appuie sur de meilleures preuves. 

Les plus anciens textes qu'on puisse opposer ne sont pas 
antérieurs aux guerres de religion de la fin du XVI* siècle. 
Le premier auteur qui en parle expressément est, à ma 
connaissance, le P. Le Myere, p. 35 et 36 de son livret. Je 
copie le passage: a S. Loys, Roy de France, duquel la mai¬ 
son et famille estoit toute sainte, le voulut avoir pour offi¬ 
cier. Et le Saint qui ne pouvoit honnestement refuser un si 
grand prince, accepta l'office d'aumônier de Roy qu'il exerça 
avec tant de vertu que le prince ne luy donna congé de se 
retirer qu'avec toutes les peines et les regrets qui se peu¬ 
vent imaginer. » Les auteurs qui sont venus après Le 
Myere ont rapporté le même fait avec plusou moins d’ampli¬ 
fications. Sur quoi se fondaient-ils? Les témoignages 
d’Arthur du Monsticr et surtout de Jean Hélie prouvent 
qu’au XVII* siècle on n’avait point d’autres vies anciennes 
du B. Thomas que les ouvrages de Clément et du rimeor 
français. Ce n’est donc pas d'après des documents contem¬ 
porains que les auteurs modernes ont donné au B. Thomas 
le titre d'aumônier du Roi. C'est uniquement d'après la tra- 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLE. 


189 


dilioD. Examinons si clic ne s’est point égarée. Je ferai 
d abord observer que la trace de cette tradition n’apparatl 
qu'au XVI 0 siècle, c’est-à-dire 350 ans après le fait en ques¬ 
tion, et que les documents authentiques et contemporains 
sont tous de nature à nous la faire suspecter. Au milieu 
même du XVII e siècle, celte tradition n’était pas encore 
universellement admise. André du Saussay, qui publia, en 
1637, son Marlyrologium Gallicanum , a consacré à Tho¬ 
mas Hélie un article rédigé en partie d’après la tradition, 
puisqu'il le qualifie de curé de Saint-Maurice (p. 760). Or, 
A. du Saussay garde le silence sur le prétendu titre d’aumô¬ 
nier. Le même auteur ayant reçu de nouveaux renseigne¬ 
ments, rédigea (p. 1216) un second article sur Thomas 
Hélie, qu’il appelle encore curé de Saint-Maurice, sans par¬ 
ler davantage des fonctions d’aumônier. De ce double silence 
dans deux notices en partie écrites d’après la tradition , ne 
peut-on pas en conclure qu’au XVII e siècle le titre d’aumô¬ 
nier du Roi n’était pas universellement reconnu au B. Tho¬ 
mas. A l’appui de Ja tradition on a invoqué un calice et 
une chasuble conservés dans l’église de Biville. Mais nous 
allons voir que ces monuments sont loin de fournir tous les 
renseignements qu'on a cru pouvoir en tirer. 

Il est un autre monument, dont l’interprétation ne donne 
lieu à aucune espèce de doute et qui mérite d’être pris en 
grande considération, quoiqu’il ait été détruit depuis long¬ 
temps. Je veux parler de l’ancien tombeau du B. Thomas. 
J’en emprunte la description à un procès-verbal daté du 
mois d’octôbre 1696(1). Sur ce tombeau, placé dans le chœur 
de l'église de Biville, était couchée la statue du Bienheureux, 
représenté en habits sacerdotaux, les mains jointes, la face 
tournée vers le ciel. Les surfaces verticales du monument 

(J) Copie de ce procès-verbal a été trouvée par M. Colin dans 
les archives de rhôpitai de Coutances. 


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VIE DU BIENHEUREUX 


étaient ornées de dix tableaux, savoir : un sur la surface du 
côté du crucifix, quatre sur la surface droite, un sur la sur¬ 
face tournée vers l'autel, et quatre sur la surface gauche. En 
rapportant les inscriptions qui expliquaient le sujet de cha¬ 
cun de ces tableaux, je serai dispensé de les décrire. Les voici 
d’après le procès-verbal de 1696 : 1 0 Van de grâce 1533, 
Jf e Michel Le Verrier, curé de céans et doyen d'Orglan- 
des, a donné ce tombeau. — 2° Comme Vesprit d'un 
prestre s'apparu à sa nièce pour accomplir un vœu céans. 

— 3° Comme il fut alluminé un aveugle par la prière du 
benoist Thomas. — 4° Comme le benoist Thomas a res¬ 
suscité un enfant cheu sous la roue d'un moulin. — 5° 
Comme le benoist Thomas a ressuscité une fille, laquelle 
a été noyée. — 6° Comme le benoist Thomas preschoit 
devant les évêques de Coutances et d'Avranches. — 7° 
Comme le benoist Thomas a ressuscité un homme , 
lequel étoit muet, sourd et insensé. — 8° Comme le 
benoist Thomas a ressuscité une fille qui étoit noyée 
dans une fontaine. — 9° Comme le benoist Thomas 
a ressuscité un enfant noyé dans une fosse pleine d'eau . 

— 10° Comme le benoist Thomas a ressuscité un enfant 
noyé dans un étang. Sur ce monument, qui datait de 1533, 
on avait évidemment voulu représenter les traits qui fai¬ 
saient le plus d'honneur au B. Thomas. Si alors oq eût cru 
qu’il avait été aumônier de saint Louis, au lieu de le figurer 
prêchant devant deux évêques, ne l’aurait-on point montré 
prêchant ou disant la messe dans la chapelle royale ? 

Je ne prolongerai pas davantage cette discussion, et je lais¬ 
serai de côté l'argument qu’on pourrait tirer du silence des 
historiens de saint Louis, si prodigues de détails sur 
tout ce qui concerne les pratiques religieuses de ce prince. 

Je me résume : la tradition seule donne au B. Thomas la 
qualité d'aumônier du Roi; cette tradition n'apparait que 


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THOMAS HÉLIE DE BIV1LLE. 


19 ! 


trois siècles cl demi après les évènement»; elle ne s'appuie 
sur aucun témoignage ancien. D'un autre côté, l'opinion 
contraire se base sur des documents authentiques et con¬ 
temporains; elle a pour elle le tombeau érigé au XVI* 
siècle, et n’est contredite par aucun argument sérieux. C’est 
an lecteur à choisir entre ces deux opinions. 

V. — DES ÇARACTÈttES DR LA CHASUBLE ET DU CALICE 
CONSERVÉS DANS L’ÉGLISE DE BlVlLLE. 

L’église de Biville conserve un calice et une chasuble qui 
passent pour avoir servi au Bienheureux Thomas et pour lui 
avoir été donnés par le roi saint Louis. Ces monuments 
poQvanl dans leur ensemble remonter au XIII e siècle, 
rien n’empêche de croire qu’ils n’aient été à l’usage du 
Bienheureux Thomas; mais il me parait plus difficile 
d’admettre la royale origine qu’on leur attribue. 

Le pied du calice porte l’inscription six fois répétée : 
mt donné par amour . Dans ces mots, qui n’ont peut-être 
pas été gravés avant le XV* siècle, on a voulu voir un 
témoignage de l’amitié dont saint Louis aurait honoré le 
Bienheureux Thomas; mais ils peuvent s’entendre de bien 
d'autres façons. L’inscription n’indique, en effet, ni le dona¬ 
teur ni le donataire, et n’est accompagnée d’aucun signe qui 
permette de suppléer au silence du texte. Sans lui faire 
violence, il est donc permis de supposer tel donateur et tel 
donataire que l’on voudra. D’ailleurs l’inscription peut rap¬ 
peler un hommage fait non pas à un prêtre, mais au saint 
patron d'une église. C’est ainsi qu’autour d’un ancien calice, 
jadis conservé dans l’abbaye do Préaux, on lisait cevers : 

Pandulphi pietas malri Domini dédit hoc vas (1). 

;i) Neurtria pia, MB. 


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192 


VIE DU BIENHEUREUX 


— Une autre explication qui me semble très acceptable, 
a été récemment proposée par plusieurs membres de la 
Société Académique de Cherbourg. El le consiste à voir dans 
les mots : sut donné par amour , une allusion au mystère 
eucharistique. L'inscription ne fournit donc aucune indica¬ 
tion précise sur l’origine du calice. 

Au premier abord, les ornements figurés sur la chasuble 
paraissent plus significatifs. Le tissu est formé d’un grand 
nombre de petits losages, dans lesquels sont alternative¬ 
ment représentés : une fleur de lis, un château, un aigle et 
un lion. On a voulu voir dans ces symboles les armoiries de 
saint Louis et de sa famille; mais les lions, les châteaux, 
les aigles et les fleurs de lis sont des motifs d’or- 
nementation que l’on rencontre à chaque instant sur les 
monuments du moyen âge. J’en citerai quelques exem¬ 
ples pris au hazard. Monsieur Albert Le Noir (1) a fait con¬ 
naître un fragment de linceul remontant au XII* siècle et 
qui a été trouvé dans les tombeaux de Saint-Germain des 
Prés. C’est une étoffe de soie violette sur laquelle se déta¬ 
chent en or des figures d’aigles et de lions. Un inventaire 
du trésor de Saint-Paul de Londres, en 1293, mentionne 
deux ornements sur l’un desquels on voyait des lions, des 
serpents, des aigles et des poissons; sur l’autre, des lions, des 
fleurs, des lis et des besans (2). Parmi les ornements de la 
Sainte-Chapelle, décrits dans un document de l’année 1335, 
on remarque une touaille et deux custodes d’autel avec des 
lis d’or, des aigles et des lions de perles (3) Un chanoine de 
Sainte-Geneviève de Paris, mort en 1330, était représenté 
sur sa tombe avec une chasuble chargée de lions, desyrènes, 

(1) Statistique monumentale de Paris , Saint-Germain pl.Xllf. 

(2) Mon. anglie ., ancienne édit., 111, 317. 

(3) u Item una thoualia et due custodie al ta ris parata ad lilia 
deaurata et aquilas et leones de perlis. » Transcripta du Trésor 
des Chartes, aux archives de l’Emp., registre J., f® 44, v°. 


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THOMAS HÉLIE DG BIVILLE. 


193 


de levrettes,d’aigles et de dragons; sur la bordure de l'aube, 
des fleurs de lis alternaient avec des rosaces (1). M. Ramé (2) 
asignalé à Dol, dans une peinture du XIV* siècle, des enca¬ 
drements circulaires, renfermant les uns des lions ou des 
aigles, les autres des dragons ou des oiseaux. Sur le tissu 
dont est formé le pourpoint de Charles de Blois sont tracés 
en fil d’or des compartiments octogones qui renferment 
alternativement un aigle éployé et un lion passant (3). Au 
trésor de Notre-Dame de Paris on conservait, en 1438, une 
dalmatique et une tunique de samit vermeil, brodées « à 
chasteaulx, aigles et lyons (4). » On y gardait aussi un orne¬ 
ment dont l’orfroi était vert, a à fleurs de lys et chasteaulx (5).» 
Vers la même époque, la cathédrale d’Amiens possédait des 
ornements de samit blauc avec des roues d’or dans lesquel¬ 
les étaient des fleurs de lis, des châteaux, des lions cl des 
griffons (6). 

En présence de ces exemples, dont il serait aisé de mul¬ 
tiplier le nombre, il faut bien admettre que les ouvriers du 
moyen âge n'attachaient pas une signification héraldique aux 
fleorsde lis, aux châteaux, aux lions, aux oiseaux et aux autres 
motifs d’ornementation dont ils se plaisaient à décorer leurs 
travaux. Mais admettons pour un moment que les fleurs de 
lis, les châteaux, les lions et les aigles de la chasuble de Bi- 

(1) Statistique monum. de Paris , abb. de Sainte-Geneviève, 
pl. XVUI. 

(2) Bulletin archéoL de Vassociation Bretonne , III, 254. 

(3) Sur ce vêtement, voyez une lettre et un dessindeM. Ramé, 
dans le t.III du Bulletin archéologique de Vassociation Bre¬ 
tonne. 

(4) Inventaire conservé aux Arch. de l’Empire, L. 509. 2, 
p. 60. 

(5) Ibid., p. 61. * 

(6) Mém. de la Soc . des Antiquaires de Picardie , X, 318. 

13 


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194 VIE DU BIENHEUREUX 

vilic soient des emblèmes héraldiques, et examinons si, dans 
une pareille hypothèse la réunion de ces quatre blasons peut 
convenir à saint Louis et à sa famille. Les fleurs de lis ne 
présentent pas l'ombre d'une difficulté : personne n'ignore 
qu'au XIII e siècle elles ornent constamment Técu de nos rois. 
Les châteaux sont bien les armes de Blanche de Castille, 
mère de saint Louis : le sceau do cette reine suffit pour en 
faire foi (1). Les lions s’expliquent encore à la rigueur parles 
liens qui unissaient si étroitement les maisons de Castille et 
de Léon. Mais si on donne ainsi la raison des fleurs de Us, des 
châteaux et des lions, les aigles résistent à toute interpréta¬ 
tion. La seule explication qu’on ait hazardée, c’est que 
l'aigle sur la chasuble de Biville rappelle la maison de Mau¬ 
rienne, à laquelle se rattache Marguerite, femme de saint 
Louis. Mais il n’est pas vraisemblable que pour caractériser 
la famille de cette princesse on ait jamais pensé à choisir le 
blason d’un grand père maternel. 

Les ornements figurés sur la chasuble de Biville ne con¬ 
viennent donc pas à la famille de saint Louis. Mais je con¬ 
sens à passer sur cette impossibilité, et j’accorde que les iis, 
les châteaux, les lions et les aigles sont bien les armoiries du 
saint roi, de Blanche, sa mère, et de Marguerite, sa femme. 
S'en suit-il que le roi lui-même ait possédé l’ornement de 
Biville et qu’il l’ait donné à un prêtre ou à une église? Assu¬ 
rément non. Au moyen âge les armoiries des princes étaient 
souvent figurées sur des tissus destinées à de simples parti¬ 
culiers et dont la fabrication n’était commandée ni par ce& 
princes, ni par leurs officiers. A l’appui de cette assertion, 
jetons un coup d’œil sur l’inventaire qui fut dressé en 1360 
des meubles de Henri de Culanl, chanoine de Paris. Nous y 

(1) Voy. dans la Revue Archéologique , 13 e année, un article de 
M. Moutié, intitulé : Sceau inédit de la reine Blanche. 


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THOMAS HÉLIE DE BlVlLLE. 


19î> 


noierons un marche pied aux lis de France et aux barres de 
Bourgogne, cl un ameublcmcnl aux armes des rois de 
France, d’Angleterre et de Navarre et du comte de Cham¬ 
pagne (I). Si cet exemple ne parait pas décisif, nous ouvri¬ 
rons rhistoirc de l'abbaye de Croyland, et, parmi les évè¬ 
nements du XV* siècle, nous remarquerons le don fait au 
monastère par l'abbé Richard d’un ornement d’église sur 
lequel les armes d’Angleterre étaient écartelées avec celles 
de France (2). 

Ainsi, pour résumer en deux mots cette discussion, les 
lis, les châteaux, les lions et les aigles représentés sur la 
chasuble de Biville ne sont probablement pas de véritables 
armoiries; en tout état de cause, ces emblèmes ne sauraient 
convenir à saint Louis, et lors même qu’ils caractériseraient 
la famille de ce prince, ils ne suffiraient pas pour nous auto¬ 
riser à assigner à l’ornement la royale origine qu’une tradi¬ 
tion moderne voudrait lui attribuer. 

VI. — Du CULTE RENDU AU B. THOMAS H ÉLIS DEPUIS LE 
XIII* SIÈCLE JUSQU'A NOS JOURS. 

Plusieurs auteurs ont assez longuement exposé l’histoire 
do culte dont le B. Thomas n'a jamais cessé d'étre l’objet 
depuis plus de six cents ans. Je me bornerai donc à signa¬ 
ler quelques faits dont l'importance m’a paru décisive. 

En première ligne, je range l'affluence des pèlerins dès le 
milieu du XIII* siècle. Clément rapporte qu’ils accouraient à 

(1) « Item unus marchipes ad arma florum lilii et barras de 
Bnrgondia. Item in caméra supra cameram domini una caméra 
pro tecto, scilicet de I1II peciis ad arma Francie, Anglie, Na¬ 
varre regum et comitis Campanie. Item sex quareili ad arma 
dictorum regum et comitis. » Arch. de l’Emp., S. 110, n. 8. 

(*) Hist. Croyland contin ., dansFcll,!, 515. 


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196 


VIE DU BIENHEUREUX 


Biville desdifférentes partiesdn monde: peregrtnisexdiversts 
orbis climatibus ad ipsum lumulum confluenlibus. Le moins 
illustre de ces pèlerins ne fut pas Eudes Rigaud. Ou lit dans 
le journal de ce prélat : « Le 11 septembre 1366, nous nous 
» rendîmes au tombeau du B. Thomas de Bi ville, par les rné- 
x> rites duquel le tout puissant seigneur Jésus-Christ opérait 
» nombre de miracles éclatants (!).» Ces lignes ont été écri¬ 
tes en 1366, c’est-à-dire moins de dix ans après la mort 
de Thomas Hélie. L’archevêque qui les a dictées n’est pas 
seulement une des gloires de l’église de Rouen; c’est encore 
une des lumières du siècle de saint Louis, 

Parmi les pèlerins modernes, je citerai Arthur Dumons- 
tier. Ce religieux, qui tient une des premières places dans les 
annales de l’érudition normande, vint faire ses dévotions 
sur le tombeau du Bienheureux Thomas au mois de juillet 
1641 (3).—Vers le même temps, l'église de Bi ville fut visi¬ 
tée par Le Camus, évêque de Bellcy. « Il fit allumer quatre 
» gros cierges ou flambeaux sur le tombeau du Bienbeu- 
» reux, outre ceux du grand autel, ét ayant célébré la 
» messe d’un confesseur non pontife, il disait qu’il étoit 
a comme canonisé par la voix et renommée bien établie 
a de tout le public (S), a 

Les vœux que dès le XIII* siècle on adressait au B. Tho¬ 
mas ne sont pas moins significatifs que les pèlerinages. La 
^seconde partie de l’oovrage de Clément est remplie du récit 
des guérisons obtenues par l’intercession du Bienheureux. Je 
n'ai pas à examiner si ces guérisons sont telles que l’auteur 

(1) « Accessimus per Deigratiam ad tumulum beati Tbomede 
Buievilla, ob cujus mérita multa miracola fiebant inibi mani¬ 
festa et varia ab Omnipotent! etc.»» Reg. visit. arckiep. Rotom ., 
ed.Bonnin, p «55. 

(2) Voy. plus haut. 

(3) Mémoires conservés à l'hôpital de Coutances. 


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THOMAS HÉLIE DE BIV1LLE. 


197 


les a dépeintes; ce qu’il importe d’établir, c’est que le peu¬ 
ple a?ait dès lors la plus entière confiance dans la sainteté 
do B. Thomas.'C’est là une vérité dont personne no peut 
douter après avoir lu le recueil des miracles rédigé au XIII* 
siècle. 

Il n'est donc pas étonnant qu’aussitôt après la mort de 
Thomas Hélie le clergé do diocèse do Coutances ait essayé 
de le faire canoniser par le saint siège. Ces démarches sont 
attestées non seulement par la relation de Clément, mais 
encore par une note écriteau XIII* siècle dans une espèce de 
rituel de l’église de Coutances. Cette note est ainsi conçue: 
« Le 4 janvier 1260, partit pour la cour de Borne Honoré, 
• vicaire de l’autel de Notre-Dame de Coutances, que l’évé- 
« que Jean d'Essci avait chargé de poursuivre la canonisa- 
» du Bienheureux Thomas » (1). 

Le corps du Bienheureux avait été inhumé dans le cime¬ 
tière, du côté méridional de l’église (2). Peu d’années après il 
fat transféré dans l’église, que, suivant le témoignage de 
Clément, on bâtissait alors à neuf. L’église actuelle de 
Biville est, à n’en pas douter, l’édifice dont il est parlé dans 
l’ouvrage de Clément. S’il fallait en croire la tradition, cette 
église n’aurait d’abord été qu’une chapelle placée sous l’in¬ 
vocation du Bienheureux Thomas. Il y a là, je pense, une 
confusion. Mais l’existence d’une chapelle dédiée au Bien¬ 
heureux Thomas n’en est pas moins parfaitement établie. Le 
pouillé du diocèse, rédigé vers 1335, la mentionne d’une 
manière formelle. On lit dans ce document : a Dans la parois- 

(1) Auno eodem, die quarta januarii, arripuit iter ad curiam 
Romanam Honoratus, vicarius altaris Beate Marie Constancien- 
sis, pro canonizacione beati Thome de Buievilla, de mandato 
domini Jobannis de Esseio, Constanciensis episcopi. » 

(S) Clément, Mirac., C. XII. 


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198 


VIE DU BIENHEUREUX 


d sc de Biville est la chapelle du Bienheureux Thomas de 
» Bi ville ; elle n'est point dotée. Le curé en perçoit les reve- 
» nus et l'entretient; il n’y a point de patron (f ). » 

L'église de Biville a toujours été placée sous l'invocation 
de saint Pierre. Mais telle était au XV* siècle la popularité 
du Bienheureux Thomas, qu'on le prenait parfois pour le 
véritable patron de la paroisse. Témoin un contrat du 16 
juin 1440, dans lequel figure « messire Germain de Beval, 
» prestre, curé de saint Thomas de Bieville (2).» Témoin 
encore deux aveux du fief de Méautis. Le 15 novembre 145!, 
Guillaume de Bricqueville, chevalier, déclare tenir du roi à 
cause de Jeanne de Méautis, sa femme, « ung fieu entier de 
» chevalier, dont le chief est assis en la viconlé de Caren- 
» ten, en la parroisse de Méautis, et s'estent ès paroisses de 
» Notre-Dame de Carenten, de Saint-Pierre de Santeny, 
» de Saint-Martin d'Auxais, de Breteville-sur-la-Mer et en 
» la paroisse de Saint-Thomas de Bieville, en la viconlé de 
« Valoigncs (3).»—Le6 septembre 1474, Jeanne de Méau¬ 
tis, veuve de Guillaume de Bricqueville, rendit aveu au roi 
pour un fief s'étendant « ès paroisses de Notre-Dame de 
» Carenten, de Saint-Pierre de Sainteny, de Saint-Martin 
» d’Âxès et Breteville sur la mer, et en la parroisse de Sainct 
» Thommas de Bieville (4). » 

Il y aurait beaucoup de détails à rapporter sur le culte 
qui a été rendu dans les derniers siècles au Bienheureux 

(1) In dicta parochia est quedam capella beati Thomede Boe- 
villa, et sine dote. Hector percipit omnes fructus ejusdem etmi- 
nistrat eidem necessaria, et nullus est patronus ipsius. » F. 57, 
y °du ms. de Coutaneeset f. 33 V°du ms. de Paris. 

(2) Matrologe de la confîr. du Saint-Sacrement de Valognes, 
f. 51. Aux Archives de la fabrique de Valognes. 

(3) Àrcb. de l'Empire, reg. P. 304, n.238, f. 207. 

(4) Arcb. de l'Emp., reg. P. 289, n. 298, jadis 157. 


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TH0MA8 HÉLIE DE BIYILLB. 


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Thonvis. J’ai cru oe pouvoir en donner une plus juste idée 
qu'en transcrivant la déposition faite en 1699 devant l’évé- 
qne de Coutances par Pierre du Gardin, écuyer seigneur 
des Mons et de Biville, âgé de quatre-vingts ans (1). 

« 11 a connoissance très-parfaite qu'il se fait journelle- 
a ment plusieurs prières publiques cl particulières en la 
a chapelle et au tombeau dudit B. Thomas ; qu'il s'y fait 
» souvent des neuvaines, et des neuvaines de neuvaines, et 
s des retraites, et des processions de temps plus qu'immé- 
a mariai, et a ouy dire la mémo chose aux deffunt sci- 
s gneur et dame ses père et mère et au défunt Varengues, 
» ancien curé, et aux anciens prêtres dudit lieu de Biville 
a décédés il y a plus de 53 ans, lesquels disoient 
a avoir veu la même chose pendant leur vie et avoir ouy 
a dire à leurs ancettres très-anciens qu'ils avoient aussi veu 
a la même chose à leurs ancettres et que la mémo chose 
a étoit arrivée pendant leur vie. 

a Que les sieurs curez et habilans de la paroisse de St.- 
a Maurice et de toutes les paroisses, en considération de 
a l'honneur que ladite paroisse de St.-Maurice a eu (suir- 
a vant l'ancienne tradition) d'avoir ledit B. Thomas pour curé 
a pendant quelques années, ont de coutume, de temps plus 
a qu'immémorial et dez le temps de son décez, d'aller, sans 
a manquer, de trois ans en trois ans en procession très nom- 
a breuse en ladite chapelle dudit B. Thomas pour luy ren- 
a dre un perpétuel hommage, et implorer la continua- 
a feu de sa protection et de son secours en toutes leurs 
a nécessités spirituelles et temporelles, et qu’en ladite pro- 

a cession qui se fit le.. il y avait plus de deux mille, 

a et que l'on y compta par curiosité jusqu'à 535 chevaux 
a dont se servoient les personnes incommodées, tous les autres 

(i) Cette déposition est consignée dans les mémoires queM. 

1 abbé Colin a touvés à l'hèpital de Coutances. 


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200 


VIB DU BIENHEUREUX 


a allant à pied, quoiqu'il y ait six à sept lieues de distance, 
a Dit aussy que depuis son enfance et le temps qu'il a l'usage 
a de raison il a toujours veu quantité de processions venir 
a en ladite chapelle tous les ans des paroisses voisines et 
a éloignées, tantôt plus, tantôt moins, suivant que les fléaux, 
a maladies, famines, pestilences et afflictions publiques aug- 
a mentoient ou diminuoient; qu'il y a veu venir des proces- 
• a sions de douze lieues loing; que, quoiqu'il n'y ait point de 
a fléaux publics, il a remarqué qu'il ne se passe )>oint d’an» 
a nées qu'il n'y revienne plusieurs processions, et qu’il en a 
a encore veu quatre le lendemain de la Pentecôte en 1696 
a des paroisses de Sainte-Croix, de Yauville, Héauville et 
a Vasteville; que le jour de la feste dudit B. de ladite an- 
a née il y en vit six en même temps. Dit aussy qu'il y a 
a environ 65 ans que la peste fit un dégât universel dans ce 
a pays cy, et qu’il remarqua que l'affluence des processions 
« étoit pour lors si grande en ladite chapelle dudit B. Tho- 
a mas, qu’il y en vit vingt-deux en un seul jour, et qu'il y 
a enavoit pour lors si fréquemment de jour et de nuit qu'il 
a n’y avoit presque point d’heure ni de moments que l’on 
a n'entendit le son des cloches et le chant des processions qui 
a arrivoient ou qui s’en retournoient. Que l'affluence des 
a peuples qui y venoient en leur particulier sans procession 
a y étoit aussi si grande, qu’à peine pouvoit-on pour lors 
a aborder do ladite église ni même du cimetière, quoi 
a qu'il soit très-spacieux. Et se souvient, et a une très-certaine 
a connoissance par sa propre vue et expérience, d'une 
a très-grande merveille qui arriva dans ce temps là : sca» 
a voir que, quoiqu’il n'y ait pour lors, suivant le bruit 
a public, aucune paroisse dans tout le pays qui ne fut affligée 
a du fléau de la peste, qui étoit pour lors générale par» 
a tout, cependant la seule parroissc de Biville et tous les 
a lieux renfermés dans ses limites en furent seuls entière» 


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/ 


THOMAS HÉLIE DE B l VILLE. 901 

9 ment, préservés par la protection tonte visible dudit B. 

§ Thomas, le bruit de laquelle merveille obligea une infi- 
» esté de peuples, pour éviter ou se délivrer de la conta- 
9 gion, d'abandonner leurs parroisses et d'aller se réfugier 
t comme dans un azile et un port de salut assuré en la par- 

• roisse de Biville, pour être guéris ou préservés de la con- 
9 tagion, et que lesdits peuples, à l'imitation des soldats, 
s firent quantités de petites baraques de branche et de 

• jonc, poûr y demeurer, pendant que duroit le fléau, dans 
9 les landes et communes, sables et mielles du bord de la 
s mer, et autres lieux de ladite paroisse, quoique déserts et 
s éloignés de ladite église de Biville de demy lieue, en sorte 
9 que lesdits peuples s'estimoient et en effet se trouvoient 
9 en repos et en sûreté, pourvu qu'ils fussent arrivés dans le 
9 ressort et sur le premier pas des limites de ladite parroisse, 
s de sorte que lesdites communes, landes, déserts, mielles 
9 et sables du bord de la mer, dépendant et du ressort des- 
9 dites limites de ladite parroisse paroissoient pour lors 
a comme de petits camps d'armées par le grand nombre 
9 desdites baraques et par l'affluence des peuples qui s v y 
9 réfugièrent et qui y sauvèrent leur vie par le secours mira- 
9 culeux dudit Bienheureux; et remarqua aussy que sa 
9 protection fot aussy toute visible en ce que les prêtres 
9 de ladite église s'y confioient tellement qu'ils recevoient 
9 tous les jours sans crainte les oblations, rétributions des 
9 messes et prières des mains de quantité de personnes visi- 
9 blement pestiférées, sans qu'aucun fus! infecté par leur 
9 contagion. Et il sait très-certainement et par sa propre 
9 expérience que les peuples firent durant le temps de 
9 ladite contagion tant d'aumônes et d'offrandes d'argent 
9 en ladite église, en l'honneur dudit B. Thomas que l'on 
» fut obligé de vuider trois fois par chacttn jour le tronc de 
» ladite église, qui peut contenir environ dix écus étant 


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208 


VIS DU BIENHEUREUX 


» plein ; ce qui produisoit une très-notable somme d’ar- 
» gent, dont on a fait bâtir trois ans apres la belle tour qai 
» y est de présent, et le très-beao grand portail et vestibule 
» qui y furent dez le même temps bâtis, et plusieurs autres 
» embellissements et décorations en ladite église, scavoir 
» contretable du grand antel, la belle balustrade et les bancs 
» du chœur, le pavé du chœun et de l'allée, la peinture 
» des images du chœur et de l'allée, la chaire du pré- 

» dicaleur.. et plusieurs années depuis l'achat de plu- 

» sieurs livres et ornements d’église, et la démolition du 
» reste des murailles de l’ancienne nef de ladite église. » 
Après de pareils témoignages, il n’est pas étonnant que 
la cour de Rome ait reconnu la légitimité du culte rendu au 
Bienheureux Thomas et l’ait solennellement approuvé par 
une décision en date du 14 juillet 4859 . 




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VITA BEATI THOMÆ HELÏÆ. 


PROLOGUS 

Cogis me, cbarissime fréter Alane, imo Christi tharilas 
me compellit at de vita virtotibusqoe e miracalis Beati 
Thomæ Heliæ scribam aliquid, quod peregrinis et diversis 
orbis climatibas ad ipsius tomalum iconfluenlibus, super 
predictis te fréquenter, prout dicis, requirentibus, osteudére 
▼aléas, quod imitari debeaot, vel mirari. Quia igitur non- 
nullos ad amorem Dei non minus exempta quam predi- 
camenta succendunt, adhonorem sancte Trinitalis, ad exal- 
tatiooem nostre fidei, necnon ad œdificationem proximo- 
ram, necessarium reor, utejus virtutesetmiracula, prout ari- 
ditas miser» lingue me» suffici t, et ingenioli mei par vi tas pati- 
tor, imogratiasalyatorisnostriannuit, que yidi, que manus 
me» contrectaverunt, et quod per testes omni exceptione 
majores, quorum examinationi interfui una eum bon» 
memorie Johanne, Constanliensi episcopo, et fratre Badul- 
pbo de Gardinis, priore fratrum predicatorum Constantien- 
sium tune temporis, qui de mandato sedis apostolice super 
ejosdem Beati yita, mentis et miraculis inquirebant, et alias 
per bonos et fide dignos agnoyi, proloquar, et fideli, licetru- 
di styto conscribam, posteris nostris annuente Domino pro- 
fatnra. Habeo siquidem magnum Yolumen originale,scilicet 
inquisitionis prime per prœdiclos examinatores, me présen¬ 
te, facte; cui presentem compilationem (ne quis me putet 
inquisitionem, quod absit, adultérasse predictam) conjuu- 
gere dignum duxi. 


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VIB DU BIENHBUHBUX 


204 


INCIPIT VITA BBATI ThOMÆ C0NSTANTIKH8IS. 

I . — Fait igitar Beatus Thomas Helin in parochia sancli 
Pétri de Boevilla, (aliter a bonis ejnsdem sancli Pétri (proal 
idem Beatus Thomas aiebat) dicta (I), simplicibos ex paren- 
tibus, Helja scilicet et Mathilde, legitimis conjngibos, ( 2 ) 
Gonstanliensis diocesis, orinndud, stadiisque littcraram tra- 
ditos instruendus. Quantum vero diligens in disciplina ma- 
gistrique statu fuerit (rexit enim scholas in grammaticalibus 
multis in locis), ardenler scho lares ac socios su os non tam 
scientiam qnam bonos mores instruens, verbis et exemplb 
exhortans, longnm nimis esset scriptnne per aingnla com- 
mendare ; qnod et satb rei déclarant evenlns ; siqnidem 
sermone dnlcis, corde benignns, ardenter ac dulciler ins¬ 
trnens, scholarium ac sociornm anornm in se provocabat 
affectas; ecclesias diloculo snmmo freqnentans, debinc 
tempns disciplinb scholasticb insnmebat, et, si qnid pro 
tempore de die post scholasticnm studinm snperesset, ves- 
perlinis divinisqne landibns impendebat. 

II. — Sane tune lemporis in cibis, vestibns et alloqniis 
joenndis, sanctis tamen, satis commun» exterius habebatnr; 
rerum post régi men scholarum de Cesarisburgo valida febre 
correptns, per Dei gratiam convalescens, vestibns colorai» 
abject», omnino cœpil nti vestibns de vili bnrello, snb illo 
qno carnem domnerat antea modo, cllicio domans eamdem, 
quo nnnqnam carnit post modnm, donec debilis et impo- 
tens fait effectua, lncnltns et deformb crinibns, veslimenlo 
despkabilb, mnndi contemptom habita predkabat et gestn. 

(1) Sur cette étymologie du nom de Biville, voy. la note A, 
à la suite du texte latin. 

( 2 ) Sur le nom et la famille du Bienheureux Thomas, voy. la 
note B, à la suite du texte latin. 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLE. 


205 


Garnis desidcria vigiliis, disciplinis et jejaniis multipliciter 
cocrcebat. Eo siquidem temporc, cum Guiilclmo, fratre suo, 
mortuis parentihus, in jam dicta paroebia moram trahens, 
ul de domo divinam nocturnum diurnumque adirct servi- 
tium, cai cum presbjtero loci consuevcrat interesse, simi- 
loin clavem ecclesiæ dicti loci post complctorium retinens, 
obortis noctis tenebris ecclêsiam solus cum solo Deo locu- 
turus adibat. O quoi, quanti, quotiens in conlicinio, per 
prcdictæ ecclesiæ cæmcterium transeunles cum temporibus 
illis audierunt, prout narrai antiquités, in ecclesia sæpc fala 
gcmcnlem, sospirantem seseque disciplinis asperrimis affli¬ 
geaient! Inde vero satis tarde domum reversas, post modi- 
amt quietem circa noctem ad ecclesiam denuo properabat, 
laudibus matutinalibus, disciplinis et oralionibus vacaturus. 
Temporibus illis, tribus in hebdomada diebus ad minus jeju- 
nabat in pane et aqua, cæteris diebus pane hordeaceo cum 
modico pulmento contentus, rarissime carnes aut pisces co- 
medens, refectionem plenam declioans, ad cameram vcl ec¬ 
clesiam, post talem qualem refectionem, solitarius orationi, 
lectioni vel studio vacaturus, nunquam minus solus quam 
cum solus oral se reputans, secedebat. Et tune proposilum 
pauperlatis amplectens, patrimonium snumfratri Guiilclmo 
jam dicto dimittens sine quolibet murmure, contentus erat 
iis quæ ad usum quotidianum dictasfrater ministrabat cidem. 
Qui super abstinentiæ nimietale, neenon et quia pane fru- 
menti et aliis cibis quibus apposilis non otebatur, fréquen¬ 
ter iocrepabat eumdcm. 

111. — Audiens autem bonæ memoriæ Johannes, Cons- 
tantiensis episcopus, famam viri Dei,fecit cum ad se vocari; 
cui inter cætera, quia sicut ncc dcliciæ exquisitæ, sic ncc 
affectâtes sordes laudem pariant, capillorum birsitudinem et 
▼estium usum sordidarum deponerc persuasif, dicens quod 


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306 


VIE DU BIENHEUREUX 


non dcccl immunditia scrvum Dci ; qucm poslmodum ad 
omnes sacros ordines, Domino favente, promovil. Vcrurala- 
men prinsquam sacerdos ficret, beatorum Pétri, Pauli el Ja- 
cobi apostolorum limina visita vit, et per annos circiter qua¬ 
tuor theologiam Parisiis audivit. De cujus abstinenlia, dili- 
gentia, jejuniis, disciplinis et occupationibus saoctis socii 
sui scbolastici multa tam miranda quam laudanda præfatis 
exami natoribus narra?erunt, quæ f ne fastidium gencrem, 
ad præsens omitto. 

IV.— Promotus’igilur in presbylerum, cœpit per eccle- 
sias Gonstanliensis diocesis verbum vit» ferventer seminare, 
in suis prœdicationibus indulgentias concedere, confessioncs 
audirc, pœnitcnlias injungere, confitenlesque absolvcrc, de 
dioccsani prœdicti licentià speciali; ad cujus instar, Guillcl- 
mus bonæ memoriæ, Âbrinccnsis cpiscopus, excrcerc præ- 
missa per ccclcsias suœ diocesis commisit eidem. O quam 
differt hic presbyler a sc pucro, si comparcmus vitam sacer- 
dotis ad vitam præccdcnlcm,quasi, utila loquar, inutilis fuis¬ 
se videbatur vita præcedens ! Siquidcm jejuniis, vigiliis, 
disciplinis, laboribus, orationibus, laudibus divinis, psalmis, 
hymnis, canlicis spirilualibus, exhorlalionibus, prædicatio- 
nibus, audiendis confessionibus, infirmorum visitationibus 
et consolationibus assidue vacans,noctemDeo,diemproximis 
impendebat. 

Y. — Scions itaque quod cum dispositione mutatnr hél¬ 
ium, jejuniis doinans carnem, proposait in illo fervore, 
prœter abstinentiam jam dictam, quadragesimas in pane cl 
aqua duas annis singulis jejunare; sicquc très eo lemporc 
conlinuavit, jejunans in pane claqua. Scd quia temperan- 
dum est ut obsequium Dei cœptum gradatim protrahatur 
potius quam per immoderanliam minuatur, ne deficerct ab 
incœpto prædicationis officio, factus inutilis præ nimia tenui- 


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THOMAS HÉLIE DE BIV1LLE. 


20Ÿ 


tate, de mandato prœfali Conslentiensis cpiscopi, austerita- 
tem quadragesimarom temperavit eamdem. Tribus diebus 
per hebdomadas quadragesiraæ singulas pane contenlus et 
aqua, cæteris diebus pane grossiore quem reperisset, oie- 
ribus aut pisisin aqua sine salis condimenlo buHilis, fréquen¬ 
ter contenlus erat. Baro siquidera, neenon et parcissime, 
piscibus in quadragesima vescebatur; extra quadragesimam, 
si forsan propter solemnitatem vel instantiam bonorum car¬ 
nes aut pisces comederet, quod perraro contingebat, par¬ 
cissime comedcbat. Simililer et si vinum biberet, parcis¬ 
sime bibebat et adeo lymphatum, quod quasi mutasse vini 
speciem videretur. Sexta feria per singulas ebdomadas in 
pane et aqua, neenon et die qua festum dominicæ Annun- 
ciationis evenerat, dum tamen sanus exisleret, jejunabat; 
aliis diebus pro potu sicera vel cervisia minore contenlus. 
A nonnullis, ut reor, parcimoniam diligentibus, id circo 
com gaudio suscipiebalur, quia, nullis ouerosus, omnibus 
alilisesset. Nihil propter separari volebat; quin imo prohibebat 
et prohiberifaciebat expresse: paratis vero, tanquammedicina, 
velut egregius mcdicus,sine murmure vescebatur, ut essetci- 
bus qui mortem arceret, non delicias ministrasset. El quia inter 
laula convivia minus fervet spiritus, non diu sedebat ad 
mensam sed discumbenles relinquens, et cum gratiarum 
aclione surgens, ad orationem vel leclionem, seu confes- 
siones aut alias occupationcs sanctas semet alio transfe- 
xebat. 

VI. De vigiliis quid referam ? Pernoctabal in ccclesiis ad 
quas declinabat, quatinus ad-vigilandum pronior, et ex cor- 
porali præsenlia Salvaloris et sanctorum suCTragiis ad oran- 
dumsive meditandum de divinis ferventior honestius vigi— 
lias excrceret. In prima siquidem vigilia noctis oflicio pro 
defunclis, septem psalmis pœnilcnlia!ibus,quindecim gradua- 


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VIE DU BIENHEUREUX 


libus, cum lilaniis et aliis septem psalmis, quos parvos psal- 
mos appollabat, cum quibusdam orationibus, suo clerico 
comitalus, tractim salis et devotissime decantalis, clerico 
prædicto, qui pro lempore eumdem comitabatur, ad infe- 
riorem partem ecclesiæ, ubi leclum sibi fecerat præparari, 
dimisso, remanens in cancello, non sine creberrimis gemiri- 
bus et suspiriis meditationi cl contemplationi rerum cœles- 
lium vacabat, cumque suum clericum credcret obdormisse, 
cum virgis aut propria corrigiasemetipsum asperrime disci— 
plinabat ; demum sopori,quod non cupiditas, sed nécessitas 
exigebat, ad requiem modicam, contentus modico stramine, 
cumquodam quandoque pallio corpus dabat et circa mediam 
noctis partem ad laudes matutinales surgens, clerico suo 
aiebat: « soci sursum! soci sursum! » valde modeste eum 
vocando. Nullus clcricorum suorum, prout referont, vidit 
eum, dum sanus esset, cubantem, vel de lecto surgentem. 
Laudibus igitur malutinalibus, orto lucis sidéré, hora prima 
devotissime decantalis, singulis fere diebus, impedimento 
cessante, summo diluculo missam celebrare solcbat. Dehinc 
viator assiduus, peregrinus egregius, in bac peregrinatione 
solo corpore constilulus, ad aliam ecclesiam properans bo¬ 
ns canonicis, aut orationibus, sive psalmis, aut confessioni- 
bus, quas in via fréquenter, a multis cum sequentibus audie- 
bat, vel aliis operibus sanctis ad laudem Dei vel ædifica- 
tionem proximorum indesinenter erat intentus. 

VII. — Animarum zelator præcipuus, ipsarum lucris ar- 
denter insistens, singùlis dominicis et festivis diebus, impe¬ 
dimento cessante, saltem semel quandoque bis vel ter in 
ecclesiis prædicabat; in die nativitatis Domini quater, scili- 
cet ad primam missam apud Boevillam, ad secundam apud 
Vauvillam, ad lertiam apud Sanctam Crucom, ad vesperas 
apud aliarn de vicinis ecclesiis; diebus singulis quadragesi- 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLE. 


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race saltem semel, quaodoque bis, et etiam diebusfestis quo¬ 
tas babebat congregationem populi, scholaribus in scbolis, 
religiosis in sois cœnobiis, prœdicarc solebat de fidei, pro 
qoa fidelium cordibns firmiler imprimenda totusardebat,ar- 
tkulÎ5,de quibos ecclesia solcmnizat; suis sermonibus inter- 
serens monita salutis, non sabliliter, sed faciliter, pro capa- 
citale audicntium, parvulis panem frangens; décimas et obla- 
tiones reddcre populos hortabatur. Post prœdicationem va- 
cabat confessionibus audiendis, fréquenter, præcipue in 
qnadragesima, nsque ad noctis tenebras jejunia 6cryando. 
knlti siquidem viri mulieresque fidèles alii per duos dies, 
alii per 1res, alii per hebdomadam unam, alii per duas et 
amplius quandoque, propter salutarem ipsius doctrinam, 
tom propter indulgehtias quas in his sermonibus conce- 
débat, cum propter ipsius sanclitatem et reyerentiam de pa- 
rochia in parochîam sequebantur eumdem. Quam plures 
etiam ipsum ad suas parochias yenientem cum gaudio 
snscipientes, clamabant alii : a Ecce bonus homo! » alii : 
« Ecceyir Dei! » Fama siquidem sanctitatis in populo cele- 
berrimus habebatur. 

VIII. — De disciplinis quid referam ? A juyentule sua 
cnm virgis aut corrigia sua semetipsum asperrime discipli- 
nare solebat. Quod et Parisius scholaris, et postmodum, 
faclas presbyter, in ecclesiis in quibus pernoctabat facere 
non omisit. Dicebat quandoque suis familiaribus quod dis¬ 
ciplina cum genestis et husso bona erat ad decipiendum 
carnem, quia ejus asperitas in disciplinandosatiserat tolera- 
bilis, sed diudurabat. Quis non est expertus qualissit ? Vc- 
risimile est quod tantus vir hœc non diceret inexpertus. 
Narrant siquidem sacerdotes, qui fuerunt ejus clerici, quod, 
cum transibant per spissa nemora, ubi crant præfaUe arbo¬ 
res, secedebat in partem, et tune ictus quandoque gemitus 

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VIE DU BIENHEUREUX 


audiebant, sed cominus accedcro non andebant. Quamdam 
corrigiam fcrralam tamdiu ad carncm portavit, donec 
per velustatcm defecit. Cum acnleo (1) autem annnli 
suœ corrigiæ, quemex indostria fieri fecerat longiorem, fré¬ 
quenter se pungebat, exindeque socii ejus sanguinem vi- 
debant ad ipsius pedes usque manantem. Sanc cicatrices 
vulnerum, quœ sibi fecit in pectore, in brachiis, in craribus 
et tibiis, apparentes in fine yitæ, punctiones easdem salis 
superquecomprobant. Credo siquidem, prout abeis quidam 
adhuc viveret in humanis erant audivi, quod bujus modi 
punctiones faciebat sibi, quando carnis stimulos scn- 
tiebat. 

IX. — Gcnuum flexiones creberrime faciebat. Officium 
divinum, semper stans. Tel flexis genibus, seu prostratus, 
dicebat. Ad illad verbum : qui passus est pro salule noslra; 
et ad illud : et homo foetus est, et ad illud : ave maria , gc- 
nua de more flcctcbat. Mirabiliter et ultra œslimationem 
fragilitatis nostrœ dévolus in oflScio divino persistens, lacri- 
mas prœcipue infra missarum solemnia fréquenter babebat. 
Celebraturus ex more prsceperat clericis suis ut populum 
facerent stare remotum post verba : hoc est corpus meum et 
estera sub silentio, prout moris est, dicta, contemplationi 
diutius insistebat, frequentius lacrimas multas effundens; 
post sumptionem corporis Chrisli lœtus et gaudens mirabi¬ 
liter apparebat ; rubens faciès, quæ prias erat pallida, sanc- 
tum cordis prstendebat ardorem. Non in missis tantum, sed 
alias etiam habere lacrimas consueverat, præcipue cum 
respicerct crucifixi imaginem, in cujus diutino aspectu 
suas baud poterat continere lacrimas. Unde semel accidit, 
quod, cum crucifixum instantius rcspicerel, inter copiosio- 
res lacrimas cruoris guttam emiscrit. 

(1) Cum broca , dans Tédition des Bollandistes. 


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THOMAS HÉLIE DE B1VILLE. 


311 


X. — Affluens itaque misericordiæ visceribus, compatie- 
batur peccatoribus, paaperibus et inGrmis. Horlabalar divi- 
tes ut pauperibus subveoirent, et quando, cum notis amicis 
tais comedebat, ori sublrabens scutellas, pauperibus facie- 
bat erogandas, dicebatque fréquenter eis : « nimis comeditis; 
date pauperibus. a InGrmos visita us consolabatur invitans 
eos ad afflictiones et tribulationes temporales, sibi ab aman- 
tissimo pâtre Dco, qui melius quam nos novit quid nobis 
expédiât, immissas, cum patienlia et gaudio sustinon- 
das. 

XI. — Animarum lucris ardenter insistens, ecclesias 
omnes dictarum diocesiom per [annos] circiterXII,in omni¬ 
bus, ut præfertur, saltcm semel, in majoribus bis aut ter 
prsdicans, pedes, et ante obitum suum circiler quatuor 
aonos nudipes, visitans incedebat. Equum tamen aliquando 
ascendebat, cum promisisset ad aliquam ccclesiam profi- 
cisci, non propter se, sed propter expectationem populi, ne 
tædio gravaretur. 

XII. —Ante obitum suum, perbiennium vel circa, varias 
in diversis locis infirmitates suslinuit corporales, in quibus 
fortior est effectua. Nam cum nonposset ecclesiam proGcisci, 
presbjtero in êcclesia célébrante, faciebat bis pulsari cam- 
panam, ad elevationem scilicet et sumptionem corporis 
Christi, quo ferventior spiritus ejus ad suam dirigeretur 
actionem. Communicaturus vero post missam, per presby- 
ternm qui celebraverat, diaconalibus vestimentis indutum, 
præcedentibus clericis, cum cereis accensis, invitatorium de 
advenlu : Ecce venit Rex, etc., vel : Benedictus Mariœ 

etc. cantando, sibi corpus Christi deferri solemnitcr 
faciebal. Intérim vero positus extra leclum (1), juxta quam- 

(l) Ant* lectum. Bollandistes. 


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VIB DU BIENHEUREUX 


dam formulant, pallio altaris opertam, Sa) valons præsto- 
labatur adventum ; quem sibi delalum cum gaudio susci- 
piens in manibus, cum ipso, quasi videret in effigie corpo- 
rali, diutius loquebatur, ac demum propriis manibus semet- 
ipsum communicabat. Quo sumpto, grates eis quod tam pre- 
tiosum cibum sibi delulerant, referebat. Islam servavît so- 
lemnitatem in multis suis infirmitatibus, quasi singulis die- 
bus quibus non poterat ad ccclesiam pergere. Solemnius 
aulem in ullima ægritudine, quia multos habebal visitatores 
sacerdotes et clericos, qui presbytero, Ghristi corpus defe- 
renti, cantantes, solemniter assistebant. 

XIII. — ln hac infirmitatc prævidens obitum suum, mi- 
sit litteras ad presbyteros Gonstanliensis diocesis, rogans eos 
ut, quia migrans anima de corporc conductu iodiget, ipsi, 
ut in eisdem litteris cavebatur, pro ipso migratnro Domi- 
num precarentur. Misitet alias litteras nobili matronæ Ali- 
ci», uxori Boberti Bertrandi, militis insignis (1), inter alia 
continentes : « Ego vos faciam scire quod vado ad curiam 
Paradisi, ubi procurator vester ero, quantum mihi permis- 
sum fuerit.» O grandis fiducia ! Fuit autem bæc Âlicia,ejus 
discipula, valde religiosa matrona, cui mnlta de suis révéla- 
vit arcanis, cumque semel ei revelasset de gutta sanguin», 
quam inter lacrimas habuit, ut præfertur, iojunxit ut gra- 
tias Dei ageret, quia de nullo secret» quod ei diceret tenta- 
batur. 

XIV. — Ante obitum suum perplures dies legi coram se 
de incarnatione et passione salvatoris evangelia faciebat, 
quæ, suspirans, gaudens et ad cœlum levans oculos, devo- 
tissimus audiebat. Ipso die migrationis su», non diu ante 
obitus soi horam, Guillelmum, presbyterum, capellanum 

; Voyez la note G à la iün du texte latin. 


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THOMAS HÉLIE DB BIVILLE. 


213 


capellœ de Bricquebec, qui fuerat ejus clericus, assistentem 
rogavil, ut ilium versiculum psalmislœ: in manu$ tua$ f Do¬ 
mine, commendo spiritum meum, etc. coram se dicerel, quod 
et fecit, et statim spiritus ejus ad suum migravit auctorem. 
In cujus ore vel corpore nihil apparuit inhonestum; manus 
ejus, ac si viveret, agiles extiterunt ; caro vero reliqua quæ 
fuerat in exercitio contiuuo, quam vulnerum sive punctio- 
oom quas sibi fecerat, ut præfertur, io argumentum nobilis 
mililis, cicatrices ornabant, puerilem præleudebat ætatem ; 
quod, sicut credo firmiter,castitas meruerit virginalis. Siqui- 
dem Petrus, presbyler de Boevilla, parocbialis suus, et alii 
presbyteri, quos, de licentia sive conseosu dicti parocbialis, 
fariistemporibus,iu confessores sibi elegit, quibus coofessio- 
nes humillime, faciebat asserunl quod iu suis confessionibus 
peccatum mortale nunquam perpendere potuerint. 

Obiit autem plenus dierum, auno dominicæ Incarnatio- 
ois MCCLV11, sexta feria, in crastino Beati Luc» evan- 
gelislæ, circa horam no nam. 


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MIRACULA. 


Quamvis, secundum quod dicitBeatus Isidorus, majas si! 
opéra bona facerc quam miracala vel signa, quia tamen, 
u! ait veritas, molli non credunt, nisi signa videant, ad 
ipsius beati Thomæ sanctitatem non tantum fidelibus per 
opéra suprascripta, sed infidelibus per miracula sive signa 
comprobandam, opcræ pretium est de signis, in vila site 
post mortem per ipsius mérita factis a Deo, scripturæ bre- 
viter aliqna commendare, 

I. — Narrai aotem Guillelmus de Sancta Cruce, rector 
ecdesiæ Beati Germani de Traileio diocesis Constantiensis, 
presbjtcr juratus, quiïuit diu cornes laboris ipsius, quod, 
cum quadam nocte pernoctarent in ecclesia de Landelis, 
ejusdem diocesis, et matutinas Beatæ Mariæ Virginis decan- 
tarent, repente, cum serenissimum tempus esset, venins 
validus sive malignus in vento spiritas irruit in eccle&iam 
tanto cum strepitu quod idem presbyter loquelam præ timo¬ 
ré amiserit, necipsi potuerit responderc; iile vero constans 
et intrepidus psalmodiam continuavit, nec unam syllabam 
quidem dimisit ; post modicum vero præcepit ei ut statim 
respondcret, et statim loquelam ad ipsius jussionem récu¬ 
péra? k. In crastino autem cum recessissent, in via requisi- 
vit eumdictus presbyter, si præfatum audivisset strepitum; 
cui respondit : a nonne melius fuit nos servitio divino inte¬ 
resse quam dormire? » necamplius abipso verbum repor- 
tavit. O grandis constantia, per quam patet ipsum in tenta- 
tione probatum ! 


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THOMAS HÊLIB DE BIVILLÊ. 


215 


II. — Item cum beatus vir, anno Domioi MCCLV, die 
qoadam seplimanæ pœoosæ (I), prædicaret in cœmeterio 
Saoeti Georgii juxta Sanclum Laudum, oec enim polerat 
ecclesia populum confinera, quidam laicus, Domine Firmi- 
nos de Mesnil Oury, terrain in quam semen jecerat, her- 
tiscebat, juxta ipsum cœmeterium. Quem videns bealus vir 
dixil ipso ostenso : « Ille non vult vcnirc ad sermonem; 
modo vadit» modo redit; plus curât de blado quam de ani¬ 
ma sua, et tamen non gustabit de blado pro quo laborat. » 
Corn que dictus Firminns in fine prædicationis advenisset, 
sperans assequi indulgentiam quam aliis concedebat, 
convenus ad eum beatus vir dixit : « O horno, pulasne 
te haberc indulgentiam ? non habebis quia non meruisti; 
sed scias quod de blado, pro quo laborasti, non comedes. a 
Qnod et verum fuit, ut prædixit : nam prædiclus Firminns 
in crastino Paschæ sequentis iter arripuit ad Sanctum Jaco- 
bum percgrinationis causa, et in via deccssit; propter quod 
patet ipsum prophetiæ spiritum habuisse, et hoc fuit fama 
publics. 

III. — Bursus cum idem beatus vir in cœmeterio de 
Moon subdius prædicaret, essetque tempusserenum,ascendit 
aubes aquosa; cumque mulieres ornatæ a futura plu via 
timentes (jam enim nonnullæ cadebant aquæ guttæ) surge- 
rent, ad ecclesiam properaotes, dixit eis: « sedete, nec time- 
atis; a tuncque conversus ad nubem, extensa manu, præ- 
cipit ei dicens : « Yadead Deum, ne impediasnos; a sicque 
aubes ilia récessif, et ille cœptum sermonem, Domino fa- 
vente, compte vit; sicque divinis obedienti præceptis obedi- 
vit nnbesirrationabilis tanta, non sine multornm admiralio- 
ne, qui tantam de Deo fiduciam in beato viro mirati sont, 
quod etiam nubibus imperaret. 

(l) La semaine sainte. 


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VIE DU BIENHEUREUX 


216 

IV. — Petrus, rector ecclesiæ saocti Pétri de Boevilla, 
daas facturus cainpanas æqualis ponderis, iu eadem ecclesia 
fecit fieri duo æqualis quantilatis proplasmata, per quemdam 
optimum ac fidelem virum campanarium. Facta vero prima 
campana, iuventum est in residuo quod superfuerat métallo 
XXV libras ejusdem metalii deficere, pro secunda campana 
cjusdem ponderis conflanda. Quare præfatus rector venale 
fecit perquiri metallum loca perplura.Quo non invento, cum 
per dies octo cessassent, contigit beatum Tbomam ad pr®- 
dictam venire ecclesiam, sciscitavitque causam tant® dila- 
tionis. Gui respondit ipse rector quia prœdicto campanario 
deficiebat metalii materia. Tune beatus vir benigne eos allô- 
quens dixit : a si Deus me servet, credo quod satis habetis : 
audacter agite. » Utque erat impatiens idem rector, dure 
respondens ait : a cerle pro follis nos reputatis : nonne ter 
ponderavimus metallum quod remansit ? » Sicque recessit 
iratus. Ipse vero beatus vir remanens in ecclesia moresolito, 
pernoctavit ibidem, summoque diluculo recessit. Porro dic¬ 
tas campanarius in crastino dixit rectori : « Domine, nonne 
audivistisquid magister dixerit de métallo? Eamus et videa- 
mus si Dominus nobis gratiam fecerit ?» — Cui respondit 
rector : « Placet.» Mox itaqoe ad ecclesiam venientes, die- 
tum ponderaverunt metallum, et invenerunt quinquagrota 
libras amplius quam prias repereranl, unde secundam con- 
fecerunt campanain. Hoc autem miraculum evasit famosum, 
quia notorium erat per totam parochiam de defectu bujos 
modi metalii; cujus quidem rei causa, campanarius ipse 
diebos octo otiosus remanserat. 

V. — Acelina, puella, triennis vel circa, filia Pétri Fnbri, 
ex parochia de Morsalines, Constantiensis diocesis, vultum 
per très dies habuit adeo inflatum et tumentem, quod nikH 
videret aut audiret, desperabantque parentes de vita dictæ 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLE. 


217 


puellæ. Eo tempore, quædam religiosa molier, Dionjsia 
Domine, quœ beatum Thoinam scqui consueverat per loca 
seu ecclesias in qoibus prædicabat, hospilata fuit penes dic- 
Ub puellæ parentes. Quibus ipsa compatiens, detulit infan- 
lem ad ecclesiam dicti loci, uki post missam a beato Thoma 
dilocnlo cclebratam, rogavit cum devole qualenus ei impo- 
neret manus quibus corpus Christi tcligorat. Âtlendens 
autan beatus vir fidem mulieris et compassionem, vultum 
puellæ tetigit, Dcum rogans ut sanitatem concedere digna- 
retor, sicque domum relata, post modicum teinporis spaliom 
fuil omnino curata. 

VI. — Johanna, Richardi Le Vignon filia, ex parochia 
sancti Pétri de Boevilla, maculam in oculo sinistro diu 
babuit, et circiter per mensem de eo vidcrc non valuit pc- 
nitus ; propter quod pater duxit cam ad beatum virum Dei 
adbuc viventem, die nativitatis Dominicæ, cui illam obtulit 
post secundam missam in ccclesia Boevillæ celebratam, 
rogans ut manum oculo puellæ apponeret; cui anuuens 
beatus vir manum oculo apposuit, signum crucis super ip¬ 
sum faciendo. Gumque dictus pater ab eo requireret quid 
dicerel de oculo supra dicto si posset curari, eo quod omnes 
ricini dicerent nunquam de cætcro posse sanari, respondil 
ei raide bénigne : « Richarde, non timeas; bene, Deo dante, 
sanabitur. *> Sicque puella post majorem missam, in eadem 
ecclesia celebralam, vidit et plcne curata’ fuit. 

VII. — Mabilia, uxor Pétri Guerard, de Boevilla, babuit 
manum dexteram inutilem et infirmant per annum et am- 
plias, adeo quod nibil per eam operari posset ; desperabat 
ipsa et maritus ejus neenon et medici de convalescentia. 
Tandem ad suggestionem dicti marili, de sanctitate beati 
Thomæ præsumentis, ipsum adiit, circa annum ante obitum 


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VIB OU BIENHEUREUX 


218 

suum ; coi ostendit manum, rogans ot eam palparct ; quippc 
quæ multum sperarct de saoitaie per eom recuperanda. 
Ipse vero benigne respondit : a quid polasquod ego possim 
facere ? a Tandem ejos instantia deviclus (erat enim ilit 
consangoineus) palpa vit manum, ctipsa die convaloit, fecit- 
que opéra consueta. 

VIII. — Narrai vir nobilis Valvanus, miles, dominas de 
Vauvilla (1), juralus, in cujus domo decessit idem servus 
Dei, quod corn ipse persnasisset eidem œgrotanti in domo 
soa in ilia infirmitate ex qoa obiit ut de quadam perdice 
comederet, ne per nimiam abstinentiam se interficeret, sed 
aliis profuturum se servaret, atque victus ejos precibos 
acquievissel, idem miles servientes suos cum retibus, cani- 
bus et avibus, proul moris est, misit ad campeslria, pro 
perdicibus capiendis. Alius servus ad litus maris perrexit> 
pro piscibus, si qui déclinassent, capiendis, ad quoddam 
genus retium, quod vocant quidellos, ibique reperit perdi- 
cem vivam in quidellis caplam, quod bactenus extilit inau- 
ditum ut perdices cum retibus in littore caperenlur. Qui su¬ 
pra modum admirans, Deum laudans ac ab ipso miraculose 
pro meritis dicti beati viri factum reputans, perdicem parari 
fecit ,eamdemque ser vo Christi detulit/u t comederet de eadem. 
In sero servientes alii redierunt vacui; quodamultis in par- 
tibus illis adhuc pro miraculo recitatur. 

IX. — Narrai etiam idem miles quod mater sua, sexa- 
genaria vel circa, de febre quadem quartana per invocalio- 
nem dicti beati viri fuerit omnino curata. 

X. — Idem narrai quod caméra in qua decessit idem 
vir Dei, post obitum suum, per mensem miro fragraverit 
odore. 

(1) Voy. la noteD à la fin du texte latin. 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLE. 


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U. — Idem narrat qood aqua, qua abluta fuil barba ip- 
sius bcati viri radeoda post moriem, ut moris est, quam idem 
miles habet, et pro reliquiis réservât, adhoc est mundissima, 
clarissima et recens, ac si de fonte nuperrime asportata fois- 
set; licet anni très et menses totidem completi sint a tcm- 
pore qoo e vita excessit. 

XII. — As tantes vero popnli pilos barbœ soæ post 
rasoram capiebant, ut pro reliquiis servarent ; alii se ejus 
feretro supponebant ; quidam deosculabanlur manus ejus; 
alii, tam viri quam molieres, chirothecas, corrigias, monilia, 
vel annulos apponebaot super ipsum, ut ea exinde pro reli¬ 
quiis observarent : allatum fuit corpus ejus a domo Valvani, 
militis, domini de Vauvilla, presbyteris, clericis, nobilibus 
et plebanis comitantibus mollis, ad ecclesiam sancti Pétri 
de Boevilla, post missarum solemnia scpultum juxta 
ecclesiam, ad latus australe, ubi elegerat sepulturam, ibique 
Dominos ad honorem sui nominis multa miracula beati 
viri mentis operatur. 

XIII. — Idem narrat quod Eona (1), uxor Âlexandri de 
Vauvilla, diu babuerat manum aridam, quæ, dum deferretur 
corpus beati Thomæ ad tumulum, affuit, et accipiens idem 
miles mulieris manum, ipsam in manum servi Dei posuit 
confidenter. Nec mora, curata fuit ad plénum domumque 
soam, gaudens et Dco gratias agens, post humatum corpus 
sanctum, rediii ipsa die. Hoc idem dicta mulier jorata depo- 
suit. 

XIV. — Lucia, filia Bogeri de Henevilla, quadam domi- 
nica, salis mane, anno MCGLIX, mense septembri, loque- 
lam perdidit apud Bricqucbec; existens autem muta adeo 

(l) Ennia . Bollandistes. 


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VIE DU BIENHEUREUX 


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graviter torquebalur, quod nonpoteral dormire vel rcquics- 
cere. Quam videns nobilis mulier, Alicia, domina de Bric- 
quebec, de qua su péri us mentiooem egimus, compatiensquc 
monuit eam ut iuvocaret beatum Thomam et tumulum cjus 
adiret; cuiannuens, quintaferiascquentiiteraripuit,venitque 
ad sepulcrum ipsius, ubi plorans et oraus in corde stetil 
juxta corpus Sancti viri. Tandem circa horam diei lerliam, 
cum devote in corde beati veri opem imploraret, inclinato 
capite ad sepulcrum ejus, slatim loquelam recuperavit, fuc- 
runtque prima prout in corde gerebat verba : « Domine mi, 
sanclc Thoma, redde mibi sermoncm meum ; » Sicque ré¬ 
cessif, non tantum loquela recuperala, sed ctiam ab elia 
corporis quam patiebatur moleslia plene curala, gaadens 
et agens gratias Deo et beato Thomæ. 

XV. —Joannes Trenchcfer, laicus, ex parochia sanctæ Trini- 
tatisdeCæsarisburgo,cum deponeret, in vigilia sancti Lauren- 
lii,anno Domini MCCLX,garbasde quadam quadriga, super 
unam virgarum, quas suo more messores habent in quadri- 
gisad garbas tenendas necadant, cecidit; eique brachium 
dextrum perforavit inter os et musculum, sicque pependit 
aliquantisper brachio perforato. In bac igitur angustia pôsi- 
tus, beatum Thomam invocavit, dicens : « Domine mi, 
sancte Thoma, respice in me, et ego vobis deferam cercum 
ad longitudinem braebii mei,et Sanctæ Honorinæ similiter. 
Tune gutta unica sanguinis manante fecit sibi vulnus ligari, 
cumque multi dicerent ei ut vulnus ipsum aperiendum eu- 
raret propter periculum vitandum ne cancer oriretur intus, 
medicumque quæreret, respondebat se non alium medicum 
quam beatum Thomam quæsiturum ad hoc opus, et sic 
mansit omnino curatus; quod a multis adstantibus fuit, et 
est pro miraculo reputandum. 

XVI. — Johanna, (ilia Odonis Potein, de Esqueurdrc- 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLB. 


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villa, decennis Tel circa, ruborem qoamdamqoe (elam te- 
noem saper ocalos habuit per triennium; de ocalo dexlro 
modicum videbal, de sinistro autem minas, imo de eodem 
quandoque per très dies vel plares nihil omnioo videbat ; 
cojns mater a mollis consilium quæsivit, habuitqae annalos 
cam lapidibas pretiosis, sed nec per médicamenta, nec per 
lapides curari potuit. Audiens antem mater ejas qaod, ad 
iofocationem beati Tbomœ, Dominas ad ipsius sepalcram 
miracula faciebat, cam beato Tbomœ devovit, daxitque 
ad hajasmodi tamalam, abi, cam scmel pernoctasset, 
atriosqueocali lamen accepit, et plane curata recessit. 

XVII. — Gecilia, nxor Odonis prœfati, jurata, narratquod 
ipsa manam sinistram habuit inatilem per hehdomadasqain- 
decim, adeoqae firmiter clausam at nallatenas eam posset 
aperire. Itaqae consilium qaæsivit a medicis; sed medica- 
mentis nibil ei penitus proficientibus, ad invocationem beati 
Tbomœ se convertit, ut sibi subvenir©!, vovens qaod ad ejus 
sepulcrum pergeret cam lineis (1), per tria sabbata, jejunaos 
in pane et aqaa.Voto emisso, statim melias se babait. Com- 
pleto aatem voto, carata fait omnino. 

XVIII. — Thophania, filia Durandi de Toto, ex parochia 
Cæsarisbargi, novennis vel circa, maculam babait in atroqae 
ocalo per daos menses et amplias; quare Petronilla, mater 
ejos, consilio habito, qaæsivit annalos cum lapidibas pre¬ 
tiosis et berbas mal tas pro remedio, quae nihil profuerant. 
Comqae desperarent parentes de visu puellæ, dicta mater 
eam devovit beato Thomæ, daxitque ad ejus sepulcrum, 
obi fecil ocalis ejas admoveri beati Tbomœ sotalares qui- 
bus calceatus solebat celebrare, sicque perfecte carata 
evasit. 

(1) In toast*. Bollandistes. 

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VIE DU BIENHEUREUX 


XIX. — Badulphas dictas Flament, ex parochia Sanctæ 
Trinitatis de Cœsarisbargo, valde senex, adeoqne debilii 
effectus > quodirehaud poterat absquc haculo, nec videre sine 
solis lamine, devovit se beato Thomœ ob gratiam recape- 
raadæ fortitadinis et visas. Fecit igitar se daci ad ipsios 
beati Thomœ sepulcram, et inde rediit lætus, viam videos et 
carpens/nec amplios viœ ducem vel baculam sustentations 
requirens. 

XX. — Nicolaus, filias Joanois Tessonis, de Esqaeadre- 

villa, fait paralyticus ac ila dcbilis quod non valcbat stare 

super pedes suos nec sedcrc. Capot erigere non poterat, nisi 

ope matris suœ nec ercctnm tenere, sed in alteram stalim 

sedebat partem; cujus os torsum erat aurem fere osque 

dexteram (qoam infirmitatem medici torturam vocant); de 

ocalo dextro minime videbat, de neutra mana se javare se» 

etiam pascere poterat, nec pedem dextrum movere, et famé 

valida premebalor. Deportari fecerant quodam sabbato in 

qüadriga ad sepnlcrum beati Thomœ, ubi vigilias noctis 

agentes, altéra die œger caratus est iotegre, recessitqae pedes 

gratias agens Deo et beato Tbomœ. 

» 

XXI. — Sabina, nxor Guillelmi Hugonis, ex parochia 
beatœMariœ de Flottemanvilla, Constantiensis diocesis, qaa- 
dam nocte, jacens lecto, surda facta, amisit auditam ; cujas 
rei causa beato Thomœ se devovit, ivilque ad ejas sepob 
cram quodam sabbato et inibi vigilias cgit nocte ilia. Die 
antem crastina, recuperato plene auditu, recessit gaudens, 
aclis gratiis Deo et beato Thomœ. 

XXII. — Margarita, relicta Bogeri Aprilis, de parochia 
Tonnevillœ, Constantiensis diocesis, inflata fait inorestoma- 
chi per quadrienniam vel circiter, singalis diebus vomitam 


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THOMAS HÉLIE DE B1YILLB. 


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agebat usque ad sanguineih et quandoquo ter vel bis, ad mi¬ 
nas semel, sicque de remedio per medicos desperata, confu- 
git ad beatum Thomam, cai se devovit : sepalcrum cjus 
adiil, atqae iaibi de nocte vigilavil. In crastina domum re- 
diit plene curata, quia post modum non babnit vomilos, nec 
fait inilata. 

XXIII. — Alberta La Hecquette, ex parocbia de Quier- 
qoevilla, ejusdem diocesis, epilcptico morbo per annos circi- 
ter XII laboravit, singnlisdiebns bis vel ter, quandoquc qua- 
ter, palam in ccclesia, diebus festivis, cadere consueta in 
terram. Voto emisso ad beatum Thomam, ipsius sepulcrum 
▼isitarit quodamsabbatho ante hli$unt dte$, ibique vigilavit 
per noctem, et in crastino rediit sana, nec per mensem ceci- 
dil, Tel aliquid morbidum sensit. Gumque una dierum qui¬ 
dam ei diceret bene sibi accidisse quod sic esset curata, 
respondit non, imo mallet eo laborare morbo sicut prias, 
quia modo non inveniebat qui sibi subveniret, ve! elemosi- 
nam daret, prout antea faciebat. Erat enim pauper et men- 
dicans. Quo dicto, statim decidit et per multos dies amplius 
solito gravata fuit illo morbo, frequentiusque in terram ca- 
debat. Âudiens autem magister Badulphus de Bohon, rector 
ecclesiæ prædictœ, vir antiquus et magni nominis, quippe 
qui pœnitentiarius exstiteral Bothomagensis, eam increpavit 
de ingratitudine, persuadens ei ut iterum se devoverct 
eidem beato Thomæ, iretque denuo ad ejus sepulcrum. Ipsa 
▼ero de opprobrio fréquenter objeclo, quod per iogratitudi- 
nem suam hujusmodi passa fuerit recidivum, non minus 
quam de pœna dolens, timensque ne idem beatus Thomas 
exaudire nolletingralam, Deumet beatum Thomam magno 
affecta, prout mihi secreto dixit, rogavit, quatenus pœna 
præsens sibi in pœnam purgatorii mutaretur ad yoluntatem 
Dei, dummodo eam exaudiret, et sic ex intimo corde corn- 


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VIE DU BIENHEUREUX 


puocla denuo se beato Thomæ devovit, turaulumque suum 
ndiit, vigilavit, oravit, sanaque recessit, nec deinceps passa 
est recidivum. 

XXIV. — Emma dicla la Galarde, ex parochia deGuier- 
villa, habuit maculam in ocnlo sinistro per XVUI annos et 
amplius, tola quippe pupilla ocnli cooperta erat qaadam 
tela alba, valde crassa. Tandem se devovit beato Thomæ, 
cujus auxilinm invocans, ad sepulcrum illius carala 
fait. 

XXV. —Emma, uxor Badolpbi Parvi,ex parochia eadem, 
amiserat auditum, surda persistons annis circitcr duobas ; 
voto facto ad beatum Thomam,ivit ad ejas sepulcrum, ibi~ 
que per tria sabbata vigilavit, et de aqua de qna prasdicli 
beati viri barba post mortem ejus, prout moris est, radenda 
Iota fuit, stillari sibi fecit in aures suas, sicque plene curata, 
gaudens remeavit ad propria. 

XXVI. — Mathildis, uxor Boberti dicti Cervi, sexage- 
naria, ex parochia de Escullevilla, quæ duabus fere leo- 
cis distat a Boevilla, per novennium gutta laboravit in si¬ 
nistro femore, per quorum sex dolens et claudicans, per alios 
1res ultimos vix cum baculo se sustentans, graviter incede» 
bat. Itaque devovens se beato Thomæ quadam die sabbati, 
mense Junio, ci rca feslum sancti Johannis Baptistæ, perre- 
xit summo diluculo ad ipsius tumulum, quo vix potuit ad- 
venire circa solis occasum.lbi una cum multis aliis de nocte 
vigilavit, et die dominica, summo mane, ingentem sensit 
in femore calorem et odorem magnum, sicque plene curata 
baculum projecit et usque ad ortum solis stetit in ecclesia, 
gratias agens, factique seriem narrans, qualiter infirma fuis- 
set tandem curata. Inde vero recedcns venit ad ecclesiam 


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THOMAS HÉLIE DE BIV1LLE. 


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suam, dnm presbyler parochialis, ad cojus instaotiam se 
bealo Thomæ devoverat, adhac decantaret : Te Deum tau - 
damm , posl matutinas, et ostendens se sanam, narravit con- 
gratulantibus et miraotibns viciais sais seriem et modum 
coratioais saœ. 

XXVII. — Johaana, filia Johaanis Fabri, septennis, de 
Digulevilla, brachiam habebatainislrutn, inutile, rigidaca et 
lateri suo junclum, nec ipsum poterat movere, taotumquc 
dolorem ex eo sentiebat, ut aliquid haud sincret apponi ad 
illudnec supra latus quiescere autjacerc posset præ dolore, 
et de convalescentia parentes ejus minime sperabant. Porro, 
mater puellæ, Pctronilla, beato Tbomæ eam devovit, duxit- 
que ad ipsius tumulum, et ibi perfccte restituta est sanitati. 

XXVIII. Alicia Jobannis David, de Vauvilla, sexagcnaria, 
diu debilis exstitit in cruribus, adeo quod sine baculo haud 
incedere valeret; curva eral, nec erigerese poterat. Facto 
voto beato Thom», pergens ad ejus tumbam se vix etiam 
cum baculo sustentabat. Ibi pernoctavit et sana rediit, 
viam carpens, baculumquc sustentalionis penitus non requi- 
rens. 

XXIX. — Guillelmus, filius Bannulphi dicti Bachelier, 
de Torquetevilla, septennis, duritiem inflatam seu 
grossitiem in ventre habuit, ita ut non posset comedere, nec 
pedessuos viderc præ nimia ventris grossitate, rétro accur- 
vatos remanens, sicque per sex dies continuos laboravil ; 
conique desperassent parentes de eo, devovit se beato Tho- 
mæ, dicens matrisu»: a Vovete me beato Thomæ, qnia mo- 
rior quidem. a Quod et pia mater præstitit, cingens eum 
filo ad faciendam candelam ad tumbam beati viri deferen- 


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VIE DU BIENHEUREUX 


dam, stalimque puer curatus est; qui dixit : « Date mibi 
manducare, quia salis jejunavi.» Quod et factum est et mox 
cum gaudio comedit. 

XXX. — Thomas de Hamello, ex parochia de Trcau- 
villa, paralyticus factus est anno MCCLXX, in festo sanclæ 
Magdalenæ, percussa in dextra parte sui corporis adeo 
graviter quod fere mortuus fuit. Exhinc quippe loquelam 
amisit, nec poterat loqui, nisi valde submisse et lente. Ma- 
nus dextera tremula continuo facta est, sicque clausa formi- 
tcr ut eam haud quiret apcrire; impotens igitur ac tremulus 
stetit per annum, ablata omnino spe mclius quandoque se 
habendi. Tandem miracula audiens quœ fiebant per mérita 
beati Tbomœ apud Boevillam, votum ad eum emisit et duc- 
tus a suis ad tumbam beati viri, illuc advenif, cumque cau- 
delam peleret venalem oiïercndam sancto Dei, protiuus ma- 
nus et brachium strepilum dederunt, et manus illico aperta 
est, sicque plene curatus, post actiones gratiarum et mira- 
culi publicationem gaudens et exultansad propria rediit. 


XXXI.— Radulphus, filius Badulphi Hebert, quadriennis, 
cecidil in alveum molendini de Burnechon, dum molerct, 
in parochia Sancti Germani le Gaillart, Gonstantiensis dioce- 
sis, ibiqae tam diu fuit ut nulli dubium foret quin mortuus 
esset; cumque corpus, extractum mullo cum labore, posi- 
tum fuisset exanime juxta molendinum, convenerunt multi 
ex vicinis ad spectaculum, inter quos advenit mater, quæ 
flens exclamavit : a O vicini et amici ! orate mecum, flexis 
genibus, beatum Thomam, ut reddatmihi filium meum; » 
quod cum lacrimis ei compatientes id pie præstiterunt. Post 
aliquantulum temporis, cum parati essent corpus sepelire, 
puer respiravit, oculos aperuit et rcvixit. 


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THOMAS HÉLIE DE B1V1LLE. 


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XXXII. — Agnes, filia Roberti Martini, ex parochia 
SancUs Maria de Monasteriis juxta Pontem Abbatis, ejus- 
dem diocesis, cecidit, mense julio, in quoddam fossatum 
aqna profonds repletom, ibiqoe tamdiojacuitquodpromor- 
toa indubitanter crederetur, tum quia circa horam vcsper- 
tioam illad acciderat, tumque quia sangoisogœ malt» jam 
illam slimularent in ore, lingua, aoribos, cruribus, in natu- 
ralibus aliisqoe membris; quant cernens Guillelmus Michae- 
lis, ejus patruus, extraxit, et de morte puellœ dolens, de- 
vovitcam beato Thomæ; quod et mater superveniens non 
sioe lacrimis similiter fecit. Quare post aliquantulum tem- 
poris, mollis as tan ti bus et coilacrimantibua puella respiravil 
et revixit. 


XXXIII. — Guillelmus dictus Hasle, ex parochia Sancti 
Martini de Videfontaine, ejusdem diocesis, infirmus, debilis 
etimpotensdiu fuit, adeo quod non polerat operari, nec stare 
?el sederc. Facto volo ad beatom Thomam, statim cœpit se 
melius habere. Quare ad iter se accingendum decrevit, et se 
sostentans cum duobus baculis sub ascellis, vix illuc advenit 
die undecimo, ubi accedens ad sepulcrum beati viri vigila- 
vit, oravit et sanus effectua baculos dimisit, et ad domum 
suam die tertio gratias agens cum gaudio se recepit. 

XXXIV.—Thomas Anquetilli, ejusdem parochiæ, de equo 
cecidit super brachium; exinde nervi læsi duritiem et con- 
tusiouem contraxerunt in tantum ut brachium curvum 
remanserit. Itaque ad sanctum Thomam veniens, brachium 
posait super tumbam ejus, et ex intimo cordis orans, et auxi- 
Hum ab eo petens, cum aliquantulum orationi vacasset, bra» 
chiom extendit, et sine dolore aliqoo fuit repente sanatus 
hetosque abiit. 


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VIE DU BIENHEUREUX 


XXXV. — Nicolaos de Mara, ex parochia de Boevilla, 
perçusses fait in sioistra corporis parte adeo graviter ut 
cam pede sinistro non poterat terrain tangere, habens bra¬ 
chium durnm et cnrvnm cam mana sinistra, qaam nec va- 
lebat extendere vel vestire, sicque per septennium impotent 
remansit et infirmas. Tandem devovit se beato Thomæ, 
sepulcramqae illins visitavit et pristinam sanitatem re- 
tulit. 

XXXVI. — Matbildis filia Jobannis, ex parochia de 
Haja Putei, septennis vel circa, gibbos duos babait ex utra¬ 
que parte gatturis, grossos instar dooram ovorom anseris, 
per triennium. Multi medici eam visitantes timebant nec 
audebant illi maous minusque ferram apponere, quia mor- 
bas erat scrophalarum, a quo rex Franche lactu mannam 
saaram divinitus carat. Mater vero timcns de morte puel- 
læ, pro eo qaod habuerat aliam pueram masculam, qui 
morbo consimili affectas excesserat e vita,eam présente ma¬ 
ri to, devovit beato Thomæ, statimque dicti gibbi sont mi- 
norati. Quo' viso, eamdem daxit ad tumbam beati viri, 
nbi omnino curata fait. 

XXXVII. — Emma, uxor Ganfridi dicti d’Hclye, ex pa¬ 
rochia Sancti Johannis de Haja Putei, gultam habuit in ca- 
pite, exinde ad omnia membra descendentcm, unde infirma 
et impotens adeo graviter reddita est, nt non posset manos 
ad capul levare, nec ambulare vel stare, nec se pascere, vel 
puerum suum quem habebat infontem lactare. Devovit se, 
præsente marito, beato Thomæ, statimqae melias convolait, 
postmodum infra breve tempus perrexit ad sepalcram viri 
Dei, nbi carata fait ad plénum. 

XXXVIII. — Juliana, filia Gaillelmi Fabri, de parochia 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLE. 


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Sancli Sjmphoriani, œtatis annornm et mensium duorom, 
eccidit in qoemdam fontem qoem valgariler vocant bnot, 
obi cnm aliqoandia stetissef sabmcrsa, extrada fait frigida 
etrigida, sine flata, sine motu, claasis ocolis. Quo advcniens 
ejns pater, voce magna exclama vit in vocans beatom Tbomam, 
at redderet ei filiam suam, et nt impetraret adjecil quod non 
eomederet vel biberet donec veniret ad tombant illias nadis 
pedibns, moxqae discalceatas iter acceleravit : nec mora, 
post ejos discessnm, præsente presbjlero loci,qai simal cam 
mollis al iis beatom Tbomam invocabat, expectans magna 
corn fidacia gratiam Dei, paella aperait oculos et revixit; 
qaam pater, reversas in crastino, lælos et gralias agens, vi- 
ventem invenit. 

XXXIX. —< Roberlas, filins dicti Gonsanguinei, de paro- 
ehia Sancli Thomæ apostoli de Litbaire, clericas scholaris, 
per malignos spiritns in crepuscalo cajasdam diei detractas 
et dejectas in bosco loci ejasdem, fractas renes, carvas et 
lardas est effectua; et licel antea boom fuisset indolis elbo- 
ons scholaris, nonc odio scholas et scbolares habait, nec in- 
travit, et repatabatardæmoniacas. Tandem in ecclesia Beat! 
Micbaelis de Bosco, obi moniales habitabant, recaperavit in 
renibns sanitatem ; dia tamen postes fait sardas, scholas 
abominans et scbolares. Qnem mater ejos beato Thomæ 
devovit, et ad tamaiam daxit ipsias. Cam vero die qaadam 
vcnisset ad tombam beati viri, flexis genibos oravit et in- 
elinavit se saper eam ; sicqne inclinatas saper tombam, dia 
lait in extasi quasi mortans, ab horanona osqae ad vesperas. 
Qnem presbyteri videntes et mortoom repotantes, commen- 
dationen inchoaverant, et eam sepelire tanqaam mortoom 
disponebant ; cumque sacerdos oralionem compleret dicens : 
« Per omnia sæcola sæculorom, » audivit clericas respon- 
dens « Amen, » et tanc sarrexit. Mirantibas aatem maltis 


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V1B DU BIENHEUREUX 


astantibus, narravit ut valde vexatus fuerat, visumque fue- 
rat quod aures eruebantur eidem, sicque sanus effectua est 
ad plénum. Non tantum sanitatem corporis recuperavit, ve- 
rum etiam mentis, utschofares quos abominatus fuerat ama* 
ret, scbolas desiderans ex affecta. 

XL. — Guilleimus dictas Magnas, de parochia de Pic- 
quauvilla, Constanticnsis diocesis, laboravit morbo caduco. 
Devovit se bealo Thomæ, i vit ad tumbam ipsius, ibiqae 
curatus fait ad plénum, nec caduco morbo postea laboravit. 

XLI. — Guilleimus de Douvilla, clericus uxoratus, Cons- 
tantiensis diocesis, habuil guttam in renibus adeo grayem 
quod ad terram non se poterat inclinare, nec opéra sua fa- 
cere consuela. Prætereadaos filiossuos eodem temporc con- 
tigit adeo graviter infirmari quod de convalescentia dcspe- 
raret. Devovit se beato Thomæ, vel se pro filiis eisdem : ivit 
ad tumbam sancli, non solum curatus a gutta ad plénum, 
aed et reversas dictos filios suos sanos invenit. 

XLII. — Lucia, filia Bichardi de Hamo, de parochia de 
Monlisburgo, habuit tumorem magnum in crure sinistre, 
satis aile, sub membro muliebri, pertrés hebdomadas adeo 
graviter laborans quod nec erigere se nec de lecto po¬ 
terat exire. Tandem mandavit pro medico, qui, viso mor¬ 
bo, dixit quod erat fistula, quæ non poterat sine scissura 
curari. Devovit se beato Thomas, sicque factum est : poat 
emissum votum, caratum fuit crus ejus sine scissura et sine 
sanie, et quæ prias erat turgida et inflata, reporta est plana 
sine lumore quolibet, sed rugosa. Yidenteseam vicinæ mu- 
lieres habentem crus sic sanatum sine tumore, sine sanie 
coratom, mirabantur, et multæ præ gaudio devote plom¬ 
bant. 


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THOMAS HÉLIE DE B1VILLE. 


231 


XL1I1. —Germanus Glace, de parochia de Guervilla (1), 
Couslantiensis diocesis, percussus io dextra parle, scilicet io 
pede, manu et lingua, graviter adeo quod amisit gressnm et 
loquelam, nec potait se movere ncc operari, in animo suo 
invocavil beatum Thomam, corn non posset loqui. Cum esset 
accessio ejns juxta enrsum febris solitum, cessavit omnino, 
nec postea sensit qnidquam de quarlana prædicta. 

XL1V.—Bobertus dictas Bufus, de parochia de Heauvilla, 
Coostantiensis diocesis, habebat doodecim bidentes labo- 
rentes morbo qui dicilar valgariler la verolle. Desperabat de 
conralescentia eorum, similiter et omnes viciai sai. Dcvovit 
eas beato Thomæ, sicque fuerant omnes statim curatæ. In 
ecclesia dictæ parochiæ mihi scholastico constat quod nullas 
erat inter eos qui non expertas fuisset, vel in suis personis 
tôt familia sua, vel in pecoribus, bénéficia beati viri præ- 
dicli. 

1LV. — Martinus (2), prior prioratus de Heauvilla, mo- 
nachus de ordine beati Benedicti, laborabat gutta in brachio 
dextro. Invocavit beatum Thomam, promittens unum ope- 
rarium ad ecclesiam quæ de novo fiebat apud Boevillam ad 
transferendum corpus ipsius. Misit operarium juxta promis- 
nonem suam; cessavit gutta per longum tempus. Postmodum, 
camper aliquot vices contingeret quod affligerel eumgutta, 
invocabat beatum Thomam, dicens: a sancte Thoma, nonne 
scitis qualiter est? » et statim cessabat afflictio. 

(1) Gvirvilla , Bollandistes* 

(2) Martin, prieur de Héauville, est cité comme témoin, en 
mai 1256, dans un accord conclu entre l'archevêque de Rouen 
et les prieurs de Sainte-Hélène et de Saint-Germain dans la 
Hague, pour le droit de visite et de procuration. Reg. visit. 
archiep. Rothom éd. Bonnin, p. 249. 


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232 


VIE DU BIENHEUREUX 


XLVI. — Badolphas de Treaovilla, faber, cum saper 
quandain massam ferri candeniis igniti percuieret, a( iode 
duas faceret portiones, subito pars altéra ferri candentis in 
oculum ipsius insiliit, eumque vehemeuter afflixit ; diuque 
præ nimio dolore quiescere non potuit. Consulnit medicos 
qui dixerunteiquod oculum amiserat,necaliquod remedium 
sciebant apponere, ut dicebant. Devovit se beato Thomæ : 
adivit tumbam, et recuperavit visum. Quod idem jurâtes 
deposuit coram nobis. Adjecit etiam quod equum suum 
iofirmatum graviter, adeo quod desperaret de ejus convales- 
centia, bis devovit beato Thomæ, sicque bis sanum per mé¬ 
rita beali Thomæ recuperavit eumdem. 

XLVII. — Badulphus dictus de Toto, de parochia de 
Yauvilla, laborabat febre tertiana, auno Domini AICCLXX, 
mense decembri. Devovit se beato Thomæ, adivit tumbam 
saocti, ibidem pernoctavit vigilaus, rediit sanus; nec aliquid 
post modum seosit de febre prædicta. 

XLVIII. — Item narrat idem Badulphus juratus quodfi- 
lia sua septenois vel circa habebat in aure sibilum conti¬ 
nuum. Devovit se beato Thomæ; mater duxit eam ad tum¬ 
bam sancti ; ibique de aure puellæ cecidit quidam vermis 
mortuus instar vermis qui vulgariter dicitur oreillière, sic- 
que sana facta domum suam reversa est. 

XLIX. — Nicolaus, filius Bichardi de Gardino, de paro¬ 
chia Sancti Pétri de Boevilla, quadriennis vel circa, subito 
morbo percussus, ab ipso mane usque ad horam fere nonam 
diei, mense octobri, laborabat in extremis, prout astantibus 
videbatur, lingua retenta inter dentes adeo firmiter quod 
non poterant aperiri. Putabant multi videntes quod esset 
amputata lingua prædicta. Mater ejus ipsum beato Thomæ 


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THOMAS HÉL1B DB B1VILLE. 233 

devovit; statimque circa horam nonam diei prædictæ, puer 
prosiliit sanos, caratos ad plénum. 

L. — Guillelmus Marlioi habuit jumentum, qaod per 
quatuor dies et amplius adeo fuit infirmum quod non 
erat spes de convalescentia. Nuntiatum fuit relictæ Radul- 
phi dicti Præpositi quod erat mortuum. Quod audiens ipsa 
devovit beatoThomœ, statimque convaluit ipsum jumentum. 

LI. — Guillelmus Hcberti, de parochia Sancli Germani 
dicti le Gaillart, habuit filium biennem vel circa, perannum 
fere languenlem, quicœpit arefieri. Cumque pater et mater 
ridèrent ipsum sic ægrotanlem multamque materiam tristi- 
li« ministrantem, rogaverunt beatum Thomam ut ipsum 
traheret ad alterum finem, mortem videlicet vel sanitatem. 
Detulerunt ipsum ad tumbam beati viri quodam die luoæ 
in crastino Paschæ, anno Domini MCCLXX. Guinque illuc 
advenissent post missam, et ignem quœrerent ad accendcn- 
dumcandelas offerendas, custos dixit eis quod ignisnon 
erat in ecclesia. Pater vero prædictus aspexit ad lampades 
etcereosdiligenter, si videret ignem; compertoque quod 
non esset ignis ibi, dictus custos ivit ad domos vicinas ut 
ignem quæreret, etdefecit. Intérim puer laboravit in exter- 
mis, pater que vidensinstantemfilii sui mortem, licet videret 
lampades et cereos sine lumine vel igné, præ nimio tamen 
desiderio luminis et ignis respexit ad cereos, viditque in 
nno cereo ignem circa horam qua puer spirilum emisit. 
Accendens autem candelam obtulit priusquam custos redi- 
ret; quod videns miratus est. 

LII.— Margarita, uxor Pétri Rogeri, de parochia Sancli 
Germani dicti le Gaillart prædicta, habuit in mamilla sinis- 
ira per très menses morbum vehementissimum, qui graviter 


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234 


VIR DU BIENHEUREUX 


eam affligebat, adeo quod non poterat quiescere. Morbus 
idem mamillam consumebat, nec aliqnodremediom poterat 
invenire. Cumque desperarent viciai de vita, tandem devo- 
vilse beato Thomæ, sicque sine quolibet medicaminecurata 
fuit. 

LIII. — Guillelmus, filius Guillelmi de Yalleto, scxde- 
cennis vcl circa, deparochia SanctiGermani le Gaillart, ve- 
hementi morbo subito agreptus fuit, fuitque per spatium ili- 
neris dimidiæ leucæ quasi mortuus in extasi. Cumque pa¬ 
rentes et vicini desperarent de vita ejus, devoverunl eum 
beato Thomæ, statimque convaluil, et surrexit et lusit com 
suis coætaneis ipsa die. 


LIV. — Helena, relicta Robcrti dicti Præposili, de paro- 
ebia Sancti Germani prædicla, babuitfebrem erraticam per 
très menses, deinde quotidianam per quindenam. Devovit se 
beato Thomæ : perrexit ad tumbam i psi us, statimque 
cessavit febris omnino. 

LY. — Ricbardus dictus Præpositus, de parochia sancti 
Germani præfata, laboravit febre tertiana per quatuor 
menses. Devovit se beato Thomæ, perrexit ad tumbam ipsius, 
ibique cessavit statim febris omnino. 


LYL— Thomasius, filius Guillelmi de Yergerio, de paro¬ 
chia de Alno, Constantiensis diocesis, cum esset biennis, 
laboravit morbo caduco. Stepbania, avia sua, devovit eum 
beato Thomæ : quem eadem avia, comitante paire pueri, 
duxit ad tumbam ipsius, sicque fuit ibi curatus ad plé¬ 
num. 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLE. 


235 


LVII. — Gaufridus dictas Tolissac, de parochia Sancti 
Symphoriani, Constantiensis diocesis, habebat filium bien- 
nezn et ultra, necnon et filium ætatis unius anni et qainqoe 
mensium : ambo carebant osa pedum, nec poterant super 
pedes stare. Parentes eorom dolentes erant : de consilio 
avise suæ, mater eoram devovit eos beato Thomæ,§tatimquc 
juif a modulum suum grcssus récupéra verunt. 

LVIII. — Nicolaus, filius Simonis de Bosco, de parochia 
de Tourquevilla, fuit infirmatus et debilis adeo quod non 
poterat incedere sine baculo per biennium et amplius : 
demum factus adeo debilis quod eliam cum baculo non 
poterat incedere quantum est tractus arcus, quin oporteret 
eum quiescere ; et hoc fuit notarium. Devovit se beato Tho- 
mæ : venit ad tumbam ejus cum magna diflicultate : vigila— 
vit ibi per unam noctevn, visumque fuit ei mane quod crus 
illud subito calcre cœpit, sicque plene curafus rccessit sine 
baculo, viam carpcns, baculuvn sustentationis non requirens. 

LIX. — Hæc de vita, meritis et miraculis beati Thomœ 
prædicti, de quibus mihi constitit , ut præfertur, rudi sed 
fideli stylo, conscripsi. Multa quidem et alia signa per mérita 
dicti beati viri, quæ non sunt scripla in libro hoc, operatus 
est Dominas, et adhuc non desinil operari, quæ, si quis vel- 
let scribere, multa volumina confinèrent. 

LX.— Illud autem notitiam postcrorum latere non volo, 
quod bonæ memoriæ Johannes, episcopus Gonstantiensis, 
qui cum fratre Badulpho de Gardinis, tune temporis priorc 
Fratrum Prædicatorum Gonstanlicnsium, de mandato sedis 
apostolicæ, de vita, meritis et miraculis beati Thomæsæpedicti, 
me eis assistente, diligenter et fideliter inquisivit, misit ad 
eamdem sedem pro negotio canonizationis ipsius duos pres- 


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256 


VIE DU BIENHEUREUX 


byteros rurales, una cum inquisitioue præfatorum. El licet 
inquisitio super isla necnon super XIIII vel circiler miracu¬ 
lis, quod ad impelrandazn canonizationem sufficere poterat, 
fuerit approbala, tamen, propter defeclum solemnitatis 
Duntiorum, remisil dominus papa episcopo præfalo inquisi- 
(iooem super miraculisquibusdam, de quibus minus diligen- 
ter inquisilum fuerat, necnon super novis miraculis facien- 
dam, quam juxta mandalum aposlolicum fecit ; sed eam, 
morte præventus, episcopus ad curiam non remisit. Siqui- 
dem duo cardinales citra montani, videlicet fraler Hugo 
de Sancher (1), de ordine Prædicatorum, qui fuerat confessor 
bcati Thomæ, et cujus scholaris erat, cum idem cardinalis 
legeret Parisius theologiam, et magister Odo de Castro Ra- 
dulphi (2), qui fuerat cancellarius Parisius, eo tempore quo 
dictus beatus vir fuerat scholaris Parisius, affectabant summo 
cum desiderio canonizationem prædiclam, ut præferlur, 
quod et eidem episcopo mandavei-unt, et ut solemnes nun- 
tios propter idem negotium mittere festinaret. Quod non 
fecit, ut dictum est, morte præventus. 

LXI.—Remissa, prout præfertur, ad cumdemepiscopum 
inquisitione, tam super antiquis quam novis miraculis, de 
mandato sedis apostolicæ, facienda, probata fuerunt coram 
ipso miracula quæ sequuntur. 

LXII. — Pet rus, filius Sylvestri de Gardino, ex parochia 
de Boevilla, ætatis unius anni et trium mensium, cecidit in 
quamdam fossam, in qua erat multa aqua ; extraclus autem 
fuitmortuus,frigidus, rigidus, sine motu et anhelitu, nullum 

(1 Hugues de Saint-Cher. Sur ce dominicain voy. YHist. Hit . 
de la France , XIX, 38-49. 

(2) Eudes de Chateauroux, évêque de Tusculum. Voy. le 
même ouvrage, XIX, 228-232. 


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THOMAS HÉLIE DK BIVILLE. 


237 


signum vitæ prætendens, pro quo pater, mater et alii quam 
plures adslantes invocaverunt healum Thomam, ad cajas 
tambam delatus ibidem rivixit posl aliquantulum temporis 
inlcrvallum. 

LXIII. — Jobanna,filia Guillelmi dicti Brocquet, ex pa- 
rochia Sancti Nicolai de Barfluctu, posl febrem contiuuam 
in creticatione dolorem passa fuit ingentem ; quippe quæ 
contracta facta sit, caput ipler crura habens et genus pectori 
juncta, non poteratsc erigere,nec incedcre sine baculo lon- 
giludinis diraidii pedis, sicque stetit per annura vel circiler, 
sinespe convalescentiæ; tandem mater ejusJohanna de Bar- 
fluctu devovit oam bcato Thomæ, quam et ad tumbam ejus 
deduxit, ubi cum diutins orasset, erexit se, haud sine om¬ 
nium qui adorant admirationc, curata ad plenu;n. 

LXIV. —Tbomasius filius Ausbcrti, de parochia Sancti 
Gcrmani le Gallard, Constanciensis diocesis, in alveum rao- 
lendioi de Gibard, dictæ paroehiæ, cum molcret, cecidit. 
Qucm deduxil aqua sub rotam molendini molenlis, transi- 
rilquc sublus eam; morluus vero exinde exlractus, mater 
pro eoinvueavil beaturaThomam, alla voce damans: asancte 
Thoma, redde mihi (ilium meum : » multi eliam astantium 
idem fecerunt flexis genibus, auxilium beati Thomæ depos- 
centes pro pucro, qui posl modicum tempus revixit. 

LXV. — Alicia filia Nicolai de Barra, ex parochia de 
Taillepied, ejusdem diocesis, cecidit in fontem, vase lignço 
circumdatam,qui vulgariter dicilur buchot (1), et ibi submer- 
sa fuit. Cujus mater nominc JMathildis, cura eam jam mor- 
tuam invenisset, damans invocavit beatum Thomam, et post 
aliquantulum intcrvallum vitæ fuit reddita. 

(1) Buhot. Bollandisles. 

16 


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238 


VIE DU BIENHEUREUX 


LXVI. — Radulphus diclus Herice, ex parochia de Ver, 
diocesis Baiocensis, infirmilatem seu debilitalem subito, cum 
solus dcambularct, iucurril, unde contractus effectua et cnr- 
vatus, reclus starc haud poteratnec incedere absquc baculo; 
caput gerebat valdc submissura, genua quasi juncta peclori, 
gibbumgrossum instar capilis hominissubter scapulashabcns 
in dorso, sicque per annum detentus est impotcns, quod ni- 
hil poterat operari; quiquc labores manuum suarum manda- 
care consueveral, ostiatim manducans effeclus est et panper. 
Tandem devovit se heato Thomæ ex loto corde suo et illico 
convaluit; ac post aliquantulum temporis intervalium omni- 
no curatus fuit, ad laudem et gloriam omnipotentis Dei, qui 
vivit et régnât peromnia sæcula sæculorum. Amen. 


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TRONAS HÉLIE DE BIVILLE. 


339 


NOTES 

SUD QCILQDKS PASSAGES DE L'OPDSGOLE* DE GLlIEKT. 


Note A. 

Clément appelle la paroisse de Biville parochia Sancti Pétri 
deBoevilla, et dérive ce dernier mot a bonis ejusdem Pétri, 
Cette étymologie est trop puérile pour être discutée. On ne peut 
pas même lui trouver l’ombre de là vraisemblance quand on fait 
attention aux formes sous lesquelles le nom de Biville parait 
dans les plus anciens textes. En voici quelques exemples. 

Vers 1020. BIISTOTVILLA. Cartul. de Marmoutier, I, 194. 

Vers 1070. B0IV1LLE. Charte copiée à la Bibl.Imp., Résidu 
S. Germ., 974, f. 276 V°. 

Vers 1080. BUEVILLA. Cartul. de Saint-Sauveur, f. 12. 

Vers 1260. BU1EVILLA. Livre noir de l’évêché de Cou- 
t an ces. 

1323. BUIV1LLE. Trésor des chartes, registre 61, n° 210. 


Note B. 

La plupart des historiens modernes rapportent que le Bien¬ 
heureux Thomas appartenait à une famille noble. Il n’en est 
rien. Clément dit que les parents Ûe Thomas étaient de simple con¬ 
dition isimplicibus ex parentibus. Comme c’était alors un usage 
fréquent parmi les paysans, Thomas reçut pour surnom le nom 
de son père. L’auteur de la vie en vers français en a fait l’obser¬ 
vation : 

Si ut surnom du nom sen père. 


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VIE DU BIENHEUREUX 


240 

Thomas Hélie signifie donc Thomas fils d'Hélie, et répond 
au latin Thomas Heliæ (sous entendu filius). Le P. Tinnebroek 

(1) avait déjà entrevu que telle devait être la véritable fbrme du 
nom du Bienheureux, et c'est uniquement pour ne pas s'écarter 
des usages reçus dans les temps modernes que le savant jésuite 
l'a appelé Thomas Helias. 

Il est bon de faire remarquer que de très-bonne heure le 
Bienheureux Thomas fut désigné sous le* nom d,e Thomas de 
Bivillb. Dans une note écrite en 1266, Eude Rigaud l'appelle 
beatus Thomas^ de Buievilla (2) ; et l'obiluaire de Notre-Dame- 
du-Vœu, dont la rédaction première remonte probablement au 
XIII e siècle, porte au 19 octobre : Obiit Johannes , rex Anglie ; et 
magister Thomas de Buevilla presbyter ; et Guillelmus Tuebeuf , 
etc. (3). Il est donc permis de rapporter au Bienheureux la 
mention de Thomas de Bieville , prestre , que Toustain de Billy 
a relevée dans un ancien rituel de l'Hôtel-Dieu de S.-Lo (4). Mais 
il ne faut pas le confondre avec un personnage du même nom, 
et qui vivait à la même époque : maître Thomas de Biville, 
ministre de la maison des Mathurins de Fontainebleau (5). 


Note C. 

Alix, femme de Robert Bertran, était fille de Raoul de Tan- 
carville (6). Nous avons plusieurs actes émanés de son mari, 
notamment une charte de l’année 1250, dans laquelle il déclare 
ne pas s’opposer à oe que le marché do Montcbourg soit trans¬ 
féré du dimanche au samedi (7). 

(1) Acta sanctorum octobris , Vî11, 609, note D. 

(2) Beg. visit. archiep . Rothom ., ed. Bonnin, p. 555. 

(3) Je cite cet obituaire d'après une copie moderne qui appar¬ 
tenait à M. de Gerville. ' 

(4) Bibl. lmp., supplément français, 1026. 

(5) On lit dans l'obituaire de cette maison, écrit au XII le 
siècle : <« Quinto kalendas julii. Obiit frater Thomas de Boe- 
villa, minister domus de Fonte Bliaudi. » Bibl. Imp., supplé¬ 
ment latin, 1130. 

(6) P. Anselme, VI, 691. 

(7) Carlul. de l'ahb. de Montebourg, pièce 281. 


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THOMAS HÉLIE DE BIVILLE. 


241 


Note D. 

Au lieu de Valvanus, miles, dominus de VauviUa , lesBollan- 
distes ont imprimé Talvanus. Cette dernière leçon est évidem¬ 
ment fautive. Gau vain, sire de Vauville, chez qui mourut le 
Bienheureux Thomas, a expédié plusieurs chartes qui ne laissent 
aucun doute sur la véritable forme du nom de ce seigneur et 
qui prouvent combien il fut libéral envers les établissements reli¬ 
gieux de notre contrée. 

En avril 1247, il donne à l'abbaye de Lessay trois quartiers 
de froment de rente h prendre sur ses moulins de Vauville ; en 
mars 1261 il augmenta cette donation d'un quartier de froment, 
pour faire célébrer son obit par les religieux de Lessay (1). 
Le même mois, il délivra à l'abbaye de Cherbourg une charte 
dans laquelle il s'appelle Walwanus, dominus Wauville (2). 
En même temps, il aumôna au prieuré de Vauville, fondé 
par scs ancêtres, une rente de quatre quartiers de froment 
payables à Digulleville (3). 11 était alors en procès avec l'abbaye 
de Saint-Sauveur-le-Vicomte, probablement au sujet du patro¬ 
nage de l'église de Fontenay sur le Vey(4). Il mourut avant l'an¬ 
née 1270, puisqu'à cette date nous rencontrons un acte de Guil¬ 
laume de Vauville, écuyer, fils de feu Gauvain de Vauville, 
chevalier. 

Le nom de Gauvain, d'où dérive probablement le nom de 
Vauville (Galvani ou Valvani villa), fut porté par plusieurs 
membres de la famille de Vauville. En 1301, nous trouvons 
Gauvain de Vauville, chevalier, qui intervint dans un procès 
entre la veuve de Philippe de Colombières et l'abbé de Saint- 
Sauveur touchant un poisson échoué sur la côte de Fontenay en 
Bessin (5). Gauvain de Vauville est cité un peu plus tard dans 
un abornement de terres situées à Fontenay (6). 

% 

(1) Archives de la Manche, fonds de Lessay. 

(2) Archives de la Manche, fonds de l’abb. de Cherbourg, liasse 
Beaumont . 

(3) Cart. du prieuré de Vauville, charte 27. 

(4) Cartul. de Saint-Sauveur, charte 317. 

(5) Cartul. de Saint-Sauveur, charte 287. 

(6) Trésor des chartes, reg. 64, pièce 562. 


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242 VIS DU BIENHEUREUX THOMAS HÉLIE DE B1VILLE. 


Parmi les premiers membres de la confrérie érigée en 1317 
en l'honneur du Bienheureux Thomas, on remarque dominât 
Valvanus de Vauvilla, miles , et Agnes , ejus filia, monacha de 
Gomerifonte (^). 

En 1335, Guiard de Vauville, écuyer, fils de feu Gauvain, 
transige avec Guillaume de Garancières pour le gravage de 
•Vasteville (2). 

(1) Note du P. Arthur Du Monstier, dans le Neustria sancta, 
au 19 octobre. 

(2) Trésor des chartes, reg. 69, pièce 381. 


P. 176,1. 10. — septembris, lisez octobris. 

1. 11 et ailleurs. — Tinnebrock , lisez Tintnebroek . 

1.8 des notes. —Mettez un point après le mot remarquer. 
P. 179,1. 18. — vesibus, lisez versibus . 

P. 183, I. 24. — /ont, lisez fait . 

P. 184,1. 1 des notes. — pæstili , I. prœstiti. 

P. 185,1.17. — parlent , lisez parle. 

P. 188, 1.10. — le proclamer , lisez la proclamer . 

P. 192,1. 9. —- losages , lisez losanges . 


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BÉATIFICATION 


DE 

SAINT THOMAS HÉLYE, 

A BIVILLE, 

P«r U. l’abbé LE pelley, 

▼icalr* Géoért), Curé de Cherbourg, Membre de la Légion dHonneur «t de la 
Société Académique de cette ville. 


Il j a six cents et quelques années, vivait dans nos con¬ 
trées un humble cl simple prêtre. Bien, ce semble, en lui 
qoi dût attirer d’une manière particulière l'attention publi¬ 
que. Sa naissance était obscure, ses fonctions, augustes sans 
doote,mais enfin modestes et communes. Il n’avait ni gran¬ 
des richesses, ni de ces talents extraordinaires qui excitent 
l’admiration. Lorsquemourra ce bon prêtre, il laissera après 
loi une bonne renommée, qui se conservera quelque temps 
dans la mémoire de ceux qui le connurent, et qui peut-être 
se perpétuera pendant deux ou trois générations; ensuite 
comme tant d’autres, il sera à peu près oublié, même dans 
les pays qu'il aura évangélisés de sa parole, et édifiés de ses 
vertus. Mon, non, il n’en devait pas être ainsi de Thomas 
Hélye! Et pourquoi? c’est que c’était un Saint! c'esl-à- 


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FÊTE DE 


244 

dire, un héros de la religion, un héros de la charité, un de 
ces apêtres suscités de Dieu pour rendre heureux les 
hommes en les rendant meilleurs, en les sanctifiant. Aussi, 
pendant six cents ans, les fidèles n'ont cessé de manifester 
leur vénération pour le serviteur de Dieu. On accourait de 
toutes parts à son tombeau, et des voix nombreuses et recon¬ 
naissantes le proclamaient hautement thaumaturge. 

Cependant il aurait fallu que L’autorité de l’Église sanction¬ 
nât cette canonisation populaire. Déjà plusieurs fois des dé¬ 
marches avaient été faites pour obtenir cette décision impor¬ 
tante. Hais les sages lenteurs que nécessite une pareille 
procédure, et puis de malheureuses circonstances politiques 
avaient fait différer jusqu’à nos jours le jugement ecclésiasti¬ 
que. Enfin, l'Église a fait entendre sa voix. Le 14 juillet 
4859, elle a déclaré, par la bouche de son vénérable pontife 
Pie IX, qu'elle plaçait sur ses autels Thomas Hélje. Elle a 
autorisé son culte et déclaré aux fidèles qu’ils pouvaient 
avec confiance recourir à son intercession auprès de Dieu. 

Cette décision du Saint-Siège si lontemps attendue, cette 
béatification que désirait ardemment la piété des popula¬ 
tions,, il fallait la proclamer solennellement dans notre dio¬ 
cèse qu'avait édifié et évangélisé le Bienheureux. 

Le dimanche 16 octobre, a eu lieu dans la cathédrale de 
Coutances cette solennelle proclamation. Mgr de Bonne- 
chose, archevêque de Rouen, et les quatre autres évéques 
de la province, auxquels s’était joint Mgr l'évéque d'Autun, 
s’étaient rassemblés à Coutances et rébaussaient encore par 
leur présence l’imposante et religieuse solennité. 

Mais à Btvillc, où sc conservent les restes vénérables du 
Saint, cette cérémonie devait avoir quelque chose de plus 
touchant. Le 19 octobre, jour anniversaire de la mort de 
Thomas, était naturellement désigné pour la fête. Quelques 
jours auparavant, le cure de Cherbourg, vicaire général, 


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BIVILLE. 


3i;> 

délégué par Mgr Daniel, évêque de Coulantes, avait, en 
présence de nombreux témoins, ouvert le tombeau du Ricn- 
beureux et constaté l'état des reliques. La veille de la 
fête, le 18 octobre, M. Gilbert, vicaire général qui, par 
son zèle, ses démarches actives, avait contribué à hâter le 
décret de béatification, avait de nouveau constaté l'état des 
ossements, les avait réunis et placés dans une ebâsse conve¬ 
nable. Le jour venu, deux ou trois cents prêtres, près de 
vingt mille laïques, se pressaient autour de la petite église 
de Btville, qui pouvait à peine contenir quatre cents per¬ 
sonnes. Comment donc satisfaire la pieuse curiosité de tous 
ces fidèles? pour cela, on les avertit qu'après les cérémonies 
ecclésiastiques ils seraient admis successivement à entrer 
dans l’église par une porte, y vénérer les reliques du Saint, 
et sortir ensuite par une autre issue. Grâce à ces précautions, 
à la bonne volonté de tous, et un peu aussi à l'intervention 
de la force armée, on n'a eu aucun accident a déplorer. 

Voici l'ordre des cérémonies : à 10 heures, le clergé se 
rend processionnellemept au presbytère où étaient réunis 
les six prélats. On revient à l'église en chantant le cantique 
‘ Btnediclus. Monseigneur l'archevêque marche sous le dais 
précédé de Mgr. l'évêque de Coutances et des quatre autres 
prélats, qui se placent par rang d'ancienneté et de consécra¬ 
tion. 

En entrant dans l'église, on entonne les antiennes et on 
observe les cérémonies marquées pour la réception d'un 
prélat. Ensuite on se rend au grand autel; on cbante l'an¬ 
tienne et le verset de S 1 . Pierre, patron de Btville; Mgr. 
l'arcbevéque dit l'oraison et donne sa bénédiction. On en¬ 
tonne le psaume laudate dominum in sanclisejus. Mgr. l'ar¬ 
chevêque et les évêques se rendent au tombeau, l'arche¬ 
vêque se place ad pedes tourné vers l'autel, les évêques se 
placent aux angles du tombeau. Six prêtres, en surplis et 


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246 


FÊTE DR 


en étole ôtent la châsse du sarcophage et la placent sous le 
baldaquin. Après cela, Mgr. l'archevêque encense les reli¬ 
ques et chante: beate Thoma; le chœur, répond : ora 
pro nobis et répète deux fois l’intonation. Mgr. l’arche¬ 
vêque chante l’oraison du Bienheureux Thomas. Ces céré¬ 
monies et ces prières achevées, les six prélats viennent 
prendre place dans le sanctuaire. Mgr. d’Autun commence 
une messe basse pendant laquelle on chante la prose 
du commun des prêtres. A l’évangile, l'archevêque monte 
en chaire. Dans une allocution simple et touchante, 
d’ailleurs bien dite et parfaitement appropriée a la circons¬ 
tance, il justifie le culte rendu aux saints. Il montre que 
l’Église honore ainsi les grâces que Dieu a répandues 
sur eux; que la vénération qu’ils nous inspirent remonte 
à Dieu, auteur de leur sainteté; qu'il est utile, qu’il est 
chrétien, de rappeler aux fidèles les vertus et les mérites 
de ces saints personnages afin de les engager à les imiter, 
et qu’enfin il serait bien extraordinaire , que Dieu qui 
les exauçait pendant leur vie, jusqu'au point de leur accor¬ 
der le don des miracles en faveur de leurs frères, ne voulût 
plus maintenant accueillir leurs prières en notre faveur, 
parcequ’ils sont unis à lui par des liens plus intimes, par des 
liens éternels. 

Pendant que Mgr. de Rouen parlait ainsi à ceux qui 
avaient été assez heureux pour être admis dans l'église, au 
dehors se trouvaient près de vingt mille fidèles, qui sem¬ 
blaient en quelque sorte exclus de toutes ces cérémonies. 

. Pour les dédommager et satisfaire leur piété, Mgr. l'évêque 
d’Èvreux est monté dans une chaire improvisée, auprès 
de la croix du cimetière, et a fait le panégyrique du saint. 

La messe basse finie, on chante le Te deum , pendant 
lequel le clergé reconduit processionnellement les prélats 
au presbytère. 


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BIVILLE. 


247 


Celle fête solennelle, tontes ces cérémonies religieuses, 
ont virement impressionné nos populations chrétiennes, 
peu accoutumées à une si grande pompe. Ce qui était surtout 
général, c’était la joie de voir enfin ratifié et consacré par 
l’Église le culte rendu à cet humble et saint préire, que la 
roix des peuples, il est vrai, canonisait depuis six siècles, 
mais à l’auréole duquel il manquait quelque chose, tant 
que lE’glise n’avait pas joint ses acclamations aux acclama- 
lions populaires. Honneur sans doute au courage, honneur 
à la science, aux talents distingués, mais surtout honneur à 
la vertu. Honneur à la sainteté, c’est-à-dire, honneur à 
Dieu dans ses saints! 


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DE L’ANSE S T -MARTIN-HAGUE 

PRES CHERBOURG, 


Par M. E. de ROSTAING, 

Membre titulaire de la Société. 


» Le* Société* savantes doivent avaol tout 
» recueillir les matériaux de l'histoire locale, 
» publier les documeots inédits, encourager le* 

» monographies détaillées. » 

(A TARDIF, Bull, des Soc. savantes. 
Février 18*4, p. 78.) 


Lu à la séance du 1 er Avril 1859. 


Le Phare de la Manche contenait, dans son numéro du 
24 février 1859, l’article suivant de son rédacteur en chef 
qui résuràe Tétât de la question que je me propose de trai¬ 
ter ici avec plus de développements, tout en me bornant 
à faire usage de ce que les journaux de la localité ont publié 
d'après la notoriété publique : 

a L'ante St-Martin ou d'Omonville-la-Petite. Nous avons 
» lu avec beaucoup d’intérét une notice qui a para dans la 
» Revue dn^eux Monde*) du 15 janvier dernier; elle est 
» intitulée: Lh côtes de la Manche , et signée par M. J.-J. 


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s'-MARTIN-HAGUE. 


S 49 

» Baude, de l'Institut. L'auteur, dans un premier article, 
» aussi très remarquable, bien que nous fassions nos réser- 
» ?es sur certains points, avait fait l'historique des ouvrages 
a gigantesques qui ont été exécutés à Cherbourg. Dans 
» son dernier article, il indique ce qui reste à faire pour 
a compléter la défense de notre grand établissement mari- 
a îime. Il s'occupe particulièrement de la presqu'île de la 
k Hague qui s'avance à dix kilomètres au Nord-Ouest de 
» Beaumont. Les travaux qu'exécute l'Angleterre depuis 
o plusieurs années, surtout à Aurigny, ne peuvent manquer 
> de rendre à ce point trop oublié de notre littoral son 
» ancienne importance militaire. L'auteur parle du hâble 
» d'Omonville et de l'anse S'-Martin. Il croit que le rap- 
» port de Colbert de Terron en 1664 regarde celte der- 
» nière anse qu'il faudrait convertir en une fosse fermée, 
# capable de recevoir des vaisseaux de ligne et 25 frégates, 

8 Voici sur cette intéressante question ce que nous écrivions 
» dans le Phare de la Manche du 19 septembre 1858: « Au 

9 moment où le voyage de l’Empereur vient de s'accomplir, 
9 où l'on voit partout sa présence apporter une vie nou- 
9 Telle et d'importants travaux, il n'est pas inutile de remet- 
9 ire en souvenir ceux qui ont déjà été exécutés dans 
9 notre arrondissement, et de parler des développements 
9 qu’on peut espérer leur voir prendre. M. le comte de Toc- 
» queville veut bien nous communiquer les détails suivants 
9 sur un vœu exprimé, à l'unanimité, par le conseil géné- 
9 ral de la Hanche dans sa dernière session: le conseil géné- 
9 ral s'est occupé de nouveau de la défense d'un des points 
s tes plus avancés de notre littoral, l 'anse S x -Martin % prés 
9 la pointe de la Hague, à dix milles marins dans le Nord- 
9 Ouest de Cherbourg. La nature y a tout disposé pour y 
9 créer un port, où pourraient stationner plusieurs vapeurs 
9 rapides, d’où en temps de guerre, ils sc porteraient sur 


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DK L*ANSE 


-30 


» les tles anglaises placées à peu de distance dans un rayon 
a de dix lieues. Dans la session de 1851 le conseil général. 
» présidé par M. Alexis de Tocqueville, ancien ministre des 
a affaires étrangères, exprima le vœu que M. le ministre 
a de la marine fit dresser un plan à grande échelle de l'anse 
a S l -Martin. Il le pria également de faire étudier la ques- 
» tion, ce plan à la main, avec fruit et maturité. Le gou- 
» vernement pris le vœu en grande considération. Dès Pan- 
» née suivante il envoya deux officiers supérieurs de la ma- 
a rinè et de la guerre visiter Panse S l -Martin. Le 15 juillet 
a de l'année suivante, une commission de défense des côtes, 
a présidée par le marquis de Laplace, général de division 
a d'artillerie, se transporta à Panse S ( -Martin. Elle décida 
a qu’on porterait à douze canons la batterie de SMjermaio- 
a des-Vaux. Les travaux commencèrent peu de temps 
a après. Ces premiers travaux sont terminés et Ton assure 
a qu’on va y ajouter encore. Reste à traiter le poiut de 
a refuge offert par l’anse S‘-Màrtin. L’auteur du vœu émis, 
a M. le comte de Tocqueville, représentant du canton de 
a Beaumont-Hague, disait au conseil général en 1851, que 
a l’anse S l -Martin était accessible à toute heure et à toute 
a marée, précieux avantage si rare, sur les côtes de la 
a Manche, puisque sur 140 lieues de la Bretagne à la Bcl- 
a gique, il ne sc trouve que cette anse et Cherbourg, où 
a l'on puisse entrer à toute heure. Voici, à l'appui de cette 
a opinion, un curieux document inédit publié par les soins 
a du ministre de l’instruction publique. C’est une lettre de 
a Colbert de Terron, commissaire de marine, adressée en 1664 
a à Colbert, contrôleur général des finances. Cette lettre a 
a été lue toute entière au conseil général et nous allons la 
a reproduire (1). (Suit la lettre que nous croyons devoir 

(1) Nous devons ce précieux document à l'obligeance de M. 
de Rostaing, capitaine de frégate à Cherbourg. 


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^-MARTIN-HAGUE. 


251 


» nous dispenser de publier de nouveau). Toutes ces obser- 
» valions judicieuses faites il y a deux cents ans sont dans 
» ce moment d’une application plus utile encore. Cherbourg 
b a grandi, sa digue puissante est sortie du sein des flots, 
» et de vastes bassins ont été creusés au milieu des rochers. 
> Il faut éloigner le danger de ces gigantesques travaux. 
» Voici le vœu exprimé par le conseil général dans sa 
» séance du 28 août dernier : a le conseil général a vu avec 
» plaisir les travaux qui ont déjà été exécutés prés de Panse 
» S ( -Martin. Il croit devoir exprimer au gouvernement 
b toute sa gratitude pour la satisfaction qu’il a donnée à son 
# vœu précédent. Il espère qu’en le renouvelant aujourd’hui, 
b il voudra bien continuer à étendre sa sollicitude sur un 
b point du territoire digne de fixer toute son attention.» A 
b ces renseignements que nous donne M. le comte de Toc- 
b qoeville, nous ajouterons, que l’anse S'-Martin a été soi- 
b gneusement étudiée par M. le capitaine de frégate de 
b Rostaing, a qui est dû l’initiative de ce projet. Cet officier 
b supérieur stationna pendant six semaines dans cette anse, 
b au printemps de 1853, avec la frégateà vapeur VInfernal, 
» qu’il commandait. Une commission dont il faisait partie, 
b fut en même temps chargée de l'exploration nautique de 
b l’anse Martin et de scs abords, et les conclusions de son 
b rapport tendirent à l'établissement d'un port de refuge 
» sur ce point du littoral. Le conseil d'amirauté consulté 
» sur la question, émit un avis favorable, mais en expri- 
» mant l’opinion qu’il ne fût donnésuite à ce projet qu’a prés 
» l’achèvement des grands ouvrages de Cherbourg. Ces 
» ouvrages sont aujourd'hui terminés, et rien ne s’oppose 
b plus à ce qu'on commence les travaux maritimes de l’anse 
b S k -Martin, » « Nous sommes charmés que l’autorité d’un 
» membre de l'Institut vienne confirmer toutes les raisons 
b qui depuis dix ans se sont produites pour éveiller la solli- 


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232 


DE L'ANSE 


» citudc du gouvernement sur ce point de défense impor- 
» tant. Mais nous ne pouvons nous empêcher de regretter 
» que l'honorable M. J.-J. Baude n'ait pas cru devoir met- 
» tre en lumière les travaux estimables qui avaient déjà été 
» faits dans le département de la Manche sur le même sujet, 

» et qu'il ait parlé de manière à faire croire que l’opinion 
» publique, l’attention des hommes éclairés du pays, la pré- 
» voyance de l'administration départementale, étaient res- 
» tées jusqu'ici insensibles aux avantages que l'auteur 
» signale et n'aient pas fait des efforts pour atteindre le but 
» qu'il indique. Toutefois, en présence des rivalités de ports 
» qui se produisent chaque jour contre Cherbourg, qui n’a 
>» guère que l’Empereur pour soutien, nous sommes recon- 
» naissants des renforts spontanés qui nous arrivent, et nous 
» serons toujours très empressés d'unir nos efforts à ceux 
» des hommes éclairés et désintéressés qui, comme M. J.-J. 

» Baude, cherchent à empêcher de perdre le fruit des deux 
a cents millions de francs de travaux dépensés à Cherbourg < 
» depuis trois quarts de siècle. Signé : Yérusmor. » 

Dans notre séance académique du 4 février 1859, que j*ai 
eu l’honneur de présider accidentellement, j’avais été le pre¬ 
mier à signaler les articles remarquables sur Cherbourg et 
les parages adjacents . publiés dans la Revue des deux Mon¬ 
des par M. le baron Baude de l’institut de France, et j’avais 
proposé de lui offrir le diplôme de correspondant de notre 
Société, comme témoignage de haute estime pour ce travail, 
que le Phare de la Manche a reproduit en entier. M. Baude 
a été proclamé correspondant à la séance suivante de la 
Société, qui avait reçu de lui, dans l’intervalle, un exem¬ 
plaire de son ouvrage. 

Je suis entré dans les détails qui précédent pour montrer 
les sentiments de considération qui m’animent et pour évi¬ 
ter toute interprétation en me voyant revendiquer la prio- 


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S l -MARTIN-HAGUE. 


255 


rité du projet d’endiguement de l’anse S‘-Martin-Hague 
dont je m’occupe depuis près de dix ans. Je vais remonter à 
cette époque. „ 

En décembre 1849, je fus désigné pour remplir, en qua~ 
Hté de capitaine de frégate, les fonctions d'aide-major de la 
marine à Cherbourg. Je fis exposer dans le bureau de la 
majorité que j'occupais, le plan de la rade de Cherbourg 
et les deux cartes n°* 828 et 845 du Dépôt des cartes de la 
Marine comprenant les parages voisins, du cap de la Hague 
à la Hougue, et dans les courts loisirs de mon service, je 
me remis à l'étude de la position maritime de Cherbourg, 
de ses environs, et des changements que les nouveaux 
vapeurs à hélice pourraient apporter dans ses moyens d'at¬ 
taque et de défense. A cette époque il n'y avait encore à flot 
aucun vaisseau de ligne à vapeur; le Napoléon n'ayant été 
misé l'eau qu'en mai 1850, et en fait de frégates à hélice, il 
n'y en avait qu’une seule, la Pomone , sur laquelle j'avais été 
second en 1848, dans l’escadre de la Méditerranée, sur les 
côtes de Sicile. On était donc au début seulement. Ce fut 
alors que je pensai à l’anse de S ( -Martin-Hague, comme 
poste avancé de Cherbourg. Sur ces entrefaites le ministre 
de la marine donna l'ordre d’étudier la question du rétablis¬ 
sement des sémaphores et je fus président de la commission 
pour le 1 er arrondissement maritime. Ce travail ne fit que 
confirmer mes idées sur S‘-Martin~Haguc, malheureusement 
il n’y pas de plan particulier gravé de l'anse S‘-Martin-Ha- 
gue, et il est difficile de juger de cette baie d'après les cartes 
n M 828 et 845 du Dépôt général de la Marine, sur lesquel¬ 
les elle n'occupe que quatre centimètres de large et de long. 
Afin de mieux m'en rendre compte, j’en fis d'après ces car¬ 
tes, un croquis, à une échelle linéaire quadruple et représen¬ 
tant par conséquent l’anse seize fois plus grande en sur¬ 
face. 

17 


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Dans Télé de 1850, lors du premier voyage de l’Empe¬ 
reur, l’escadre d'évolutions étant venue à Cherbourg, je 6s 
part de mes idées sur S*-Martin-Hague, au commandanl du 
vaisseau l'Hercule , qui les approuva. A la même époque, la 
commission de l’enquête parlementaire sur la marine était 
venue à Cherbourg et j’avais été chargé, comme aide-major 
• de la marine, de l’accompagner dans le port. MM. les 
amiraux Latné et Charner, qui en faisaient partie, ainsi qoe 
M. le comte Daru, représentant du département de la Man¬ 
che et vice-président de l'Assemblée Législative, me fireot 
l’honneur de me demander on travail sur quelque sujet rela¬ 
tif à la marine locale, et m’engagèrent à le leur envoyer à 
Paris. C’est alors que je rédigeai la première note datée du 
21 décembre 1850, sur S l -Martin-Hague et que je l’adres¬ 
sai à M. le comte Daru qui, à Cherbourg, présidait la com¬ 
mission d’enquête de la marine, eu l’absence de M. Dufaure. 
Je reçus la réponse suivante : 

a Paris, le 25 décembre 1850. 

» Monsieur, j'ai communiqué ce matin à la commission 
» d’enquête de la marine, votre rapport sur l'établissement 
a d’un port de refuge à S*-Martin. M. Dufauro l’a emporté 
a pour le lire, et en rendre compte à la commission. Nous 
a aurons plus tard à en délibérer, et je soutiendrai votre tra- 
a vail; mais je crains que l’état du trésor ne rende l’appli- 
» cation de ces idées difficile, etc. Signé : Daru. a 

Ce rapport étant le projet initial et le premier tracé 
proposé de l'cndiguement de l’anse ^-Martin-Hague, je 
crois devoir citer les deux paragraphes suivants : « En 
a examinant la carte n° 828, ou le n° 845, (1) on voit que 

(1) Du Dépôt général de la Marine. Voir aussi les n 05 881, 
878 et 1024 du même établissement, ainsi que le no le de la 
carte de France du Dépôt de la Guerre, publié en 1843 et inti¬ 
tulé Les Pieux. 


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S*-MARTIN-HAGUE. 


m 


» Panse S'-Martin-Hague, d’on mille de large, s'enfonce 
» dans les terres, d’une quantité égale, que le mouillage 
» pour les corvettes, compris à terre de la roche la Parmen - 
» Itère a 1500 mètres de diamètre, et que sur cet espace les 
» vaisseaux de ligne et les frégates auraient assez d’eau, 
» dans une étendue de 1200 mètres de long, sur 800 raè- 
s très de large. Dans l’état actuel des choses, ils ne seraient 
» pas à l’abri des vents de N.-O., N., et N.-E., mais on 
b pourrait les garantir en profitant des roches de la Parmen - 
b Itère et du Grun et des bas fonds voisins, sur lesquels il 
» n’y a, à marée liasse, que 2, 3, 8 et 9 pieds d'eau, pour 
b faire une jetée de 4600 mètres partant de la côte et du 
» Fliart, où il n’y a que 2, 3 et 5 pieds d’eau, et où une 
» digue de 600 mètres suffirait. » 

Je remis une copie de ce travail à M. le Préfet maritime; 
mais il n’y fut pas donné suite. 

Au mois d'août 1851, M. de Charnisay, alors sous- 
préfet de Cherbourg, à qui j'avais parlé de ce projet, par¬ 
tant pour une tournéo dans la Hague, au sujet des routes, 
me proposa de l'accompagner, et nous visitâmes la baie ou 
anse S ( -Martin qui nous parut fort belle. Étant au château 
de Nacque ville, chez M. le comte Hippolyte de Tocqueville, 
membre du conseil général pour le canton de Beaumont- 
Hague, j'y trouvai son frère, M. Alexis de Tocqueville, qui ve¬ 
nait de quitter le ministère des affaires étrangères, et qui allait 
assister également âu conseil général du département, dont 
il fat élu président. Je leur parlai de mon projet de S l -Mar- 
tin-Hague, et leur remis le croquis, à grande échelle, que 
j avais fait. Ils se rendirent sur les lieux avec ce croquis 
et examinèrent l’anse avec soin. Ils me dirent qu’ils comp¬ 
taient saisir le conseil général de ce projet; mais me firent 
des objections, auxquelles, je répondis par la lettre suivante 
adressée à M. Hippolyte de Tocqueville. 


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256 


DE L'ANSE 


« Cherbourg, le {9 août 1851. 

» Monsieur, vous me demandez pourquoi je propose de 
xx profiler des roches et des bas-fonds situés à rentrée de 
xx l'anse S l -Martin pour en faire une rade, puisque nous avons 
xx la rade de Cherbourg, créée à si grands frais, et qui en 
xx est si rapprochée. Je répondrai d’abord que la vapeur a 
xx changé tout le système de la guerre maritime et de la na- 
» vigaiion, et que par suite de cela, les Anglais dépensent 
xx à Aurigny, quinze millions de francs (620 mille livres 
xx sterling), pour fermer la rade de Braye , quoiqu’ils aient 
» une belle rade àGuernesey, et qu’ils consacrent dix-sept 
» millions (700 mille livres sterling) à la baiedeS u -Catherinc 
xx de Jersey. Or cependant, dans la Mauchc, ils ont les 
» immenses ports de Plymouth et de Portsmouth. Nous, 
a qu’avons-nous dans la Manche, en fait de ports où l’on 
i» Ton puisse entrer à mer basse, chassé par l'ennemi sans 
x> être pris? Cherbourg, Saint-Mâlo et S‘-Martin. Mais dans 
xx ce moment l’on est pas à l'abri, dans ce dernier port, avec 
» de forts vents de Nord-Ouest au Nord-Est. Je conçois 
xx que jusqu’à présent, ce port ait été négligé; il y a de 
xx très forts courants et des roches à l'entrée, qui la rendent 
x> dangereuse pour des bâtiments à voiles. Mais avec des 
xx vapcurs,on brave ces courants, et si l'on faisait des digues 
xx sur ces roches, comme je le demande, elles ne seraient 
xx plus des dangers invisibles , et dès lors ne seraient plus à 
xx craindre, si bien que les navires à voiles eux-mêmes, 
xx pourraient s'y réfugier en attendant le jusant, pour don- 
xx ncr dans le raz Blanchard. Du reste vous pouvez être 
» sûr que si vous laissez les choses comme elles sont avec 
xx un fort de deux canons, les Anglais en temps de guerre, 
xx y viendront avec leurs vaisseaux et frégates à vapeur, 
xx et s’établiront dans la rade. Sans mettre pied à terre ils 
xx feront taire le feu de vos deux pièces, et empêcheront 


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S l -MARTIN-HÀGUE. 


257 


b d’en monter d'autres, d’autant plus que vous n'avez pas de 
» route pour j arriver. Vous serez obligé, bon gré mal 
s gré, si la guerre vient, de vous y établir, ne serait-ce que 
b pour empêcher qu'ils ne le fassent ; et si vous ne vous 
» décidez pas à vous en servir, comme port de refuge, ils 
» sauront bien s’en servir, eux, pour de là observer Cher- 
» bourg. La transformation des vaisseaux de ligne et des 
» frégates à voiles, en vaisseaux et en frégates à vapeur a 
s décuplé le mérite militaire de l'anse S‘-Martin. Or cette 
b transformation est si nouvelle qu’elle n’est même pas 
b terminée. Vous ne serez pas maîtres de ne rien faire à 
b S-Martin si la guerre éclate; il vaut donc mieux s'en 
» occuper avant; d’autant plus que le commerce local de la 
» Hague en profitera, en temps paix, cl cela modifiera peut- 
b être la condition de cette presqu’île reculée et si délaissée. 
b Il serait trop long de transcrire ici les instructions nauli- 
b ques du Pilote français (publié en 1845, par le Dépôt de 
b la Marine) sur la navigation de cette côte. Les courants 
» violents qui y régnent, et les renversements de marées, 
# sont cause qu’il y a une immense différence sous le rap- 
b port nautique entre le trajet de S l -Martin aux lies Anglo- 
b Normandes et celui de Cherbourg à ces mêmes lies, et je 
b veux vous citer à ce sujet un extrait de l’histoire de Tour- 
b ville par M. Guérin (1845) qui a puisé aux meilleures 
a sources. Après avoir raconté la magnifique bataille de la 
b Hougue, livrée le 29 mai 1692, dans laquelle Tourvillc 
b n’avait pas perduunseul doses quarante-quatre vaisseaux 
b contre quatre-vingt-dix-neuf ennemis, il ajoute: « le 30 
» mai, après avoir rallié trente-cinq de ses vaisseaux, il 
b se trouva, sur les six heures du soir, obligé pour étaler 
b le flot, de mouiller par le travers de Cherbourg, à une 
* b lieue des ennemis. C’est alors que Tourvillc prit le parti 
b désengager dans le raz de Blanchard, qu’il se flattait de pas- 


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258 


DE L y ANSE 


» ser avec le jasant, afin de pouvoir au moyen des courants 
» devancer les ennemis. Il partit de Cherbourg, à onze heu- 
» res de la nuit du 30au3i. Déjà vingt «deux de ses vaisseaux 
a sur trente-cinq avaient passé le raz sous la conduite de 
a Pannetier, les treize autres étaient seuls encore dehors, 

» à une portée de canon près (1), lorsque le jusant, man- 
a quant tout-A-cuup il furent obligés de mouiller au com« 
a menccment du flot, sur un fond de roche ; leurs câbles cas- 
a sèrent et le courant rejeta sous le vent des ennemis, ces 
a treize vaisseaux qui ne virent plus d'autres ressources 
a que d’aller se réfugier à la Hougue pour s’y échouer, et 
a où ils furent brûlés, a Pour résumer, je crois qu’il serait 
a très à désirer que le Dépôt de la Marine fit dresser, an 
a moyen des documents qu'il possède déjà, un plan à 
a grande échelle de l’anse S*-Martin et qu'une commission, 
a ce plan à la main, étudiât sur les lieux ce qu’on pourrait 
a et ce qu’il y aurait à y faire, alors même qu’on ne devrait 
a pas entreprendre des travaux immédiats. Agréez, etc., 
a Le capitaine de frégate, Signé : E. de Bostaiog. a 

Je donnai connaissance de cette réponse à M. le sous- 
préfet de Cfaarnisay, qui, spontanément la fit autographier, 
ainsi que mon premier mémoire du 21 décembre 1830, et 
qui voulut bien m'écrire ce qui suit : 

Cherbourg, 28 août 1851. 

« Monsieur, je vous remercie de votre communication, 
a elle m’a vivement intéressé et je suis heureux de vous 
a aider à propager vos excellentes idées. Demain, le cour- 
a rier emportera, à l’adresse du Préfet et de chaque conseil- 
i 1er général, une copie autographiée des deux notes. Je 
» ferai le même envoi aux représentants de la Manche, qui 
a n’appartiennent pas au conseil général. Je vous envoie un 
a specimen de chacune. Signé : de Cfiarnisay. a 

(1) Tout près du cap la Hague et de l’anse de Saint-Martin- 
Hague. 


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S'-MARTIN-HAGOE. 


259 


A celte époque les séances des conseils généraux des dé¬ 
partements étaient publiques, et les journaux étaient auto¬ 
risés à livrer à la publicité les procès-verbaux des séances, 
après leur approbation. On trouve, dans l’Anmuitrs du dé¬ 
partement de la Manche, 24* année 1859, le procès-verbal 
des délibérations du conseil général du département de la 
Manche, session de 1851, et page 191 on lit ce qui suit : 

a L'anse S'-Marlin (canton de Beaumont). — Vœu pré- 
» senté au conseil général du département de la Blanche, 
» par M. Hippolyte de Tocqueville. 

» Messieurs, j’ai l’honneur de déposer le vœu suivant à 

> l'examen do conseil général. Un capitaine de frégate, M. 
» de Bostaing, résidant depuis quelques années à Cher- 

> bourg, fut nommé, l’an dernier, président d'une commis- 
» sion spéciale chargée d’examiner la question du rétablis- 
» sement des sémaphores dans le 4* r arrondissement mari- 
» lime. En s’occupant de son travail, il fut frappé de la po- 
» sition de l'anse,S l -Martin, prés de la pointe de la Hague 
» et à dix milles marins dans le Nord-Ouest de Cherbourg; 
» il vit que la nature avait tout disposé pour y créer un 

• port où pourraient stationner plusieurs vapeurs rapides 
» d’où, en temps de guerre, ils se porteraient sur les Iles 
» anglaises, placées à peu de distance dans un rayon de 

• dixJieues. Les Anglais exécutent là de grands ouvrages 
» de défense. Quoiqu’ils aient une belle rade à Guernesey 
» et qu’ils consacrent dix-sept millions à la baie Sainle- 
» Catherine de Jersey, ils ne négligent pas Aorigny petite 
» Ile située & seize kilomètres de nos eûtes. Les travaux y 
» sont poussés vivement, et l’on n’y dépensera pas moins de 

> quinze millions de francs. Nous ne pouvons rester immo- 
» biles devant ces grandes entreprises. L’anse S'-Martin se 
» présente naturellement à notre observation. Accessible à 
a toute heure et i toute marée, elle offre un point de refuge 


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260 


DE L'ANSE 


d précieux, avantage si rare sur les côtes de la Manche, 
» où sur cent quarante lieues de la Bretagne à la Bclgi- 
a que, il ne se trouve que cette anse et Cherbourg, où Ton 
a puisse rentrer à toute heure. Le voisinage de ce dernier 
a port ne peut être une raison de négliger S‘-Martio (point 
a le plus rapproché des Iles Anglo-Normandes), qu’il est 
a si utile de mettre à l’abri d’un coup de main. Si les cho- 
a ses restaient comme elles sont, nul doute qu’en temps de 
a guerre, les Anglais, bravant le petit fort armé seulement 
a de deux canons, la seule défense actuelle, ne vinssent en 
a force, avec leurs vaisseaux de lignes et frégates à vapeur, 
a s’établir en maîtres dans une rade, qu’une trop longue 
a incurie leur aurait permis de prendre ; de ce point con- 
a quis sur notre territoire, ils menaceraient Cherbourg et 
a l’immense développement de ses travaux. Nous ne pou- 
a vons laisser près d’un aussi grand port un voisin si faible 
a et dont on pourrait trop facilement s’emparer. Les tra- 
a vaux de S ( -Martin, loin de nuire à Cherbourg, complé- 
a feraient sa sécurité. Faisons pendant la paix ce qu’il fau- 
a droit ensuite faire trop vite; car, si la guerre éclatait, il 
a serait indispensable de s’établir à S‘-Martin, pour empé- 
a cher les Anglais de le faire; la transformation qui s’opère 
a chaque jour des vaisseaux de ligne et des frégates à voi- 
a les en vaisseaux et frégates à vapeur, a décupfô le prix 
a de l’anse Saint-Martin. De ce port de refuge, une expé- 
a dition française pourrait débarquer en une heure à Auri- 
a gny, et s’en emparer avant que des secours aient pu arri- 
a ver de Guernesey et de Jersey. Si on voulait tenter une 
a agression contre ces dernières, c'est de S k -Martin qu’en 
a devrait partir l’avant-garde. En tous cas, on ne peut 
a qu’applaudir à tout projet qui, nous rapprochant encore 
a de ces Iles, nous permettra de surveiller mieux ces foyers 
» de contrebande, refuge ordinaire pour toute espèce deper- 


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S l -MÀRTIH-HAGUE. 


261 


» turbateurs. L’anse S‘-Martin, d’après l'examen qui en a 
» été fait, a près d’un mille de large et s’enfonce dans les 
9 terres d’une quantité égale. Elle pourrait contenir au 
• au mouillage treize vaisseaux ou frégates et autant de 
» corvettes. Le curieux et sa vant travail deM. de Rostaing, 
» sera remis an dossier de l'affaire, et passera sous les yeux du 
» conseil général. Je renvoie à ce document pour connaître 
» tous les moyens techniques d'exécution qu’il propose elle 
a chiffre de la dépense présumée qu'il évalue de un million 
» il un million et demi. Sans doute la réalisation de ce pro- 
» jet ne peut être immédiate, ni même prochaine; mais 
» j’espère que le conseil général ne refusera pas d’appeler 
» l’attention du gouvernement sur cette idée patriotique et 
» féconde. J'ai l'honneur de lui soumettre le vœu suivant: 
» 1* Prière à M. le ministre de la marine de faire dresser un 
a plan de l'anse St-Martin, à grande échelle, d'après les 
9 données suffisantes qui existent à son ministère; 2° Le 
9 prier également défaire étudier la question sur les lieux, 
9 ce plan à la main, avec fruit et maturité. — (Le conseil 
9 général a adopté ce vœu à l'unanimité dans sa séance du 
9 26 août 1851.) a 

Le Phare de la Manche du 18 septembre 1851, repro¬ 
duisit ce compte-rendu. Le rédacteur du même journal a 
publié deux petits articles, auxquels, du reste, j’ai été com¬ 
plètement étranger, l’un, le 11 juillet 1852, est ainsi conçu: 
« Nos informations nous donnent comme chose certaine 
9 qu'oo va construire deux forts pour la défense de l'anse de 
9 Plainvy, sur la côte de la Hague, et que les travaux 
9 seront entrepris cette année ; c'est le commmencement 
9 d'un projet dont l'initiative appartient à M. de Ros- 
9 taing, capitaine de frégate à Cherbourg, a Et l’autre le 3 
9 avril 1853 : a M. de Rostaing, capitaine de frégate, com- 
9 mandant la frégate à vapeur Y Infernal, a placé à l’entrée 


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b de la baie de Plainvy on de S‘-Martin, sur la côte de la 
» Bagne, deux bouées, l’une sur la roche sons-marine la 
b Française , l'autre snr les Bouts de l'anse ; cette opération 
» a en lieu le 24 mars. L’anse S‘-Martin est un vaste et bon 
» mouillage fermé d’un côté par les trois roches les Gros , 
b qui lui font un abri natnrel; de l'autre par la pointe la 
b Privée qui s’avance k plus d’un demi mille en mer. Le 
b gouvernement, snr l’initiative et d’après les indications 
b de M. le commandant de Bostaing, se propose de faire 
b des travaux assez considérables sur ce point important du 
b littoral de notre arrondissement, b 

Je relate anssi une lettre insérée dans on journal de 
Cherbourg (le Commerce) en mars 1853, par M. Lépine, 
lieutenant des douanes, qui commandait, je crois, le cutter 
de la douane VAigle, chargé de la surveillance de la côte 
voisine. Les renseignements qu’il donnne ne manquent pas 
d’exactitude et d’intérét nautique et bien qu’un peu longue, 
je crois devoir la reproduire. 

« La frégate à vapeur YInfernal sons le commandement 
b de M. de Bostaing, vient de quitter notre rade pour aller 
b explorer et sonder les côtes de la Hague et spécialement 
b l'anse de Plainvy (S‘-Martin). Le gouvernement aurait 
» l’intention, s’il y avait lieu, d’entreprendre des travaux 
b hydrauliques pour faire de cette baie une enceinte propre 
b à recevoir nos bâtiments de guerre, cherchant un abri 
b contre les vents du large ou les atteintes de l'ennemi. 
b Ayant navigué fréquemment lelong des côtes de la Hague, 
b observé et sondé, dans les plus grandes basses mers de 
b Tannée, les rochers isolés et les profondeurs de l’eau ; pris 
b des relèvements sur chacun des dangers do ces côtes et 
b sur tous les points susceptibles d’intéresser la navigation 
*b dans ces parages, nous croyons avoir acquis les connais- 
b sance nécessaires pour traiter la question dont il s'agit. 


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s'-martin-haoue. 


265 


» Celle circonstance noos a fait penser que le résultat de 
» nos observations sur Panse de Plainvy seraient sinon uli— 
» les aux personnes destinées à la sonder, du moins aux 
» navigateurs qui fréquentent les côtes de la Hague. 

» Gisement de la baie. — L'anse de Plainvy est à l’cn- 
» trée du raz Blanchard, passage tant redouté par nos 
» marins. Elle présente au N. et au N.-E. uneouverturede 
» 60 h 65° ; lorsque les vents soufflent d’autres parties ils 
» viennent de la côte et l’on trouve conséquemment abri 
>i dans la baie dont la profondeur est égale à peu près à son 
» ouverture, c’csl-à-dire que sa mesure est d’un mille marin 
» environ. Elle est bornée à l’Est par une longue ligne do 
» rochers submersibles et insubmersibles; mais les premiers 
» sont en partie rattachés à la côte; il n’y a qu’une roche 
» basse à craindre, le Gntn , qui s’étend à une encablure en- 
» viron (500*) vers l'Ouest à partir de Noire-roche, rocher 
» qui ne couvre jamais et qui se prolonge le plus au large. 
» Du côté de l’Ouest elle est bornée par une autre ligne 
a de rochers élevés, les Herbeuses qui ont au moins 8 à 40 
» métrés de hauteur et qui s’avancent au N.-E. Non loin 
» du rocher le plus au large il y a plusieurs basses qui se 
» prolongent vers l’Est. Au milieu de l’ouverture de la baie 
» oa trouve cn6n deux autres basses, les Françaises , qui 
» découvrent dans les marées des équinoxes ; elles sont 
» très peu éloignées l’une de l’autre et ont une faible éten- 
» due. 

# Entrée. — Entre Noire-roche et les Française, il y a 
a une largeur de 500* environ (800*), on n’y trouve pas 
» moins de 8 à 40 brasses d’eau de basse mer dans les gran- 
» des marées ; le fond est un sable-coquilles’, si on lou- 
» voyait par cette passe pour entrer dans l’anse, il faudrait 
» prendre garde au rocher le Gnm qui comme nous l’avons 
» dit serait à craindre si on se rapprochait trop du côté de 


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264 


de l'anse 


» l'Est. Entre les Françaises et les Herbeuses nous comp- 
u tons également 500 mètres (800*), cette passe est moins 
» creuse que la première, mais on y trouve encore de 
a> basse-mer de sept à neuf brasses d’eau, selon qu’on est 
d plus ou moins rapproché du côté des Herbeuses le long 
» desquelles le fond est plus haut. Lorsqu’on louvoie il ne 
h faut pas trop hanter ces rochers, puisque comme nous l’avons 
» indiqué précédemment il y a des basses qui se prolongent 
» à l’Est, à partir de celui qui est le plus au Nord-Est. Du 
» reste lorsqu’on sait où se trouvent les Françaises (1) 
» on peut courir sa bordée à travers l’anse et on ne fait de 
» faux bord que dans le cas où l’on ne peut doubler au vent 
» de ces roches. De pleine mer, quand un navire se trouve 
» au large de Plainvy de manière à pouvoir relever l’ouver- 
» ture de l’anse sous un angle de 120 à 150°, il peut gou- 
» verner sur l’église de Jobourg qui domine toute la côte et 
» qui coupe la baie vers le milieu, ayant soin toutefois de 
» corriger la marée de jusant, qui, à cet'instant, est assez 
» violente; car ce courant commence à se faire sentir deux 
» heures au moins avant la pleine mer dans la vaste étendue 
)> qui est entre Becchue et la Coque . On peut aller ensuite 
» mouiller dans toutes les parties de l’anse jusqu’à uoe en- 
» cablurc même du rivage, où il n’y a pas moins de 6 à 7 
» mètres d’eau. Sous le pont de Saint-Germain, il y a cc- 
» pendant trois ou quatre têtes de roches, mais elles tien- 
» nent presqu’à la côte. 

» Mouillage . — Dans une étendue de mille mètres en 
» carré environ, on trouve un fond de sable argileux et 
» une profondeur d’eau variant de 6 à 10 brasses (6 à 16*) 

(1) Les marques des Françaises sont Téglise de Jobourg, vue 
par les rochers les plus à l’Est du Port des Vaux, et un 
petit corps de garde placé sur le point culminant de la pointe 
Jerdeheu , vu par Esquina en Esquinandre. 


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S^MARTIN-HAGUE. 


265 

» selon l'éloignement de la côte ; dire que le fond est de 
» celle nature, c’est s’exprimer favorablement an sujet du 
» mooillagcde cette baie ; cependant do côté de l'Est le 
» fond est un peu ferré, maïs tout près de la côte. Après 
» un grand vent et étant dans la meilleure position, nous 
» avons été obligés de mettre huit hommes à virer un guin- 
» deau mécanique pour déraper uneancre de i 50kilog. Cela 
» nous a fait dire bien des fois que pris d'une anordie et 
u nous trouvant, dans l’impossibilité d’appareiller nous ne 
» perdrions pas l’espoir d’étaler sur nos ancres et de sauver 
)> l’équipage et le navire. Dans l’étendue propre au mouil- 
» lage, il n'y a qu’un très faible courant; il n’est pas même 
» comparable à celui de la rade de Cherbourg. Lorsque la 
» mer est basse cette marée porte au Sud-Est pendant qua- 
» tre heures, elle porte au Nord-Ouest ensuite. 

» En quel sens celte baie serait-elle utile aux navires 
i caboteurs ? Comme nous l’avons dit, elle se trouve du 
» côté de l’Est à Centrée du raz Blanchard, où l’on compte 
» en marée moyenne 12 à 15 nœuds (1). Tous les navires 
» faisant route pour Cherbourg viennent attaquer la pointe 
» de la Hague. S’ils arrivent dans le raz vers la Gn du flot, 

» ou une heure même avant, ils ne peuvent atteindre Cher- 
» bourg. Le jusant les ramène au raz et les entraîne dans 
» les parages les plus à craindre, à défaut de n’étre pas 
» entrés dans Plainvy. Ils sont donc drossés par les cou- 
» rants pendant six heures et si le temps devient mauvais, 

» des capitaines peu pratiques dans le raz, s’y voient embar- 
» rassés et en le passant au retour du flot reçoivent souvent 
» de mauvais coups de mer. Nous avons été témoins bien 
» des fois d’événements pareils. Il a peu de temps encore, 

» noos montions le raz, avec cinq ou six bâtiments; il y 

f i) C’est-à-dire 22 à 27 kilomètres à l’heure. 


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266 


DE L’ANSE 


» avait 4 heures de flot d’écoulés, il faisait presque calme; 
» le jusant nous prit à Grévillo et nous aurait bientôt drossé 
» dans le ras si à la hauteur de Plainvy nous n'y eussions 
» point relâché. Même avec calme plat on y entrerait à 
» l’aviron, en mettant des embarcations à nager devant. Les 
» autres navires restèrent à la merci des courants du raz et 
» disparurent bientôt derrière le phare d’Auderville. Dans 
» la nuit nous eûmes une neige très abondante et le vent 
» souffla en tempête de la partie de l’Est. Nousavonssupporté 
» ce mauvais temps comme si nous avions été dans un port. 
» Nous n’avons plus entendu parler de ces navires; mais 
» toujours est-il que souvent des bâtiments de Cherbourg 
» et de beaucoup d’autres ports manquent tout-à-coup, 
» corps et biens; sans laisser aucune trace de leur naufrage 
» Je ne connais dans les environs, que les profondeurs du 
» raz capables d’engloutir à jamais tous les débris d’on 
» navire naufragé. L’année dernière, trois de nos bâtiments 
» ont ainsi disparu, et s’ils avaient connu l’entrée de Plaiuvj 
» peut-être s’y seraient-ils réfugiés. 

» Avantages que Plainvy pourrait offrir à Vennemi. — 
» L’anse de Plainvy, comme on l’a vu plus haut, est très- 
» profonde ; le fond est presque d’une hauteur uniforme, 
» une nombreuse escadre ennemie pourrait donc y venir 
» prendre mouillage, à dessein d’attaquer nos navires, qui 

s’y trouveraient, où pour y opérer un débarquement. 
» Pour la réussite d’un tel plan, ce serait l’endroit le plus 
» commode de la Hague, de pleine mer, dix vaisseaux au 
» moins, calant de huit à neuf mètres d’eau, s’approchant 
» de Vècore pourraient très facilement par le beaupré, ou 
» par quelqu’autre moyen, faire débarquer tout leur monde 
» à pied sec sans avoir recours aux chaloupes. 

» Observations générales .— Nous laissons à des person- 
» nés plus compétentes que nous dans l’art de la guerre, le 


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S‘-MARTIN-HAGUB. 


267 


» soiu d'examiner les avantages que nous présenterait l'anse 
» de Plainvy en temps de guerre avec l'Angleterre, L’tlc 
» d’Aurigny est séparée seulement d'un myriamètre et demi 
» du cap de Jobourg, on y fait des travaux considérables ; 
» on y construit une digue pour former une enceinte capa- 
» ble de contenir une escadre nombreuse de vaisseaux de 
» ligne. Des points culminants d’Aurigny on distingue par- 
» failement noire côte, on verrait alors très-bien nos bâti- 
» ments quitter Cherbourg; on pourrait calculer leur force, 
» venir les attaquer et si nous n'avions pas en réserve 
» dans l'anse Plainvy, des bâtiments armés qui suivraient 
» de vue ces manœuvres et qui au besoin, appareilleraient 
» pour aller porter secours à nos convois, ils seraient sans 
» aucun doute continuellement capturés. Nous ne pouvons 
» qu'applaudir aux .intentions du gouvernement. On parle 
)> d’élever incessament des forts sur les points les plus con- 
» venables de Plainvy. La frégate à vapeur {'Infernal, doit 
» comme nous l'avons dit en commençant, sonder cette 
» baie et nous espérons que, comme nous, elle trouvera cette 
» anse capable d’offrir à nos bâtiments de guerre, toutes 
» les garanties désirables et que l'on travaillera ensuite k la 
» construction de la digue projetée sur ce point; nos cabo- 
» leurs pourraient alors se mettre à l'abri des courants si 
» violents du raz Blanchard. Signé : Lépine. » 

En 1856, j'avais trouvé à la Bibliothèque de la marine, à 
Cherbourg une lettre de Colbert de Terron au grand Col¬ 
bert, relative à Omonville. Je la fis connaître àM. le comte 
de Tocqueville qui l'a lue au conseil général du département 
en 1858. La voici : 

« Colbert de Terron à Colbert. 

» De Saint-Malo, le I er décembre 1664. 

» Depuis mes dernières du 19* novembre, j’ay achevé de 
» courir les costes de la Basse-Normandie, et ay veu les 


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268 


DE L’ANSF. 


» capsde laHoguc, Barfleur, la Hague, cap Lévi,Cherebourg, 
» et Omonyille. Dans ce dernier lieu, qui est à quatre lieues 
» de Gherebourg, nous avons trouvé de quoy faire un port 
» flottant pour servir de retraitte à vingt-cinq grandes fré- 
» gattes en faisant une despense de 3 à 400,000 livres, 
» c’est une chose assez rare dans ces mers sujettes aux ma- 
» rées, de trouver une fosse qui se puisse aisément fermer 
» où il y ajl de l'eau pour tenir à flot, à marée basse les 
» vaisseaux à grand port ou des gallèrcs. François I er fit 
» construire en ce mesme lieu une fortiffication, en iS20, 
» dans le dessein de se servir de la dite fosse pour ses vais- 
» seaux; et comme elle est accompagnée de rades, et dans 
» le milieu de la Manche, il n’y a point de double que la 
» situation en est très-avantageuse. Ce lieu est un peu désert 
» et il y a très-peu de bois propre au service des vaisseaux 
» dans tout ce canton là; mais le voisinage de Cherbourg 
» serviroit fort bien à fournir tout ce qui serait nécessaire 
» pour les vivres et les agrez des vaisseaux. Pour ce qui est 
» du déflaut de bois, il faudrait considérer le lieu comme 
» estant propre à retirer les vaisseaux qui n'auraient pas 
» besoing de grand radoub mais seulement de carenne et 
» de quelque autre petite chose pour se remettre en estatde 
» servir d’une campagne à l'autre. Je vous envoiray le plan 
» et le devis avec les autres expéditions concernant le voya¬ 
is go que je fais. Signé : Colbert de Terron. » (1 ) 

M. Baude, dans son article Les côtes de la Manche inséré 
d'ans la Revue des deux Mondes du 15 janvier dernier dit, en 
parlant de S^Martin: a En 1664, Colbert de Terron, Fin— 
» tendant de la marine, rendant compte au grand Colbert de 
» l’état des côtes de la Manche estimait qu’avec3 ou 400,000 

(1) Corresp. adm. sous le règne de Louis XIV. pub. par G. 
Depping, 1855. — Documents inéd. sur l’Iiist. de France T. IV 
p. 13. 


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«‘-MARTIN-HAGUE. 


269 


» livres on convertirait l’anse en une fo$$e fermée, capable 
b de recevoir des vaisseaux de ligne et 35 frégates. » Or, 
dès le mois d'octobre 4858, j'avais acquis la preuve que 
Colbert de Terron parlait dans sa lettre d'Omonville-la- 
Rogui et non d'Omonville-la-Petite qui est aussi appelée 
Saint-Martin, du nom de l'église et 'du patron du village 
i'Omonville-la-Petite, placée au fond de la baie ou anse, et 
située & trois kilomètres à l’Ouest de la commune et du petit 
port A'Omonville-lar-Rogue que M. Baude cite sous le nom 
de Habit (i) (TOmonville, écrit ainsi sur la carte de France 
da Dépôt de la Guerre, feuille n° 16 (les Pieux). Celte simi¬ 
litude de noms occasionne une confusion môme dans le 
pays et je l'avais déjà remarqué dans le dernier ouvrage de 
M. De Gerville (2) intitulé : Etudes géographiques et histo¬ 
riques sur le département de la Manche, où il est dit, page 
» 17 : Omoncille-la-Rogue. — Le port d'Omonville offre 
i naturellement le meilleur mouillage du département. Aux 
s temps des Romains ce port et celui de Port-Bail étaient 
» connus; une voie romaine conduisait de l'un à l’autre.... 
» Dans ce moment le gouvernement emploie un bateau 
» à vapeur pourétudier tous les détails de ce fameux mouil- 
» lage. C’était le principal port des pirates Normands du- 
» rant leur occupation du Hague-Dick.» 

M. De Gerville parlait de Y Infernal dont mon second (3), 
qui était de sa connaissance, l’avait entretenu pendaut une 
visite qu’il lui fit à Valognes, peu de temps avant sa mortel 

(1) Dans le Glossaire nautique par A. Jal, in-4° 1848, on lit : 
Habit vieux français, (corruption de Havle) havre, port, rade, 
et Havle corrompu de l'Anglais jETacen ou du Danois Havn, port, 
havre, rade. 

(2) Ch. Adr. Le Hérissier de Gerville, né à Gerville (Manche) 
le 17 septembre 1760, mort à Valognes le 26 juillet 1853. 

(3) M. Morel, lieutenant de vaisseau. 

18 


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270 


DE L’ANSE 


pendant que nous étions à l’ancre en rade de Saint- 
Martin. 

Jamais aucun vapeur n’a mouillé à Omonville-la-Rogue. 
Colbert de Terron faisait partie en 1664 d’une commission 
qui visitait les côtes de la Manche, et dont le rapport a été 
mentionné souvent à l’occasion de Cherbourg. Cette com¬ 
mission, sous la présidence du chevalier de Clerville (1), 
directeur des fortifications , était composée de MM. Col¬ 
bert de Terron, commissaire de marine; de Chat il Ion, officier 
du génie; Blondel, architecte du roi; de La Giraudière et 
Regnier-Jansse. Elle a visité les côtes de l’Océan et de la 
Manche en 1664 et 1665, son travail porte deux dates, 15 
avril et 1 er mai 1665 ; celte dernière est celle de l’approba¬ 
tion. Je suppose que le dernier membre, Regnier-Jansse, est 
le même que le sieur Regnier-Jenssen, le jeune ingénieur du 
Roi à Calais, qui faisait partie, 25 ans auparavant, de la com¬ 
mission envoyée en 1659, par le cardinal de Richelieu sur 
les côtes de Picardie et de Normandie <* pour voir et reco- 
a gnoitre quelz lieux on trouverait plus propres cl comroo- 
» des pour bastir et construire un port afin de retirer les 
x> vaisseaux du Roy. » et qui s’arrêta à Cherbourg. Je me 
suis procuré copie du rapport du 15 avril 1665 de la 
commission, en ce qui concerne Omonvillc; il sc trouve à 

(1) D'après la Bibliothèque historique de la France , le Cheva¬ 
lier de Clerville était commissaire général des fortifications 
avant Vauban, car Vauban a été nommé en 1677 à ces fonc¬ 
tions. Dans le Dictionnaire de T armée de terre , par le généralBar- 
din, Paris 1841 (X e vol. page 2931) on lit : Ingénieurs militaires . 
u Depuis que en France les ingénieurs formèrent un corps de 
» fonctionnaires publics, il était civil et militaire ; sa séparation 
» en deux catégories distinctes s’opéra en 1760 (14 septembre). 
« Les ingénieurs qui devinrent purement militaires n’eurent 
» plus à s’occuper des ponts et des chaussées et furent entière- 
» ment employés à la construction, d Vattaque et à la défense 
» des places. » 


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S l -MARTIN-HAGUE. 


271 

la Bibliothèque Impériale, manuscrit n° 122, fond 
Colbert, la voici : 

« Fosse d'Omonvtlle. — Est une petite renfoncée, au 
i Nord Nord-Ouest fermée, du côté de la mer, par 
b une chaîne de rochers interrompus en quelques endVoits, 
b de la longueur environ de 120 toises, courant Sud-Est et 
b Nord-Ouest, laquelle découvre à demi marée, à la réserve 
b de la pointe qui ne se montre qu'aux matines (sic); ces ro- 
b chers de forme circulaire d'environ cent toises de dia- 
» mètre, capable de contenir quinze ou vingt navires mouil- 
b lés sur quatre amarres, au moyen des ouvrages proposés; 
b le fond est bon, de terre à potier, qui n'assèche jamais 
» et qui vers le centre et le milieu, à marée basse, a quinze 
b à seize pieds d’eau, diminuant insensiblement vers les 
i terres, jusqu’aux laisses, dont la mer ne découvre que 
b quinze toises ou environ ; et dans l'espace des laisses, il y 
b a une ceinture de rochers, facile à ôter, circuisant tout le 
b rivage, à la réserve d’environ quarante toises dans lebont du 
b port, où s’écoule un petit ruisseau et où la grève est nette; 
b en cet endroit aboutit un grand pré où la terre se peut 
b fouiller et remuer d'environ 600 toises de long et 200 de 
b large (1); il s'y pourra rencontrer quelques roches, 
b semées dans cet espace que l'on estime faciles à couper et 
b à remuer. 

b L’entrée de la fosse est exposée à l’Est, qui a de 
b largeur, à compter de la pointe des rochers, qui sont sous 
» le petit fort jusqu'aux roches appelées les Thuart qui est 
b au bout de la chaîne ci-dessus environ cent toises, entre 
b lesquelles elle est distante de quarante toises desdits rochers. 
b Du fort, tirant audit Thuart, il y a une autre roche appc- 

(1) Ce qui fait 1200 mètres, qui multipliés par 400 mètres 
égalent 480,000 mètres carrés ou 48 hectares, puisqu'un hectare 
égale 10,000 mètres carrés. 


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272 


DE L*ANSE 


» léc la Balasse, d’environ quatre brasses de longueur qui 
» ne découvre qu’aux grandes marées ; il y en a encore une 
» autre dans la fosse au Sud-Ouest du centre, à trente 
a toises de terre, appelée la Bourde , de figure à peu près 
a ronde, d’environ quinze pieds de diamètre, qui ne décou- 
a vre jamais ce qui incommode et rétrécit fort ladite fosse. 
b La rade à prendre de ladite fosse jusqu’à Cherbourg et 
b depuis la terre jusqu’à deux lieues au large à la mer est 
b fort bonne et nette et bonne tenue; mais au côté qui 
» regarde le Nord-Ouest de la fosse en allant vers le cap 
b de la Hague, le fond n’y est pas net à cause de la quan- 
b tité de rochers espacés qui ne découvrent jamais et que 
b les courants y sont furieux par le courant du raz Blan- 
» chard. Il monte dans ladite fosse, de morte eau quatorze 
b pieds, et de vive eau vingt pieds. Aux nouvelles et plei- 
b nés lunes, la pleine mer est environ à huit heures et demie. 
b Le traversier est le Nord, les vents contraires sont Nord- 
b Ouest, Nord cl Nord-Est. Est à remarquer que le flot est 
b de cinq heures et l’Ebc de sept. La situation de ce lieu, 
b donne sujet de rechercher tous moyens de s’en pouvoir 
b prévaloir, et pour cet effet il faut tâcher de faire une 
b jetée sur la chatnc susdite de rochers jusqu’à la tête dite 
b du Thuarty et même la continuer, s’il se peut pour rélré- 
b cir l’entrée de ladite fosse, qui sera un ouvrage très-diffi- 
b cile et à examiner encore sur les lieux en saison convena- 
b ble. Le terrain de la prairie voisine de ladite fosse est bien 
b facile à remuer et profonde de dix-buit à vingt pieds, 
b d’argile potasse. Ladite fosse servirait d’avant-port. A été 
b fait un plan et dessiné à part.» 

En suivant ce rapport, sur la carte marine, n°” 828 ou 
845 il devient évident qu’il s’agit d’Omonville-la-Bogue et 
non d’Omonville~la-Pctitc qui est Saint-Martin. Il est pro¬ 
bable que Colbert de Tcrron, n’aura pas voulu attendre la 


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S'-MARTIN-HAGUE. 


273 


fin du travail de la commission pour rendre compte à son 
cousin Colbert (qui du reste notait pas encore ministre de 
la marine) de la partie relative à Omonville, et que sa lettre 
citée plus haut, de Saint-Malo du 1 èr décembre 1664 pu¬ 
bliée par M. Depping en 1855, aura été écrite très peu de 
de temps après la visite de la commission à Omonville-la* 
Bogue. Cette commission avait renoncé à l’idée de créer un 
port de guerre à Cherbourg, et avait été apparemment 
séduite à Omonville-la-Rogue par la possibilité d’y creuser 
facilement dans la terre, très-près du rivage, un immense 
kassin.de 48 hectares (I), c'est-à-dire deux fois plus grand 
que l'ensemble des trois bassins du port militaire qui n’occu¬ 
pent que 21 hectares, creusés dans le roc . La commission 
ajoutait que le petit port actuel, pourrait avec des travaux, 
servir d’avant-port ; qu’il avait quinze à seize pieds d’eau à 
marée basse au centre, et probablement elle pensait pouvoir 
établir la communication de cet avant-port au grand bassin 
projeté avec une profondeur d’eau semblable. Or c'est-là la 
très-grande difficulté des ports de la Manche et il n’y a que 
quinze pieds d’eau à basses mers vives eaux, pour passer de 
la rade dans le port, à Cherbourg, à Brest comme à Ply- 
moulh et à Portsmouth. La commission de 1664 croyait 
donc avoir enfin trouvé ce qu’on cherchait depuis 25 ans 
et ce qu’on n’a obtenu qu’en 1813 à Cherbourg, à l’ouver¬ 
ture de l’avant-porl militaire, c’est-à-dire cent cinquante 
ans après et au prix de cent millions de francs de travaux^ 
y compris la Digue; et il faut bien la compter puisque sans 
elle, on n’aurait pas entrepris de creuser le port militaire. 
Voici en quels termes la commission de 1665 avait refusé de 
choisir Cherbourg. 

« Cherbourg. — Les propositions qui ont été faites de 

(1) 600 toises sur 200 ou 1200® x 400® = 480,000® «. 
48 hectares. 

/ 


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274 


DE L’ANSE 


» construire en ce lieu, un bavre pour les vaisseaux du roi, 
» par le moyen d’une grande jetée à pierres perdues à la 
» mer, à la longueur de 600 toises et plus, sur la profon- 
» deur d’eau de 30 pieds, à élever au-dessus de 36 pieds, ne 
» sont à admettre pour la monstrueuse et excessive dépense 
» et l'incertitude du travail et du succès. Il le faut néan- 
» moins considérer pour des vaisseaux de commerce qui 
» peuvent y rester lorsqu'ils aurout bon abri. Si en racco- 
» modant le pont de la Divette, qui est fort ruiné et de né- 
» cessité absolue à rétablir, ou y fait des baises (sic) pour 
a rétablir et retenir les eaux de ladite rivière, afin de s’en 
» servir à creuser et nettoyer un canal à faire sous la 
» muraille de la ville, qu’il faut couvrir d’un côté de l’Est 
» d’une jettée en avant jusqu’à la basse mer et d’un autre 
» côté de l'Ouest à prendre seulement de la muraille de la 
» ville afin d’empêcher les apports de la mer; et dans ce 
» canal à la marée haute il y aura 20 à 21 pieds d'eau. » 
J’ai cité en entier ce passage du rapport de la commis¬ 
sion de 1663 , parccqu’on n’en avait donné que des 
extraits forts courts. M. Alexis de Tocqueville, membre de 
I’Institut,dans son remarquable travail sur Cherbourg, inséré 
en 1848 dans Y Histoire des villes de France, publiée par 
M. Guilbert, tome V page 751, en cite trois lignes, que repro¬ 
duit d’après lui M. Noël dans les mémoires de la Société 
Impériale académique de Cherbourg, année 1856, qui con¬ 
tiennent sa discussion historique sur la Digue de Cherbourg, 
dont je lui avais fourni les éléments à mon départ pour la 
guerre d’Oricnt, à laqûellc je pris part avec la frégate à 
vapeur Y Infernal que je commandais. J’ai aussi transcrit en 
entier Pavis de la commission de 1665, sur Cherbourg, parce- 
qu’il fait voir que l’idée d’une digue partant ou non de Cher¬ 
bourg existait déjà en i665.0r Vauban ne faisait pas partie de 
cette commission dont j’ai nommé les membres. On sera donc 


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S^MARTIN-HAGUE. 


275 


forcé de ne plus laisser à Vauban que le mérite d’a?oir pos¬ 
térieurement accueilli les idées déjà émises, et cela sans 
doute après 1677, époque à laquelle il a succédé au cheva¬ 
lier de Cierville, en qualité de commissaire général des for¬ 
tifications, fonctions qui comme on Ta vu, d’après le géné¬ 
ral Bardin, comprenaient aussi celles de Directeur général 
da service civil des ponts et chaussées (1). Gela corrobore 
l'opinion de H. A. de Tocqueville et de M. Noël, conte¬ 
nue dans leurs notices citées plus haut. C’est ce que cons¬ 
tate aussi M. Launoy, dans un intéressant article, publié 
dans le Moniteur de juillet 1858, au sujet des fêles données 
à l’occasion du voyage de S. M. l’Empereur et de la 
Reine d’Angleterre à Cherbourg. Du reste, du temps de 
Vanban, l’hydrographie de la côte n’était pas suffisamment 
étudiée et connue. 

Le Neptune français, première collection de nos cartes 
marines, publiée en 1693 ne contenait qu’une carte à très- 
petit point des côtes du Cotentin et de la Hague, levée en 
1689, par H. deChazelles, ingénieur de la marine et membre 

(1) Le spectateur militaire de 1857 contient un mémoire du 
colonel Augoyat intitulé : Aperçu historique sur les fortifications, 
les ingénieurs et le corps du génie de France ; duquel il résulte 
que vers 1662, l'administration des fortifications fut partagée 
entre Colbert et Le Tellier. Le premier eut dans son départe¬ 
ment entr’autres les places"fortçs des côtes de l’Océan. 

Ce partage des forteresses subsista jusqu’en 1601. 

Ce fut Colbert qui fit expédier à Cierville, ingénieur de 
son département, les provisions de commissaire général des 
fortifications. 

C’était lui qui en 1664 l’avait chargé par ordre du Roi de 
visiter les ports et côtes maritimes de Picardie et de Nor¬ 
mandie. 

Cierville mourut en 1677, et la charge de commissaire géné¬ 
ral des fortifications de France fut donnée à Vauban, qui 
l’exerçait depuis 1668 dans le département de Louvois. 


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276 


DE L'ANSE 


de l’Académie royale des sciences. Gela explique Terreur 
très-grave commise dans le mémoire de 1686, qu’on a 
attribué à Vauban (cela peut-être à tort, comme le pensent 
MH. de Tocqueville et Noël) et qui est inséré dans le volume 
de nos mémoires, année 1852, où il est dit que : «de 
» Nacqueville à Omonville, il y a deux lieues de côte 
» ferrée fort élevée et non propre aux descentes . » 
Or c’est précisément là qu’en 1758, c’est-à-dire 72 ans plus 
tard, les Anglais ont débarqué à UrviIle-Hague, à deux lièues 
de Cherbourg et qu’ils sont venus prendre et rançonner 
cette ville. Il n’y a rien d’extraordinaire, en relevant ce fait 
rigoureusement vrai, que Vaaban, si c’est lui qui est l’auteur 
du mémoire en question, se soit trompé sur une question 
locale et marine; cela n'enlèverait rien à son génie et à sa 
gloire. Dans ce mémoire de 1686 qui lui est attribué, on lit 
page 82 : «La fosse (tOmonville , à trois lieues d’ici, demande 
» la même possession. C’est une petite anse de refuge qui 
» ne peut servir qu’aux bâtiments marchands de même 
a grandeur, poossés des corsaires ou battus de mauvais 
a temps, ou a nos corsaires même quand ils seront poussés 
a par de plus forts, a 

La commission de 1665 ne donne à la fosse d'Omon ville, 
comme on Ta vu plus haut, qu’environ 100 toises (195 
mètres) de diamètre, ce qui ne fait que trois hectares ou la 
moitié de Tavant-porl militaire de Cherbourg. En jetant les 
yeux sur la carte n° 16, du Dépôt de la guerre, on voit que 
ce qui est marqué sous le nom de le port (tOmonville , à 
Omonville-la-Rogue mesure au plus 400 mètres de diamè¬ 
tre, ce qui ferait 12 hectares, l’anse S‘-Marlin ou d’Omon- 
▼ille-la—Petite en présente 1600 mètres, ce qui ferait 192 
hectares; car si le diamètre est quadruple, la surface est 16 
fois plus grande. Cela se voit un peu mieux encore sur les 
cartes n°* 820 et 845 du Dépôt de la marine. M. Baude, 


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S'-MARTIN-HAGUE. 


277 


croyant que Colbert de Terron parlait de Saint-Martin, dit 
page 53 : < trente ans plus tard (que 1664), Vauban signa- 
» lait le parti qu'on pouvait en tirer . Mais à la page pré¬ 
cédente il avait déclaré : € que Vauban déplorait en 4694 
» que le Hablè ne fût ni défendu par une batterie, ni 
> complété pour la navigation. » Ces deux passages rap¬ 
prochés l’an de l’autre, montrent que Vauban ne parlait que 
du Hable d’Omonville, c’est-à-dire d'Omonvillc-la-Rogue, 
d’accord en cela avec le mémoire de 1686, qu’on lui attri¬ 
bue. Cette dissertation a pu paraître minutieuse, mais on ne 
doit rien négliger quand il s’agit d’étudier les actes d’un 
grand homme. Vauban est du reste assez riche de gloire 
pour qu’on se dispense de lui attribuer toutes les idées heu¬ 
reuses, et de dépouiller les modestes spécialités qui s’occu¬ 
pent avec zèle de la défense de leur pays. 

Dans sa lettre du l 0r décembre 1664, Colbert de .Terron 
en parlant d’Omonville dit : « François I" fit construire en 
s ce lieu une fortification en 1520 dans le dessein de se 
a servir de ladite fosse pour ses vaisseaux, etc., etc. » M. 
Bande adapte ce passage à S'-Martin ; mais je dois dire que 
ce n'est pas l’opinion de plusieurs, et surtout d’un officier 
supérieur quia été longtemps chef du génie et ensuite Direc¬ 
teur des fortifications à Cherbourg. Il m'écrivait dernière¬ 
ment à ce sujet ce qui suit : « Quant aux fortifications fai— 
a tes par François I er , ce sont la batterie d’Omonville (la 
a Bogue) et la petite enceinte bastionnée qui ferme la gorge 
a en grimpant sur les rochers en arrière. Rien n’existe à 
a Saint-Germain-des-Vaux, à quoi on puisse donner cette 
a origine.» Ce nom àc Saint-Germain-des-Vaux est celui 
d'une commune et paroisse, sur le territoire de laquelle le 
rivage occidental de l’anse S‘-Marlin se développe. Ainsi 
sur la carte du Dépôt de la guerre, n° 16 on lit : port des 
Faux, dans l’ouest de l’anse ; et vers le nord-ouest on voit 


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278 


DE L’ANSE 


écrit le fort. Or ce fort était une petite batterie barbette de 
deux canons, qui étant située sur la commune de Sainl-Ger- 
main-des-Vaux en avait pris le nom. L’anse entière de 
S‘-Martin porte elle-même sur des cartes le nom de anse 
de Saint-Germain-des-Yaux (1), et pour augmenter encore 
la confusion, si c’est possible, le fond de l’anse reçoit la dé¬ 
nomination particulière de Havre de Plainvic qui, aussi, est 
souvent employé, comme on l'a déjà vu plus haut, pour 
Panse entière de S^Marlin, et notamment sur la carte de 
1’arrondissement de Cherbourg, publiée en 1834 par M. 
Bitouzé-Dauxmesnil, géomètre en chef du cadastre du 
département de la Manche, et bien que la carte du même 
auteur, spéciale au canton de Beaumont (1827), donne le 
nom d’Anse Saint-Germain. La carte n° 16 du Dépôt de la 
guerre attribue au fond de l’anse S l -Martin le nom de 
havre de Plainvic et le nom de port des Vaux à la par¬ 
tie occidentale de l’anse cl qui est située sur la commune 
de Sainl-Germain-des-Vaux. 

M. A. Asselin, ancien sous-préfet de Cherbourg et Direc¬ 
teur de notre Société académique, dans une notice imprimée 
en 1832, exprimait l’opinion que le non de Plainvic était 
Scandinave; c les Saxons dit-il, donnaient le nom Ftcftà 
» un port d’embouchure, à une station de refuge. JFic 
» flaminis ostium vel stationem securam (Dufresne 
» Ducange au mot Wik de son glossaire). L'auteur des 

(1) Voir la carte de Cassini feuille de Cherbourg et feuille de 
la Hougue au bas de laquelle est gravé J. Seguin ingénieur 
géograph. du Roy sculpsit 17S8. L’anse Saint-Martin y est dési¬ 
gnée sous le nom d’anse Saint-Germain et dans l’Est il y a gravé 
havre de Pleinvy; à l’Ouest on lit corps-de-garde Saint-Ger¬ 
main. La paroisse porte le nom d’Omonville-la-Petite. A Omon- 
ville-la-Rogue le port est désigné sous le nom de fosse d’Omon - 
ville à l’Est duquel il y a gravé fort d’Omonville-la-Rogue et au- 
dessous un fort à quatre petits bastions. 


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279 


S‘-MAIIT1N-I!AGUE. 

* expéditions maritimes des Normands (M. Depping) ditquc 
» ce mot désigne une anse ou une station propre à cacher 
» un navire (tome 4* r page 73).» Dans le Glossaire nautique 
par A. Jal. 1848, Paris, in-4% on trouve : « Vik mot islan- 
» dais, baie, crique , anse et le plain français le plat 
» rivage. » Pour en revenir au fort d’Omonville, fait par 
François I er , l'officier du génie dont j’ai parlé plus haut est 
d’antant plus compétent que c’est à lui qu’on doit la batte¬ 
rie nouvelle de douze canons avec réduit qui a été construite 
en 1855 près l'ancienne petite batterie de deux pièces de 
Saint-Germain-des-Vaux, désignée sur la carte n° 16 du 
Dépôt de la guerre sous le nom de fort. Je suis heureux de 
rendre ici hommage au colonel du génie M. Bodson de 
Noirefontainc dont j'ai eu tant à me louer dans toute cette 
affaire. Il a accueilli avec chaleur les idées que j'ai présentées 
sur l'importance que les nouveaux vaisseaux à hélice don¬ 
naient à l’anse de S‘-Martin ; il a puissamment contribué à 
faire adopter l'urgence de la nouvelle batterie, et c’est lui 
qui Fa construite. Un autre exemple de confusion de noms 
dans nos environs, c'est celui cité par M. Léopold Delisle, 
membre de l’Institut, dans une note, sur la vie et les ouvrages 
de M. de Gerville. Il dit page XXXIV n° XXVII: « note sur 
» le nom de la Hague , dans le nautical Magazine and 
» Naval chronicle (v ol, XV n* 6 juin 1846). Les Anglais 
» confondent souvent le cap de la Hague, situé à l'Ouest de 
s Cherbourg, avec le cap de la Hogue situé à l’Est de ce 
» port. M. de Gerville prouve que le premier de ces caps 
» a été constamment appelé Hague depuis leXl f siècle.» 
Comme cette note de M. de Gerville est en anglais, je vais en 
donner la traduction que je n’ai vue imprimée nulle part; 
et j’espère qu’on excusera cetto petite digression, qui du 
reste se rattache au sujet. 

« Cap la Hague et Cap la Hogue . — Extrait d’une 


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280 


DE L'ANSE 


a lettre de M. Ch. de Gerville, à Hon. F. S. A. etc., etc., 
a communiquée par le conseil du British archœological 
» association. 

a Depuis mon séjour en Angleterre jusqu’à présent fai 
o observé que toutes les cartes appellent l'extrémité Nord- 
s Ouest de la côte du Cotentin cap de la Hogue. La même 
a erreur peut être observée sur toutes Jes vieilles cartes que 
a j’ai pu y voir, et les cartes Danoises la contiennent égale- 
a ment; mais il est temps de faire ressortir cette méprise, 
a Ici nous sommes unanimes en appelant ce point cap la 
a Hague et en le distinguant du cap la Hogue qui est 
a très-près de Ba.rfleur et sur lequel il y a à présent un beau 
» phare. Certainement comme ce cap appartient à la France 
a nous avons le droit de décider cette question. Mais 
a comme c’est un point qui peut être contesté, f espère éta~ 
a blir la vérité d’après des sources officielles. Je commence* 
a rai par l’époque actuelle et après je remonterai à mille 
a ans. Toutes les cartes françaises publiées, soit par le 
a Dépôt de la guerre, soit par Cassini, il j a cent ans et 
a celle du diocèse de Coutances parue en 1687, s’accordent 
a en appelant la pointe Nord-Ouest de cette côte cap la 
a Hague, située à l’extrémité de cette péninsule où le phare 
a d’Auderville, se trouve placé. Tous les registres de l’évé- 
a ché de Coutances, remontant de 1790 à 1251 appellent 
a Doyenné de la Hague , ce qui est désigné en latin sur 
a les registres du XIII 9 siècle, Decanatus de Haga . 
a Cette citation devrait être une preuve suffisante, mais 
a une locution erronée demande plus que cela pour être 
a extirpée; Vous aurez une preuve d’un autre genre et non 
a moius concluante. En 1026 le duc de Normandie épousa 
* a Adèle, fille de Robert et sœur de Henri 1 er de France, qui 
a à son second mariage épousa un comte de Flandre et 
a devint la belle-mère de Guillaume-le-Conquérant. Un 


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S l -MARTIN-UAGUE. 


281 


» savant Bénédictin Dom. Luc. d'Achery a relaté dans son 
» $picilegium (1) l'acte de ce mariage. Richard donnait à 
» la princesse Adèle pour son douaire une vaste étendue du 
» domaine Ducal et entr'autres le district appelé la Hague 
» avec un port de mer [Pagum qui dicitur Haga cum 
* sylvis et portu maris) qui est le port d’OmonvilIe, encore 
» bien connu et fréquenté par les habitants d'Aurigny et de 
» son voisinage. Ainsi vous voyez que le nom de la Hague 
» est reconnu par notre gouvernement depuis lesdix-huitiè- 
« meeldix-neuvièmesiècles,parnotreautoritéeccIésiastiqoe 
» depuis le règne de S k -Louis jusqu'à la révolution et par 
» les ducs de Normandie en 1026, quarante aus avant la 
» conquête de l'Angleterre. De même la fameuse bataille 
» de la Hogue en 1692 est désignée comme ayant eu lieu 
» an large du cap la Hague; or celte bataille, commencée 

> prés du cap de Barfleur, fut continuée vers l'Est quand 
« Jacques II, alors au château de Quinéville, la voyait dis- 
» tinctement de l'église du village et s'écriait très patrioti- 
» quement sans doute, mais impolitiquement : Voyez 
s comme mes Anglais se battent bien ! Suivant les his- 

> toriens des îles du canal, c'était au large d'Aurigny et des 
» Casquets, que cette bataille fut livrée; mais nous avons eu 

> en main une preuve incontestable du lieu de la bataille. Le 
» 7 mars 1833 la mer s'étant retirée d'une manière extraor- 
» dinairc, laissa à découvert les restes des carcasses de plu- 
» sieurs des plus grands vaisseaux de la flotte française 
s échoués et brûlés à S k -Wasl-la-Hogue, suffisamment 
s en dedans de la baie de la Hogue, pour éviter d'être pris 
s par l’ennemi. 

a J'ai recueilli quelques débris de ce grand désastre cl 
» ils sont la plupart dans la ville de Yalognes, cl dans diffé- 
» rentes maisons de S k -Wasl. Si les historiens des lies du 

(1) Achery spicileg. Edit. in- 4 o, tome VIT, page 205. 


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282 


DE L’ANSE 


» canal sonl tellement en défaut sur un fait si peu éloigné 
» du temps présent, fait sur lequel anglais et français ont 
» des relations officielles, ils doivent être encore plus blà- 
» més pour cette ignorance que pour ceux relatifs au moyen- 
» âge. Signé : Gb. De Gerville. a 

Le portu maris du pagum qui dicitur Haga cité plus 
haut, de l’an 1026 peut-être aussi bien Omonville-la-Petite 
(Saint-Martin) qu'Omonville-la-Rogue. Au XIII* siècle, ces 
deux localités sont citées toutes les deux. Ainsi le livre des 
fiefs sous Philippe-Auguste, donne le passage suivant tou¬ 
chant Omonville-la-Roguc. « Guill. de Rogues tenet inde 
a (de Nehou) dimidium feodum lorice apud Avarville et 
a Omonville.a C'est probablement de celte famille de 
a Rogues qtf’Omonville a pris son surnom (1). 

[45 trésor des chartes contient une pièce datée de Melon, 
du 8 septembre 1245, par laquelle Louis IX approuve la 
nomination à la cure d’Omonvillc-la-Petite, Osmonvilla 
parva , de Maître Guillaume de Auseio (2). 

(1) Notes historiques sur les communes de l'arrondissement 
de Cherbourg, par M. de Pontaumont, p. 69, Caen 1857. 

(2) Cartulaire normand de Philippe Auguste, Louis VIII, 
Saint-Louis et Philippe-le-Hardi. (publ. par M. L. Delisle. 
Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, 2« série 
6® vol., XVI e de la collection 1852, page 75. N° 456. Septembre 
1245. LudovicusDei gratià, Francorum rex, dilecto et fidelisuo 
Episcopo Constantiensi, salutem et dilectionem. Scire nos volu- 
musquodnosEcclesiamdeOsmonvilla-parva(Omonville-la'Petite, 
canton de Beaumont, jadis dans le doyenné de là Hague) vacantem 
et ad nostram donationem pertinantem, magistro Guillelmo de Ao- 
seioclerico latori presentium contulimus intuitu pietatis.Undevo. 
bis mandamus quatinus eundem clericum ad eandemecclesiam 
admittatis et faciatis in corporalem ejusdem ecclesiæ possession 
nem induci. Àctum ad Meledunum, anno Domini M. CC qua- 
dragesimo quinto mense septembri. (T. des ch. Patronage, n°4; 
carton J 360.) 


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S^MAUTIN-HAGUE. 


285 


Ce qui me fail penser que des deux Omcmville, le porl 
d'Omonville-la-Pctile était le principal repaire des Scandi¬ 
naves, c'est d'abord son étendue beaucoup plus considérable, 
puis le nom de Plainvic et aussi le nom de Danneville, 
situé au bord occidental, derrière et au-dessus de la batte¬ 
rie de Saint-Germain-des-Vaux. En outre la vigie de Jo- 
bourg, qu’on aperçoit de la baie, est élevée de 170 mètres 
au-dessus de la mer, et qui est le point culminant du ter¬ 
ritoire fermé par le Hague-Dick , est plus voisine et de là on 
embrasse un horizon beaucoup plus vaste; tandis que la 
vigie d'Omonville-la-Rogue, n’est qu’à 87 mètres de hauteur, 
ne découvre qu’un horizon restreint et n’aperçoit pas par 
exemple les Iles Anglo-Normandes, ni l’anse de Vauville, au 
revers du Hague-Dick . 

La partie méridionale de l'anse S-Marlin, marquée havre 
de Plainvic sur la carte du Dépôt de la guerre, offre une 
belle plage sur laquelle les Scandinaves pouvaient échouer 
leurs navires et les mettre en sûreté, en les tirant à terreau- 
dessus des hautes mer, comme faisaient les Grecs pour leur 
flotte devant Troie, et comme j’en ai vu beaucoup d’exem- 
plessur les côtcsde la Méditerranée (1). Je sais bien que Ton 

(1) On lit dans Y Archéologie navale , par A. Jal, historiogra¬ 
phe de la marine, publié par ordre du Roi 1846, tome 1 er page 
137. u Ces nefs étaient à fond plat et tiraient peu d'eau, car 
» Wace raconte que Guillaume pour que les timides ne pussent 
» retourner en Normandie et fussent contraints par la néces- 
» sité de prendre part au combat qui allait se livrer, sans doute 
» fatal à plus d’un, ordonna aux mariniers ke li nés fussent 
» despecies (dépecées) à terre traites et perdes (tirées à terre et 
n percées, sabordées). 

» Mais faut-il en conclure de ce qu’on tirait ces nefs à terre, 
» qu’elles avaient sur les mers l importanco de petits bateaux ? 
»» assurément non. Dans la Méditerranée on voit debout sur le 
» rivage et appuyés sur leurs béquilles des navires d’un tonnage 
» assez considérable et l'on sait qu'au moyen-Age on put tirer à 



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284 


DE L’ANSE 


pourrait objecter que sur cette plage existait une forêt (dont 
j’ai vu en effet des débris aux basses mers équinoxiales. Les 
riverains viennent même encore dépecer de vieux troncs 
presque enfouis sous le sable) ; mais en admettant que la mer 
ait envahi le fond de la baie, comme le fond de la mer est 
uni, sans roches, et qu’il va en diminuant, il est présumable 
que le rivage a toujours offert une belle grève, sur laquelle 
les Scandinaves pouvaient héler à terre leurs Drakars et 
leurs Holkers (1) pour l’hivernage. 

On ne sait au juste quels sont les peuples qui ont cons¬ 
truit le Hague-Dick, ce rempart énorme en terre avec fossé, 
qui coupe la presqu'île sur un développement de près de 
trois mille mètres, isolant ainsi le cap de la Hague et un ter¬ 
rain do 10 kilomètres de long sur 5 kilomètres de large 
environ, cl par conséquent à peu près de cinq mille hectares, 
comprenant aujourd'hui huit communes (2) peuplées de 
4,100 habitants qui y vivent des produits du sol et de I» 
mer. Or cela suppose qu’aux temps de la construction du 
Hague-Dick, celte localité devait être très-populeuse et 

» terre avec des rouleaux des bâtiments d’une grandeur qui 
» n'avait rien de commun avec celle des barques chétives que 
» l'on veut être les vaisseaux des Normands. Enfin on peut se 
rappeler que, dans sa deuxième expédition dans la Grande- 
Bretagne, César fit tirer à terre toute sa flotte composée de 
£00 navires (Livre V). 

» (1) Archéologie navale, parlai, page 135. Les Scandinaves 
» avaient donc des grands et des petits navires, des Drakars 
* et des Holkers selon l’entreprise qu’ils voulaient mener à fin. 
» Drake, mot suédois ancien, islandais, Draker , Drakon , 
» en relation avec le latin Draco , Dragon , nom d’nn navire 
>i Scandinave; Drakar est fait du singulier Drake et d’ar 
» forme du pluriel. 

(2) Auderville, Saint-Germain-des-Vaux, Omonville-la Petite, 
Jobourg, Digulleville, Omonville-la-Rogue, Eculleville et Her- 
queville. 


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285 


S'-MARTIN-HAGUE. 

comporter par conséquent un assez grand nombre de navi¬ 
res. Mais que ce fussent des Celtes-Armoriques, ou Gallo- 
kimriques dont les Unelles faisaient partie, des Saxons des 
bords de la mer du Mord, ou des Scandinaves (1) qui eussent 
construit et occupé le Hague-Dick, il leur fallait une marine 
assez nombreuse, condition sans laquelle ce grand retran¬ 
chement n’aurait pas eu de raison d’être. Or l'anse de S k - 

(1) MM. de Gerville et de Gaumont ne sont pas d'accord là-dessus, 
comme on peut le voir dans le mémoire intitulé Recherches 
sur le Hague-Dick eUles premiers établissements militaires des 
Normands sur nos côtes, par M. de Gerville, lu dans la séance 
du 12 novembre 1831 (Mémoires de la Société des antiquaires de 
Normandie, tome VI). M. de Gerville attribue le Hague-Dick aux 
Scandinaves, contre l’opinion de M. de Gaumont, qui dans sou 
cours d’il ntiquités monumentales, Paris 1830, page 185, Impartie, 
fait remonter le Hague-dick aux anciens Gaulois antérieurs à 
César, page 199 ( limites territoriales). M. de Gerville convenait 
cependant, page 193, « avoir reconnu les traces d’un camp 

romain, connu sous le nom de Castel de Jobourg , c'est, dit- 
» il, un de ces camps-vigies ( exploratoria ) qui bordent nos 
» côtes et semblent avoir été destinés à surveiller les descentes 
» des pirates Saxons.» Il a reconnu aussi des Dolmens druidi¬ 
ques à Jobourg (archives de la Normandie, tome J er ). J’ajou¬ 
terai que dans les mémoires de la Société des Antiquaires de 
Normandie, XIII e vol., 1844, on trouve un essai de numisma¬ 
tique du Nord Ouest de la France, par M. Lambert, directeur 
de la Société, et que page 257, il dit : « que la découverte 
» numismatique la plus importante du Nord de la presqu’île du 
» Cotentin a été faite à Urville-Hague (à une lieue à l’Est et en 
» dehors du Hague-Dick) vers l’année 1820 ; elle se compo- 
» sait de 4 à 500 pièces d’argent à bas titre, monnaies du système 
» armoricain (pl. Y, 16 et 18) de la période anépigraphique, 
» c’est-à-dire antérieure à l’invasion de César, d’après M. Le- 
» lewel (Revue numismatique 1840, 1842) et page 126 : les n 09 1 
» à 5; 16 à 19 de la planche Y présentent des monnaies trou- 
» vées chez les Unelles de la péninsule du Cotentin et dans 
» les îles voisines Gæsarea (Jersey) et Sarnia (Guernesey), le 
» cheval du revers est quelquefois à bec d’oiseau, etc.» 

19 


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286 


DE L’ANSE 


Martin-Hague élait assez grande et assez abritée pour con¬ 
tenir à flot l'escadrille Scandinave, et la plage de S‘-Martin 
seule assez vaste pour que cette marine pût y être tirée à 
terre pendant l’hivernage. 

Dans le pouillé du XIII e siècle (Livrenoir P*64 r°) et dans 
le registre des décimes du temps de l’évéque Louis 
d’Erqueri, la paroisse est appelée Osmondivilla-la-Lwxu et 
Omonvilla-la-Lucas. (Livre blanc f° il v°) (1) 

Je ne sais d’où vient ce mot de Lucas ; si c’est simple¬ 
ment un nom d’homme ou de lieu, ou bien s’il a une autre 
origine. On trouve dans le dictionnaire latin : a Locus, Cic., 
» bois de haute futaie que les payens consacraient aux dieux 
» et qu'on n’osait couper. Bois sacré.» 

Dans le glossaire de Ducange, page 1774, on lit : « Wic 
» lexBajwar, titr. 21 § 6. Si vero de minuits silvis de wic, 
» vel quœcumque kaneio (2) vegetum reciderit 9 etc. Tilia- 
» nia editio : a Si vero de minutie silvis , de luco , vel qua- 
» cumque kaheir vegetum reciderit . » Ubi Lindenbrogius" 
» de luco esse interpretationem T. 8 wic ait, etc., wic ger- 
» manis esse çylvam undè Wicgreve , forestarius. » d’où il 
suit que Luco et wic signifiaient bois ou forêt ; le nom de 
havre de Plainvic viendrait peut-être alors de la forêt, 
située au bord de la mer et dont on voit encore les débris 
aux plus fortes basses-mers ; forêt qui du reste devait don¬ 
ner encore plus de prix à l'anse S‘-Martin, pour la cons- 

(1) Voir le Cartulaire Normand publié par M. L. Delisle, 
dans les mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie 
et cité plus haut. 

(2) Kaneium. Lex bajtcar 9 tit. 21 §6. Si vero deminutis silvis , 
de wic , vel quocumque kaneio vegetum reciderit cum solido et 
simili componat. Ubi editio Heroldi caput 30 $ 3 vel quæcum- 
que kaneovicton habet: Tiliana kaheir ; Baluz. kaheio , Linden¬ 
brogius, kneium seu keye , germanicum, quod salictum sonat, 
interpretatur : nisi inquit iegendum Gaio 9 i, silvula. 


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S l -MARTIN-HAGUE. 


387 


traction ou au moins la réparation des navires. On sera 
peut-être étonné que ce bois soit encore assez bien conservé, 
pour être bon à brûler, bien qne la forêt soit détruite 
depois des siècles. Je crois qu’on peut l'attribuer à ce qnc 
ces débris sont soumis alternativement à la double action de 
la mer et de l'eau douce, qui provient d'une mare alimen¬ 
tée par les ruisseaux des céteaux voisins et que l'on voit fil¬ 
trer à travers le sable du rivage à basse mer, procédé natu¬ 
rel ici et qai a été appliqué à grands frais dans les ports de 
gaerre à la conservation des bois; l'eau douce tuant succes¬ 
sivement les insectes marins et l'eau de mer les insectes ter¬ 
restres ou d'eau douce. C'est d'après ce principe que les bois 
de construction de la marine militaire du port de Cherbourg 
sont conservés dans la mare de Tourlaville, près du fort des 
Flamands, dans laquelle se déverse une branche de la petite 
rivière le Trotlebec ; et dans le bassin de retenue de la 
Divette à côté du bassin de flot du port de commerce. Il en 
est de même à Brest où la rivière de la Penfeld formant le 
port militaire a créé un relais et où se trouvent intacts des 
bois de construction enfouis depuis le règne de Louis XIII. 
Il est possible que malgré l'utilité qu'elle présentait aux ma¬ 
rins, cette forêt ait été conservée pendant tout le temps de 
Tinflaence des Druides et même pendant le moyen-âge. 
Cela s'est vu en Bretagne et ailleurs. Omonville prit sans 
doute le surnom d'Omonville-la-Luca du temps de ces 
forêts druidiques (1) et plus tard celui de Plainvic , lorsque 
le culte druidique eut disparu. Du reste d'après la lettre ci¬ 
tée plus haut, de Colbert de Terrou, on peut induire que déjà 
en 1664 cette forêt n’existait plus. 

Je terminerai par la citation suivante : c < Paquebots trans¬ 
it atlantiques . Réponse des délégués de Cherbourg aux 

(1) Lucain donne aux forêts druidiques de la Gaule le nom 
spécial de lucus , bois sacré. 


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288 


DE l’anse s'-MARTIN-HAGOE. 


i» dernières observations présentées par les délégués de 
» Lorient à la conférence réunie au Ministère des finan- 
» ces. » 

« Cherbourg, le 9 février 4853. 
t âge 4 « Enfin puisqu’on a présenté sous un aspect effrayant 
» la côte de la Hague, nous ajouterons qu’une rade pres- 
» qu’aussi grande que celle de Cherbourg, l’anse S*-Mar- 
» tin, offre à quelques milles dans l’Est du cap de la Ha- 
» gue, et dans l’Ouest de Cherbourg, un mouillage sûr 
a pour les plus forts bâtiments.» Les délégués du Conseil 
» municipal, signé: Ludé, maire, De Lavrignais, ingénieur des 
» Constructions navales, Âsselin, président du Tribunal 
» civil; les délégués de la Chambre de Commerce, signé: 
» Poste!, président; Liais, Eug., président du Tribunal de 
» commerce; Sellier. » 

Ce passage était probablement en même temps une dé¬ 
fense contre un port rival et une réponse à une objection 
dont on a tant abusé contre Cherbourg, à savoir : qu’une 
grande marine commerciale et une grande marine militaire 
ne peuvent pas exister dans le même lieu, comme si cela 
n’avait pas lieu à Cronstadt, où trois mille navires arrivent 
chaque été; et à Constantinople, où la Corne-d’or renferme 
un vaste arsenal maritime et un immense port, où j'ai vu en 
4854 des escadres et des milliers de navires marchands de 
toutes nations. 


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MONNAIES ROMAINES 

DÉCOUVERTES 

il 

CHERBOURG 

en 1857, 

DfiCllTES 

Par ML DENIS-LAGAHDE, 

llenbre de la Légion d’Honneur et de la Société Impériale Académique do cette ville. 


Daus son numéro du 21 mai 1857, le Phare de la 
Manche a rendu compte de la découverte de monnaies ro¬ 
maines en or trouvées à l'extrémité du faubourg du Roule, 
sur la ligne que doit suivre le chemin de fer de Paris à Cher¬ 
bourg. Ce compte-rendu est assez fidèle et assez complet, 
quant au fait de la découverte et à ses circonstances, pour 
dispenser d'en reproduire ici les détails. 

Rappelons d'abord que ce fut le lundi 18 mai 1857, dans 
l'apris-midi, que quelques pièces isolées furent mises au 
jour par des ouvriers employés aux travaux du chemin. Il 
est vivement à regretter que, dès le premier moment, des 
mesures n’aient point été prises pour éviter la dispersion du 
trésor dont ces pièces venaient révéler la présence. J’estime 
à une centaine environ le nombre des pièces qui a pu de 
cette façon passer en diverses mains. 

Quoiqu’il en soit, après que les mesures d'ordre et de 
surveillance eurent été convenablement organisées, il a été 
recueilli environ deux cents pièces, dont voici les variétés 
avec l’indication des revers. 


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290 


MONNAIES 


AYGVSTE. — 1° Tête laurée d’Auguste à droite. — rev. 
C.-L. CAESARES. AVGVSTI F. COS. DESIG. PRIN. 
INVENT. — Caios et Lucius Césars debout, la main sur 
deux boucliers; instruments de sacrifice. 2 pièces. 

2* Tète laurée d’Auguste. — rev. TL CAESAR. A VG. F. 
TR. POT. XV.— L’Empereur dans un quadrige. 1 pièce. 

3* Tète laurée d’Auguste. — rev.TI. CAESAR. AVG. F. 
TR. POT. XV.—Tête jeune de Tibère non laurée. f pièce. 

, TIRÈRE. — 4* Tétc laurée de Tibère à droite. — rev. 
TI. IMP. VII. TR. POT. XVII. — L'Empereur dans un 
quadrige. 1 pièce. 

3° Tète laurée de Tibère.— rev.DIVOS AVGVST. DIVI 
F. — Tête d’Auguste avec une étoile. I pièce. 

6° Tête laurée de Tibère. — rev. PONTIF. MAXIM. — 
Femme assise tenant une haste et un rameau. 200 pièces 
environ. 

L’histoire permet d’assigner une date à peu près cer¬ 
taine à l’émission de plusieurs des variétés ci-dessus dé¬ 
crites. 

Des deux Césars Caius et Lucius, le dernier, le plus jeune, 
fut désigné pour le consulat et reçut le titre de prince de la 
jeunesse, en l’an de Rome 752 (1 er de J.-C.). C’est donc à 
cette époque ou environ qu’il faut placer l’émission de 1a 
pièce n° 1. 

La quinzième puissance tribunilienne de Tibère dont 
mention est inscrite sur la 2* et la 3* variété, correspond à 
l’an de Rome 766 (13* de notre ère); la 17* qui figure sur 
le n* 4 se rapporte à l’an 16. — Le revers de ces deux piè¬ 
ces représente l’Empereur dans un quadrige, et fait allusion 
sans aucun doute aux honneurs du triomphe qui furent dé¬ 
cernés à Tibère dans l’an 766, pour ses victoires en Panno¬ 
nie et en Dalmatie. 

Sur le n° 5, nous trouvons, avec la qualification de 


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ROMAINES. 


291 


DIYOS pour Divus, l’effigie d’Auguste mis au rang des 
Dieux. Celte termiifaison OS, inusitée à Rome, et, au con¬ 
traire, fréquemment employée sur des monnaies exclusive¬ 
ment gauloises, donne la certitude que la pièce a été frap¬ 
pée dans les Gaules. Quant à sa date, elle ne peut être que 
postérieure à l’apothéose du prince, qui eut lieu en l'an 14, à 
l'avènement de Tibère. 

On a vu combien était considérable dans ledépdt le nom¬ 
bre des pièces ayant au revers une femme assise et la légen¬ 
de PONTIF MAXIM. Il est vraisemblable que ce type a été 
frappé pendant la plus grande partie du régne de Tibère, et 
Ton peut dire qu’il a été spécialement affectionné par ce 
prince, car on le retrouve aussi sur ses pièces en argent les 
plus communes. En examinant les 200 pièces à ce type, il 
semble qu'elles nous donnent l'effigie du prince à différents 
âges de la vie : sur les unes, les traits ont le caractère de la 
jeunesse; les autres le représentent parvenu à l’âge mûr; 
d’autres enfin le montrent sous les apparences et la figure 
d’un vieillard ; mais nous croyons que ces différences de phy¬ 
sionomie peuvent très bien provenir de l’habileté plus ou 
moins grande des graveurs qui ont concouru à l’exécution 
des coins. Pur et correct sur un grand nombre de pièces, le 
dessin est, au contraire, véritablement barbare sur beaucoup 
d’autres. 

Dans toutes les pièces de cette variété, la légende est 
identique sous le rapport des abréviations et sous celui de la 
disposition des caractères, qu’il faut lire de droite à gauche. 
La seule dissemblance à signaler consiste en ce que sur les 
pièces à dessin barbare, l’I de la l r# syllabe de Tibère dé¬ 
passe notablement les autres lettres de la légende ; sur quel¬ 
ques exemplaires aussi, mais en petit nombre, la panse de 
la lettre P dans le motPONTIFEX, est formée par un cro¬ 
chet qui ne rejoint pas le jambage principal. 


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292 


MONNAIES 


Il était d’autant plus intéressant de vérifier le poids de ces 
médailles que la plapart d'entr'elles noos sont parvenues dans 
un état parfait de conservation : j’ai été en mesure d'en 
peser 40, et je suis arrivé à constater que, même pour celles 
qui sont à fleur de coin, le poids variait de 7 grammes 80 à 
7 grammes 80. 

Les pièces trouvées au Roule sont de celles qoe les ro¬ 
mains appelaient aureus. — Dans le principe, l'aureus, égal 
en poids à deux deniers, avait eu la valeur de 20 deniers 
d’argent ou 80 sesterces, c’est-à-dire que la valeur de l’or 
à l'argent était dans le rapport de i à 10; mais à partir dn 
premier triumvirat, cette proportion changea, elle fut de 1 
à 12 : l’aureus, conservant toujours son même poids, eut la 
valeur de 25 deniers ou, pour employer le terme générale¬ 
ment usité dans leurs comptes par les Romains, îi équivalut 
à 400 sesterces. 

C’est cette valeur qu’il avait sous Auguste et aussi sous 
Tibère ; c'est donc celle que nous représente chacune de ces 
pièces, que beaucoup d’entre nous ont pu voir retirer des 
fouilles de la vallée de Quincampoix. 

Suivant le témoignage de Tacite, la solde du fantassin dans 
les légions Romaines était de dix as par jour, soit quatre 
sesterces, solde avec laquelle il avait à se pourvoir d’armes, 
de vêtements et même de tentes. Si nous appliquons cette 
donnée au trésor récemment mis au jour, nous trouvons que 
ces 300 aureus ou 30,000 sesterces représentaient la paie 
pour un jour, de 7500 hommes à pied ou, si on aime mieux, 
celle d’un détachement de 100 hommes pendant deux mois 
et demi. 

Ce renseignement, je le sens, sera loin de satisfaire la 
curiosité de bien des personnes. En présence d'une sembla¬ 
ble trouvaille, on ne manque pas de se demander ce qoe 
pouvait représenter, comparativement à notre époque, cette 


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ROMAINES. 


293 


quantité d’or retrouvée après 18 siècles peut-être d’enfouis¬ 
sement, en d’autres termes, quel était à l’époque romaine le 
pouvoir d’une pareille somme d'argent. — ,C’est-là,.Mes¬ 
sieurs, un de ces problèmes qui ont exercé depuis longtemps 
la sagacité des économistes. Le professeur Rossi, celui-là 
même, dont le meurtre fut, de nos jours, le signal de la 
dernière révolution romaine, déclarait dans son cours d’éco¬ 
nomie politique, que le problème de la valeur des monnaies 
à une époque donnée était la quadrature du cercle en éco¬ 
nomie politique; et il croyait que cette question était par¬ 
ticulièrement insoluble, s’il s’agissait de temps très éloignés 
l’an de l’autre. 

Avant lui, d’autres économistes éminents, le comte Ger¬ 
main Gautier et J. B. Say, s’étaient occupés de la même 
question, et ils étaient arrivés à conclure que toute chose 
échangeable qui , dans les écrits des anciens , se trou¬ 
ve évaluée en monnaie du temps , doit être de nos jours 
portée à 6 fois cette évaluation , lorsque nous voulons con¬ 
naître qu'elle était alors la valeur réelle (tune telle chose . 
Cette opinion est encore celle qui est généralement adoptée. 
Ainsi, en admettant qu’à Rome du temps de Tibère, le bois¬ 
seau de blé se payât 5 sesterces, il faudrait aujourd’hui une 
valeur représentative de 30 sesterces pour obtenir la même 
mesure. Si donc pour nous le trésor enfoui au Roule a une 
valeur intrinsèque approximative de 7500 fr., il équivalait 
pour les Romains de Tibère à une somme six fois plus forte, 
ou à45,000fr., puisqu’avec cette môme somme, ils auraient 
pu se procurer des objets échangeables dans la proportion 
de 6 contre 1. 

A quelle date, dans quelles circonstances a eu lieu l’en¬ 
fouissement du trésor ? A cet égard, Messieurs, toutes les 
suppositions sont possibles ; nul ne viendra déchirer le voile 
que le temps a jeté sur les causes qui ont pu faire confier à 


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294 


MONNAIES ROMAINES. 


la terre les monnaies qu’elle nous rend aujourd’hui. Quel¬ 
ques rares débris de poterie seulement ont été recueillis 
sur le sol où les pièces étaient éparses; aucun vase ne les 
contenait. Anéantie par le temps, l’enveloppe de toile, de 
bois, de terre cuite ou de bronze qui probablement les ren¬ 
fermait, a disparu et a dû être entraînée au loin par le dé¬ 
bordement des eaux voisines. Je hasarderai néanmoins une 
conjecture. Dans l’an 21 de J.-C., c’est encore Tacite qui 
nous l’apprend, un mouvement insurrectionnel considérable 
éclata dans les Gaules pressurées par les exactions des lieu¬ 
tenants de César; il eut pour principaux chefs le Trévire 
Florus et l’Eduen Sacrovir. Le mouvement se propagea avec 
rapidité jusque chez les Andecaves et les Turons, et l'on 
crut même à Rome que la révolte s’était étendue aux 64 
cités de la Gaule. Il fallut, pour l’étouffer, l’effort de plu¬ 
sieurs légions romaines. Ne pourrait-on dans ce fait trouver 
une conjecture assez rationnelle pour expliquer l’enfbuisse- 
ment d’une quantité aussi notable de monnaies frappées à 
peu près exclusivement sous Tibère? Après les découvertes 
successives qui ont eu lieu depuis plus d’un siècle sur l’em¬ 
placement de Cortallum , il ne peut plus être douteux que 
cette ville n'ait eu, dès les premières époques de la domi¬ 
nation romaine, une importance déjà grande, et les appré¬ 
hensions causées au milieu de ces habitants par le soulève¬ 
ment de Florus et de Sacrovir suffiraient, il nous semble, 
pour rendre compte de l’enfouissement d’un dépût qu’il 
n’a pas été donné à son possesseur de venir reprendre. 


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ESSAI HISTORIQUE 

SUR 

LE BLASON DE CHERBOURG, 


Par H. Victor LE SENS, 

Membre titulaire de la Société. 


Les connaissances héraldiques servent 
b rappeler beaucoup de faits curieux 
qui, sans leur secours, ne seraient 
jamais parvenus jusqu’b nous. 

(WiLTin Scott.) 


De même que la noblesse individuelle, chaque ville avait 
ses droits, ses prérogatives et ses armes particulières. L’his¬ 
toire des armoiries des cités se rattache intimement à l’his¬ 
toire tout entière de notre patrie ; elle nous apprend pour 
quelles actions ces écussons ont été créés ; elle nous redit 
enfin les beaux faits d’armes accomplis par nos ancêtres aux 
champs de la Palestine. 

Dès la fin du XII° siècle, les villes avaient des armoiries. 
Dans la troisième croisade (de 1188 à 1195), on vit les ban¬ 
nières de plusieurs villes de France et d’Allemagne flotter 
dans l’armée chrétienne parmi les drapeaux des seigneurs et 
des barons (1). 

(l) Micbaud, Histoire des Croisades, 2* partie. 


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296 


ESSAI HISTORIQUE 


Certaines villes employèrent dans leurs armoiries des signes 
faisant allusion à des faits historiques. Ainsi entre autres, 
l’origine des armoiries de Gisors, petite ville de Normandie, 
se rattache à un fait de cette nature : « Lorsque le roi Phi¬ 
lippe-Auguste et Henri, roi d’Angleterre, dit Millin (Ântiq. 
nat. tome 5, article ville et château de Gisors ), reçurent 
la nouvelle de la prise de Jérusalem par le sultan Sala- 
din, ils eurent une entrevue entre Trie et Gisors, près 
d’un orme devenu célèbre par l’alliance de ces deux souve¬ 
rains. Une croix miraculeuse, si l’on en croit la tradition des 
habitants, parut en l'air comme pour ratifier cette confédé^ 
ration. C’est à cette croix que les habitants rapportent l'origi¬ 
ne des armoiries de leur ville, qui sont: de gueules àlacroix 
engreslée d'or . Henri II, après son entrée en cette ville, 
le 25 novembre 1555, y ajouta le chef d'azur à trois fleurs 
de lis d’or. » 

D’autres cités tirèrent leurs emblèmes des choses qui les 
distinguaient ou qui faisaient allusion à des circonstances 
locales. 

Primitivement, les Parisiens observant leculted’/sis, pro¬ 
tectrice de la navigation, prirent pour armes le navire, attri¬ 
but de cette déesse (1). 

(1) M. Petit-Radel nous apprend que « le symbole de la nef 
qui, dès le XIII e siècle, faisait la pièce principale des armoiries 
de Paris, n’a été adopté qu’à raison du rapport des anciens 
Parisii avec le culte d’Isis, et non pas à raison de la marchan¬ 
dise de Veau , comme on Ta pensé ; la preuve en est que, dans 
le sceau municipal du XIII e siècle, la nef a la quillfe arrondie; 
que son extrémité s’évase en épaulement ; que la voile en est 
triangulaire comme celle du baris égyptien, tel qu’on le voit sur 
les médailles de l’Empereur Julien; qu’enûn la nef du sceau 
ressemble en tout à ce baris , et nullement aux bateaux plats 
qui, de tout temps, ont été en usage sur la Seine. » (Note de la 
traduction de Panckoucke y p. 44, ext. du cinquième mémoire de 
M. Petit-Radel , juillet 1810). 


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SUR LE BLASON DE CHERBOURG. 


297 


Cahors, ville située sur le Lot, a adopté pour emblème un 
pont à cinq arches . Goutances a pris la principale pièce de 
ses armoiries des piles ou piliers de son aqueduc construit 
par les Romains. Les villes de Pont-à-Mousson et du Pont- 
S-Esprit ont des ponts dans leurs armes. Tours a aussi des 
armoiries parlantes. Arles et Nîmes ont pris pour emblèmes 
le revers d'anciennes médailles, monuments de Toccupation 
romaine. Lectoure a choisi un taureau à cause de ses nom¬ 
breux monuments tauroboliques. Vienne, en Dauphiné, 
porte pour armes un arbre dans lequel est placé un calice 
<for, surmonté d’unc hostie , parce que la fête du Saint-Sa¬ 
crement y fut instituée en l'année 1311. Dieppe, La Rochelle, 
Lorient, Morlaix et Nantes, dont le commerce était autrefois 
très étendu, ont des navires pour armoiries. Les villes qui 
portent les noms de quelques saints ou qui en ont les reli¬ 
ques, ou enfin qui les ont adoptés pour patrons, ont placé 
les symboles ou la figure de ces saints dans le champ de 
leurs armoiries : ainsi Saint-Quentin, en Picardie, et Limo¬ 
ges, ancienne capitale du Limousin, ont pris pour armes, la 
première, le buste de Saint-Quentin dont les reliques furent 
transportées en cette ville en 825, et la seconde, celui de 
Saint-Martial , son premier évêque. 

Beaucoup de villes adoptèrent avec enthousiasme les em¬ 
blèmes de leurs seigneurs. Nos pères se sont plu à conser¬ 
ver les signes portés sur les bannières à l’ombre desquelles 
leurs ancêtres ont combattu pour la conquête des lieux 
saints. Encore de nos jours, certaines villes les mon¬ 
trent avec orgueil et les reproduisent sur les actes de 
leur administration. Voici les noms de quelques vil¬ 
les de France qui ont adopté pour armoiries, soit en en¬ 
tier, soit en partie, les couleurs et les signes de leurs anciens 
seigneurs : 

Aurillac, Bar-le-Duc, Bourges, Dijon, Dreux, Foix, Melun, 


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298 


ESSAI HISTORIQUE 


Mezières, Nevers, Riom, Tarbes, Toulouse, Troycs, Uzès, 
Vannes, Vendôme, elc. 

Nous allons maintenant essayer de retracer l'origine do 
blason de la ville de Cherbourg, Pune des principales cités 
de la Normandie. 

Nous avons consulté toutes les histoires de Cherbourg. 
Nous avons compulsé une foule d’écrits historiques sur cette 
ville, et, parmi tant de documents divers, nous n’avons rien 
trouvé au sujet de l'origine de ses armoiries. Cependant cet 
emblème, monument de la foi et de la piété de nos ancêtres, 
mérite d’être tiré de l'oubli. 

Dans le cours du moyen-âge, les archives de Cherbourg 
ont été brûlées, ainsi que divers titres appartenant à des 
particuliers. Les bourgeois de Cherbourg eux-mêmes ont 
reconnu ces faits dans des assemblées du Conseil municipal, 
tenues en 1701 et 1766 (1). Enfin les tristes évènements de 
1793 sont encore présents à notre souvenir. 

En l’absence de tout document, nous avons recours à 
l'histoire, et nous faisons les rapprochements historiques 
convenables pour découvrir l’époque probable où Cherbourg 
commença à prendre des armoiries (2). 

Nous ne pouvons mieux commencer cet article qu’en re¬ 
produisant une lettre qu’a bien voulu nous adresser le 
savant héraldiste M. Lainé, généalogiste des rois Louis 
XV11I et Charles X, au sujet du blason de notre localité. 

(1) Démons , Hist. de Cherbourg , manusc. p. 32. 

(2) C’est seulement dans le XVI e siècle que, pour la première 
fois, l’histoire locale fait mention du blason de Cherbourg. Les 
chroniqueurs en ont parlé à l’occasion du voyage de François I er 
en cette ville, en 1532. Il y a un passage du Journal histo¬ 
rique où il est dit : « Le roi trouva entre les deux portes de 
la ville, quatre des principaux bourgeois portant un dais de 
satin violet, brodé d’or et semé des armes du Roi, de H. le Dau¬ 
phin, de la Ville et de la Province.» 


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SUR LE BLASON DE CHERBOURG. 


299 


Paris , le 3 mai 4849. 

a Monsieur, 

s A l'époque où chaque localité, un peu importante, Alt 
» érigée en commune, en vertu des Chartes d'affranchisse- 
» ment, cette commune eut son sceau particulier et ses 
» armoiries reproduites sur ses panonceaux de juridiction 
» et sur sa bannière. Et comment les villes n'auraient-elles 
» pas eu des armoiries, lorsque des milliers de sceaux 
» attestent que des bourgeois de ces mômes villes en avaient 
» dès le XII e siècle? Ces armes étaient adoptées conformé- 
» ment & l'usage et non concédées. Cependant des commu- 
9 oes, par suite des guerres et de l'occupation étrangère, 
a ayant perdu leurs sceaux ou désirant changer leurs armes 
a primitives, eurent recours, à cet effet, au souverain. Mais 
a il y a peu d'exemples de ces changements d'armoiries. Il 
a est arrivé plus souvent que nos rois, pour récompenser 
a des communes de leur dévoùment, leur ont concédé des 
a fleurs de lis, en addition d'armoiries. L'écu de Cherbourg 
a n'a pas été concédé. Les pièces qui le constituent le 
a classent parmi les armes originaires, et, à mon avis, 
a ces armes doivent remonter à l'érection de ce lieu en 
a commune (1). 

a D'a près ces sim pies obser va tions, vous j ugerez M onsieur, 
a que toutes les recherches que vous pourriez faire 
a pour trouver des monuments précis sur un fait d'usage 

(1) Nous voyons, pour la première fois le mot de commune, 
appliqué à Cherbourg, dans le courant du XII e siècle, ainsi 
qu'il résulte du passage suivant : « Au milieu du XII e siècle, le sei¬ 
gneur de la paroisse de Martinvast, faisait avec la commune de 
Cherbourg, le service dû à Henri, duc de Normandie et roi 
d’Angleterre. Cum communié de Cœsarisburgo cum equis et 
armis. » (Recherches sur les anciens châteaux du département 
delà Manche , parM. de Gerville, page 48, Caen 1825.) (Note 
de l’auteur.) 


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500 


ESSAI HISTORIQUE 


» commun et général, n'auraient aucun résultat satis- 
» faisant pour le travail historique dont vous vous occupez. 

x> Je vous prie d'agréer, etc. 

» Lamé. » 

Cherbourg est une ancienne ville forte; il est impossi¬ 
ble de fixer d'une manière certaine l'époque de sa fonda¬ 
tion. Les médailles trouvées sur son sol, attestent qu'elle fut 
contemporaine des Celtes, aussi bien que des Césars. C'est 
le Coriallum de l'itinéraire d'Antonin. Clovis est le premier 
roi de France qui ait possédé Cherbourg. En 497, cette 
ville lui fut cédée ainsi que toutes celles des Armoriques. 
Jusqu'au IX e siècle, elle fut plusieurs fois pillée et ravagée 
par les bandes des peuples du Nord. En 912, Cherbourg 
passa sous la domination de Rollon, premier duc de Nor¬ 
mandie. En 940, Aigrol, roi de Danemark, vint en cette 
ville avec une flotte de 60 voiles. Ce fait démontre l'exis¬ 
tence d’un port à Cherbourg, dans ces temps reculés. Quoi¬ 
qu’il en soit, au XI e siècle, cette cité était une des plus 
importantes de Normandie. En effet, Guillaume-le-Con- 
quérant ayant épousé Mathilde de Flandres, sa cousine ger¬ 
maine, fut excommunié par le pape Léon IX ; mais il obtînt 
dispense à condition de fonder cent places de pauvres dans 
chacune des quatre principales villes du duché. La ville de 
Cherbourg fut une de celles qu’il choisit comme étant 
une des plus considérables et des plus peuplées de la pro¬ 
vince. 

Une autre preuve de l’importance de notre cité au moyen- 
âge, est le privilège que lui accorda Henri-Plantagenet, duc 
de Normandie vers 1150, privilège qui ^consistait en ce que 
ses habitants pouvaient, une fois Tan, expédier un vaisseau 
pour faire le commerce avec l’Irlande (1). 

(1) Tous les historiens de Cherbourg, et ceux de la Nor¬ 
mandie ont répété, d’après Masseville, que Cherbourg na joui 


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SUR LE BLASON DE CHERBOURG. 


301 


D'an antre côté, chacun sait que, dans les premières 
années du XII e siècle, Louis-lc-Gros porta atteinte à l’op¬ 
pression féodale en mettant ses sujets en état de se défendre 
contre la tyrannie des seigneurs. Il vendit aux sujets des vil¬ 
les le droit de commune, et, par là, les bourgeois acquirent 
le droit d’ôtre gouvernés par des maires, des consuls ou des 
échcvins de leur choix; cl la plupart des villes obtinrent le 
privilège de se garder elles-mêmes. Nos ducà-rois Henri 
1 er et Henri II imitèrent le monarque Français, et leurs 
règnes eurent des résultats importants pour le peuple. 

Sous le règne de Philippe-Auguste, l’état politique de la 

quen 1207 du privilège de commercer une fois l'an avec l'Irlan¬ 
de. C'est une grave erreur que nous nous empressons de signa¬ 
ler à nos compatriotes. Il existe aux archives municipales de 
Rooen (tiroir 9, n° 1), un vidimus de trois chartes de nos ducs- 
rois, qui prouvent évidemment que notre localité jouissait de 
ce privilège avant cette époque. La première de ces chartes est 
de Henri Planlagenet, duc de Normandie vers 1150; la seconde 
est du même prince, lorsqu’il fut devenu roi d’Angleterre (1174); 
et la troisième, de Jean-sans-Terre (1200). Voici l’extrait de la 
chartedellSO, qui sauf l’orthographe des mots, est la même dans 
les denx autres : « Nulla navis de totà Normannià debet eschip- 
» pare ad Hiberniam nisi de Rothomago, exceptà unà solà, cui 
» licet eschippare de Cæsarisburgo semel in anno.» 

C’est-à-dire : la ville de Rouen pourra seule, dans 
tonte la Normandie , équiper des navires pour l’Irlande; 
nne seule fois par an, Cherbourg pourra en expédier un pour 
cette contrée. 

On voit par le passage de cette charte du XII e siècle, que 
nos ducs-rois encourageaient les efforts des négociants Cherbour- 
geois. Après Rouen, Cherbourg et Caen étaient les ports les plus 
importants de la Normandie, sous le rapport commercial. Du 
temps de nos ducs, Cherbourg commerçait avec l’Angleterre, 
et les Croisades développèrent son commerce et son industrie. 

La charte de Philippe-Auguste, donnée à Passy en 1207, 
qui accorde à notre ville le privilège dont nous avons parlé plus 
haut, n’est, comme on le voit, que la confirmation d’une con¬ 
cession beaucoup plus ancienne. 

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302 


ESSAI HISTORIQUE 


Normandie s'était amélioré. Les justices seigneuriales avaient 
en grande partie perdu de l'autorité, et la plupart des vil¬ 
les, s'administrant elles-mêmes, sortirent de l'asservissement 
où le régime féodal les avait plongées. Le commerce et 
l’esprit même des guerres saintes, dit l'historien Michaod, 
contribuèrent aussi à leur affranchissement. 

Selon toute probabilité, le blason de Cherbourg remoole 
aux dernières années du XII e siècle : les pièces qui le cons¬ 
tituent concourrez à démontrer notre assertion. 

Il est à remarquer qne, dès le commencement dn XII e 
siècle, les seigneurs disposaient les signes de leur blason en 
triangle, c’est-à-dire posés deux et un. L'écu de Cherbourg 
offre la même disposition dans les pièces qui le composent. 
Ce mode fut adopté dans le but d’honorer la Sainte-Tri¬ 
nité. Les rois de France eux-mêmes, dans le siècle suivant, 
adoptèrent l'usage de disposer les fleurs-de-lis de leur 
blason en triangle. Nous citons à ce sujet un passage extrait 
d’un article intitulé : Recherches historiques sur Us symbo¬ 
les de l'autorité publique en France , depuis les temps les 
plus reculés jusqu'à nos jours. 

« Sous le règne de Philippe-Auguste, vers 1180.,le 

» blason commença à se constituer sur des lois fixes et 

» générales.Dans le principe, l’écu de France fut d aiur 

» semé de fleurs-de-lis d'or sans nombre. Mais, dès la fin 
» du XIII e siècle, l’uéage s'introduisit insensiblement de les 
» réduire à trois, posées deux et une. Ce nouveau mode, 
a plus conforme aux lois ingénieuses de Part héraldique qui 
» tendaient toujours à la symétrie des effets par la simpti- 
» cité des éléments, eut aussi dit-on, pour objet (Thonorer 
jd la Sainte-Trinité (1). a 

Dans une charte donnée à Paris par Charles V, au mois de 
février 1376, contenant la fondation faite par ce prince, du 
(1) Magasin pittoresque, juillet 1848. 


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SUR LE BLASON DE CHERBOURG. 303 

couvent de la Trinité, près de Mantes, on remarque le pas¬ 
sage suivant : 

« Les lys qui sont le symbole et le caractère du royaume 
» de France, qui sont au nombre, non de deux, mais de 
a trois, imitent le modèle de la Trinité incriée , le pire , le 
* fils et le saint-esprit , qui tous trois ensemble ne sont 
» qu’un Dieu (1). » 

a Nous avons vu que les signes employés dans les armoi¬ 
ries avaient pour but de rappeler des actions ou des choses 
mémorables, que les villes tiraient presque toujours leurs 
emblèmes des choses qui les distinguaient, et qu’il y en a 
plusieurs qui ont choisi pour pièces de leur blason les mar¬ 
ques et les symboles de leurs saints patrons. Or, ceci posé, 
nous dirons que la ville de Cherbourg qui, dès le XII e siè¬ 
cle, était sous le double patronage de la Sainte-Trinité (S) 
et de Notre-Dame, et dont les bourgeois avaient été en 

(1) Lachesnaie des Bois, Recherches sur tes lis, Dictionnaire 
héraldique, tome III, Paris, 1757. 

(2) i< Guillaume-le-Conquérant, après avoir fait élever la cha¬ 
pelle du château, s'occupa aussi de la construction d'une église 
hors des murs, probablement à l'endroit où se trouve celle 
d'aujourd'hui. On en fit la dédicace en 1055. Les évêques de 
Coutaoces en eurent le patronage. Une bulle du pape Eugène 
III (1145), qui donne à l'évêque Algare Eeclesiam Sanetæ 
Mariœ de Cœsarisburgo cum ecclesia Sanctœ-Trinitatis , prouve 
que cette ville avait pour patrons la Sainte-Trinité et la Sainte- 
Vierge. Gallia christiana , XL — Instrumenta ecclesiœ Cons - 
tantiensis . — Butta Eugenii III , an. 1145. 

« De tout temps, dans notre pays, on a vénéré la Sainte- 
Trinité. Dans le IX e siècle, Angilbert, gendre de Charlemagne, 
fit construire le cloître de l'Abbaye de Saint-Riquier, dans le 
Ponthieu, et lui donna la forme d’un triangle, figure symboli¬ 
que de la triade chrétienne. A chaque angle s'élevait une église. 
Le nombre de trois, inscrit sur les autels et sur les candéla¬ 
bres rappelait partout le mystère de la Trinité.» Hist . des villes 
de France , par A. Guilbert, articles Abbeville , Saint-Riquier . 


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304 


ESSAI HISTORIQUE 


Palestine en 1191, a dû choisir en ce temps là, pour armoi- 

Au X e siècle, Richard I er , 3 e duc de Normandie, fit bâtir 
l’église de Fécamp et la dédia à la Sainte-Trinité. Dans le 
siècle suivant, Guillaume-le-Conquérant édifia une église 
sur le champ de bataille d’Hastings et Mathilde de Flan¬ 
dres, sa femme, fonda un abbaye à Caen : ces édifices, monu¬ 
ments de leur piété, étaient placés sous l'invocation des trois 
personnes divines. 

k Le culte de la Trinité, ensemble, ou dans chacune de ses 
personnes, remonte, dit Millin (Antiquités nationales, tome /F), 
aux premiers temps de l'ancienne Église ; dans le principe la 
fête de la Trinité et celle des anges étaient célébrées conjointe¬ 
ment. Potho, abbé de Pram, qui vivait vers l'an 1152, ordonne 
à ses moines de la célébrer. Il parait, par un décret d'Alexan¬ 
dre III, que cette fête ne se célébrait pas à Rome en 1179 ; dans 
plusieurs endroits , y est-il dit, la coutume s'est introduite de 
célébrer la fête de la Sainte-Trinité le dimanche de l'octave de 
la Pentecôte ; l'église de Rome ne l a pas adoptée, parce que 
chaque jour elle chante le Gloria Patri et Filio , et Spiritui 
sancto : Gloire au Père , au Fils et au Saint-Esprit, ce qui est 
sans doute faire une mention suffisante de la Trinité. Le nom 
de dimanche de la Trinité a été institué vers Tan 1334 (Bing- 
hami , Origines ecclés ., tome V). Les Trinitaires (nom donné à 
un ordre religieux dont les membres s'engageaient à racheter 
les prisonniers faits par Us infidèles dans les guerres saintes et 
réduits à la captivité) ont été fondés en 1198, sous le pontificat 
d'innocent III, par Jean de Matha et Félix de Valois. Jean de 
Matha envoya Jean Anglic et Guillaume Scot à Maroc et à 
Tunis, vers le miramolin pour y traiter de la rançon des paru- 
vres captifs chrétiens : ils en ramenèrent 186, en 1200.»» 

« Philippe-Auguste avait un culte spécial pour la Trinité; II 
fit des dons considérables aux religieux de la rédemption des 
captifs. » ( Anquelil , Histoire de France , règne de Philippe- 
Auguste.) 

Parmi les confréries établies anciennement dans l'église de 
Cherbourg, figurait en première ligne celle de la Trinité. On lit, 
à ce sujet, dans la viedeM. Pâté, parTrigan,Ie passage suivant : 

« La première des confréries était celle de la Très-Sainte- 
Trinité, à laquelle l’église de Cherbourg est dédiée. Cette con¬ 
frérie est une aggrégation de fidèles séculiers à l’ordre de la 


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SUR LE BLASON DE CHERBOURG. 


505 


ries, un emblème qui fût tout à la fois le symbole des trois 
personnes divines et de la Sainte-Vierge, et le témoignage 
de la présence de nos pères en Terre-Sainle (1). 

Trinité, institué dans l'église pour la rédemption des captifs, et 
approuvé par le pape Innocent III, l'an 1198, premier de son 
pontificat. L’œuvre charitable à laquelle cet ordre est employé, 
loi a attiré de grands trésors de grâces de la part des souverains 
pontifes, et ils les ont étendues à la confrérie séculière que cet 
ordre s'est associée. Cette même confrérie approuvée et confir¬ 
mée par le même Innocent III, séant au concile de Latran, et 
par plusieurs papes ses successeurs, avec concession des mêmes 
grâces, et aux mêmes fins, avait été établie dans l'église de 
Cherbourg.» (Extrait du livre intitulé : La vie et Us vertus 
deMessire Pâté, par Trigan, Coutances, Fauvel, 1747, page 38). 

« La confrérie de la Sainte-Vierge était aussi très-ancienne¬ 
ment établie dans notre église, comme l'atteste un contrat passé 
le jour Saint-Thomas de l'an 1200, devant Guillaume de Tolle- 
fast, tabellion à Cherbourg, par lequel Guillaume de Martin- 
rast et sa femme donnent à la confrérie de Notre-Dame, 4 sols 
tournois de rente, sur une maison située rueOnfroy (delà Vase), 
à Cherbourg, pour être reçus tous deux frères, et participer aux 
bienfaits de cette confrérie. ( Fleury t Guide du voyageur à Cher - 
bourg , page 73.) » 

(1) « Après une guerre sanglante, Richard Cœur-de-Lion et 
Philippe-Auguste se réconcilièrent et se croisèrent ensemble 
pour marcher au secours des chrétiens opprimés dans la Terre- 
Sainte. Il y eqt beaucoup de bourgeois de Cherbourg qui se dis¬ 
tinguèrent dans cette conquête, et entr'autres le sieur Wigan 
qui se signala à la prise d'Acre et à la bataille d'Antipatride, 
gagnée sur les infidèles en 1191, et eut beaucoup de part à la 
conquête de l’tle de Chypre dont le roi Richard se rendit mattre 
pour punir ses habitants <|ui avaient maltraité et pillé ses vais¬ 
seaux jetés par une tempête sur les côtes de cette lie. » (Fot- 
sin-la-Hougue , Hist. de Cherbourg.) — On trouve encore le 
nom de Wigan de Cherbourg , parmi ceux qui signèrent le 
traité de paix conclu à Messine entre Richard Cœur-de-Lion et 
Tancrède roi de Sicile. 

Gabriel Dumoulin, historien savant et consciencieux, dans 
son histoire générale de Normandie, en parlant de Wigan, dit 


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406 


ESSAI HISTORIQUE 


Noos allons d’abord blasonner les armoiries de Cherbourg, 
et ensuite indiquer quels sont les signes qui concourent à 
démontrer la vérité de notre assertion. 

Cherbourg porte d’azur, à la fasced'argent, chargée de 

simplement: Wigan de Cherbourg.— Madame Reteau Dufresne 
l’appelle Wigan, bourgeois de Cherbourg. — Voisin-la-Hogue, 
comme on Tient de le voir plus haut, dit: le sieur Wigan. Enfin, 
il figure encore, comme témoin, sous le simple titre de Wigain 
de Cberesburg, dans une charte accordée par Hunfrey de Bohun, 
connétable d’Angleterre, à l’église de Saint-Denis, située près 
Hameton. [Monastic anglic . vol. 2, p. 109.) 

D’après ce qui précède, on remarque qu’aucun historien de 
Cherbourg et même de Normandie, n'a exprimé le rang et la 
qualité de ee personnage, ni cité les auteurs du moyen-àge dans 
lesquels il en est parlé. Pour nous, amateur zélé, passionné de 
tout ce qui touche à l’histoire de notre ville, nous avons été assez 
heureux d’arriver à connaître les fonctions que remplissait notre 
illustre compatriote. Dans une note insérée au bas de la page 
507 du XVII e volume de la collection des historiens de France, 
publiée par Dom Bouquet, Wigain de Cheresburg y est cité 
d’après Hoveden, historien anglais des croisades et son contem¬ 
porain. Cette mention par un auteur du temps est d’une grande 
valeur. Quant aux fonctions de Wigan, une lettre qui nous a 
été adressée au nom d’un membre de l’Institut, nous apprend 
que ce personnage était amiral de la flotte de Richard Cœur-de- 
Lion. Cette dignité dont Wigan était revêtu suffirait seule, pour 
démontrer si nous ne l'avions déjà fait, que Cherbourg était à 
cette époque un port de mer important. En ‘effet, il faut 
croire que les Cherbourgeois étaient dès lors comme aujour¬ 
d’hui , d’excellents marins, puisque le roi d’Angleterre choisis¬ 
sait l’un d’eux pour conduire une flotte qui devait transporter 
les croisés jusqu’en Palestine. 

Nous pensons que Richard Cœur-de-Lion, à son retour de la 
Terre-Sainte, récompensa le courage et les belles actions de 
Wigan en lui conférant la noblesse. Il existe en Angleterre un 
bourg considérable du nom de Wigan, situé sur la rivière de 
Dugless, à 12 lieues de Lancastre.—L’abbé Démons, danssonhis¬ 
toire manuscrite de Cherbourg, donne à Wigan le titre decomte. 


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SUR LE BLASON DE CHERBOURG. 


307 


trois étoiles à six'rais de sable , accompagnée de trois 
Usants d’or, deux eo chef et an en pointe (i). 

L'azur, couleur saphirique et céleste, représente le ciel 
et peint en même temps la bonne renommée et la loyauté. 
Les trois besants d’or , disposés en triangle, sont tout-à- 
la-fois le symbole de la Trinité et l'expression du rachat des 
captifs. (2) 

(1) D'après d’Hosier et Pierre de la Planche, Cherbourg 
porte d’azur, h la fasce d'argent, accompagnée de trois besants 
de même, deux en chef et un en pointe. 

Selon d’Avannes, d azur, à la fasce d’or, accompagnée de 
trois besants de même ; au chef cousu de France. 

D'après Traversier, d'azur, à la fasce d 'argent, chargée de 
trois étoiles dor, accompagnée de trois besants de même ; deux 
en chef et un en pointe. 

Ces quatre héraldistes sont dans l’erreur. Traversier surtout 
commet une faute grave en mettant trois étoiles d’or sur la 
fasce d'argent, puisque, d’après les lois héraldiques, on ne 
doit point mettre métal sur métal, ni couleur sur couleur. 

Deux ouvrages, dont l’un imprimé en 1730 est intitulé : 
Carte générale de la Monarchie française, et l’autre, un ma¬ 
nuscrit ( Histoire du Cotentin, par Toustain de Billy), portant 
la date de 1739, en blasonnant les armes de Cherbourg, ne font 
point mention des étoiles placées dans la fasce d’argent. Tout 
récemment encore, les auteurs de Y Histoire des Villes de France 
ont donné le dessin des armoiries de plusieurs villes. Dans cet 
ouvrage figure le blason de Cherbourg, et nous ne remarquons 
pas d’étoiles semées sur la fasce de l’écu. Certaines villes offrent 
dans les signes ou dans les couleurs de leurs armes des varian¬ 
tes notables. Nous ignorons quels sont les motifs de ces chan¬ 
gements. Toutefois, il est certain qu’il y a erreur dans les des¬ 
sins de cette publication. Nons avons en lieu de remarquer plus 
haut qu’il y a très peu d’exemples de changements opérés dans 
les armoiries des villes, puisque les seules modifications qui 
aient eu lieu, dans le cours du moyen-âge, consistent dans la 
concession des fleurs-de lis que faisaient nos rois aux communes 
en récompense de leur dévoûment. 

(2) Les besants sont des pièces de monnaie de Bysance (Cons¬ 
tantinople). Ils furent, dans l art héraldique, le symbole de la 


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308 


ESSAI HISTORIQUE 


La fasce d'argent désigne la ceioture virginale de Marie, 

rançon des captifs, ou du tribut qu’imposaient les infidèles aux 
chrétiens. Dupeyrat, auteur d’un ouvrage intitulé Chapelle 
des rois de France , dit au Livre II, que les besants ont été 
reçus en France sous la troisième race de nos Bois, sous le 
règne de Louisle-Jeune qui apporta des besants d’or pris sur 
les infidèles qu’il avait vaincus.— En 1187, Saladin fixa les ran¬ 
çons des captifs à dix besants d'or pour les hommes, à cinq pour 
les femmes et à deux pour les enfants. En cette même année, 
(octobre 1187), Saladin accepta une somme de trente mille 
besants pour la rançon de sept mille pauvres (Histoire des 
Croisades). — La rançon de Saint-Louis fut payée en besants. 
(Joinville.) 

Dans les XII e et XIII e siècles, les besants étaient très-com¬ 
muns en Normandie. Ducarel, dans son livre intitulé Antiqui¬ 
tés anglo-normandes (appendices, tome II, page 323), s’exprime 
en ces termes : « Je n’ai pas été assez heureux pour découvrir 
des monnaies ou des médailles de ce prince (Jean-sans-Terre, 
13 e duc de Normandie, de 1199 à 1204). On sait seulement que 
le retour des croisés et le commerce que Caen faisait alors avec 
les échelles du Levant, introduisirent dans cette ville une grande 
quantité de besants d’or et d’argent, espèce de monnaie de 
Bysance, qui était admise dans les paiements faits à l’échiquier 
de Caen, et qu’on retrouve encore dans presque toutes les col¬ 
lections numismatiques. M. l’abbé Delarue, à la page 144, de 
ses Essais historiques sur la ville de Caen, dit, d’après le RotuL 
chartar an I Johan. regis, etc. « qu’en l’année 1200, le duc 
Jean-sans-Terre donna à Henri du Pont-Andemer, la propriété 
de la balle au blé, à charge de payer tous les ans dix besants 
d’or à l’échiquier de Caen. » 

« En 1200, Raoul de Baudritot donna au roi treize besants 
d’or, pour avoir une foire d’un jour à la Saint-Michel, près de la 
chapelle Saint-Michel d’Étoublon. (De nos jours encore, cette 
foire se tient le jour Saint-Michel, sur la lande d’Étoublon, 
dépendant de la commune de Teurthéville-Hague, arrondisse¬ 
ment de Cherbourg.) Annuaire delaManche t 1850, page 537, 
au mot Êtoublon.) 

u Les rois de France avaient coutume de présenter 13 besants 
d’or à l’offrande le jour de leur sacre, et, pour entretenir 
cette ancienne coutume, Henri II en fit faire treize pour son 


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SUR LE BLASON DE CHERBOURG. 


309 


seconde patronne de Cherbourg; elle est semée d'étoiles 
parce que ces astres sont les ornements de la Sainte-Vierge, 
qui est appelée YÉtoile de la mer (1) : leur nombre de 
trois est aussi un hommage à la Sainte-Trinité, rendu 
encore plus complet par les deux triangles équilatéraux qui 
donnent six rayons à chaque étoile. 

Nous avons vu que l’écu de Cherbourg n'a pas été con¬ 
cédé ; que les pièces qui le constituent le classent parmi les 
armes originaires; que le mot de commune est appliqué à 
Cherbourg, dés le XII e siècle; que, dès ce temps-là, on 
avait arrêté des régies fixes qui déterminaient les pièces et 
les couleurs; que les villes possédant des armoiries ont tiré 
presque toujours leurs emblèmes des choses qui les distin- 

sacre. On les nomma Bysantins.» (. Millin , antiquité nation, t. 4.) 

Beaucoup de seigneurs normands portaient des besants dans 
leur écusson, entr autres les anciens seigneurs d’Espinay dont 
les armoiries étaient: d'argent, au chevron d’azur, chargé d’onze 
besants d’or. « Le besant était compté pour 7 sous 6 deniers, 
monnaie d’Anjou. Nous ne connaissons pas pour la Normandie 
de plus ancienne estimation du besant. En 1195 et 1198, cette 
monnaie valait 7 sous, et, en 1201 et 1203, 8 sous angevins. » 
Magni rotuli scaccarii normanniæ (Observations sur un frag¬ 
ment des rôles de V échiquier de Normandie relatif à Vannée 1184 
par M. Léopold de Lisle , Caen, 1851, p. 31.). 

(1) Dès l’an 1022, le roi Robert-le>Pieux institua l’ordre de 
l’Étoile et créa trente chevaliers dits de Notre-Dame-de-l’Étoile. 
Ce roi disait que la Sainte-Vierge était l’étoile de son royaume. 
(À. tavin, Histoire de Navarre .) 

» En 1191, le pape approuva l’institution des chevaliers Teu- 
toniques qui prenaient le nom de chevaliers de la Vierge, et les 
mit sous la règle de Saint-Augustin.» 

« Le moyen-àge vit édifier de nombreuses chapelles dédiées 
à l’étoile des mers, à Marie, protectrice des matelots : ces fils 
de l’Océan, avec une ferveur qui leur est propre, entonnaient 
d’une voix rauque comme le bruit des vagues, Vave maris 
Stella , composé par Fortunat, évêque de Poitiers, dans le VI e 
siècle. » (Orsini, Hist. de la Vierge.) 


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340 


ESSAI HISTORIQUE 


gu aient ; qu’il y a des villes qui ont pris pour armes les 
marques ou les symboles de leurs saints patrons; que dès le 
XII e siècle, un grand nombre de chevaliers avaient des bla¬ 
sons dont les signes, disposés en triangle, avaient pour but 
d’honorer la Sainte-Trinité ; que l’ordre religieux des TH- 
nitaires remonte à cette époque ; que de temps immémorial, 
Cherbourg a été placé sous le patronage des Trois personnes 
divines et de la Sainte-Vierge ; que les besants de l'écu de 
notre ville, tout en étant le symbole de la Trinité, témoi¬ 
gnent encore de la présence des bourgeois de Cherbourg en 
Palestine dans le XII* siècle, et qu'ils sont placés sur 
nos armoiries dans le but de rappeler des faits mémorables 
à la postérité. 

La réunion de tous ces faits qui se lient si étroite¬ 
ment ne justifie-t-elle pas l’opinion que nous avons que le 
blason de Cherbourg remonte au moins aux dernières années 
du XII e siècle ? 

Nous allons maintenant faire connaître les divers chan¬ 
gements survenus dans lesarmes de notre ville dans les temps 
modernes. 

En 4811, l’écu de Cherbourg reçut dans son champ une 
pièce honorable de plus. On y vit briller l’initiale du grand 
homme qui régnait sur la France. 

Voici la copie fidèle des lettres-patentes données par 
l’Empereur (4 ). 

Napoléon, par la grâce de Dieu, Empereur des Français, 
Boi d’Italie, Protecteur de la Confédération du Rhin, Mé¬ 
diateur de la Confédération Suisse, A tous présents et à Tenir, 
salut : Par notre décret du dix-sept mai mil huit cent neuf, 
nous avons déterminé que les villes, communes et corpora- 

(1) Nous devons à l'obligeance deM. Victor Bonnissent la com¬ 
munication de cet important document qu’il a copié lui-même 
sur le litre original. 


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SUR LE BLASON DE CHERBOURG. 


3H 


tioos qui désireraient obtenir des lettres-patentes portant 
cooeession d’armoiries, pourraient, après s’être fait préala¬ 
blement autoriser par les autorités administratives compé¬ 
tentes, s'adresser à notre cousin le Prince Archichancelier 
de l'Empire, lequel prendrait nos ordres a cet effet. 

« En conséquence, le sieur Delaville, maire de la ville de 
Cherbourg, département de la Manche, s’est retiré par 
devant notre cousin le Prince Archichancelier de l'Empire, 
k l’effet d’obtenir nos lettres-patentes portant concession 
d’armoiries. Sur quoi notre cousin le Prince Archichancelier 
de l’Empire a fait vérifier en sa présence, par notre Conseil 
dn Sceau des titres, que le Conseil municipal de la ville de 
Cherbourg, dans une délibération, à laquelle furent présents 
les sieurs Delaville, maire, Lebienvenu, lngoult, Gauvin, 
Groult, Boudet, Mauger, Henry, GuifTart, Chantereyne, fils, 
Nédon, Préfosse, Le Buhotel, Collart, Vitlrel, membres 
dudit conseil, a émis le vœu d’obtenir de notre grâce des 
lettres-patentes portant concession d'armoiries, et que 
ladite délibération a été approuvée par les autorités admi¬ 
nistratives compétentes. 

« Et, sur la présentation qui nous a été faite de l’avis de 
notre Conseil du Sceau des titres, et des conclusions de 
notre Procureur-général, nous avons autorisé et autorisons, 
par ces présentes signées de notre main, la ville de Cher¬ 
bourg à porter les armoiries telles qu'elles sont figurées et 
coloriées aux présentes, et qui sont : d'azur à la fasce 
<Vargent, chargée de trois étoiles en fasce de sable, et 
accompagnée de trois besants, deux en chef et un en 
pointe d’or ; franc quartier des villes de seconde classe 
qui est à dextre d’azur à un N d'or , surmonté d’une 
étoile rayonnante du mime, brochant au neuvième de 
l’écu; et, pour livrées , les couleurs de Vécu . 

« Voulons que les ornements extérieurs desdites armoi- 


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ESSAI HISTORIQUE 


512 

ries, ainsi que ceux des autres villes de seconde classe, con¬ 
sistent en une couronne murale à cinq créneaux <f argent f 
cimier y traversée en fasce d'un caducée contourné du 
même 9 auquel sont suspendus deux festons servant de 
lambrequinSyVùnkdexireyd'olivier'yVaulTehseïie&iredeché- 
ne 9 d'argent, noués et attachés par des bandelettes d’azur. 

« Chargeons notre cousin le Prince Archichancelier de 
l'Empire de donner communication des présentes au Sénat 
et de les faire transcrire sur ses registres, car tel est notre 
bon plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable à tou¬ 
jours, notre cousin le Prince Archichancelier de l'Empire y 
a fait apposer, par nos ordres, notre grand Sceau, en pré¬ 
sence du Conseil du Sceau des titres. 

« Donné en notre palais de Saint-Cloud, le douze du 
mois de novembre de l'an de grâce mil huit cent onze, 
Signé : Napoléon. Scellé le quatorze novembre mil hait 
cent onze, le Prince Archichancelier de l'Empire, Signé : 
Cambacérès. Transcrit sur les registres du Sénat, le vingt 
huit novembre mil huit cent onze, le Chancelier du Sénat, 
Signé : F. Tessier. (1) » 

Nota. Le Sceau était suspendu par quatre rubans dont 
deux bleus couverts par deux jaunes. 

Sous la Restauration, le roi Louis XVIII, par une ordon¬ 
nance du 26 septembre 1814, enjoignit aux villes et com¬ 
munes de reprendre leurs anciennes armoiries. À cet effet, 

(1) Nous avons remarqué dans le document que nous venons 
de lire que l’N placé à dextre de l’écuest surmonté d'une étoile. 
On voit aussi figurer ce signe héraldique dans le champ de 
l’écusson de l’Empire français. Nous pensons que cette pièce 
est tirée du blason des Bonaparte : deux étoiles, l’une posée 
en chef et l’autre en pointe, font partie des armes de cette famille. 

La ville de Lons-le-Saulnier (Jura) et celle de Saint-Lo 
(Manche), avaient aussi, sous l’Empire, dans leurs armoiries, 
un franc quartier à un N d’or surmonté d’une étoile rayonnante 
du même. 


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SUR LE BLASON DE CHERBOURG. 


315 


I* municipalité de Cherbourg sc pourvut par devant la Com¬ 
mission du Sceau et obtint les lettres-patentes dont voici la 
teneur : 

Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, 
à tous présents et à venir, salut, 

« Voulant donner à nos fidèles sujets des villes et commu¬ 
nes de notre royaume un témoignage de notre affection et 
perpétuer le souvenir que nous gardons des services que 
leurs ancêtres ont rendus aux rois nos prédécesseurs, servi¬ 
ces consacrés par les armoiries qui furent anciennement 
accordées au^dites villes et communes, et dont elles sont 
ïembléme, nous avons, par notre ordonnance du vingt-six 
septembre mil huit cent quatorze, autorise les villes, com¬ 
munes et corporations de notre royaume, à reprendre leurs 
anciennes armoiries, à la charge de se pourvoir, à cet effet, 
par devant notre Commission du Sceau, nous réservant d'en 
accorder à celles des villes, communes et corporations qui 
n’en auraient pas obtenu de nous ou de nos prédécesseurs, 
et par notre autre ordonnance du vingt-six décembre 
suivant, nous avons divisé en trois classes lesdites villes, 
communes ou corporations. 

« En conséquence, le maire de la ville de Cherbourg, 
département de la Manche, autorisé à cet effet par délibéra¬ 
tion du Conseil municipal, du vingt février mil huit cent 
quinze , s’est retiré par devant notre Garde-des-Sceaux, 
Ministre Secrétaire d’Èlat au département de la Justice, 
lequel a fait vérifier, en sa présence, par notre Commission 
du Sceau, que le Conseil municipal de ladite ville de Cher¬ 
bourg a émis le vœu d’obtenir de notre grâce des lettres-pa¬ 
tentes portant confirmation des armoiries suivantes : 
d'azur, à la fasce d'argent, chargée de trois étoiles 
à six rais de sable, accompagnée de trois besants d’or t 
deux en chef, un en pointe , desquelles armoiries ladite 


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514 


ESSAI HISTORIQUE 


ville était anciennement en possession. Et sur la présenta¬ 
tion qui nous a été faite de l’avis de notre Commission du 
Sceau, et des conclusions de notre Commissaire, faisant près 
d’elle fonctions du ministère public, nous avons, par ces pré¬ 
sentes, signées de notre main, autorisé et autorisons la ville 
de Cherbourg à porter les armoiries ci-dessus énoncées, 
telles qu’elles sont figurées et coloriées aux présentes. 

<t Mandons à nos amés et féaux Conseillers en notre 
Cour royale de Caen, de publier et enregistrer les présentes; 
car tel est noire bon plaisir. Et afin que ce soit chose ferme 
et stable à toujours, notre Garde-des-Sceaux y a fait appo¬ 
ser, par nos ordres, notre grand Sceau, en présence de notre 
Commission du Sceau. 

« Donné à Paris, le septième jours de mars de Tan de 
grâce mil huit cent dix-huit, cl de notre règne le vingt-troi¬ 
sième, Signé: Louis. Vu au Sçeau : le Garde-des-Sceaux, 
Ministre d’État au département de la Justice, Signé : Pas- 
quier. Par le Koi : le Garde-des-Sceaux, Ministre Secrétaire 
d’État au département de la Justice, Signé : Pasquier. 
Est écrit au dos : enregistré à la Commission du Sceaa, 
registre V, folio 95. Le Secrétaire général du Sceau,Signé: 
Cuvillier. » 

Nota. Le Sceau est suspendu par quatre rubans rouges, 
couverts par quatre verts. 

Enfin, l’Empereur Napoléon 111, sur la demande à loi 
adressée par le Conseil municipal le 14 avril 1858, a auto¬ 
risé la ville de Cherbourg à reprendre les armoiries con¬ 
cédées par Napoléon l #r . 


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DE L’ÉGLISE 


NOTRE-DAME-DU-VOEU, 

1>E CHERBOURG, 

Par M. l'abbé BE8N1BB, 

Curé de Notre-Dame-du-Vœo, Membre de le Société Académique. 


Vers le milieu du XII e siècle, l'impératrice Mathilde, 
fille de Henry 1 er et mère de Henry II, rois d’Angleterre 
et ducs de Normandie, concourut à la fondation de la puis¬ 
sante abbaye de Cherbourg ou du Vœu (Cœsarisburgi seu 
de Voto)(I) et d’une petite chapelle dédiée, ainsi que l’ab¬ 
baye, à la S^-Viergc. Voici comment s’exprime, sur la fon¬ 
dation de l’abbaye, l’ouvrage intitulé: Neustria pria, seu de om¬ 
nibus et singulis abbatibus et prioribus totius Normanniœ 
(ArthurDumoustier,Rbotomagi 1663,in-fol.,p.813). aPræ- 
» seusaulem cœnobiumeademserenissimà Augustaduxitcir- 
» càann.l 145ædificandum,quodet votum nuncupavilet Vir- 
» gini Mariæ dicavit. Nam cùm anno 1140 mortuo pâtre 
» Henrico I rege Àngliæ, in Angliam solvisset, tantft maris 

(1) Dans le présent travail, on a eu soin de ne jamais confon¬ 
dre l’abbaye du Vœu de Cherbourg avec l'abbaye de Valasse 
(Valassia de Vallis azonis ou de Vallis ascie), qui était située 
près de Litlebonne, au diocèse de Rouen. Dans les chartes du 
moyen âge, on la nomme quelquefois abbatiade Vote comme 
celle de Cherbourg. 




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316 


DE L’ÉGLISE 


» tera pesta te jactata est, ut tune votum Deo, et beats Maris 
» Virginiemiserit se illic cænobium extructurum, obi quiete 
» etincolumis appulisset; appulit autem Cæsariburgi inibi- 
» quemonasteriumabavosuoGuillelmo,Angliæconquisitore 
» rege, incæptum perfecit. » Les Bénédictins de S‘.-Maur 
mentionnent cette fondation h la page 80 deGalliâ Chris- 
tianà. Suivant plusieurs auteurs, Mathilde débarqua à l'em¬ 
bouchure d'une petite rivière que la tradition nous apprend 
avoir été appelée Chanle-reine , à cause de l'hymne que la 
reine chanta en apercevant cet endroit de refuge : Cante- 
reine. Véchin Terre (chartrier de l'abbaye de Cherbourg). 

Il existe dans le jardin d'une maison située rue de 
l'Alma k Cherbourg, un chapiteau de l'église de l'ancienne 
abbaye du Vœu et un fronton de porte l'atérale du chœur. 
On trouve encore à Theurtéville-Hague, au bord d'un 
étang de la ferme de Launay, une pierre tumulaire prove¬ 
nant de la même abbaye et portant ces restes d'inscription: 
En ce lieu repose le corps de vénérable et discrète personne 
Ph. Jéhan, Guill. Vilrel, qui décéda le 5 juin de l'an 1615; 
priez Dieu pour lui. Plusieurs habitants de Cherbourg pos¬ 
sèdent des briques, avec peintures héraldiques, provenant du 
pavé de l’église abbatiale du Yœu, démolie en 1795. La 
bibliothèque de la ville de Cherbourg conserve le carlulaire 
de cette abbaye. Il existe aussi un sceau de l'abbaye du 
Yœu, lequel remonte au XV # siècle ; il porte une fleur de 
lys, un château fortifié, et un pont avec cette légende 5. 
Bailliv. oblig . abbat de voto . La société de Sphragistique 
de Paris l’a reproduit à la page 60 de ses annales, en 
1855. 

Nous devons à l’obligeance de M. de Pontaumont, Ins¬ 
pecteur de la Marine, la communication des quatre chartes 
suivantes, dont il possède les originaux. 

1° Charte latine d’Algare, évêque de Coutances et insti- 


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NOTRE-DAME-DU-VOEU. 


517 


tuteur des Augustins à l'abbaye du Vœu de Cherbourg en 
1145. Cette charte, relative à une donation faite à l'église 
de Tréauville, a un sceau qui représente un évéque donnant 
la bénédiction et tenant de la main gauche une crosse. Sa 
chasuble est semblable à celle que l'on conserve à Biville, 
près de Cherbourg. 

2° Charte latine qui remonte à la minorité de S*-Louis. 
Par cette charte, un certain Robert Wallecan, fils de Raoul, 
vend à l'abbé et aux religieux de l'abbaye du Vœu de Cher¬ 
bourg, un ténement situé à S^-Geneviève, ainsi que les 
redevances de trois mesures et demie de froment, six pains, 
six gélines, et un éperon de fer du prix de trois deniers, 
dus audit Wallecan par les nommés Liéce, chevalier, Cor- 
valin et Gaudefroy. Cette vente, garantie de tout trouble, 
est consentie pour le prix de huit livres tournois. La charte 
en question porte la date de 1332, sans indication de lieo 
et de mois. Le sceau représente un aigle esployé avec cette 
légeode: SigRoberti Vallechan. Ce nom donne peut-être les 
éléments de la dénomination de la commune de Valcanville 
qui touche à S^-Geneviève. 

3 e Charte originale sur parchemin par laquelle Pierre Les- 
croêl, prêtre, donne sous la date de janvier 1392, aux reli¬ 
gieux de l'abbaye et de la chapelle du Vœu ( Religiosts 
viris abbati et capelle beatœ Mariœ de voto juxtà 
Cœsarisburgum ) quatre mesures de froment à prendre le 
jour Saint-Micbel, sur ses biens situés au hameau de Vaste- 
ville, paroisse de S^-Geneviève, au Val-de-Saire. 

4* Charte du vicomte de Valognes, portant la date du 
dimanche après la S l -Pierre et S 1 -Paul, 1293, et confirmant 
un don fait à l'abbaye du Vœu de Cherbourg, par le même 
Pierre Lescroêl, prêtre de S^-Geneviève, au Val-de-Saire. 
A cette charte est appendu le scel de la vicomté de Valo¬ 
gnes qui, sans émaux, porte écartelé au l tr et au 4 a à neuf 

21 


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318 


de l'église 


besanls ou tourteaux et au chef lozangé; au 2* et au 5* à 
écusson et à huit étoiles en orlc. 

On trouve aussi que l'abbaye du Vœu de Cherbourg 
avait, à Barfleur, une juridiction dite vicomté, d'après un 
contrat du 26 septembre 1533, passé devant Jéhan et Ger¬ 
main Lefèvre, tabellions de ladite vicomté de Barfleur et par 
lequel Roger de la Mer délaisse à Nicolas Paille, deux 
champs de terre, sis daps la paroisse de Morfarville (sic) au 
trans. du bec . Interviennent comme témoins André Hébert, 
escuyer, sieur de Thiboville, Thomas Hays et Mcssire Jéban 
Le Vaillant, prêtre (1). 

A quelque distance de ladite abbaye, sur le bord 
même du rivage où elle avait débarqué, la pieuse Mathilde, 
par suite de son vœu, s'empressa d'élever la petite cha¬ 
pelle que nous trouvons mentionnée dans l'acte de janvier 
1292 que nous venons de citer. Plus lard, soit par les 
envahissements de la mer, soit par les bouleversements de 
terrain, cette chapelle a dû être transférée assez loin du 
lieu primitif. L’abbaye et la chapelle dont il est question 
n’existent plus aujourd’hui. L'abbaye sert depuis 1793 
d’hôpital à la marine impériale, et la petite chapelle a été 
démolie par suite des fortifications du grand port. 

Nous avons trouvé dans les archives de feu M. l’abbé 
Démons, curé de Cherbourg, la description du modeste 
oratoire : o La chapelle, dit-il, avait 45 pieds de long 
a sur 16 de large ; clic était bien pavée et proprement teoue; 
a était lambrissée tout autour; l’autel, le tabernacle,lacoo- 
a tre-table y étaient d’une grande simplicité. Au-dessus et 
a au milieu on voyait dans une niche, la statue de U S u - 
» Vierge, d’un bon travail; elle était accompagnée dedeui 
a statues d’albâtre, venues de l’ancienne abbaye de Cher- 
)) bourg. Celle du côté de l'évangile représentait S u ~Mt- 
a thilde, patronne de la fondatrice. Cette sainte fille du 

(1) Voir la note A aux Annexes. 


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NOTRE-DAME-DU -VOEU. 


319 


» comte Thierry, mariée à Henry, fils d’Othon, Empe- 
» rear, de Germanie, moorut le 14 octobre 968. Il en est 
b fait mention dans le martyrologe an jour de sa mort. 
b La statue du côté de l'épitre était celle de S k -Augus- 
» tin, patron do monastère de Notre-Dame-du^Vœu 
» de Cherbourg. Ces trois statues étaient surmontées 
b de trois tableaux ; celui du milieu était le Sauveur sur la 
b croix, au pied de laquelle étaient deux religieux en 
b adoration. Ce tableau venait d'une maison religieuse. Du 
b côté de l'épitre était un tableau de la S u -Vierge avec 
b l’enfant Jésus et S k -Jean-Baptiste enfant; de l’autre côté 
b on voyait un naufrage où l’horreur de ce moment était 
b bien exprimée. Celui de l'impératrice Mathilde, arrivé 
b vers l'an 1145, figurait dans un autre tableau, dû au 
b pinceau de M. Henry, de Cherbourg, commissaire expert 
b des musées royaux et fondateur de celui de Cherbourg.a 
Cet artiste écrivait à M. l'abbé Démons le 19 mai 1819 : 
« qu'il y avait à Paris aussi bien qu’à Cherbourg des per- 
b sonnes qui sentaient le mérite d’une pieuse offrande, et 
b qu’il devait surtout à M. Victor de Chantereyne, conseil- 
b 1er à la cour de cassation et dépoté de la Manche, de 
b s'être déplacé bien des fois pour veoir l'engager à 
b presser l’exécution de ce tableau. Dans une lettre 
b du 20 septembre 1822, il écrivait encore: « Plus 
b tard, je ferai en sorte d'obtenir de mon jeune fils 
» qu'il peigne pour votre chapelle un tableau où 
b Mathilde sera représentée donnant des ordres pour la 
b construction de la petite chapelle. Il vaudra mieux, je 
b l'espère, que celui-ci, et achèvera de vous prouver que 
» je partage de bien bon cœur le désir que vous avez de 
b rendre à ce saint lieu, la réputation que lui avaient 
b acquise son origine, les grâces de Marie et la piété des 
b marins. » 


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320 


de l'église 


M. l’abbé Démons, en effet, n'était pas homme à 
négliger de si touchants et si précieux souvenirs. Il savait 
d’ailleurs que sa chapelle de prédilection, où avant la Révo¬ 
lution il était venu, avec tant de fidèles, satisfaire 
sa dévotion pour la S u -Vierge, n'avait point été aliénée 
comme tant d'autres, mais qu’elle avait été seulement prê¬ 
tée, par décret du 20 mai 1794, à l’administration de la 
marine avec les terrains de l’ancienne abbaye royale de 
Cherbourg. L’artillerie de terre qui avait succédé à la marine 
se servait encorede la chapelle pour y mettre des affûts, lors¬ 
que M. Démons écrivit le 4 septembre 1816 au Ministre de 
l'intérieur. Sa pétition s’appuyait sur les faits suivants : — 
« Que n'ayant qu’une paroisse dans la ville, avec une senle 
église pour seize mille âmes, cette chapelle serait d’un grand 
secours; que c'était un lieu respecté par les habitants et fré¬ 
quenté parles marins qui trouvaient dans la religion de la con¬ 
solation etdes motifs de patience dans leurs peines; que c’était 
le désir et le vœu de la population de voir cette chapelle 
séculaire rendue à la religion; que l'esprit de Cherbourg 
était, en général, très bon ; que la religion et la piété y aug¬ 
mentaient de jour en jour par le concours unanime des per¬ 
sonnes en autorité; que les exercices religieux pouvaient 
reprendre dans ladite chapelle leur cours ancien et régulier, 
et raviver dans tous les cœurs l’amour du bien avec le calme 
et la paix du foyer domestique. » 

Il n’en fallait pas davantage pourintéresser la sollicitude do 
gouvernement.Sur le rapport du Ministre de l’intérieur, Louis 
XVIII, rendit le5 décembre 1817, aux Tuileries, l’ordonnance 
qui suit : a 11 est fait abandon à la ville de Cherbourg, delà 
chapelle de Notre-Darae-du-Vœu, située dans ladite ville, et 
du terrain environnant, à la distance de six mètres, concédés 
au département de la marine par la loi du 20 mai 1791. 
Ladite chapelle sera rendue aux exercices religieux, comme 


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NOTRE-DAME- DU-VOEU. 


321 


oratoire public ou chapelle de dévotion, placée sous l'admi¬ 
nistration de la fabrique paroissiale, et sous la surveillance 
da curéjde Cherbourg. » 

Conformément à cette ordonnance, l’administration de la 
marine fit remise de la chapelle le 23 janvier 1818, à M. 
Collart, maire de Cherbourg; mais ce ne fut que le 11 février 
de la même année, qu’en vertu d'un arrêté du préfet de la 
Manche du 4 janvier précédent, les marguillers de l’église 
S^.-Trinité de Cherbourg prirent possession de ladite chapelle. 

Ce fut on véritable jour de fête pour ces MM. et pour 
toute la population de la ville. Au comble de ses désirs, 
M. le curé s'empressa de demander à Mgr. l'Évêque de 
Coutances de rétablir dans la chapelle de Notrc-Dame-du- 
Vœu, avec les exercices du culte, la pieuse association qui 
existait avant la Révolution. Avec la permission de bénir la 
chapelle qui avait été profanée, il demanda d'y faire l’eau 
bénite, d’y chanter la grand’messe le premier dimanche de 
chaque mois, les lundis de Pâques et de Pentecéte, et les 
jours de Vierge comme autrefois. Il demanda enfin de rece¬ 
voir les personnes qui voudraient faire partie de l’association 
deNotre-Dame-du-Vœu, moyennant 60 centimes pour la 
réception et 60 centimes pour chaque année. Cet argent, 
suivant l’ancien usage, devait être employé à faire un service 
â la mort de chaque associé, et le reste des fonds employé à 
la décoration et l’entretien de la chapelle. Mgr. répondit 
Ie4 avril 1818: Fiat ut petitur : accordé; et le 12 mai 
de l’année suivante, le prélat réglait l’honoraire des messes 
que le chapelain et tout autre prêtre pourraient percevoir 
quand ils diraient la messe dans ce lieu, devenu très fré¬ 
quenté. Chaque année, suivant l’usage que M. Pâté, curé de 
Cherbourg, avaitadoptédèsl692(l), les enfants delà ville, le 
jourde leur première communion, s’y rendaient processionnel- 

(1) Trigan, in-12, p. 61. 


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DE L'ÉGLISE 


lement pour se consacrer à la Sainte-Vierge. L’association de 
Nolre-Dame-du-Vœu qui s’y était reformée grandissait chaque 
jour, et le pèlerinage y devenait de plus en plus populaire. 
Qu’on juge alors de l'étonnement et du regret général, 
quand, pour des circonstances impérieuses, il fut question de 
démolir cette chapelle vénérée, près de laquelle avait reposé 
si longtemps la cendre des morts! Elle fut troublée pour un 
moment, mais la Providence qui veille à tout ne voulait 
pas que le vœu de .l’Impératrice Mathilde fût perdu à tout 
jamais pour les habitants de Cherbourg. 

La chapelle n’existait plus et quelques années s’écoulèrent 
encore, jusqu’à ce qu’enfin des hommes véritablementanimés 
de l’amour du bien proclamèrent hautement l’urgente néces¬ 
sité d’ériger au moins une nouvelle église à Cherbourg. Il 
était évident, en effet, aux yeux de tous, que l’église de la 
Sainte-Trinité, dont la construction remonte au commence¬ 
ment du XV e siècle, et dont les dimensions n’avaient étécal- 
culées que pour une agglomération de quatre à cinq mille 
Ames, se trouvait, depuis longtemps, hors de proportion avec 
les besoins de la population actuelle, dont le chiffre s’élève 
aujourd’hui à plus de quarante mille âmes. 

Dès l’année 1811, alors que Cherbourg ne comptait encore 
que 16,665 habitants, l’illustre héros qui présidait avec tant de 
gloireaux destinées de là France, Napoléon I èr ,avait constaté 
cette déplorable insuffisance etavait ordonné par un décret du6 
juin 1811, daté de S‘-Cloud, l’érection d’une église proportion¬ 
née aux besoins de cette population. Aux termes de l’arti¬ 
cle 14 de ce décret une somme de 200 mille francs devait 
être affectée à cette construction et prélevée sur le dixième 
des biens communaux destiné aux besoins du culte. Les 
événements politiques survenus peu de temps après, empê¬ 
chèrent Inexécution de cet important travail. Malgré la progres¬ 
sion toujourscroissanteduchiffredes habitants de Cherbourg, 


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NOTRE-DAME-DU-VOEU. 


323 


malgré les dispositions arrêtées par deux ordonnances, Pane 
da 22 février 4826, qui autorisait la Tente du terrain des 
Mielles, â charge d’en employer le produit à la construction 
d’une église, l’autre du 24 juin 4834, qui, tout en détour¬ 
nant pour une autre destination, une partie des produits, en 
affectait les trois quarts environ à la construction, non pas 
seulement d’une seule, mais de deux églises dont l'érection 
avait été reconnue indispensable, on était arrivé à l’année 
1849, sans qu’aucun de ces divers projets eût reçu un com¬ 
mencement d’exécution. Ainsi, pour ne partir que de la date 
du premir acte officiel qui eût constaté l’insuffisance notoire 
de l’église S u -Trinité, eu égard aux besoins spirituels d’une 
population qui s’était quadruplée depuis l’érection de cette 
église, trente-huit années s’étaient écoulées, sans qu’il fût 
apporté remèdeà cette insuffisance. Un pareil état de choses, 
aossi préjudiciable au salut des Ames que contraire aux inté¬ 
rêts sacrés de la religion, remplissait d’une douloureuse 
tristesse l’âme de chacun des pasteurs qui se succédaient à 
Cherbourg. L’un d’eux enfin, M. l’abbé Vaultier, fut 
assez heureux pour voir arriver un moment favorable à 
l’exécution des premiers projets. De concert avec ses colla¬ 
borateurs et quelques autres personnes honorables qui vou¬ 
lurent bien s’associer à ses vues, il s’empressa de mettre la 
main à l’œuvre. Une commission fut organisée à cet effet. 
Elle se composait de MM. les abbés Vaultier, curé, Frigoult, 
Poallain et A. Le Boy, vicaires, de MM. Ludé, conseiller 
municipal. Du Plessis, subtitut du procureur de la Républi¬ 
que, le comte Olivier de Bérenger, propriétaire, Estébé,en¬ 
trepreneur de travaux publics, et Fleury, conducteur des tra¬ 
vaux maritimes. 

Do des premiers soins de la commission fut de s’occuper 
do choix d’un terrain convenable, pour l’édifice projeté, et 
dont la position fût aussi centrale qu’on pouvait le dési- 


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324 


de l'église 


rer, eo égard au périmètre occupé par la partie de la popu¬ 
lation, aux besoins de laquelle il s'agissait de pourvoir. Elle 
fut assez heureuse pour trouver, presqu’immédiatemeot, 
entre les rues Saint-Honorine et des Vieilles-Carrières, une 
pièce de terre, nommée les Briques , réunissant les condi¬ 
tions voulues. Elle appartenait à M. de Gouberville qui fit 
preuve du plus honorable empressement en cédant à des con¬ 
ditions très modérées, la portion de terrain qui était néces¬ 
saire, tant pour la construction de l'église, que pour facili¬ 
ter son accès. Afin d’éviter les inconvénients qu’aurait pu 
entraîner ultérieurement l’achat de ce terrain en nom col¬ 
lectif, un des membres de la commission s’en porta person¬ 
nellement acquéreur, et l’affecta immédiatement à la cons¬ 
truction de l’église projetée. Cette acquisition et l'affectation 
qui en fut la suite, était déjà ungrand pas fait pourl'exécu- 
cution de l'œuvre que la commission avait entreprise. Mais 
ce n’était là qu’un préambule et de nombreuses démarches 
restaient encore à faire pour mener à bien cette œuvre émi¬ 
nemment catholique. Il ne suffisait pas en effet de s’élre 
procuré un emplacement convenable et d’en avoir mis la 
propriété à l’abri de toute contestation ultérieure, il fallait 
encore réunir les fonds nécessaires pour ériger l’église. Ces 
fonds devaient atteindre un chiffre assez considérable, sons 
peine de manquer le but, en n’obtenant qu’une église trop 
petite pour les besoins de la population présente et à venir 
du quartier où elle allait s'élever. Animée d J un religieux 
courage la commission ne se laissa dominer par aucune des 
difficultés qui pouvaient surgir. Elle ouvrit résolument one 
souscription, en tête de laquelle les membres de la commis¬ 
sion souscrivirent pour des sommes importantes. Une qoéte 
à domicile fut annoncée en chaire, et les membres du clergé 
parcoururent la ville pour recueillir les offrandes. Quelques 
semaines s'étaient à peine écoulées et déjà ces quêtes et la 


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NOTRE-DAME-DU-VOEU. 


325 


souscription avaient produit, tant en dons immédiats qu’en 
engagements réalisables à termes, la somme de 35,000 fr # , 
dont la portion disponible fut immédiatement consacrée aux 
travaux de fondation. Attentif à employer les moyens pro¬ 
pre à faciliter l'exécution de l’œuvre pieuse à laquelle il 
présidait, M. le curé Yaultier sollicita du conseil municipal, 
une exemption des droits d’octroi pour tous les matériaux 
employés à la construction de la nouvelle église. Cette 
demande ne put être accueillie dans les termes où elle avait 
été formulée, parcequ’elle était contraire aux règles admi¬ 
nistratives, et aurait pu donner lieu à quelques abus préju¬ 
diciables à la caisse municipale. Mais le conseil voulant 
témoigner ses sympathies pour l’œuvre qu’il s’agissait de 
réaliser prit, par une délibération du 15 octobre 1849, un en¬ 
gagement équivalent à l’exemption demandée, et qui consistait 
à rembourser, au fur et à mesure delà construction de l’église, 
les droits d’octroi perçus sur les matériaux employés à sa 
construction. Cependant quelques considérables que fussent 
et cette concession et les ressources déjà recueillies, il était 
évident qu’elles étaient loin de suffire aux besoins de l’œu¬ 
vre et que de nouveaux secours étaient nécessaires pour 
en assurer l’achèvement. La commission se mit donc en 
devoir de solliciter ces secours, et, encouragée par le pre¬ 
mier témoignage de bienveillance du conseil municipal, 
elle s’adressa de nouveau à cette assemblée, sur les sympa¬ 
thies de laquelle elle pouvait compter, puisque, d’une part, 
il s’agissait de procurer à la population de Cherbourg le 
plus grand soulagement moral dont ce conseil puisse doter 
ses administrés, et que, d’autre part, môme au point de 
vue matériel, la construction de la nouvelle église était un 
véritable bienfait pour cette population composée en ma¬ 
jeure partie d’ouvriers dont un grand nombre se trouvaient 
alors sans travail. Ici encore se manifesta d’une manière 


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DE L’ÉGLISE 


536 

toute spéciale la protection de la divine providence snr une 
œuvre entreprise pour sa gloire. La demande de secours 
soumise au conseil fut, par lui, renvoyée à l’examen des com¬ 
missions des finances et des travaux publics qui, réunies 
pour un travail spécial, nommèrent pour leor rapporteur 
M. Ludé, le seul de leurs membres qui fît partie de la 
commission, au dévouement de laquelle était dû le commen¬ 
cement de l’œuvre. Administrateur heureusement choisi, 
M. Ludé justifia pleinement la confiance dont il était investi 
et, dans un rapport remarquable, il démontra de la manière 
la plus péremptoire non seulement le bien fondé de la de¬ 
mande et l’opportunité de la concession d'une subvention 
pour la poursuite des travaux de l’église, mais encore 
l’équité et même la nécessité du vote d’un premier emprunt 
pour la construction d’une autre église, dans le quartier des 
Mielles, è l’extrémité Est de la ville (1). 

Les efforts de l'honorable rapporteur furent couronnés 
d’un plein succès, et le conseil qni avait entendu la lecture 
de son travail dans la séance du vendredi 19 mai 1850, en 
adopta les conclusions le mardi 23 du même mois, en vo¬ 
tant pour la construction de l’église commencée une subven¬ 
tion de 35,000 fr., dont 15 mille à inscrire au budget de 
1850, 10,000 à celui de 1851, et 10,000 à celui de 1852. 
Le conseil invitait en même temps l’administration munici¬ 
pale à remplir aussi promptement que possible, toutes les 
formalités propres à assurer l’emploi de ces sommes, et 
l’obtention, sur les fonds du gouvernement, d’un secours 
proportionné aux sacrifices que. la ville et la popolatioa 
s’étaient imposés. Une somme de 40,000 fr. était votée le 
même jour pour la construction de l’église des Mielles, en 
accompagnant des mêmes recommandations le vote de cette 
somme qui portait également sur les exercices 1850, 1851, 
(i) Aujourd’hui Saint-Clément. 


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NOTRE-DAME-DU-VOEU. 


327 


1852. Le conseil prouvait ainsi combien avaient été fondés 
à ses jeux les motifs développés dans le rapport dont il 
vient d’étre parlé. Un tel résultat était bien propre à encou¬ 
rager les efforts de la commission et si, d’un côté la provi- 
deoce s’était plue à l'éprouver en la privant de son prési¬ 
dent JM. l'abbé Yaultier, que des raisons de santé avaient 
forcé de s’éloigner, elle dut encore voir une nouvelle preuve 
de l'appui qui lui venait du Ciel dans le choix que Mgr. 
Bobiou de la Trébonnais fit comme curé de SMTrinité, de 
M. l’abbé Le Goupils, supérieur des missions du diocèse, 
dont les talents et le zélé infatiguable promettaient aux 
membres delà commission un puissantauxiliairepour l’achè¬ 
vement de leur entreprise. 

Pendant le cours des événements qui viennent d'étre rap¬ 
portés les travaux de fondation s’étaient poursuivis avec au¬ 
tant d’activité que le permettaient les ressources jusqu'alors 
réalisées. Le moment était venu de poser la première pierre 
de l'édifice sacré et jl fut arrêté que cette cérémonie aurait 
lieu le 26 mai 1849, jour de la Trinité, fête patronale de 
l’ancienne paroisse, qui bientôt allait céder une partie de ses 
fidèles à la sœur que lui envoyait le ciel. Ce fut une magnifi¬ 
que journée que celle où s'accomplit cette pompeuse solen¬ 
nité, à laquelle assistaient toutes les autorités civiles et mili¬ 
taires et l’immense majorité de la population. A l’issue de la 
messe de midi le cortège se forma dans l’ordre suivant pour 
se rendre de l’église de la Sainte-Trinité au lieu où devait 
s’élever le nouveau temple consacréàla gloire du Très-Haut. 
En tête marchait la musique de la garde nationale, puis 
venaient les élèves du collège et des écoles de garçons, aux¬ 
quels succédaient, vêtues de blaoc, les enfants des écoles des 
filles. Tous portaient des oriflammes bleues et blanches, sur¬ 
montées d’une croix. La musique du 28* régiment de ligne, 
marchait en suite, précédant le clergé de la ville, auquel 


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328 


DE L’ÉGLISE 


s’étaient joints beaucoup d’ecclésiastiques des paroisses voi¬ 
sines. Enfin venaient les autorités de mer et de terre, le 
conseil municipal et les corps judiciaires, suivis d’une foule de 
notables habitants qui s’étaient empressés de se joindre à ce 
brillant cortège. La musique de l’infanterie de marine fer¬ 
mait la marche, et la procession, qu'escortaient de nombreux 
détachements de troupe, s’avançait au milieu d’une affluen¬ 
ce considérable et arriva à une heure sur le terrain de la nou¬ 
velle église. Là un agréable coup-d’œil s’offrit aux regards 
des assistants. Un portique de verdure s’élevait à la place du 
portail et trente màteraux enroulés de glaïeuls, de branches 
de pin et de genêts, formaient des colonnes reliées entre 
elles par des guirlandes dessinant le périmètre de l’église et 
de ses chapelles latérales. Les troupes formèrent haie le long 
de ces colonnes et les autorités prirent place sur une estrade 
élevée au centre du transept. Les musiques occupèrent 
d’autres estrades qui avaient été préparées, deux en avant 
du portique et l’autre à l'extrémité opposée de l’édifice. 
Cette dernière estrade, élégamment ornée, était surmontée 
d’une statue de la S u -Vierge, au-dessus de laquelle était 
placée l’inscription : Notre-Dame-du- Vœu; vocable de la 
nouvelle église. Enfin les écoles se rangèrent avec leurs ori¬ 
flammes autour de l’enceinte et complétèrent de la manière 
la plus gracieuse l’ensemble de ce magnifique tableau. 

Alors, aumilieod’un calme profond, M. l’abbé Le Goupils 
fit entendre un discours où il se surpassa lui-même. Pois, 
avec toute l’autorité de sa parole, M. Le Brec, vicaire-géné¬ 
ral délégué, remercia les autorités de leur concours empres¬ 
sé à une fête religieuse si féconde pour la cité. Lecture fat 
ensuite donnée par M. le curé du procès-verbal de la céré¬ 
monie, lequel fut signé en double expédition par les autori¬ 
tés et les notables de la ville. Puis M. le vicaire-général 
procéda à la bénédiction de la première pierre. Sous cette 


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NOTRE-DAME-DU-VOEU. 


329 


pierre, qui forme la naissance dn jambage de droite do 
portail, on scella une botte en plomb, contenant : 1° un 
parchemin en forme de charte portant le procès-verbal sus¬ 
mentionné ; 2° une série de monnaies de la République 
Française, an millésime de 1850; 3° deux médailles en argent, 
l’ane de S. S. le Pape Pie IX, l’autre de Mgr. Affre, 
archevêque de Paris; 4° enfin une plaque d’argent portant, 
d’on cété, l'inscription suivante: hujus aedis sub invoca - 
tione beatœ MariœVirginis a voto, tùm fidelium dont s f 
tùm communis œrario erectœ , primum lapidem po- 
suere , civitatis parochus et œdîles anno . Domini 
OdDCCCL, die XXVI* Maii. Au revers les noms de MM. 
Le Goupils, curé, J. Morin, maire. 

Le cortège se mil en marche dans le même ordre que 
pour son arrivée; mais ensuivant une autre route et en 
passant par la rue Hélain, la chaussée qui longe le quai 
Ouest du Bassin, celui de TÂvant-port; puis la place située 
à l’angle Nord-Ouest, afin qu’un plus grand nombre d'habi¬ 
tants pût jouir de l’édifiant coup-d’œil de cette b.elle proces¬ 
sion et que la ville entière participât aux émotions de cette 
fête religieuse. A l’entrée de l'église S w -Trinité, M. le curé 
prit congé des autorités et leur adressa ainsi qu’aux troupes 
de l’escorte, ses vifs remerciments pour l’éclat qu’elles 
iraient prêté à cette solennité. 

Dès le lendemain les travaux de la nouvelle église s’organi¬ 
saient et se poursuivirent avec d’autant plus d'activité que le 2 
septembre 1850, on voyait paraître un décret du Prince Pré¬ 
sident de la République, par lequel l'église deNotre-Dame- 
du-Yœu était érigée en succursale. Le 24 du même mois les 
membres de la fabrique furent nommés par les deux auto¬ 
rités compétentes; c’étaient MM.de Pontaumont,inspecteur 
delà marine, Hélain, propriétaire, Eynaud, receveur principal 
des douanes, Daragon, commissaire de la marine, Lesdos, 


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550 


DE L'ÉGLISE 


négociant, Poupeville, propriétaire, Le Vitre, propriétaire, 
Doucet, propriétaire. Le 26, M. l'abbé Poullain, vicaire 
de l’église S u -Trinité de Cherbourg, entrait en fonctions 
comme curé de la nouvelle paroisse. Il fallut tout son zèle 
pour faire arrêter définitivement les limites territoriales de 
sa paroisse, y bâtir une chapelle qui, malgré son insuffi¬ 
sance, devait provisoirement servir aux besoins du coite. 
Cette petite chapelle, inaugurée le 27 octobre 4 850, longeait 
une partie de la rue Sainte-Honorine, sur le terrain qu'occupe 
maintenant l'abside de Nolrc-Dame-du-Vœu (1). 

Ce fut le 12 décembre de la même année que le conseil 
de fabrique fut convoqué extraordinairement à l'effet, 1 # de 
prendre connaissance de l'acte par lequel M. l'abbé Poollain 
curé, faisait donation audit conseil du terrain sur lequel devait 
être construite l'église projetée et de la chapelle provisoire 
qui venait d'étre ouverte; 2° d'émettre son avis sur la con¬ 
venance d'accepter cette donation. D'avis unanime l'accep¬ 
tation fut consentie d'autant plus aisément que 35,000 fr. 
obtenus par souscription,, 5,000 par une loterie, 35,000 
donnés par la ville, 15,000 accordés par le gouverne¬ 
ment formaient déjà un total de 90,000 francs. Aussi les 
travaux de construction s'accélérèreut à un tel point que, deux 
ans après la pose de la première pierre, on abandonnait la 
chapelle provisoire pour entrer, le 4* dimanche de Carême, 
(mars 1852,) dans la partie de la l'église actuelle qui ne 
se composait encore que de la grande nef etdesesbas côtés. 
M. l'abbé Le Pelley, vicaire-général forain, en fit la béné¬ 
diction solennelle, au milieu d'un grand concours de 
fidèles (2). 

(1) A cette cérémonie la quête fut faite par Madame Noél, 
née Asselin, conduite par M. de Pontaumont. 

(2) Le jour de cette inauguration la quête fut faite par 
Madame de Pontaumont, née Loysel, conduite par M. Lndé, 
maire de Cherbourg. 


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NOTKE-D AME- D Ü-VOEU. 


531 


La parole divine ne pouvait faire défaut dans une nou¬ 
velle église, aussi pendant les carêmes de 1853, 1854, elle 
y fut annoncée avec un grand fruit par deux prédicateurs 
étrangers, le B. P. Simon, de la compagnie de Jésus, et 
M. l’abbé Quesnel, ancien missionnaire du diocèse de 
Coulanccs. Le conseil de fabrique leur vola des remerci- 
ments. 

Dans sa séance du 9 juillet 1854, le môme conseil 
arrêtait : 1° que MM. le maire et les membres du conseil 
municipal seraient priés de vouloir bien accepter, pour la 
ville, la propriété de la partie édifiée de l’église de Notre- 
Dame-du-Vœu, ensemble celle du sol sur lequel elle élaitéle- 
vée, et du terrain destiné à achever sa construction; 2° que 
l'abandon des immeubles sus-mentionnés, serait offert à la 
ville, à charge par elle de servir ou d’amortir la rente de 160 
francs, prix de fief des terrains et de terminer l'église con¬ 
formément aux plans adoptés par l’autorité supérieure ; 3° 
que moyennant l’acceptation de ces conditions, la fabrique 
mettrait gratuitement à la disposition de l’administration 
municipale les divers matériaux précédemment approvision¬ 
nés pour la construction de l'église. La ville accepta la pro¬ 
position et devint propriétaire aox conditions énoncées. 

Les travaux de construction furent ajournés pendant plus 
d’un an. Durant cette période deux incidents inattendus sur¬ 
vinrent : le départ de M. le curéPoullain et l’installation de 
de son successeur, qui se fit le 20 mai 1855, suivant le 
rit prescrit, par M. Le Pelley, grand vicaire et cnré de S u - 
Trinité. Le clergé de Nolre-Dame-du-Vœu nese composait 
alors que do curé, de deux vicaires, MM. Piquois (de Mont- 
gothier, arrondissement de Mortain), Gauthier (de Torigny), et 
d’un prêtre habitué, M. Viol Hautmcsnil, de Cherbourg. 
Ce personnel, évidemment trop restreint pour le chiffre tou¬ 
jours croissant de la population , fut augmenté par un troi- 


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332 


DE L'ÉGLISE 


sième vicaire (1 ) dont le traitement fut voté par le conseil 
municipal, sur la demande de U. le cnré (2). 

Une telle marque de bienveillance provoqnade la part de 
Mgr. de Contances cette lettre de remerctmeot, en date da 
20 janvier 1856. « Mon très-cher coopérateur, en votant 
» à Punanimté le traitement d’an troisième vicaire pour la 
a paroisse qui vous est confiée, le conseil municipal a donné 
a une nouvelle preuve du vif intérêt que lui inspire les be- 
» soins religieux et moraux de la grande ville de Cherbourg, 
a Je l'en félicite et je l’en remercie du fonds du cosur. 

Par suite M. l’abbé Le Fèvre, de SWames, fut trans¬ 
féré du vicariat de Tessy à celui de l'église Notre-Dame-du- 
Yœu, érigée en cure de 2* classe par un décret impérial du 
9 mars 4857 (3). 

Malgré ces heureux résultats, les travaux de l'église lan¬ 
guissaient et pas un coup de marteau ne venait frapper 
l'oreille du fidèle impatient qui en demandait souvent le 
motif. Il y avait alors une grande question à résoudre. Fal¬ 
lait-il, contrairement au devis du premier plan, augmenter 
le chœur de l’église d'une travée en diminuant par là la cha¬ 
pelle de Circula? Sur un avis motivé de M. Violet-Leduc, 
inspecteur général des édifices diocésains, on se décida 
pour l'addition d’une nouvelle travée dont le devis était de 

(1) Voir note B. aux annexes. 

(2) M. l'abbé Besnard (Célestin), né à Bretteville, près Cher¬ 
bourg, le 7 décembre 1810, fut nommé curé de Notre-Dame-du- 
Vœu, par un décret impérial du 21 avril 1857. 11 obtint, dans 
une audience de l'Empereur, le 21 février de la même année, au 
palais des Tuileries, un secours de 4,000 fr. pour les besoins 
les plus pressants de la nouvelle église. 11 lui fut notifié par 
l'intermédiaire de M. le général Meslin, membre du Corps 
Législatif, dans une lettre datée de Paris le 16 mat 1857, et 
signée: Roulland, Ministre de l'instruction publique et des 
cultes. (Note de rtditeur.) 

(3) Voir aux Annexes la note C. 




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NOTRE-DAME-DI?-VOEU. 


335 


18,000 fr. La ville n’eût sans doute pas consenti à cette 
nouvelle dépense et la fabrique ne pouvait officiellement la 
faire sans uoe autorisation d’emprunt. Ce moyen, à longs 
délais, devait compromettre la réalisation du nouveau projet. 
Aussi, dans sa mémorable séance du l* juillet 1855,1e 
conseil de fabrique de Notre-Dame-du-Vœu se porta indi¬ 
viduellement et solidairement caution des 18,000 fr. néces¬ 
saires à la nouvelle travée. Le conseil avait pris là l’initiative 
d’une de ces rares et généreuses décisions qui portent tou¬ 
jours d’heureux fruits. Peu après, sous l'habile direction 
de H. Geoffroy, architecte de la ville, on vit creuser, à une 
profondeur moyenne de 20 pieds, les fondations du 
transept et du chœur qui surgirent de terre comme par 
enchantement. Chacun pouvait en suivre les progrès quoti¬ 
diens et tous n'aspiraient qu’au moment de voir enfin tom¬ 
ber le mur de séparation derrière lequel le clergé trouvait 
une bien petite sacristie, mais dont la destruction simul¬ 
tanée devait bientôt montrer la nouvelle église dans tout 
son ensemble. Grâce à l’activité de M. l’architecte l’ap¬ 
proche do moment tant désiré ne se fit pas attendre. Un 
prédicateur éminent, le B. P. Lavigne, devait bientôt 
occuper la chaire de Notre-Dame-du-Vœu, où l’avait 
précédé, durant le mois de Marie 1857 (1), un autre ora¬ 
teur d’un remarquable talent, le R. P. Laporte, des Pè¬ 
res de la Miséricorde et licencié-ès-lettres. Son nom 
était encore dans toutes les bouches, lorsque parut en 
février 1858, le célèbre orateur. Ce fut un spectacle 

(1) Ce fut à la suite de celte station que se forma, sur la 
paroisse de Notre-Dame-du-Vœu, la réunion mensuelle des 
ouvriers, dont M. l’abbé Laisné, curé de Cherbourg, avait jeté 
les premières bases avant 1830. — Une partie des livres 
que cet ecclésiastique se plaisait à distribuer, nous a été remise 
à la même fin , par M. Terrier, mettre charpentier au 
port, membre de la Légion-d’Honneur. 

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334 


DE L'ÉGLISE 


touchant que ces masses de fidèles qui Tenaient chaque 
soir, silencieuses et recueillies, se presser près de la 
chaire sacrée pour y recueillir cette parole si profondément 
sympathique et devant laquelle, indistinctement, toutes les 
conditions demeuraient comme suspendues. Qui n'eût voulu 
indéfiniment en prolonger les échos? Hélas ! ils devaient 
finir le soir du douzième jour (16 février), au milieo d’un 
auditoire immense C’était à peine si la mosique du 42 e 
régiment do ligne pouvait trouver place dans l’un des 
bas côtés du chœur où, sur l’ordre du général Borel de 
Brétizel, commandant le département, elle était venue se 
ranger pour rehausser la pompe et Féclat do salut de clô¬ 
ture fait par Dom. Bernard, abbé de la Trappe de Bric- 
quebec. On était encore sous l’impression de la parole 
puissante qui venait de se faire entendre que toutes les voix 
fixaient le jour de la consécration de l’église et le retour 
prochain de l’orateur chrétien. 11 eût obéi sans des circons¬ 
tances imprévues qui retardèrent la cérémonie jusqu’au 8 
février. 

Dès le matin un fort détachement du 42* de ligne vint 
occuper la place sur laquelle nous avons vu s'élever la 
nouvelle basilique. A huit heures Mgr. de Coutances com¬ 
mença la cérémonie religieuse qui ne lut terminée qu’à une 
heure après midi. Cette cérémonie imposante eut lieu 
en présence de toutes les autorités civiles et militaires, 
dont le concours venait ajouter à l’éclat d’une fêle dans 
laquelle la religion avait à déployer ses plus magnifiques 
splendeurs. L’amiral Géhenne avait quitté son escadre eo 
rade de Cherbourg et était venu prendre place à côté de H. 
l’amiral Fabvre, préfet maritime. Les autorités occupaient 
le transept; mais elles se trouvèrent si nombreuses que 
l’on dut placer dans le chœur une partie des officiers de 
terre et de mer. Les musiques du 42* de ligne et du 


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NOTRE-DAME-DU-VOEU. 


335 


1 er régiment d’infanterie de marine, placées dans les deux 
chapelles firent entendre, tour à tour, les plus harraoftieu- 
ses symphonies; mais ce fut surtout au passages des reliques 
et pendant la consécration des colonnes de l’édifice qu’elles 
se firent remarquer par le choix d’une musique en rapport 
arec la fête. La Société S la -Cécile, sous la direction de M. 
J. Barrière, ne fut pas ladernièrc à prendre sa place au chant 
du chœur; mais quel éloge nouveau pour elle pourrions- 
nous lui adresser? Elle se surpassa elle-même pendant 
la messe qui fut dite par M. Le Pelley, curé de la S u -Tri- 
nité. Un clergé nombreux occupait le sanctuaire et les stalles 
du chœur. Avant la messe, U. l’abbé Gilbert, vicaire-général 
du diocèse, prononça un discours savamment écrit çt adapté 
à la circonstance. Le soir, à trois heures, un salut solennel 
fut donné par Mgr. Daniel, et au moment où S. G. sortait 
de l’église du Vœu on vit des mères présenter leurs petits 
enfants à la bénédiction pontificale. Le 8 février 1859 fut 
un beau jour pour la ville de Cherbourg, et ses habitants 
en garderont longtemps un souvenir plein de charmes. 

A peu d’intervalle, le 26 du même mois, survint un nou¬ 
veau sujet de pieuses émotions. Huit prêtres, appartenant 
aux missions étrangères, venaient s’embarquer à Cherbourg 
pour la Cochinchine. Avant leur départ, ces nouveaux apô¬ 
tres voulaient trouver un lieu de pèlerinage spécialement 
consacré à Marie. Il s’offrit naturellement dans la cha¬ 
pelle de la S^-Vierge à Notre-Damc-du-Vœu. Après y 
avoir les premiers célébré la messe,, on les entendit en ton- 
nerl 9 Ave maris Stella, et ne la quitter qu’après avoir fait 
trois fois un appel à l’Étoile de la mer, invocation tou¬ 
chante # qu’ils répétaient encore lorsqu’ils se rendaient, 
dans un canot de la marine impériale, à bord de la 
Julie, en partance pour la Cochinchine. On conserve, 
du côté droit de la petite chapelle, une plaque com- 


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556 


de l'église 


mémoralivc des noms et du passage de ces courageux mis¬ 
sionnaires. L’antique pèlerinage dont ils renouaient ainsi la 
tradition devait encore recevoir uue consécration nouvelle 
le SI octobre de la même année, deux jours après la béa¬ 
tification du B. Thomas Hélie, de Biville, qni eut lieu 
en présence des cinq évêques de la province ecclé¬ 
siastique de Normandie , de Mgr. <fÂulun, d’au moins 
300 prêtres et de 15,000 personnes. Mgr. de Bonne- 
chose, archevêque de Rouen, vint bénir la nouvelle sta¬ 
tue de Notrc-Dame-du-Vœu, due au ciseau»de M. Bonnet, 
de Rouen. On avait dressé deux trénes de chaque côté du 
chœur, un pour Mgr. l’archevêque, l’autre pour Mgr. de 
Coutanccs, et les deux prélats furent reconduits proccssion- 
nellcmcnt au presbytère après la cérémonie. Le 23 du même 
mois, en vertu du rescril suivant daté do Borne du31 mai de la 
même année, l’association de Notre-Dame-du-Vœu était 
déclarée en confrérie par le R. P. La Vigne, dont la voix 
éloquente s’était fait entendre ayant la fête. 

P1ÜS PP. IX. —Ad perpetuamrex memortam. Cum 
sicùl accepimus, in Ecclesia Parochiali N. D. dcVoto Givitatis 
Cæsaroburgensis Diœcesis Constantiensis una pia et devota 
otriusque sexus Christianorum fidelium Confralernitatis sub 
eodemtitulo N. D. de Votocanonicèerecla, seuerigendaexis- 
tat,cujusconfratresctConsororesquamplnrlma pietatis etcha- 
ritalis opéra exercere consuevcrinl,seu intendant, Nosut Con- 
fraternitashujusmodi majora in dies suscipiat incréments, de 
omnipotentis Dei roisericordié, ac BB. Pétri et Pauli Aposto- 
lorumcjusauctoritate cnnfisi, omnibusutriûsqucsexusChris- 
tianis fidelibns, qui dictam Confralernitatem in postcrùm 
ingredientur, die primo eorum ingressùs, si verè pœnitentes 
et confessi SSmûm Eucharistiæ Sacramentum sumpserint, 
Plenariam ; ac tàm dcscriptis, quam pro tempore describen- 
dis in dicté Confràtei nitate Confratribus et Consororibus in 


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NOTRE-DAME-MJ-VOEU. 


337 


cojuslibet eoram mortis articule», si verè quoque pœniten- 
tes et confessi, ac S. Commonione refecti, vel qualenus id 
facerc nequiverint, saltèm contrili Nomen Jcsu ore, si po- 
tuerint, sin minùs corde devotè invocavcrint, etiàm Plcna- 
riam : nec non eisdem nunc, et pro tempore oxistentibus 
dictæ Confralernitatis Confratribus et Gonsororibas eliam 
verc pœnitenlibns et confcssis, ac S. Commonione refectis, 
t qui ptôe Confralernitatis Ecclesiam, seu Cappcllam, vel ora- 
torinm die festo principali dictæ Confraternilalis per eosdem 
Contraires semèl tantùm eligendo etabOrdinarioapprobando 
à primis vesperis usquè ad occasura solis diei hujusmodi sin- 
gnlis annis devotè visitaverint, et ibi pro Cbristianorum 
Principom concordia, hæresûm exiirpalione, ac S. Mains 
Ecclesiæ exaltatione pias ad Doom preccs effuderint, Plena- 
riam simili ter omninm peccatornm soornm Indolgentiam 
et remissionem, misericorditer in domino concedimos. Insu¬ 
per dictis Confratribus et Consororibus corde saltèm contri- 
tis Ecclesiam, seu Capellam, vel Oratorium hujusmodi in 
quatuor aliisÂnni feriatis, vel non ferialis, seu Dominicisdie- 
bus per memoratos Contraires semèl tantùm eligendis, et 
ab eodem Ordinario approbandis, ut suprà visitantibus, et 
ibidemorantibus, quo die ptèrum id egerinl septemannos et 
totidem quadragenas : quotiès verô Missis et aliis divinis 
OflSciis in Ecclesià, seu Capellà, vel Oratorio hujusmodi pro 
tempore celebrandis, et recitandis, autquascomquc Procès- 
siones de licentia Ordinarii faciendas, Ssmûmque Eucharis- 
tiæ Sacramenlum tàm in Processionibus, quàm cum ad 
infirmos, aut alias quocumque et quomodocumquc pro 
tempore deferetur,comitati fuerint,vcl si iropediti, Campanæ 
ad id signo dato, semel Orationem Dominicain et salutatio- 
nem Angelicam dixerint, aut etiàm quinquies Orationem et 
Salutationem easdem pro Ànimabus defunctorum Confratrum 
et Consororum hujusmodi recitaverinl, aut quodeumque 


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338 


DE L'ÉGLISE 


aliud pietalis cl charilatis opus exercuerint, loties pro quo¬ 
libet ptârum operum cxercitio sexagiula dics de iujuDClis 
cis, scu aliùs quomodolibet debitis pœnitentiis iu formé Ec- 
clcsiœ consuetà relaxamus. Quas omnes et singulas Indul¬ 
gent! as peccatorum remissioncs, ac pœnitentiarum relaxa- 
tiones etiàm animabus Xlifidelium, quæ Deo iu charilatc 
conjunetæ ab hic luce migràverinl per modum suffragii 
applicari posse etiàm in Duô indulgemus. Prœseotibus per- 
petuis futuris temporibus valituris. Volumus autem, ut si 
alias dictis Confratribus et Consororibus præmissa peragenti- 
busaliquaalia Indulgentia similis perpétué, vel ad tempos non- 
dùm clapsumduratura concessa fuerit, ilia revocata sit, proul 
per præsentesapostolicâ auctoritale revocamus : utquèsidicta 
Confratcrnitas alicui Archiconfraternitati aggregata jàm sit, 
vel in poslcrùm aggregelur, aut quâvis alià ratione uniatur, 
vel etiàm quomodolibet insliluatur, priores, et quævis aliæ 
LitteræApostolicæ illis nullatenùssuffragcntur,scd ex iunceo 
ipso pariter nullæ siut. Dalum Romæ apud S. Petrum sub 
Annulo Piscatoris diè XXXI. Maji MDCCCL1X Poutificatus 
Noslri Anno Decimo tertio. Pro DnoCardinali Macchi J. B. 
Brancaleoni Castellani Substitutus. 

Quatuor dies designavimus ad lucrandam lndulgen- 
tiam 7 annorum et 7 quadragenarum, diem 8 frebruarii 
anniversarium dcdicationis hujus ecclesiæ, fer YI Compas- 
sionisB. M. V,diem 2 Julii Visitationiset diem 21 Novembris 
Præsentationis B. M. V. Constanliis, die 23 Jul. 1839. J. 
Gilbert, Vie. gén. Dictæ Gonfraternitatis feslum principale 
designavimus, Dominicain in quà celebratur solemoitas 
Nativitatis Beatæ Mariæ Virginis. Coustanliis, die 23 Julii 
1859. J. Gilbert, Vie. gén. 

Les statuts de cette nouvelle confrérie (1), approuvés 
(1) Statuts de la Confrérie . 

Art 1 er . — Le directeur de la confrérie est de droit M. le 
curé de Notrc-Dame-du-Vœu. 


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NOTRE-DAMB-DU-VOEU. 


339 


par Mgr. de Coutances le 9 octobre 1859, figurent 
pour l’instruction des fidèles , dans plusieurs cadres 
placés en l’église à côté de tant d’autres souve¬ 
nirs que possède Notre—Dame—du—Vœu. Ainsi on voit 
incrustée dans la muraille de l’une des chapelles du 
transept (côté droit) la pierre turoulaire de Léobin Le 
Filiastte, dernier abbé régulier de l'abbaye du Vœu. Cette 
pierre est bien conservée et offre avec netteté les traits 
et le costbme de cette abbé, mort en 1558. Il est re¬ 
grettable que l'épitaphe latine, relatée au Neustria pia et 
reproduite par M. de Berruyer (p. 115 de son Guide du 
Voyageur à Cherbourg) ne fasse plus partie de la pierre en 
question. L’église possède encore : 1° un charmant bas-relief 
en albâtre, provenant de l’abbaye du Vœu et représentant 

Art. 2. —Tout catholique de quelqu’âge, de quelque pays qu’il 
soit, peut être membre de la confrérie. 

Art. 3. — Pour en être membre, il suffit de faire inscrire ses 
nom et prénoms sur les registres de l’œuvre; les caries ou bil¬ 
lets d’agrégation sont signés par le directeur. 

Art. 4. — La seule obligation des associés, et encore cette 
obligation n'est pas sous peine de péché, est de réciter une fois 
par jour Y Ave Maria ou en français : Je vous salue Marie , avec 
l’invocation : Notre-Dame-du- Vœu priez pour nous . 

Art. tf. — La fête patronale de la confrérie est fixée au jour 
de la solennité de la Nativité de la Très Sainte-Vierge. 

Art. 6. — Les autres fêtes sont : les fêtes de la Très Sainte- 
Vierge, celles des Saints Anges Gardiens, de Saint Joseph, de 
Saint Jean l’Évangéliste, de Saint Augustin et de Saint Vincent- 
de-Paul, patrons secondaires. 

Art. 7. — Tous les premiers samedis du mois, une messe 
avec instruction, sera dite pourles associés qui voudront donner, 
chaque année, la somme de soixante centimes amortissable par 
on capital de six francs seulement. 

Art. 8. — Après la mort de chaque associé, sur la présenta¬ 
tion qui sera faite de sa carte ou billet d’agrégation, une messe 
basse, suivie du De profundis , sera dite à son intention. 


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340 


DE L'ÉGLISE 


l’impératrice Mathilde faisant creuser la terre près du petit 
ruisseau de Chantereyno pour y fonder une chapelle; 2* un 
calice donné par M. l’abbé Dorange, ancien vicaire à Cher¬ 
bourg, et consacré dans la chapelle royale par M. le comte 
de Quélcn, alors évêque de Samosate ; 3° un ornement brodé 
qui fut adressé à la chapelle du Vœu à titre de don parles 
duchesses d’Angouléme et de Berry (la pale a été faite en 
entier par la Reine Marie-Amélie, alors duchesse d’Orléans;) 
4° Une grande bannière retraçant l’événement qui donna 
lieu au vœu de Mathilde. Pour en perpétuer la mémoire on 
a fait frappe# une médaille, représentant l’impératrice Ma¬ 
thilde pendant la tempête, avec cette légende : Notre-Dame - 
du-Vœu priez pour nous ; Cherbourg 9 îîkS. Cette médaille 
porte au revers : Association de Véglise de Notre-Dame - 
du-Vœu de Cherbourg : Vimpératrice Anglo-Normande 
Mathilde , préservée du naufrage , fonde à Cherbourg un 
sanctuaire à Marie. 

Parmi les tableaux que possède l’église on remarque les 
suivants : 1° le vœu de l’impératrice Mathilde au milieu de 
la tempête, tableau peint et donné par Mademoiselle do 
Beaudrap en 4832 (1), puis lithographié en image avec 

(1) Voici la lettre qui fut adressée à cette occasion à Mademoi¬ 
selle Élisabeth de Beaudrap, à Sotteville (Manche). 

Cherbourg, 30 mars 1352. 

« Mademoiselle, vous avez bien voulu décorer l'église de 
» Notre-Dame-du-Vœu de Cherbourg d'un magnifique tableau 
» qui rappellera longtemps la distinction et la pieuse générosité 
w de votre talent. A l'occasion de ce bienfait, Mademoiselle, 
» notre église vous doit des remerclments en rapport avec sa 
» gratitude. Son conseil de fabrique, organe de ces sentiments, 
» est heureux de venir aujourd'hui, au nom de la paroisse en- 
» tière, vous offrir l'expression de sa vive et durable reconnais- 
» sance. 

» Agréez. Signé : L. de Pontaumont, président du conseil 
» de fabrique, et Poullain, curé. » 


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NOTRE-DAME-DU-VOEU. 


341 . 




légende et prière an verso (par Camus, éditeur, rue Cassette, 
n°20, Paris); 2° une assomption par M. Eugène Jennet, 
professeur de dessin au collège de Cherbourg; 3° le martyr de 
S*-Symphorien ; 4° un christ de l'école Flamande, donné en 
1814 parM. Le Chanteur, commissaire principal de la marine 
à Anvers; 5° un ex-voto, représentant la Sainte-Vierge, pro¬ 
venant de la chapelle de Malakoff à Sébastopol, et donné, 
comme souvenirde cette expédition glorieuse, parM. Sauvé, 
de Cherbourg, capitaine d'artillerie; 6° une belle copie de la 
Vierge de Murillo, du Musée de Paris, dont S. E. le Minis¬ 
tre de la marine fit envoi par sa lettre du 31 juillet 1858, 
ainsi conçue : 

Monsieur le curé, je vous annonce avec plaisir que M. le 
Ministre d'État a bien voulu, sur ma demande, ordonner l'en¬ 
voi à Cherbourg d'un tableau destiné à l'église de Notre- 
Dame-du Vœu. Ce tableau, exécuté par M. Boisselat, repré¬ 
sente l'immaculée Conception. Je suis heureux d'avoir pu 
ainsi contribuer à l'ornement d'un sanctuaire qui est l'objet 
d'une dévotion particulière de la part de l'excellente popu¬ 
lation maritime de Cherbourg. 

Becevez, etc., I/Amiral, Ministre de la marine, signé: 
Hamelin. 

Ce tableau, placé à droite dans l'une des chapelles du tran¬ 
sept, mérite de fixer l'attention des touristes qui ne peuvent 
plus quitter Cherbourg, sans faire une visite à Notre-Dame- 
du-Vœu (1). C'est à l'un de ces visiteurs d'élite que nous 
devons cette jolie page extraite de Y Écho de V Ardèche (mai 
1859). « J'ai pu, dit l'observateur attentif, visiter les immen- 
» ses conquêtes de la digue sur l'Océan, les travaux des bas- 

(1) Le Congrès scientifique de France, pendant sa XXVII* 
session qui eut lieu à Cherbourg, se rendit officiellement à 
Notre-Dame-du-Vœu le jeudi 6 septembre 1860, à 3 heures, 
pour visiter cette église qui fut l’objet de tous ses suffrages. 


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542 


DE L ÉGLISE 


» sins et la restauration des églises. Je veux vous donner 
a en quelques lignes les détails d'une réédification pleine de 
» goût et de science qu’un architecte de Cherbourg a su 
a faire comme un artiste du XII* siècle et qui pourrait être 
a un modèle pour nos industriels restaurateurs. Je veux par- 
a 1er de la nouvelle construction de Notre-Dame-du-Vœu. 
a Cette église est extrêmement remarquable par son élégance 
a et sa grande simplicité; son architecture est du style 
a secondaire (Roman du XII* siècle), la haute nef est déeo- 
a rée avec une simplicité qui dénote une parfaite connais- 
a sance de Fart chez l’architecte. Le régne végétal a seul 
a servi de base aux sculpteurs; que pourrait-on employer 
a de meilleur pour caractériser le style Roman-Normand? 
a Le chœur est meublé d’un autel en pierre, ayant à sa 
a base les grandes figures assises des prophètes et à son 
a retable les statues des douzes apôtres. Au centre s’élève 
a le tabernacle flanqué des Pères de l’Église et défendu à 
> sa face postérieure par deux anges armés. La porte du 
a tabernacle se compose d’un panneau sculpté représentant 
a le Christ bénissant, et aux quatre angles, les évangélistes 
a avec leurs attributs. La légende est : sic vos dilexi , le 
a tout en pierre. L’autel est recouvert de peinture à fresques 
a où l’or domine comme autrefois. Le chœur est dallé en 
a pierres émaillées d’Angleterre. Ce dallage ressemble à un 
a très riche lapis. La petite chapelle de la Yiergeest également 
a dallée en pierres émaillées ; son autel quoique simple, n’en 
a est pas moins très coquet. 11 est aussi en pierre et doré avec 
a goût. Il représente à sa partie basse les quatre personna- 
a ges de la famille de la Vierge : S l -Jean, S*-Joachim, S“- 
a Anne et S‘-Joseph. Les statues de la Vierge et do S l - 
a Augustin, patrons de l’ancienne abbaye du Vœu, sont 
a également peintes avec les couleurs comme au moyen-âge. 
» Ces deux statues sont celles qui figuraient autrefois dans 


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NOTRE-DAMB-DU-VOEU. 


345 


« lancienne chapelle. Plusieurs verrières remarquables dé- 
» corcnl aussi ce nouveau temple. La plus importante est 
b celle de la croisée du côté du transept, représentant la 
» Charité. L’Espérance doit, plus tard, figurer comme vis à 
b vis. On admire aussi celles des bas côtés du chœur repré- 
» sentant l’Annonciation , la Visitation, et, principale- 
b ment Sainte-Cécile donnée par la Société du même nom, 

» celle de la Vierge représentant l’immaculée Con- 
î ception, S‘-Jean-Baptis(e, S te -Marie-Madeleine. Disons 
» da reste que les vitraux ont été exécutés par M. Didron, 
s que les sculptures ont été faites par M. Bonnet, l’un des 
b principaux restaurateurs de l’église Saint-Ouen de Bouen, 
b et la peinture par M. Émile Lucas. Un tel choix devait 
b faire espérer un des résultats les plus satisfaisants, et 
» tout, du reste, est on ne peut plus harmonieux. Voilà donc 
b un tour de force et de science exécuté par un architecte 
b de province; voilà une restitution complète d’une œuvre 
b perdue qui a été récomposée selon la tradition orale du 
b pays et sans le secours des plans et dessins de l'ancienne 
b construction. On doit des reroeretments à tout homme 
b sérieux qui remonte ainsi jusqu’aux époques les plus 
b reculées pour nous reproduire à sept cents ans de distance 
b les chefs-d’œuvre si rares de l’époque romane et nous 
b félicitons, avec tous les amis de l'art, M. Geuffroy de son 
b éminent travail et de ses inspirations archéologiques. » 
Pour nous, en terminant cette imparfaite notice, nous 
dirons que les félicitations si nombreuses méritées par M. 
l'architecte de la ville ne pourront que s’accroitre encore, 
lorsqu’à l’aide de son brillant talent et du bienveillant con¬ 
cours de l’administration , il aura pu compléter la pen¬ 
sée civilisatrice de cette fondation ; prolonger l’église d’une 
travée, faire rayonner dans son périmètre le nombre voulu 
de chapelles; réédifier son portail, et sur les bas- 


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544 


de l'église 


côtés élever deux tours identiques dont le style fera sentira 
tout observateur la nécessité artistique d'asseoir un jour sur 
le transept un dôme qui puisse majestueusement couron¬ 
ner la basilique si bien commencée (1). 

Au moment où ces dernières pages sortaient de la presse, 
M mo Poullain, née de Budan Boislaureot, s'empressait de nous 
envoyer un petit monument, provenant de la succession de 
son beau-frère, M. Thomas-Henry Poullain, lieutenant de 
vaisseau, chevalier de la Légion-d’Honneur, ancien adjoint 
a 1^ mairie de Cherbourg, et neveu de M. l'abbé Démons 
C'était un petit fût de colonue, en pierre de Caen, élevé sur 
un socle carré, dont l'une des faces présente, gravée sur 
cuivre et surmontée d'une petite croix, l'inscription sui¬ 
vante: a Ce monument, sauvé comme par miracle, delà 
» fureur dévastatrice, provient des débris de la statue de 
a Nolre-Dame-du-Vœu; il fut recueilli dans les temps de 
a malheurs et depuis il a été offert à M. l'abbé Démons, (2) 
a dernier curé de Cherbourg, réparateur et chapelain tilu- 
a taire de la chapelle Notrc-Dame-du-Vœu, par son très 
a dévoue serviteur.a E. L. V. 

(1) Les dimensions de ce beau monument sont : 


Longueur de l’église. 61® 48« 

Largeur. 17 47 

Hauteur sous clef de voûte. 16 67 

Largeur des chapelles du transept. 7 90 

Profondeur. 6 66 

Transept. 29 21 


(2) Le tombeau de M. Démons est placé dans le cimetière de 
la Trappe de Bricquebec. Après sa démission de la cure de 
Cherbourg pour cause de santé, il eut pour successeur M. Laisné, 
curé de Saint-Saturnin d’Avranches, dont la mort à Cher¬ 
bourg fut un deuil pour toute la ville. M. l’abbé Briquet, curé 
de Saint-Sauveur-Lendelin, son successeur, se montra héritier 
fidèle des souvenirs de piété de M. Démons pour l’ancienoe 
chapelle de Notre Dame-du-Vœu. 


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NOTRE-D AME-DU* VOEU. 


345 


ANNEXES. 


Note A. — Voici une pièce inédite que nous avons trouvée 
daos les archives de l'ancienne chapelle de Notre-Dame-du-Vœu, 
et qui peut figurer à la suite des chartes citées. 

L’an 1769 le 25 e jour de mars à Cherbourg, furent présents 
les sieurs prieur et religieux, de Cherbourg de l’abbaye de 
Cherbourg ; et les confrères de la Société de la chapelle Notre- 
Dame-du-Vœu dudit lieu, lesquels dits confrères pour plus 
grande dévotion, ont jugé à propos d’augmenter douze messes à 
celles qu’ils onteydevant fait dire suivant leur accord avec les- 
dits sieurs prieur et religieui en datte du 28 e jour de mars 
1751; et pour cet effet se sont arrengés et accordez avec eux 
pour toutes les messes cy dessous expliquées, qu’ils y feront 
célébrer par chacun an. 

1° Qu’il sera chanté dans la sus-dite chapelle une grande 
messe tous les premiers dimanches du mois, et h la fin d’icelle 
sera aussy chanté le Libéra avec le Deprofundis pour le dernier 
mort de la Societté.2° Sera pareillement chanté chaque jour des 
cinq fêtes de la Vierge, une grande messe solcmnelle avec 
offrande, laquelle ne pourra être remise excepté celle de l’assomp- 
tion qui sera célébrée le dimanche de l’octave ; et on psalmodiera 
le Deprofundis. 3° Le jour de la Nativité (fête de ladite Societté), 
il sera chanté dans ladite chapelle à une heure précise, les 
vêpres, par un des sieurs prêtres et religieux. 4° Le jour de la 
fête des Trépassés il sera chanté une grande messe de Requiem 
pour tous les deffunts de ladite Societté, à la fin de laquelle le 
Libéra sera aussy chanté avec le Deprofundis. 5° Sera de plus 
dite tous les troisièmes dimanches de chaque mois, une messe 
basse, pour les vivans de ladite Societté. 6° Le landemain de 
toutes les fêtes de la Sainte-Vierge, sera dite une messe basse 
de Requiem pour les deffunts de ladite Societté, avec le Depro- 
fundis qui sera psalmodié. 7° Il sera chanté pour tous les 
vivants de ladite Societté quatre grandes messes dans les jours 
suivants, sçavoir : la première le lundy de Pâques, la deuxième 
le lundy de Pentecôte, la troisième le jour de tous les Saints, 
et la quatrième le landemain de Noël. 8° Seront aussy dites 


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34G 


DR L'ÉGLISE 


pour les vivants de ladite Socielié, trois messes basses, sçavoir: 
la première le jour de la Compassion de la Sainte-Vierge, la 
deuxième le jour de sa Visitation, et la troisième le jour de sa 
Présentation. 9° Seront pareillement dites cinq messes basses 
pour les trépassés de ladite Societlé, sçavoir : la première le 
lendemain de la Compassion de la Sainte-Vierge, la deuxième 
le lendemain de sa Visitation, la troisième le landemain de sa 
Présentation, la quatrième et la cinquième dans l’octavedes 
Trépassés, et à la (in de toutes lesdites messes tant des vivants 
que des morts, le Deprofundis sera psalmodié. Il sera payé pour 
toutes les messes cydessus marqués auxdits sieurs prieur et 
religieux, la somme de quarante livres le 25 e mars de chaque 
année. Bien entendu et demeuré constant entre lesdites parties, 
que par le présent accord, le payement desdits quarante livres 
par chacun an, pour toutes les messes cy-dessus, ne sera exigi¬ 
ble par lesdits sieurs prieurs et religieux, qu’autant qu”ils 
maintiendront les confrères de ladite Société dans la sus-dite 
chapelle, ou que lesdits confrères voudront s'y maintenir, ce 
que lesdites parties ont signé après lecture faite, les présents 
faisant pour les absens, et le présent fait double, ce dit jour et 
an susdit celuy cy pour lesdits confrères, approuvé un mot rayé 
de nulle valleur, et à la première page le mot, excepté en inter 
ligne bon. Nota. S'il arrive que Pasques ou la Pentecôte tombe 
le premier dimanche du mois, les messes qui sont marqués à 
l’article 7 seront remises au mardy étant d’usage de direlelundy 
celle du premier dimanche du mois ; de même si le jour de tous 
les saints tombe le dimanche l’on chantera l’autre messe le 
dimanche suivant. 

Lecture de rechef faitte, Hamel, prieur de Cherbourg, Tesson, 
sous-prieur. 


Note B«— Lettre de M. le curé de Notre-Dame-du-Vœu, datée 
du 7 janvier 1886, à Messieurs les membres du Conseil Muni¬ 
cipal de la ville de Cherbourg. 

Messieurs, Le dernier recensement de la ville de Cherbourg 
accusait déjà sur la paroisse de Notre-Dame-du-Vœu un chiffre 
de population d’environ 7000 âmes, desservie par un curé et 
deux vicaires seulement, c’est à dire, pièce en main, par le per¬ 
sonnel comparativement le plus faible des paroisses de la ville, 
comme du département et devant une terre en friche et des 


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NOTK E-DAME- D U - VOEU. 


347 


besoins si multipliés que, le plus souvent, je ne l avouerai pas 
sans peine, ils dépassent nos forces épuisées. En conséquence 
j’ai songé à un troisième vicaire. Malgré la pénurie de trente 
vicariats qui restent à pourvoir dans le diocèse ; mais tenant 
un compte tout particulier de la classe ouvrière si nombreuse et 
de tant de pauvres, vous le savez, Messieurs, qui abondent sur 
notre paroisse, Monseigneur a bien voulu répondre, à ma 
prière, que, du moment où, à défaut de la fabrique, la ville 
consentirait à fournir, ne fut-ce qu’à titre provisoire, le traite- 
tement de 600 francs accordé à chacun de MM. les vicaires, il 
s’empresserait de nous envoyer l’auxiliaire demandé. 

Je suis bien obligé, Messieurs, de vous confesser l’impuissance 
de notre fabrique, liée, déjà, comme on le sait, sous la respon¬ 
sabilité personnelle et solidaire de ses membres, par une somme de 
18,000f., à l’heureux agrandissement d’une église qui estàla ville 
maintenant. Renfermés donc dans les limites de la plus stricte 
nécessité, même pour les besoins du culte, à qui recourir pour 
le traitement du vicaire en question ? J’ai cru pouvoir élever la 
voix devant un conseil municipal si bien intentionné, et je ne 
pois attendre qu’avec une entière confiance, Messieurs, en 
faveur de la paroisse des pauvres, votre importante et heureuse 
décision. 

Daignez agréer,.Signé: Besnard. 


Note C. — La lettre suivante datée de Cherbourg du 30 no¬ 
vembre 1865, fut le point de départ de cette création. 

Le Maire de Cherbourg, chevalier de l’ordre Impérial de la 
Légion-d’honneur, à Mgr. l’évêque de Coutances. 

Monseigneur, daignez me permettre d’invoquer votre puis¬ 
sante intervention pour obtenir du gouvernement l’érection en 
cure de l’église succursale de N.-D.-du-V. ; de nombreuses et 
grandes considérations me paraissent militer en faveur de cette 
mesure. 

Cherbourg, vous le savez, Monseigneur, renferme une popu¬ 
lation de plus de 38,000 âmes et n’est encore en possession que 
d’une cure pour les quatre églises que la ville renferme ; trois 
sont d’érection récente. La plus importante et celle qui était évi¬ 
demment appelée à donner satisfaction aux besoins les plus 
vivement sentis, est sans contredit, Notre-Dame-du-Vœu» 
Cette église a élé élevée dans un quartier très populeux et plus 


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348 


DE L ÉGLISE 


particulièrement habité par les ouvriers ; sa circonscription 
renfermait une,population évaluée à 7,000 âmes, qui s’est con¬ 
sidérablement accrue par l’ouverture de rues nouvelles, et 
qu’accroîtra encore sun voisinage immédiat du débarcadère fin 
chemin de fer. D’un autre côté, Monseigneur, nous ne pouvons 
nous le dissimuler, c’est principalement dans cette circonscrip¬ 
tion que sont accumulées les plus grandes misères. Le clergé de 
Notre-Dame-du-Vœu s’acquitte, et c’est pour moi un devoir de 
reconnaissance de le proclamer hautement, de sa mission évan¬ 
gélique avec un zèle infatigable ; mais souvent son bon vouloir 
est impuissant devant les misères à soulager. Plus les ressour¬ 
ces dont il pourra disposer s’accroîtront, plus la part des pau¬ 
vres s accroîtra. Je le sais, le traitement d’un curé n’est pas 
considérablement plus élevé que celui d’un desservant ; mais 
enfin ce sera un supplément à ajouter au bien qui se fais déjà, 
et vous le savez mieux que moi, Monseigneur, le moyen de 
ramener souvent des malheureux à l'accomplissement des de¬ 
voirs religieux, c’est de commencer par les secours temporels. 
J’ose espérer, Monseigneur, que votre Grandeur daignera accueil¬ 
lir ma supplique qu’aucune autre ville de votre diocèse ne peut 
présenter entourée d’aussi puissants motifs. 

Agréez, etc., Signé : Ludé. 


Note D. — Voici la lettre que Madame la duchesse de Reg- 
gio écrivit, à l’occasion de cet envoi, à M. V. de Chantereyne, 
conseiller à la cour de Cassation et député de Cherbourg. 

Paris, le 24 mars 1821. 

Madame la duchesse de Berry n’avait pas besoin, Monsieur, 
de nouveaux témoignages d’amour et de dévouement de la part 
des habitants de Cherbourg, pour compter sur leurs bons sen¬ 
timents ; elle a cependant lu avec beaucoup d’intérét la lettre 
dans laquelle vous les lui retracez. Son Altesse Royale me char¬ 
ge d’avoir l’honneur de vous dire que vous pouvez, d’avance, 
annoncer aux ouvriers du port l’ornement qu’EUe leur a promis 
pour la chapelle du Vœu; Elle fera expédier cet ornement aus¬ 
sitôt qu'il sera terminé. La princesse en a fait une partie et 
n’attend pour l’envoyer que l’autre moitié à laquelle travail¬ 
lent des mains qui ont aussi des droits à nos bénédictions. 

Agréez, etc., La Maréchale duchesse de Reggio. 


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1608 . 

CHÂTEAU DE SCALLOWAY, 
files Shetland. ) 



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VISITE AU CHATEAU 

DE 

SCALLOWAY, 


Par H. >E BARMON, 

Membre de la Légion d'Honnear, Officier de l’ordre ottoman da Medjidié. 


Les navires de guerre français qui vont protéger leurs 
nationaux pendaut la pêche sur les côtes d'Islande, tou¬ 
chent, dans leur trajet, aux Shetland. Cette circonstance 
noos a fait visiter le vieux manoir de Scalloway, construit 
sur le Mainland, la plus étendue des quatre-vingt-six tles 
qui forment cet archipel. Resserrée à son milieu sous le 61* 
degré de latitude par les tles voisiues, ses côtes forment de 
nombreux hftvrcs. Lerwick s’élève à l’Est, sur la rive de l’un 
d’eux, et Scalloway dans l’Ouest. 

Cette partie du Mainland a toujours été importante. Les 
Pietés avaient un château fort près delà baie Waley; les 
Scandinaves un temple au dieu Thor sur Pilot du lac Thing- 
Walla, à moitié chemin des six milles qui séparent Lerwick 
de Scalloway. 

Ce dernier point était le plus important des tles dans le 
moyen-âge. On donne à son nom le dérivé de5ca/aeocanl. 
Cette importance a passé à Lerwick dont la baie est plus 
spacieuse. C’est sur cette rade que mouillent nos bâti¬ 
ments. 

23 


« 


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350 


VISITE AU CHATEAU 


Jacques III, roi d’Écosse, épousa Marguerite de Dane- 
marck. Le souverain danois, père de la princesse, déjà débi¬ 
teur d'une souuse de 53,000 florins, à raison de la pénurie 
de son trésor, donna les Orcades et les Shetland au roi 
d’Écosse pour éteindre sa dette et faire la dot de sa fille. Une 
des clauses de cet arrangement fut que les lois et les coutu¬ 
mes danoises seraient maintenues. 

En 1565 la reine Marie Stuart ériga en comté les Iles 
Shetland et en investit le fils naturel de Jacques Y, lord 
Robert Stuart. D’abord abbé d’Holyrood, ce comte, à la 
suite de l'introduction du culte presbytérien en Angleterre, 
eût à choisir entre la nouvelle doctrine et la perte de ses 
biens temporels. Son choix fut bientôt fait : il épousa Lady 
Jane Kennedy et légitima les enfants qu’il avait eus d’elle. 

Daus son gouvernement du comté des Shetland, Robert 
Stuart opprima les paisibles habitants et les soumit au plus 
dur vasselage. Les coutumes danoises solennellement oc¬ 
troyées furent abolies et le pays gémit sous les exactions. Le 
parlement d’Écosse, devant lequel les habitants avaient por¬ 
té plainte, fit saisir le coupable qui fut enfermé au château 
de Linlithgow. Après une captivité de six mois le gouver¬ 
neur fut relâché, mais sans pouvoir rentrer en ses domai¬ 
nes. 

Lorsque Jacques VI monta sur le trône d’Écosse Lord 
Robert persuada au jeune roi qu’il ne rêvait que le bon¬ 
heur de l’archipel des «Shetland et obtint du nouveau sou¬ 
verain d’étre réintégré dans son comté. U revint dans les 
Iles à la tête d’une force imposante et fit expier aux habi¬ 
tants ses six mois de détention. Daus le cours desa tyrannie, 
la mort vint le surprendre. Les insulaires saluèrent cet évé- 
menl comme le signal d’un ère de délivrance ; leur joie lut 
de courte durée. Patrick Stuart, successeur de son père, le 
dépassa bientôt dans ses mauvaises passions. Il doubla les 


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DK 8CALU)WAY. 


551 


(axes et inventa toutes sortes de prétextes pour en établir de 
nouvelles. Il fit entre autre un réglement portant défense à 
ses vassaux de secourir les navires en péril sur ses côtes. 

Le château de Scalloway fut construit par le comte, alors 
que sa main cruelle pesait sur le pays. Les paroisses des 
Shetland qui, jusques là, avaient payé leurs redevances en 
nature furent frappées d’un impôt extraordinaire en argent 
pour subvenir aux frais demandés par l’importation des 
matériaux. Les habitants furent de plus obligés de fournir 
des vivres aux ouvriers, ainsi que de nombreuses corvées. 
L’édifice fut achevé en peu de temps. Il se composait d’une 
tour quadrangulaire de 7 m. sur 6 m. 50 c. de côté, laquelle 
appuyait, par moitié, un bâtiment au Nord, long de 18 
mètres, large de 11, formant de cette manière six arêtes, 
chacune surmontées d’une tourelle. Au pied de la tour, 
dans l’angle S.-E., se trouve la porte d’entrée. Elle est 
ogivale, et présente les armes d’Écosse supportées par deux 
licornes et timbrées de la couronne particulière aux armes 
de ce pays. Au-dessus de l’écussion on lit ; 

Patricius Stevardus, Orcadiœ et Shetlandiœ cornes 
/. V. R. S. 

Cujus fundamen saxum est . Dom . ilia manebit 

Stabilis e contra . si sit arena périt. 

A. D. 1600. 

Cette porte d'entrée fermait à clé, chose rare aux Shet¬ 
land, et avait une serrure remarquable qui, dans laauite, est 
devenue proverbiale comme type de dimension et de 
solidité. 

Après l’inauguration du château, le curé de Northmarine, 
nommé Pitcairn, vint rendre ses devoirs au suzerain. Le 
.prêtre passait pour savant. Lord Patrick faisant les honneurs 
de son manoir se rappela que le curé était le seul, à raison 
de sa misère, à n’avoir point contribué à la construction de 


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352 


VISITE AU CHATEAU 


l’édifice; il voulut prélever un impôt sur son savoirel le chargea 
de composer une légende latine destinée à surmonter son 
écusson à la porte d’entrée. Le curé, aussi érudit que malin, 
composa l’inscription qu’on vient de lire et qui est tirée de 
Saint-Mathieu, ch.VII*, où il est dit : a Que ceux qui écou- 
» tent avec fruit la parole de Dieu ressemblent à l’homme 
a sage qui construit sa maison sur un rocher ; mais que 
a ceux qui entendent sans pratiquer sont des insensés 
a pareils à ceux qui bâtissent sur le sable, a 

Le comte, qui écoutait si mal les préceptes évangéliques, 
ne vil point l'allusion. Il comprit que sa maison serait solide 
parce qu’il avait eu la sagesse de la construire sur un 
rocher. 

Les meurtrières placées dans quatre petites ouvertures du 
rez-de-chaussée, et des mâchicoulis défendaient l'entrée. 
Ce rez-de-chaussée était divisé en deux pièces, l’une, la cui¬ 
sine, dont le foyer gigantesque, rappelle celle du château 
de Dirleton où les cheminées occupent la moitié d’un appar¬ 
tement demi-circulaire. Ici un four était ménagé près de la 
cheminée, dans l’épaisseur du mur. Un bel escalier voûté, 
terminé au premier étage, servait d’accession à un magni¬ 
fique appartement qui occupait tout le bâtiment. Le mur 
au Nord présente cinq embrasures : trois reçoivent le jour, 
les deux autres murées contenaient des objets précieux et la 
riche vaisselle du comte. Deux fenêtres ouvraient à l'Est. 

Une large cheminée meuble chaque pignon et une troi¬ 
sième garnit le centre de l’appartement vers le Sud. De cette 
salle un escalier, pratiqué dans une tourelle, reliait l'angle 
N.-E. aux étages supérieurs. Près de l’entrée, à l’opposé, un 
escalier ménagé dans l’épaisseur du mur établissait une nou¬ 
velle communication avecles appartements supérieurs. Trois 
grandes chambres composaient le second étage avec plusieurs 
tourelles et réduits éclairés dans l’épaisseur des murs. Les 


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DE SCALLOWAY. 


355 


mansardes et combles se composaient de dix cabinets dont 
nenf s’ouvraient sur les tourelles. La construction de celte ré¬ 
sidence quoique simple, n’était pas sans élégance; les mansar¬ 
des élevées, les nombreuses tourelles, les hautes cheminées 
loi donnaient une silhouette seigneuriale. Les ouvertures 
étaient étroites comme elles le sont toujours dans un pays 
froid. Le grand nombre de foyers établis à tous les étages 
indiquait assez les mesures prises contre la rigueur du cli- 
mâl. 

Pratrick Stuart, si fier de son castel, ne put en jouir long¬ 
temps. Ses exactions soulevèrent un immense cris de dou¬ 
leur. Traduit devant le parlement d’Écosse, en 1608, sous 
l'accusation de félonie et de rapines, il fut condamné à la 
prison, comme l’avait été son père, et enfermé au château 
deDumbar (1). La tradition orale lui attribue des crimes 
qui avaient jeté la désolation et le déshonneur dans un 
grand nombre de familles. 

Le comte Patrick apprit, du fond de sa prison, 
que Jacques Stuart était nommé fermier général et gouver¬ 
neur des Shetland. Exaspéré de l’élévation de son cousin, 

Patrick ourdit un complot pour reconquérir les lies au 

• 

(1) Ce château de Dumbar, alors prison d’État, était voisin 
du golfe de Leith, sur la côte orientale d’Écosse. Ces fondations 
bizares reposaient sur des rochers toujours baignés par la mer 
du Nord. Sur des voûtes hardies construites pour les relier 
étaient élevés des bâtiments considérables dont les ruines sur¬ 
prennent encore. On voyait en ce château un meuble précieux 
parce qu’il avait servi au roi Duncan dont les écossais gardent un 
eher souvenir. Alors les manoirs ou résidences féodales étaient 
peu étendues. La salle à manger servait souvent de salon de 
réception ; les lits avaient plusieurs étages ; un meuble servait' 
à plusieurs fins. Ainsi le trône de chêne du bon roi Duncan avait 
un double emploi ; son large dossier, orné de sculptures, retom¬ 
bait, par un mécanisme fort simple, sur les bras du fauteuil et 
formait une table lustrée comme l’ébène. 


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354 


VISITE AU CHATEAU 


moyen d’une guerre civile allumée en Écosse. Il plaça 
Robert, son fils naturel, à la tête de la révolte. Le complot 
eut un commencement d'exécution, mais Robert arrêté à 
temps périt sur l’échafaud. Patrick, convaincu d’avoir été 
l’instigateur, fut décapité à Edimbourg. 

Ainsi s’éteignit cette branche dégénérée d’une famille 
souveraine, rameau parasite qui, oubliant sa noble mission, 
n’utilisa son pouvoir que pour faire le malheur des peuples 
dont le bien-être devait être le premier devoir. 

On le voit, la prédiction du curé de Northmarine se 
réalisa promptement. Après la mort du tyran le château 
commença à tomber en ruine ; toutefois sa construction 
était si solide que ses murs semblent encore, pour ainsi dire, 
résister à la puissante main du temps. Ne serait-ce point 
pour montrer aux générations qui se succèdent le châti¬ 
ment de ceux qui dédaignent le précepte de l’évangile ins¬ 
crit sur la porte du château de Scalloway? 

La famille Dundas comprend aujourd'hui pour mémoire 
dans l’inventaire de ses domaines les ruines du vieux ma¬ 
noir de Mainland. Les voyageurs qui parcourent les Shet¬ 
land visitent toujours ces ruines qui contrastent avec 
les simples maisonnettes assises près de ses débris. Les 
murs démantelés qui reposent sur un terrain noir et tour¬ 
beux, privé d'arbres, veuf de verdure, ont un aspect qui 
glace le coeur. Nous avons visité ces ruines en joyeuse com¬ 
pagnie, par un beau jour, après une traversée assez pénible 
pour rendre une promenade champêtre doublement 
agréable. 

Si nous étions heureux de voir un site nouveau, de fou¬ 
ler une terre nouvelle, de faire connaissance avec les Shet- 
landais aux mœurs si patriarcales, cependant, il ne noos 
est resté de ce séjour qu’un souvenir de tristesse, né de 
ce sol qui a été le théâtre de l’oppression et de la souf¬ 
france. 


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DK SCALLOWAY. 


355 


Noos n’avons point eu la pensée en faisant la description 
do château de Scalloway d'appeler l'attention sur son fon¬ 
dateur; mais plutôt de montrer qu'elles étaient en général 
les constructions de cette sorte dans les Orcades et le Nord 
de l'Ecosse au commencement du XVII e siècle. Le comte 
Patrick avait suivi le goût de l'époque. Alors les résidences 
suzeraines joignaient Féléganceà la force défensive. En celle 
qoi nous occupe, le rez-de-chaussée, entièrement voûté, ne 
pouvait être détruit par le feu, et même, surpris par des 
assaillants, le premier étage pouvait encore se défendre. La 
‘ grande salle à manger, avec ses vastes cheminées, attestait 
l'habitude des châtelains de vivre en nombreuse compagnie. 

Noos avons pensé que la description de ces ruines inté¬ 
resserait ceux qui étudient les mœurs du passé par l'archi¬ 
tecture d'une époque qui n'a laissé aux Shetland que cette 
sente construction. 


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QUINZE JOURS 

A 

ROME 

bn 1853, 

Par U. l’abbé A. LEMT, 

Aumônier de la Marine impériale, Membre de la Société Académique de Cberboarg. 


Borne est le grand nom de l'histoire. Ce n’est pas seule¬ 
ment la ville des conquêtes et de la domination universelle; 
c’est la patrie des grands hommes, le foyer du génie, le 
centre des beaux arts, la réunion de toutes les gloires. C’est 
la ville des temps anciens et des temps modernes, la reine 
des cités. Son sol est sacré : c’est la ville sainte, la ville 
éternelle. 

Il me serait difficile de dire l’émotion profonde qui péné¬ 
tra mon âme, lorsque, arrivant par la route de Florence et 
traversant les belles plaines de YAgro romano , j’aperçus 
enfin, du sommet d’une éminence et par nn brillant soleil de 
juin, une vaste agglomération d’édifices et de nombreuses 
coupoles qne dominait comme un géant une coupole plus 
majestueuse que toutes les autres : c’était Borne et Saint- 
Pierre. 

L’émotion ne fait que s’accroître à mesure que l’on appro¬ 
che de la grande cité. Il semble qu’on va voir apparaître 
les fiers enfants de Bomulus, de Brutus et des Césars, 
debout à cété des Pontifes et des martyrs de la foi. 


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A ROME. 


557 


Dès qu'on a franchi la porte et pénétré dans l'intérieur 
de la ville, on entrevoit facilement et l'observation démon¬ 
tre que Borne est une ville à part, unique en son genre* Elle 
est, de toutes les cités du monde, la plus riche en monu¬ 
ments de tous les âges; mais elle cède à d'autres le premier 
rang pour l’élégance et l’animation, l’industrie et le com¬ 
merce. Majestueuse comme une reine sur son trône, mais 
triste aussi comme une mère encore en deuil d'un fils qui 
faisait son orgueil et la couvrait de gloire, elle est belle et 
noble toujours; mais elle n’a plus les grâces de la jeunesse 
et le sourire de la gaieté. 

Non seulement le vaste quartier des ruines est pénible à 
voir, mais la nouvelle ville laisse souvent elle-même à dési¬ 
rer pour l'agrément, la propreté et la perspective. Ainsi il 
n'est pas rare de rencontrer des monuments, même ceux du 
premier ordre, comme S*. Pierre, le Vatican, le Capitole, 
masqués en partie, ou même flanqués de constructions mes¬ 
quines qui les défigurent. Malheureusement les ressources 
financières de l'état pontifical suffisent à peine à l’entretien 
de tous ces monuments et ne permettent pas de grandes me¬ 
sures d’embellissement général. 

Borne est entourée de hautes murailles. Son enceinte, im¬ 
mense pour une population de 160,000 Ames, renferme 
encore les sept fameuses collines de l'ancienne Borne. Mais 
deux seulement (le mont Quirinal et le mont Capitolin), sont 
habitées aujourd’hui. Les cinq autres sont jonchées de rui¬ 
nes. La ville est assise sur les bords du Tibre, qui la coupe 
en deux parties inégales, et qui roule des eaux jaunâtres, 
peu limpides et profondément encaissées, dans un lit sinueux, 
dont les rives sont négligées et dépourvues de quais. 

Le plus remarquable des quatre ponts qui établissent la 
communication entre les deux rives fut construit par l’em¬ 
pereur Adrien au milieu du II e siècle. Il estotné de dixbel- 


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358 


QUINZE JOOBS 


les statues de marbre. Le piédestal de l’uue de ces statues 
porte l’empreinte d’un boulet. C’est, dit-on, le seul objet 
d'art que les batteries françaises aient atteint en 1849. 

Le corps d’armée d’Oudinot trop faible pour investir la 
place, concentra ses efforts sur le Tramtmtere (rive droite du 
Tibre). La villa Pamfili Doria, principal théâtre de nos 
combats avec la troupe de Garibatdi, vit succomber beau¬ 
coup de soldats français. Le prince Doria y a érigé, en l’hon¬ 
neur de ces braves, un fort beau monument funèbre en 
marbre blanc, sur lequel on lit leurs noms gravés en lettres 
d’or. 

Les rues de Rome, remarquables par la beauté de leur 
pavé, mais surtout par le nombre et la magnificence des 
hôtels, des palais que l’on y rencontre à chaque pas, sont 
trop étroites. La plus grande de toutes et la plus animée, le 
Corso, qui présente en ligne droite au moins deux kilomètres 
de longueur, et qui est si renommé pour ses courses de che¬ 
vaux et pour la splendeur de ses édifices, n’est pas exempt 
de ce défaut des rues anciennement bâties et ressemble à nos 
rues de moyenne largeur. 

On n’y compte pas moins de cent quarante places, dont la 
plupart sont également peu spacieuses. Maison grand nom¬ 
bre sont distinguées par les palais qui lesentourent et par 
des fontaines déücieoses; beancoop par nne haute cohnme 
de marbre, on par an obélisque égyptien, enrichi dTiiérogly- 
phes. Ces obélisques sont répandus avec profusion dans tous 
les’quartiers, an eentre des places, au-dessus SP élégantes 
fontaines et jusque sur le dos d’nn éléphant. 

On doit citer parmi les places les pins remarquables: t* 
la place S*-Pierre ; 2* la place dn Peuple, d’où l’ceil plonge à 
la fois dans les trois plus belles rues de la viltte, et qui est 
dominée par le mont Pineio dont Napoléon I* fit le jardin 
public et la pins agréable promenade de Rome; 3 e la place 


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A ROME. 


389 


Colonne, qui lire son nom de la colonne d’Anlonin, en 
marbre, hante de 80 mètres, dont elle est ornée ; 4* la place 
dn MonU-Camllo, où l’on admire on chef-d’œuvre du 
ciseau grec, les deux chevaux connus sous le nom de che¬ 
vaux de Phidias et de Praxitèle; 8* enfin la place Navone, la 
pins vaste de tootes, décorée de trois fontaines du meilleur 
goAt, dont les abondantes eaux transforment la place en un 
beau lac aux époques des fêtes populaires. 

Malgré l’agréable et riche aspect de ces places modernes, 
l’étranger donne souvent la préférence aux places, aux édi¬ 
fices et même aux raines de l’antique Borne, 

Voyez le Forum de Trajan. Ce n’est plus une place; vous 
n'apercevez que des chapiteaux couchés à terre, des rangs 
entiers de colonnes brisées. Mais ce sont les illostres débris 
de cette magnifique basilique, de cette académie célèbre où 
l’empereur Trajan aimait à réunir les savants. Il ne reste 
plus debout que la merveilleuse colonne en marbre blanc, 
qui porte son nom, et dont les bas-reliefs représentent jus¬ 
qu’à 2,500personnages et une infiniléde machines de guerre, 
de trophées, etc. CPèst le monument le plus parfait que nous 
ait légué le génie de Borne. 

Do peu plus loin, on monte au Capitole. Ici, que de sou¬ 
venirs! Mais hélas! il n’y a plus que des souvenirs. Vous 
cherchez en vain cette citadelle d'où Manlius repoussait l’au¬ 
dacieux Gaulois, ce sénat où Cynées voyait siéger une 
assemblée de rois, ce temple où Scipion et César venaient 
déposer sur l'autel de Jupiter les lauriers de la victoire : le 
temps n’a pas laissé subsister même une raine de ces mo¬ 
numents des anciens âges. 

Mais les statues et les bustes des dieux et des grands 
hommes de Borne antique se sont donné rendez-vous 
dans les vastes galeries du moderne Capitole. Le musée du 
Campidoglio est l’un des plus riches du monde; il est le 


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360 


QUINZE JOURS 


premier pour les antiquités romaines. Parmi les chefs-d'œu¬ 
vre entassés dans les nombreuses salles de ce musée, les 
connaisseurs admirent particulièrement un enfant qui joue 
avec le masque de Silène, et qui passe pour le plus beau 
morceau de sculpture en ce genre fourni par l'antiquité ; 
la Vénus du Capitole ; le statue du Gladiateur mourant. 

La place du Capitole possède aussi une remarquable 
statue équestre en bronze doré de Marc-Aurèle, la seule de 
cette espèce que Rome ait conservée jusqu'à nos jours. 

A quelque pas de là, on montre la Roche Tarpéienne. 
Elle répond mal à sa célébrité. C’est un petit quar¬ 
tier de roche qui, sans doute par suite de l'exhaussement du 
sol qui l'entoure, n'a pas aujourd'hui plus de quinze mètres 
d’élévation. 

Mais voici le Forum ! C'est donc ici que Cicéron fou¬ 
droyait les ennemis de la patrie ! C'est d'ici que le peuple- 
roi, le plus puissant des peuples qui ont foulé cette terre, 
brisait le sceptre des plus fiers monarques et donnait des lois 
au monde ! 

Le Forum est un rectangle moitié plus long que large. 
On le trouve d’abord peu spacieux et il semble que le grand 
peuple, convoqué pour y traiter les affaires de l'univers 
entier, devait y être à l'étroit. Mais il était rehaussé, 
agrandi par des temples et de beaux portiques qui l'entou¬ 
raient presque entièrement et dont on ne voit plus que des 
débris. 

Tous ces monuments sont tombés sous les coups des bar¬ 
bares du V e siècle et surtout, dans le XI e siècle, sous la 
torche incendiaire des Normands de Robert-Guiscard, fils 
de Tancrède. 

Mais quelle est cette ruine grandiose que la Voie sacrée 
met en communication avec le Forum et le Capitole? C'est 
l’amphithéâtre de Flavius Vespasien, le Colysée, Colosseo. Ce 


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A ROME. 


361 


monument, de forme ovale, avait trois étages, 50 mètres de 
hauteur, 550 de circonférence, et retentissait autrefois des 
acclamations de 100,000 spectateurs. C’était l'un des chefs- 
d’œuvre de l’architecture romaine. Ajourd’hui ce n’est plus 
qu’un immense squelette. On est saisi d’un profond senti¬ 
ment de tristesse, quand on foule cette arène, où le sang 
des gladiateurs et des martyrs coulait par flots, pour charmer 
les loisirs du peuple-roi, qui se contentait volontiers de pain, 
pourvu qu’il jouît des plaisirs du cirque, Panem etcircenses. 
Quelles mœurs! Les dames romaines voulaient applaudir 
quand la dent du lion et la griffe du tigre déchiraient les 
chairs des hommes, quelquefois même des femmes' ou des 
jeunes filles, qui leur étaient jetées en pâture. Les places 
d’honneur étaient réservées aux magistrats, aux prêtres des 
dieux, aux vestales, et le généreux Titus qui s’affligeait, un jour 
qu'il n’avait pas eu l’ocoasion de (aire du bien, fit couler le 
sang de 2,000 gladiateurs dans les cent jours de fêtes qui 
inaugurèrent l’amphithéâtre. 

Une croix de bois s’élève aujourd’hui au milieu du Coly- 
sée. en signé d’expiation et comme le symbole du triomphe 
de nos principes d’humanité et de charité sur ceux de la force 
brutale et de la barbarie des anciens peuples. 

Au-delà du Golysée s’étend la vaste région des ruines. 
Le mont Celio présente plusieurs tronçons d’arceaux de 
l'ancienne poissonnerie romaine et les restes du Vivarium , 
où l’on renfermait les bêtes destinées aux jeux du cirque, 
et sous lequel des grottes, que l’on voit encore, étaient ré¬ 
servées aux condamnés. 

Le mont Palatin, qui fut habité par Romulus, Auguste, 
Néron dont l’immense palais était orné de 300 colonnes et 
s’appelait Maison d’or, offre encore de belles ruines des 
palais impériaux. 

Mais les ruines qui produisent, après le Golysée, l’effet le 


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362 


QUINZE JOURS 


plus imposant, sont les Thermes de Dioclétien et de Cara- 
calla. Les Thermes de Dioclétien avaient une circonférence 
de 1400 métrés et pouvaient, dit Oljmpiodore, contenir à la 
fois jusqu’à 3,200 baigneurs. Ceux de Caracalla, inférieurs 
en étendue, étaient supérieurs en magnificence. On en a 
extrait à diverses époques des richesses artistiques en grand 
nombre et du plus haut mérite. On sait du reste que les 
thermes n'étaient pas exclusivement consacrés aux bains. 
C’étaient des lieux de réunion générale et de réjouissances de 
diverses sortes, des palais somptueux enrichis de tout le luxe 
de la mosaïque, de la peinture, de la sculpture, et dans les¬ 
quels la toute puissance des empereurs et le génie des artis¬ 
tes s’appliquaient à concentrer tout ce qui pouvait servir 
au plaisir des yeux, aux exercices du corps et aux délasse¬ 
ments de l’esprit. 

A part ces ruines, dont plusieurs parties sont encore dans 
un état surprenant de conservation, et quelques débris 
remarquables d’anciens monuments que l’on trouve semés 
çà et là et abandonnés aux ravages du temps, on parcourt 
nvcc tristesse ces campagnes désolées, cette solitude sans fin, 
dans l’enceinte même d’une grande cité et sur un sol autre¬ 
fois foulé par plus d’un million d’hommes. L’esprit et les 
jeux finissent par se fatiguer de ne rencontrer presque par¬ 
tout que des restes informes et sans nom. 

Rentrons donc dans la ville moderne, pour y visiter le 
reste des monuments antiques qu’elle renferme. L’un des 
plus aneiens, la Prison Mamertine, remonte au quatrième 
roi de Rome. Cette prison, construite en pierres volcaniques 
et sans ciment, est fort peu importante en elle-même, mais 
elle est célébré par la mort de Jagurtha, le supplice des com¬ 
plices de Catilina, et surtout par l’emprisonnement de S 1 - 
Pierre. Les fidèles de Rome ont ce lieu en grande vénéra¬ 
tion, et l’étranger ne manque pas d’y descendre pour visiter 


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A ROME. 


363 


la colonne où l’apûtre fat attaché et la source qu'il fit 
miraculeusement jaillir pour baptiser ses geôliers convertis. 

Parmi les arcs-de-triomphe élevés en rhonoear des 
empereurs, il en est trois qui méritent de fixer l'attention. 
Ce sont: Tare de Titus, remarquable par la belle exécution 
de ses bas-reliefs; celui de Septime-Sévère, où se manifeste 
déjà la décadence de l'art ; enfin l’aro-de-triomphe de Cons¬ 
tantin, supérieur à tous les autres par la grandeur de ses 
dimensions, la beauté de ses formes et son excellent état 
de conservation. 

Les temples anciens sont presque tous en ruines. Ils 
étaient généralement peu spacieux et n'admettaient guère 
dans leur enceinte que les sacrificateurs et les principaux 
personnages de l'État. Les débris des 12 ou 15 temples 
païens que l'on voit encore prouvent que plusieurs étaient 
d'une grande beauté. Aujourd'hui, ce qui attire surtout les 
regards, ce sont les vingt colonnes de marbre de Paros et 
d’ordre corinthien, qui forment l’élégant portique circulaire 
du temple de Vesta. 

Un seul temple de l'antique Borne est à peu près intact ; 
c’est le Panthéon, autrefois dédié à tous les Dieux, aujour¬ 
d’hui consacré au culte de tous les saints. C'est sans doute 
le plus ancien des temples du monde bien conservés jusqu’à 
nos jours. Il a près de 19 siècles d’existence; il fut bâti par 
Agrippa, 26 ans avant l’ère chrétienne. Le riche fronton et 
les belles colonnes de son péristyle sont admirables de pu¬ 
reté et d’harmonie. La rotonde, quoique dépouillée de ses 
marbres et de ses bronzes, captive l’attention par sa majesté 
sévère. Ses murailles ont 6 mètres d’épaisseur ; sa hauteur 
sous voûte, égale à son diamètre intérieur, est de 44 mètres. 
Le sommet de cette voûte a une large ouverture circulaire, 
la seule qui laisse pénétrer la lumière. Elle donne également 
libre passage à l’air et à la pluie qui sc perd sous les dalles 


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QUINZE JOURS 


do temple. C'est au Panthéon que Raphaël voulut avoir son 
tombeau, sur lequel un cardinal fit graver cette épitaphe : 

Jlle hic est Raphaël, timuit quo sospite vinci 
Rerum magna parens, et moriente mort . 

Rome a perdu la trace de presque tous ses grands hom¬ 
mes, même de ceux qui moururent dans son sein. Aucun 
monument funèbre ne rappelle ses anciens rois. La répu¬ 
blique et l'empire ne sont représentés que par trois grands 
noms historiques; par deux femmes, dont l'une Cécilia 
Métella, épouse de Crassus, a un très beau mausolée de 
forme circulaire; enfin par quelques romains plus riches d'or 
que de gloire, tels que Caïus Cestius, dont l'énorme pyra¬ 
mide sépulcrale, de formequadrangulaire, toute entière revê¬ 
tue de marbre, n'a pas moins de 40 mètres d’élévation sur 
30 mètres de largeur à sa base. 

Le mausolée d’Auguste est tombé en ruines ; son ancien 
salon central est transformé en salle de jeux et en amphi¬ 
théâtre. 

Le plus remarquable des mausolées de Rome est celui 
d'Adrien, vaste tour dont les romains firent une citadelle 
dès l’époque de l'invasion des Goths, et qui porte aujour¬ 
d'hui le nom de Château S‘-Angc. 

Le plus triste à voir est celui desScipions. On est cepen¬ 
dant heureux, dans ce souterrain étroit et sombre, humide 
et froid, de se trouver si près de cette famille de héros. La 
première inscription qui se présente est celle de Publias 
Cornélius Scipion, le vainqueur d'Annibal. 

Assez près de ce tombeau, qui ne fut découvert qu'à la fin 
du siècle dernier, entre la voie appienne et la voie latine, 
on descend dans le Columbarium, chambre sépulcrale des 
affranchis de Livic. Là des cases ou niches, toutes avec 
voûte cintrée et d'égale dimension (50 centimètres de lar¬ 
geur, 40 de hauteur, 50 de profondeur) sont unies entre 


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A ROME. 


365 


ellesau nombre de plusieurs centaines et disposées par grou¬ 
pes avec une régularité parfaite. Chacune de ces niches ren¬ 
ferme des cendres. Plusieurs ontencoreune inscription, une 
orne et une petite lampe en terre cuite. 

Cette chambre sépulcrale est curieuse ; mais combien les 
catacombes sont dignes d’un pins haut intérêt ! On sait que 
c’étaient d’abord de simples carrières de pouzzolane exploit 
técs pour les conslructioos romaines. Plus tard ces excavations, 
agrandies par les chrétiens, formèrent de vastes salles sou¬ 
terraines et se prolongèrent dans diverses directions, quel¬ 
quefois même à plusieurs lieues de distance. C’est là que 
les fidèles des premiers siècles se réfugiaient pour se sous¬ 
traire à la persécution, célébraient les saints mystères et dé¬ 
posaient leurs martyrs dans des niches pratiquées dans les 
parois des galeries. Outre les corps des martyrs, on y a trouvé 
des objets précieux en bronze et en fer, des instruments do 
supplice, de petites cuillers pour la communion des fidèles, 
etc. De nombreuses recherches ont été faites jusqu’ici dans 
les catacombes; mais il en reste encore plus à faire, si, 
comme on le pense communément, elles ont reçu les corps 
de 150,000 martyrs. ' 

Lorsque Constantin monta sur le trône, les chrétiens quit¬ 
tèrent les catacombes pour les églises. 

Rome compte aujourd’hui 360 églises ou chapelles; et, 
chose digne de remarque, pas un de ces monuments n’est de 
style ogival. Ce genre d’architecture, qui a doté de si nom¬ 
breux chefs-d’œuvre la Belgique et l’Espagne, le nord et 
l’ouest de la France, est presque inconnu dans le midi de 
cette même France et dans toute Tltalic. 

Les églises de Rome sont en général de style romano- 
byzanlin. Ce style plus massif et moins élancé que le style 
ogival ou gothique, moins pieux peut-être, mais non moins 
riche, n’admet que la ligne droite et le plein-cintre ; il 

2t 


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366 


QUINZE JOURS 


emploie des colonnes et le plas souvent des piliers pour 
soutenir les voûtes ou des plafonds sculptés ; il rejette les 
clochetons et les flèches, et fait peu usage de tours; mais 
il réclame les dûmes ou coupoles* Aussi en voit-on partout 
à Rome. 

La France y possède trois églises, qu'elle fait desservir 
par des prêtres français. C'est à Saint-Louis-des-Français 
que notre ambassadeur, le général en chef du corps d'occu¬ 
pation, l’état major et une partie des troupes se rendent le 
dimanche pour entendre la messe. 

Tous les offices ne se célèbrent pas à Rome comme en 
France. Les grandes chaleurs ne permettant pas aux fidèles 
de se réunir dans les temples au milieu du jour, on n'y chan¬ 
te pas ordinairement les vêpres ; souvent même il n y pas 
de grand'messe, mais seulement des messes basses. C'est 
l'office du soir, le salut, qui est généralement célébré avec le 
plus de pompe. 

La plupart des églises sont très ornées à l'intérieur, et 
dans un assez grand nombre, à part les fenêtres qui sont 
toujours simples et sans vitraux, il n'y a pas un point des 
piliers ou des murailles, des voûtes ou du pavé qui ne soit 
rovétu de marbre, de mosaïques, de tableaux ou de sculptu¬ 
res chargées d’or. 

Il est-rare de rencontrer une église, une chapelle, qui ne 
soit pas enrichie de quelques tableaux ou statues des grands 
maîtres, de reliques ou de pierres très-précieuses. 

L'église S u -Croix possède les plus précieuses reliques de 
la passion du Sauveur : une longue épine de la sainte-cou¬ 
ronne, l’un des clous du crucifiement, une portion considé¬ 
rable de la vraie croix et le titre même de celte croix, sur 
lequel on peut lire encore le mot Nazarenus. Le temps a 
effacé les inscriptions hébraïqne et grecque. Les belles égli¬ 
ses de Jésus, de S te -Marie-du-Peuple, de S l# -Marie-de-la- 


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A ROME. . 


367 


Victoire, de S l -Pierre in-vincoli, de S*-André della-valle, 
des S u -Apôtres, de S‘-Augustin, de S c -Grégoire, etc., pos¬ 
sèdent un nombre considérable de peintures et de sculptures 
du premier ordre. Dans Tune, on admire les meilleurs 
tableaux de Lanfranc et du Dominiquin ; dans une autre, 
les deux fresques qui ont pour sujet la flagellation et le 
martyre de S l -André, qui furent le résultat du défi que 
se portèrent le Guide et le Dominiquin, compositions entre 
lesquelles les connaisseurs n'ont pas osé porter un juge¬ 
ment ; ailleurs la belle fresque de Raphaël, représentant le 
prophète Isaïe. D’un autre côté, le groupe de Jonas assis 
sur la baleine, la statue de S^-Thérèse en extase, par Ber- 
nini, le tombeau de Clément XIV, par Canova, et avant 
tout peut-être la fameuse statue de Moyse, par Michel- 
Ange, jouissent d'une célébrité non moins méritée. 

C’est surtout dans les quatre grandes basiliques que sont 
accumulées d’immenses richesses artistiques. 

On s’y trouve partout en face des œuvres de Michel* 
Ange, de Raphaël, du Guide, du Guerchin, d’Annibal Car- 
rache, de Charles Maratta, du Dominiquin, du Poussin, de 
Bernini, de Canova, de tous les hommes de génie qni ont 
mérité à l’Italie le sceptre des beaux arts. On y admire aussi, 
sous le travail le plus fini, les matières les plus précieuses. 
Le vert et le jaune antiques, les plus beaux marbres, la 
pierre de touche, le porphyre, le jaspe oriental, l’agate, le 
lapis-lazuli s’y transforment en colonnes, en statues, en 
bas-reliefs, en bassins, en ornements de tous genres. 

La basilique de S‘-Jean-de-Latran, érigée par Constan¬ 
tin, est peut-être le plus grand temple de la chrétienté, 
après S l -Pierre. Elle a reçu cinq fois dans son sein les évê¬ 
ques de la catholicité réunis en concile œcuménique. C’est 
l’église spéciale du Souverain Pontife, qui inaugure son pon- 
tifièat par la prise de possession de cette basilique. Son ta- 


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QUINZE JOURS 


bernacle est estimé le plus précieux du monde catholique et 
renferme les têtes de S‘-Pierre et de S*-Paul. Auprès de la 
place de S^Jean-de-Latran, au milieu de laquelle se dresse 
l’obélisque le plus élevé de Rome, on voit la Seala santa, 
l'escalier saint que J.-C. dut monter dans le palais de Pilate, 
et que les fidèles ont coutume de monter à genoux. 

La basilique de S^-Marie-Majcure, remonte aussi au IV* 
siècle de l’ère chrétienne. Benoit XIVy a répandu avec pro¬ 
fusion les marbres et les stucs dorés.On y remarque particu¬ 
lièrement de vastes cuves en vert antique et en porphyre, 
les 26 belles colonnes en marbre blanc qui séparent ses 
trois nefs, de riches peintures du Guide, et un portrait de 
la S l# -Vierge, que la tradition attribue à S 1 -Luc. La place 
qui s’étend vis à vis de la grandiose façade de cette basili¬ 
que est ornée d’une colonne en marbre blanc, haute de 25 
mètres et surmontée d’une statue de la S Ce -Vierge; cette 
colonne est l’une des plus gracieuses de*la capitale des beaux 
arts. 

La basilique de S‘-Paul, qui parait avoir eu Constantin 
pour fondateur, est située hors des murs de la ville. Tour à 
tour ravagée par les sarrazins, par la foudre et enfin par un 
terrible incendie, elle se rélève de ses ruines et brille d’une 
nouvelle splendeur, grâce à la générosité des souverains et 
des catholiques de toute l'Europe. L’empereur Nicolas lai a 
fait don de deux autels en malachite du plus haut prix. Le 
temple se divise en 5 nefs, formées par 40 colonnes d’un 
seul bloc de marbre, qui soutiennent la voûte à une grande 
élévation. 

Mais rien n’est comparable à S l -Pierrc. Personne 
n’ignore que c’est le premier monument de Rome, le plus 
grand, le plus magnifique des temples de la terre. 

La place qu’il faut traverser pour s’y rendre est ornée de 
fort belles fontaines et de l’obélisque de Sixte-Quint, haut 


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A ROME. 


369 


de plus do 40 mètres. Mais c'est plus qu'une place ; c’est 
on immense portique circulaire, entouré d’un quadruple 
rang de colonnes disposées en amphithéâtre et surmontées de 
statues. Le vestibule est digne du portique et du temple. On 
j distingue les deux statues équestres de Constantin et de 
Charlemagne, qui se tiennent là, au seuil de la catholicité, 
comme les gardes d'honneur de la foi. 

Catholique, protestant, incrédule même, qui que vous 
soyez, il vous sera imposihle de pénétrer sans émotion dans 
S l -Pierre. Et cette émotion n’est pas seulement l’effet de la 
magoificence do travail de l’homme, mais bien plutôt de 
l’idée qu’on y respire. S^Pierrc de Borne ! c’est le plus su¬ 
blime symbole de la religion, le plus grandiose édifice qui 
ait jamais été consacré à la divinité; c’est le foyer de la pen¬ 
sée qui a renversé le grand Jupiter du Capitole et renou¬ 
velé le monde, le grand monument élevé à la gloire des 
martyrs, des vierges, de tous les héros du christianisme, le 
pins auguste sanctuaire de l’auteur même de la vertu et de 
la sainteté. Non, en vérité, rien n’est imposant sur la terre, 
si ce lieu ne l’est pas. Le temple a 20,000 mètres de super¬ 
ficie; 185 m. 36 c. de longueur, 135 m. 34 c. de largeur 
et 138 m. 57 c. de hauteur. On estime qu’il n’a pas coûté 
moins de 300,000,000 fr. 

On est d’abord frappé de l’immensité de ses trois nefs, de 
l'élévation de ses voûtes cintrées, et surtout de la hardiesse 
et de la majesté de son incomparable coupole. On y compte 
10 autres coupoles, 30 autels, de riches tombeaux, une 
multitude de statues, de mosaïques, de tableaux de premier 
ordre. Plus on étudie S^Picrre, plus on y admire l’unité 
de l’ensemble, l’harmonie des proportions, la variété et le 
fini des détails. Cette basilique est bien la fille du génie; mais 
ce n’est pas trop pour la religion qui est la fille du Ciel. 

La Confession de S‘-Pierre est surtout l'objet de la véné- 


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QUINZE JOURS 


ration des fidèles. C’est le lieu même où cet apôtre martyr 
fut enseveli par ses disciples. Constantin y érigea un beau 
temple et réunit dans une châsse d’argent surmontée d'une 
croix d’or les corps de S‘-Pierre et de S l -Paul. Cette pre¬ 
mière basilique ruinée par le temps a été remplacée par la 
basilique actuelle, qui fait la gloire de Bramante et de Mi¬ 
chel-Ange, de Jules II et de Léon X. 

J’ai eu le bonheur, le jour de la fête de S‘-Paul, de dire 
‘la messe dans la chapelle souterraine, sur le tombeau des 
apôtres, auprès duquel brûlent toujours 150 lampes en ver¬ 
meil. La veille, fête de S l -Pierre, j’avais assisté à l'office 
solennel célébré par le Souverain Pontife. Les vastes nefs 
étaient remplies d’une foule immense ; le chœur et les tribu¬ 
nes étaient réservés aux cardinaux, aux princes laïques, aux 
membres du corps diplomatique, à l’état-major français et à 
beaucoup de personnages de distinction. Léchant et la mu¬ 
sique relégués dans une grande tribune laissaient jouir de 
la beauté des cérémonies et de la richesse des costumes et 
des ornements sacrés. Enfin, l’autel pontifical qui, comme 
l’autel réservé des onze autres basiliques, est placé au centre 
do temple et qui, à S'-Pierre, est dominé par le plus mer¬ 
veilleux baldaquin et par la grande coupole, permettait è 
tous de voir l’auguste Célébrant, dont la voix pieuse 
et sonore retentissait jusqu’aux extrémités de l’édifice. 

L’office pontifical a quelques particularités remarquables. 
A la consécration, lcS l -Père élève l’hostie en décrivant len¬ 
tement un demi-cercle à gauche, puis à droite. Il renouvelle 
la même cérémonie à l’élévation du calice. Au moment de 
la communion, il descend de l’autel et va s’agenouiller sur 
son trône, où il est assisté du prince laïque, des cardinaux 
et des prélats d’office. C’est là que le diacre et le sous-diacre 
lui apportent processionnellemcnt, d’abord la patène avec la 
sainte hostie, dont il ne prend que la moitié, ensuite le calice 


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A ROME. 


57i 


dans lequel il puise avec le chalumeau d'or une partie du 
précieux sang, laissant le reste des espèces consacrées aux 
officiers de l'autel ; enfin le ciboire où sont renfermées les 
petites hosties, avec lesquelles il donne lui-même la com¬ 
munion au prince assistant et aux cardinaux-diacres. 

Dans les grandes solennités, à son entrée dans .la basili¬ 
que et à son départ, le Souverain Pontife élevé sur Ia5*dta 
gettatorta, trône que douze hommes portent sur leurs 
épaules, précédé par les gardes-nobles etescorté par un dou¬ 
ble rang de cardinaux, accompagnés eux-mémes de leurs 
camériers en costume de pages et de leurs massiers, s'avance 
majestueusement, la tiare ou la mitre en tête, jusqu'au grand 
balcon de la basilique, où il donne la bénédiction papale, 
Urbi et Orbi. 

Le soir de la S‘-Pierre a lieu la splendide illumination 
de la façade du temple, de la colonnade et des trois cou¬ 
poles principales. Ces lignes de feu, qui dessinent le monu¬ 
ment et en font ressortir tour h tour les beautés de détail 
et d'ensemble, produisent un effet surprenant : on dirait une 
auréole céleste. 

L’un des palais pontificaux, le Vatican, s'appuie sur 
S l -Pierre. C’est moins un palais qu'une agglomération d’édi¬ 
fices vastes, mais sans unité de plan. On y compte plus de 
deux cents escaliers et de dix mille chambres ou galeries, 
dont la plupart sont converties en musée. 

Tous les palais de Borne et ses élégantes villas regorgent 
de peintures et de sculptures d'élite. On remarque particu¬ 
lièrement les collections du Quirinal et des palais Barberi- 
ni, Borgbèse et Colonna. Mais on ne les visite plus avec le 
même plaisir, quand on a parcouru les galeries du Vatican. 
Cest en effet le premier musée du monde, pour le nombre, 
la variété et la perfection des chefs-d’œuvre qu'on y 
admire. 


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QUINZE JOURS 


Les statues qui excitent le plus l'admiration des connais¬ 
seurs sont : celles de Méléagre, du Mercure et de l'Apollon 
du Belvédère, et le merveilleux groupe de Laocoon. Pour les 
peintures ce sont: la Transfiguration, de Raphaël, et la Com¬ 
munion de S'-Jérùme, par le Dominiquin, qui, avec la Des¬ 
cente de Croix, de Daniel de Volterra, qu'on voit à S^-Tri- 
nité-des-Monts, étaient aux yeux du Poussin les trois meil¬ 
leurs tableaux de Rome. La principale chapelle du Vatican 
est cette fameuse chapelle Sixtine illustrée par les immenses 
fresques de la Création et surtout par le magnifique tableau 
du Jugemcot dernier, de Michel-Ange. C'est dans une cha¬ 
pelle voisine* que j'ai vu élever au cardinalat Monseigneur 
Donnet, archevêque de Bordeaux et Monseigneur Morlot, 
aujourd'hui archevêque de Paris. Pie IX entouré des mem¬ 
bres dusacré-collége, les fit approcher de son trône et, avec les 
cérémonies d'usage, les proclama cardinaux-prêtres; puis leur 
donna le baiser de paix, après avoir reçu leur serment en 
qualité de princes de l'Église. Le soir du même jour, â 
l'ambassade française et eq présence de l'élite de la société 
romaine, un prélat délégué par sa Sainteté vint haranguer 
les cardinaux français et leur remettre le chapeau rouge, 
insigne de leur nouvelle dignité. 

J'avais passé quinze jours à Rome. Je n'avais plus qu'un 
désir, celui d'obtenir une audience du S^Pére. Les circons¬ 
tances n'étaient pas favorables et laissaient peu d'espoir de 
réussir. Mais enfin, grâce aux démarches d’un officier dis- 
tingué de la division française, frère de M. l'abbé Dupont, 
mon aimable compagnon de voyage, l'audience nous fat 
accordée. Le Souverain Pontife, qui depuis quelques semai¬ 
nes ne donnait pas d'audience publique, n'était pas revêtu 
de son costume officiel. Debout, quoique souffrant encore, 
il nous reçut seuls et comme dans l'intimité. Je n'oablierai 
jamais tout ce qu'il y avait dans ses traits vénérables de 


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A ROME. 


573 


dignité paternelle, d'expression de sainteté, de douceur et 
aussi de tristesse. À genoux à ses pieds, ce fut avec autant 
de joie que de respect que, selon l'usage, maison peu malgré 
lui, nous baisâmes la mule pontificale, c'est-à-dire, la 
croix d’or brodée sur sa pantoufle. Il nous fit relever 
aussitôt et nous offrit à baiser son anneau papal, ce qûi ne 
se fait pas ordinairement pour les simples prêtres. Il nous 
parla toujours en français. Avec quelle bienveillance il nous* 
éntretint de notre pays et de nos fonctions! Avec quelle 
bonté il voulut bien bénir les objets de piété que nous lui 
présentâmes, et nous bénit enfin nous-mêmes ! 

Ses traits, ses suaves paroles, sa paternelle bénédiction 
seront toujours pour moi le plus précieux des souvenirs. 


II. 

EXCURSION SUR LE RHIN ET SUR LESCAUT. 

(SEPTEMBRE 1860.) 


Ma première visite au-delà de Paris fut pour Reims. 
Cette cité est l'une des plus anciennes de France. Après 
avoir partagé avec Trêves, sous l’empire romain, le titre 
de métropole de la Gaule-Belgique, elle fut le berceau du 
christianisme pour les francs et devint, avec Metz, la prin¬ 
cipale ville du royaume d’Austrasie. Aujourd’hui, malgré 
son opulence et ses 45,000 habitants, elle n’est plus que le 
chef-lieu d’un arrondissement. Elle possède quelques belles 


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574 


EXCURSION SUR LE RHIN 


places el promenades, les statues de Louis XV cl de Drouet 
d’Erlon, un bel hôtel de ville orné de 68 colonnes, l'antique 
maison des comtes de Champagne, celles où naquirent Col¬ 
bert et Pluche, ainsi que l'hôtellerie où le père et la mère de 
Jeanne-d’Arc furent logés et défrayés par la ville pendant le 
sacré de Charles VIL 

L’église deS^Remi mérite d’être visitée. Sa longue nef de 
style romano-byzantin est entourée de galeries qui régnent 
sur les bas-côtés comme à Notre-Dame de Paris et à 
S*-Étienne de Caen ; le portail et le chœur sont de style 
ogival. Ce qu’on y remarque surtout, c'est le tombeau du 
saint Évêque en marbre blanc, ainsi que les statues de gran¬ 
deur naturelle des six grands pairs laïcs, les ducs de Bour¬ 
gogne, de Normandie et d’Aquitaine, les comtes de Flandre, 
de Champagne et de Toulouse, et des six pairs ecclésiasti¬ 
ques, les évêques de Reims, Laon, Langres, Beauvais, Cbà- 
lons et Noyon. 

Le grand monument de Reims est sa cathédrale. Toute 
entière de style ogival et du XIIP siècle, elle fut construite 
en trente années, sur les plans et sous la direction de Robert 
de Coucy. Sa longueur est de 148 mètres, sa largeur de 31 
mètres, sa hauteur sous voûte de 37 m. 60; $es tours ont 
85 mètres d’élévation. Unité de style, sage coordonnant 
des parties, sobriété et perfection des ornements, elle réunit 
tous les titres pour être l’un des plus beaux fleurons de la 
couronne monumentale de la France. Le portail surtout ravit 
d’admiration par la majesté de ses hautes tours et la richesse 
de ses sculptures. On oublie que le temps en a noirci la 
pierre et souvent mutilé les délicates ciselures, quand fc 
regard se promène au milieu des 550 statues qui décorent 
cette splendide façade et les arcades des trois grandes por¬ 
tes, et parmi lesquelles on distingue 43 statues gigantesques 
de nos rois. Ce portail est estimé le plus parfait qui existe 
en France. 


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ET SUR L ESCAUT. 


375 


Tout l'extérieur de cette basilique, avec ses Ions sévères, 
avec ses élégantes tourelles, avec les belles galeries à jour 
qui surmontent les arcs-boutants et les longs murs de la 
nef, produit un effet plus imposant que tous les édifices reli¬ 
gieux de la capitale. 

Il en est de même à l'intérieur, où j'ai été d'autant plus 
frappé de voir 90 belles statues couvrir les murs autour et 
au-dessus des trois entrées, que je n'ai rencontré nulle part 
ailleurs la même richesse. 

Les trois nefs ont les plus vastes proportions; le chœur 
démesurément agrandi pour les cérémonies du sacre, aux 
dépens du transsept et même de la nef, occupe presque la 
moitié de l'édifice.C'est dans ce chœurqu'ont été sacrés tous 
les rois de France depuis Philippe-Auguste jusqu'à Charles 
X, excepté Henri IV et Louis XVIII. Quand, aux derniers 
rayons du soleil couchant, on examine du fond de l'abside 
l'effet de la lumière dans les magnifiques vitraux des immen¬ 
ses fenêtres des nefs, des rosaces du transsept, surtout de la 
grande rosace du portail, et aussi dans les voûtes, les 
galeries et les colonnes du temple, on jouit d'une perspective 
impossible à décrire. 

La cathédrale possède l'un des plus beaux monuments 
antiqoes de notre pays dans le cénotaphe de Jovin, de Reims, 
préfet des Gaules au IV 9 siècle. Son trésor était le plus riche 
des églises de France, avant l'époque où il passa par le 
creuset révolutionnaire. On y montre encore une relique de 
la S^-Ampoule, une chasuble du XVI e siècle, chargée d'or, 
du poids de 18 kilogrammes; d'autres ornements précieux, 
au milieu desquels figurent 110 ornements sacrés en velours 
et or, qui servirent au sacre de Charles X et au baptême du 
duc de Bordeaux. 

Tool, petite ville fortifiée, ancien évêché, est la patrio du 
maréchal Gouvion S‘-Cyr, du baron Louis et de l'amiral de 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


Rigny. Ses murailles sont baignées par les eaux de la Mo¬ 
selle, que Ton traverse sur un joli pont de sept arches. 

L’ancienne cathédrale, commencée vers le milieu du X 9 
siècle et terminée à la fin du XV 9 , porte les caractères de 
ces diverses époques. Cependant il est peu d'édifices reli¬ 
gieux du moyen-âge où l’ogive soit mieux dessinée, l’har¬ 
monie plus complète, les sculptures exécutées avec un art 
plus délicat. Le chœur manque d’abside, le transsept est trop 
nu ; mais la nef est fort belle. Il ne reste plus des anciens 
vitraux que quelques débris épars çà et là. L’édifice est mal¬ 
heureusement négligé, depuis qu’il est descendu du rang de 
cathédrale à celui de simple église paroissiale. Sa longueur 
est à l’intérieur de 80 mètres, sa hauteur sous voûte de 
36 mètres. 

Le portail, avec ses tours de76mètres d’élévation, est un 
véritable chef-d’œuvre dont les arts sont redevables à Jac- 
quemin de Commercy. a C’est, dit Bourassé, une des plus 
belles pages inspirées par l’esprit religieux et exécutées par 
le XV 9 siècle. Niches, dais, aiguilles, pinacles, feuillages, 
galeries transparentes, toutes les créations du style ogival y 
sont rassemblées avec un goût exquis. La pierre y est cou¬ 
verte de dentelles et de fleurs, et la couronne découpée k 
jour qui est posée sur la tête de ces tours, les fait ressem¬ 
bler à la magnifique tour couronnée de S l -Ouen de Rouen, 
dont elles ont le port majestueux, la délicatesse et la pro¬ 
fusion d’ornements. » 

C’est du reste la seule partie extérieure du temple qui 
soit visible. Le reste est entouré de maisons et de jardins, 
et ce n’est pas sans peine que l’on est admis à visiter un beau 
dottre carré, de structure ogivale, adhérent à la cathédrale 
et destiné primitivement aux processions intérieures. 

La cathédrale de Metz est également flanquée de hautes 
maisons et d’échoppes dont plusieurs ont profondément 


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ET SUR L’BSCAUT. 


377 


entamé les mars de l'édifice sacré. Voici scs dimensions: 
longueur 124 m. 30 c. ; largeur 30 m. 65 c. ; hauteur sous 
voûte 44 m. 33 c. 

Ce monument gothique a été commencé dans le XI 9 siècle 
et terminé ao milieu du XVI e . Le portail et ses tours sont 
du style lourd et surphargé d’ornements prétentieux qu'on 
appelle style pompadour. Une autre tour plus ancienne et 
placée sur le côté nord de la cathédrale se termine en flèche 
grêle et très élancée. Le chœur est petit, sans nef déambu* 
bulatoire; son aire beaucoup trop élevée s’avance disgracieu- 
sement dans le transsept. La nef est l’une des plus célèbres 
de France par son étendue et sa prodigieuse hauteur. La 
galerie à jour qui règne dans tout l’intérieur de l'édifice est 
remarquable par le nombre et l’élégance de ses colonncltcs 
et de ses sculptures ; il est regrettable que la plupart des fe¬ 
nêtres de cette galerie et même des belles fenêtres de la nef 
manqaent de vitraux peints, liaison admire les étincelantes 
couleurs des verrières du chevet, du portail, et du transsept 
qui en est enrichi du haut en bas. 

Metz possède plusieurs autres établissements importants. 
Mais c'est avant tout une ville de guerre de premier ordre. 
Ses deux places sont ornées des statues en bronze des 
maréchaux Ncy et Fabert. La ville domine une riche vallée 
et voit couler à ses pieds la Moselle sous un beau pont qui 
a presque la longueur du Pont-Neuf de Paris, et qui s'ap¬ 
pelle encore le Pont des Morts, en souvenir de la redevance 
que l’on y payait autrefois pour le passage des morts de 
la ville. 

Nancy, ville grande, généralement régulière et bien bâtie, 
n'a pas de monuments extraordinaires ; mais elle renferme 
beaucoup de belles choses et de nombreux établissements de 
bon goût. Le plus somptueux édifice est l’hôtel du gouverne¬ 
ment, aujourd’hui occupé par le maréchal Canrobert. Il fait 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


face à la place Royale, autour de laquelle se groupent l'hôtel 
de ville, l’évêché, la préfecture et le théâtre. Au centre de 
cette place monumentale s'élève la statue du bienfaisant doc 
de Lorraine et roi de Pologne, Stanislas Lecksinski. Une 
autre place est décorée de la statue du vertueux général 
Drouot. L’un des bas-reliefs le montre porté en triomphe 
par ses jeunes rivaux qui l'avaient d'abord accueilli par 
des moqueries ; dans un autre il commande le feu de ses 
batteries; dans le troisième il donne sa bourse à une 
sœur de charité. 

La cathédrale est dans le style de la renaissance et n'a de 
remarquable que sa façade large de 50 mètres et ses toun 
assez légères. Ses nombreuses chapelles sont fermées par de 
fort belles grilles. Le (rêne épiscopal est derrière l'autel et 
au fond du chœur qui est tout entier réservé au clergé. 

Notre-Dame-dc- Bon-Secours est une chapelle romane en¬ 
richie de sculptures précieuses. Elle renferme les monuments 
où furent déposés Stanislas Lecksinski, Catherine Opolinska, 
sa femme, et le cœur de Marie Lecksinska, leur fille, épouse 
de Louis XV. 

Dans l’église des* Cordeliers, on ne manque pas de visi¬ 
ter la rotonde et les tombeaux des ducs de Lorraine, par¬ 
ticulièrement celui de René, vainqueur de Charles-Le- 
Téméraire. Dans la tente du vaincu fut trouvée la tapisserie 
célèbre qui se voit encore au palais de justice et dont une 
scène représente Àssuérus rendant l’édit de liberté des juifs 
et une autre les inconvénients de la bonne chère. 

La Pépinière est la plus belle promenade de Nancy; 
c’est un beau parc, auquel il ne manque que le charmed'un 
cours d'eau. 

La Champagne et la Lorraine sont traversées par les Ar¬ 
dennes et arrosées par la Seine, l’Aube, la Marne, la Meuse, 
la Moselle et la Meurthe. Des canaux importants font en 


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ET SUR L ESCAUT. 


579 


outre communiquer ces fleuves entre eux et m6me avec le 
Rhin. Les vallées sont généralement fertiles, et les céteaux 
chargés de vignes. Avant d’en avoir été témoin, je n’aurai» 
pu me figurer la prodigieuse quantité de fruit qui couvrait 
cette année toutes ces belles campagnes. Il fallait donner à 
chaque arbre de nombreux supports, pour Teropécher d’écla¬ 
ter sous le fardeau. J’ai vu acheter cinq centimes cent cin¬ 
quante prunes d’assez bonne qualité. 

Laacampagne ne cesse pas d'être riche et le paysage 
varié de Nancy à Strasbourg. On franchit les montagnes des 
Vosges au moyen de nombreux tunnels. Le principal est 
celui de Valdenbourg, qui a 2,680 mètres et qui, pour dé¬ 
boucher à droite du canal de la Marne au Rhin, à gauche 
et au niveau duquel le chemin de fer se tient jusque là, 
plonge 12 mètres au-dessous des profondeurs du canal. 

Strasbourg, VArgentoralum des romains, est une ville de 
80,000 habitants, dont la moitié est catholique, l'autre moi¬ 
tié protestante. On y parle généralement l’allemand. Cette 
ville, située dans une belle plaine, sur l’ill et la Bruche, 
à 4kilomètres du Rhio, possède une forte citadelle, de vastes 
casernes, de nombreuses manufactures, des maisons élevées, 
peu de larges rues et une seule belle place ou promenade 
publique. Patrie de Gutenberg, elle a élevé à ce grand 
homme une statue en bronze, par David d'Angers, avec de 
riches bas-reliefs qui représentent les merveilleux effets de 
l’imprimerie dans les quatre parties du monde. . Une autre 
statue y a été érigée en l’honneur de Kléber. Le temple 
de S*-Thomas renferme le tombeau trop vanté, dit-on, du 
maréchal de Saxe et deux momies bien conservées de la 
famille de Nassau. 

Mais combien tous ces petits monuments s’effacent, quand 
on contemple la cathédrale! Fondée par Clovis, restaurée 
par Charlemagne, puis dévorée par les flammes, cette église 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


fut reconstruite par l'évêque Wernher, au commen¬ 
cement du XI 9 siècle, mais ne fut terminée qu'au milieu 
du XV. 

Elle manque de proportion entre ses diverses parties. 
Le chœur et le transsept sont de petite dimension et ont 
toute la pesanteur du style byzantin; la nef dont les parties 
basses sont du même style et qui prend de plus en plus 
le style ogival, à mesure qu'elle monte vers son toit de cui¬ 
vre, est d’une conception déjà plus vaste, mais reste encore 
bien loin de la majesté de la tour et de toute la façade, où 
le style ogival étale tous ses ornements. 

On est saisi d'admiration à la vue de cette haute et large 
façade à trois étages, que l'on doit surtout au zèle de l’cvé- 
que Conrad et au génie de l'architecte Enfin. Les trois 
portails sont ornés d'une foule de grandes statues de pro¬ 
phètes, d’apôtres, de vierges, etc., d'un style noble et sévère, 
dans un parfait état de conservation, et d’un effet d’autant 
plus grand que le temps a donné à ces pierres la couleur do 
bronze. 

La rosace du grand portail, qui a 44 mètres de circonfé¬ 
rence, est entourée d'un cintre presque entièrement déta¬ 
ché et autant admiré pour la hardiesse de la construction 
que pour la délicatesse du travail. 

Mais ce qui produit sur l'âme l’impression la plus pro¬ 
fonde, c’est l’aspect de la flèche qui surmonte la tour du 
nord et qui s'élance avec autant de grâce que de majesté 
dans les airs, à la hauteur de 442 mètres. 11 paraît démon¬ 
tré que, par suite de la dépression successive de la grande 
pyramide d’Égypte, cette flèche est aujourd'hui l’édifice le 
plus élevé de l’univers. 

Laflèche, composée d’immenses fenêtres et de quatre esca¬ 
liers tournants, saillants et à jour, se termine par six rangs de 
tourelles superposées. « C’est une chose admirable, dit 


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ET SUR L’ESCAUT. 


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V. Hugo, de circuler dans celle monstrueuse masse de pierres, 
évidée comme un joujou de Dieppe, lanterne aussi bien 
que pyramide, qui vibre et qui palpite à tous les souffles du 
vent, a 

On conçoit de quel magnifique panorama jouit l'obser¬ 
vateur qui, du haut de cette flèche, embrasse du même coup- 
d’œil le cours du Rhin, les montagnes des Vosges et de la 
Forêt-Noire dont les sommets ont 1,500 mètres d’éléva¬ 
tion. Satisfait de ce spectacle, je n’ai point été tenté de 
demander à la municipalité l’autorisation de franchir les 
douze ou quinze degrés de l’escalier extérieur et sans rampe 
qui conduit au pied de la croix, autorisation seulement 
accordée aux visiteurs qui ne craignent pas le vertige et une 
chute de 420 pieds. Fort peu auront la fantaisie d’imiter ce 
soldat de la garnison de Strasbourg qui, il y a six mois, trou¬ 
vant fermée la porte de l’escalier supérieur, sut se soustraire 
à la vue du gardien, s’élança de pointe en pointe jusqu’au 
sommet de la croix, sur laquelle il se livra à toutes sortes 
d'exercices gymnastiques, puis redescendit, toujours à l’ex¬ 
térieur, d’arête en arête et de galerie en galerie jusqu’à la 
base de la flèche. 

Cette cathédrale a passé par toutes les épreuves. Le mau¬ 
vais goût du XVII e siècle détruisit le jubé construit par 
Erwin et admiré de tout le moyen-âge comme une mer¬ 
veille d’élégance ; un tremblement de terre, la foudre et 
l’incendie causèrent tour à tour à l’édifice d’immenses rava¬ 
ges; enfin les démolisseurs de 95 renversèrent 250 statues 
de saints et de rois. Quelques insensés voulaient même démo¬ 
lir la flèche, sous prétexte que sa hauteur offensait le prin¬ 
cipe de l’égalité : ils se contentèrent à la fin de la coiffer 
d’un colossal bonnet rouge en fer-blanc, que l’on conserve 
à la bibliothèque. 

Plus heureuses que dans beaucoup d’autres cathédrales, les 
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RXCUltSION SUR LE RHIN 


fenêtres de la nef ont conservé, leurs précieux vitraux, qui 
passent pour le chef-d’œuvre du XUi* siècle, apris les 
incomparables verrières de Bourges et quelques unes de 
celles de S'-Gatien de Tours. On remarque encore dans ce 
monument : V le baptistère dont le bassin est entouré d’une 
broussaille de sculptures ; c’est de l’orfèvrerie en pierre, dit 
un artiste ; 2° la chaire, également en pierre, couverte de 
colonnes, de dentelles et de 50 petites statues, et à laquelle 
on ne peut guère comparer que la chaire de la cathédrale 
de Mayence ; 3* la colonne appelée le Pilier des Anges , 
qui est décorée de plusieurs étages d'élégantes colonnet- 
tes et de belles statues, et qui sert d'ornement à la partie 
du transsept qui contient l’horloge. Cette horloge astrono- 
miqueestune merveille bien supérieure à l’ancienne horloge, 
qui passait elle-même pour l’une des merveilles de l’Allema¬ 
gne. Le nouveau mécanisme, conçu et exécuté par Sdrwilgoé, 
marcha pour la première fois en octobre 1842, à l’occasion du 
dixième congrès scientifique de France, réuoi à Strasbourg. 

Au bas du monument, haut de 20 mètres, une sphère 
céleste, sur laquelle sont représentées dans leur position vraie 
les 5,000 étoiles des six premières grandeurs, emporte avec 
elle dans son mouvement de rotation diurne les cercles de 
l’équateur, de l’écliptique, des collures des solstices et des 
équinoxes, ne laissant immobiles que ceux du méridien et 
de l’horizon. Le mécanisme est si parfait qu’il imprime 
aux cercles un mouvement de rétrogradation qu’ils ne 
pourront achever autour de la sphère que dans 25,000 ans. 
Derrière cette sphère, un anneau métallique d’une circon¬ 
férence de 9 m., sert de calendrier perpétuel, et indique de 
lui-même le mois et les jours du mois, la lettre domini¬ 
cale , le nom du saint de chaque jour, les fêtes fixes et 
même les fêtes mobiles, les années ordinaires et bissextiles, 
le lever et le coucher du soleil,.les phases de la lune, toutes 


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les éclipses de soleil cl de lune el leurs divers caractères. 
Un mécanisme particulier, appelé comput ecclésiastique, 
fournil par lui-même el pour {,000 ans lous les éléments de 
supputation nécessaires pour régler le calendrier el les 
fêtes de l’église. Un autre mécanisme sert aux équations 
solaires el lunaires. Un peu plus haut on voil apparaître 
pour chaque jour de la semaine la divinité païenne qui 
lui a donné son nom. 

La galerie aux Lions renferme le cadran indicateur du 
temps moyen, avec heures el secondes, dont le moteur dif¬ 
fère naturellement de ceux qui marquent le temps sidéral et 
le temps apparent. Au dessus, un planétaire imprime aux 
six planètes visibles à l’œil nu, les mouvements précis qu 1 
règlent la marche de chacune d’elles autour du soleil, et 
fait tourner en même temps autour de la terre son fidèle 
satellite, dont toutes les phases sont constamment mises en 
lumière dans un compartiment spécial. Ailleurs un génie 
tient en main un clepsydre rempli de sable rouge, qu’il 
retourne à chaque heure; tandis qu'un autre génie frappe 
sur un timbre le premier coup de chaque quart d'heure. 

Mais ce qui intéresse le plus les curieux, c'est le 
jeu des statuettes mobiles. Quatre statuettes, dont les 
mouvements imitent la nature et qui figurent les quatre 
âges de la vie, sont chargées, pendant le jour seulement, de 
venir frapper le deuxième coup de chaque quart d'heure. 
L’enfant vient seul au premier quart frapper le timbre avec 
un thyrse ; l’adolescent le suit à chaque demi-heure pour 
frapper à son tour le timbre avec sa flèche de chasseur ; 
après eux, l’homme sous les traits d'un guerrier vient aux 
trois quarts remplir son rôle avec sa lance ; enfin vient à 
chaque heure le vieillard penché sur sa béquille, dont il se 
sert pour sonner le dernier quart. Alors la Mort, qui veille 
jour et nuit, debout auprès du timbre des heures, le frappe 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


gravement avec l’os qu’elle tient à la main. La galerie 
supérieure représente Jésus-Christ, d’une main tenant la 
croix, de l’autre prêt à bénir. Chaque jour à midi, on 
voit passer successivement devant lui les douze apôtres, 
S'-Picrrc en télé, qui le saluent et qu’il bénit. Puis, un 
coq perché sur une tourelle bat des ailes, agite la tête et la 
queue, et fait entendre trois fois son chant. Tout ce prodi¬ 
gieux mécanisme obéit à un seul moteur principal. 

Il est regrettable que le chœur de la cathédrale ne soit 
pas dégagé des maisons qui l'entourent. L'une des mai¬ 
sons voisines est la belle maison des architectes de la 
cathédrale, où se centralise la recette de l’œuvre établie 
pour l’entretien du grand monument. On y voit avec intérêt 
les plans et modèles de l’édifice, et un escalier tournant 
autour d’un centre vide et orné do délicieuses colonnes. 

Une route plantée d’arbres conduit de Strasbourg au 
Rhin. Le beau pont de Kehl n’étant pas encore terminé, il 
faut traverser sur une ligne de bateaux le grand fleuve 
dont les deux bras enveloppeut l’tle des Epis • Au milieu de 
cette lie française, théâtre de gloire pour Desaix, on remar¬ 
que un mausoléequadrangulaire qui porte cette inscription: 
Au général Desaix, l'armée du Rhin , 1801. 

La vue du fleuve produit une vive impression. Le Rhin 
occupe le cinquième rang parmi les fleuves de l’Europe. Il 
porte à l’Océan cinq fois moins d’eau que le Volga, quatre 
fois moins que le Danube, trois fois plus que la Seine, six 
fois plus que le Tibre. Sa longueur est de 1,500 kilomè¬ 
tres, dont 900 navigables. Dans son parcours il est semé 
de 295 lies et il reçoit au-delà de 12,000 affluents. Sa 
largeur est de 550 m. à Strasbourg et de 500 m. à 
Cologne. Sa profondeur varie de 4 à 9 m. entre ces deux 
villes. À Strasbourg, il est élevé de 140 m. au-dessus du 
niveau de la mer. Sa rapidité varie naturellement selon 


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la pente et la largeur de son lit ; en moyenne elle est de 5 
kilomètres k l'heure. Le transport des voyageurs et celui 
des bois forment le principal aliment de la navigation de ce 
fleuve. 

Dès qu'on a franchi la rive droite, le chemin de fer badois 
se dirige vers les montagnes de la Forél-Noire; bientôt on aper¬ 
çoit Sasbach, village devenu célèbre par la mort d'nn de 
nos plus grands capitaines. La France lui a élevé un monu¬ 
ment qu’elle fait garder par nn de ses vétérans et sur lequel 
on lit celte inscription : La France à Turenne. Ici il fut tui 
le 24 juillet 1675. Les collines et les montagnes, au 
pied desquelles la vapeur poursuit sa course, se succèdent 
et se relient sans interruption sur plusieurs plans et sous 
des aspects variés et pittoresques. Le paysage devient plus 
riche encore en approchant de Bade, qu'on écrit Baden- 
Baden , pour distinguer cette ville de deux autres du 
même nom. 

Protégée contre les vents du nord, de l'est et de l'ouest, 
par les hautes montagnes qui la dominent, Bade jouit d'un 
climat doux, d'un air pur et fortifiant. Elle a eu récemment 
le privilège de voir réunis dans son sein dix souverains à la 
fois; chaque année la belle saison y appelle une foule d'étran¬ 
gers, attirés par le charme de son site et la qualité do ses 
eaux thermales. Ses vallons sont couverts de céréales, de 
vignes, d'amandiers, de marronniers, de trembles et d’éra¬ 
bles; ses montagnes sont entièrement couronnées de bois. 
L'une d'elles, qui s'élève à la hauteur de 550 mètres 
au-dessus de la ville, est remarquable par son vieux 
château, par le magnifique panorama dont on y jouit et 
par ses rochers de porphyre. Sur un autre sommet jaillit 
la principale source des eaux thermales. Ces eaux miné¬ 
rales, salines, sulfureuses, peu agréables au goût et à l'odo¬ 
rat, ont une température de 75 degrés et sont utilement em- 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


ployécs cd boisson et en bains dans vingt hôtels et surtout à 
la Trinkhcdle , petit palais orné d’une colonnade de 
90 no. de long et de fresques assez estimées. Au milieu, 
s'étend une belle et vaste salle, dont la voûte s'appuie 
sur une forte colonne de marbre, d’où l’eau minérale jaillit 
dans deux bassins de fonte entourés de nombreux buveurs. 
La saison des eaux commence en mai cl finit en octobre. 

(Test aussi naturellement la saison des jeux et de toutes 
sortes de fêtes, dont la Maison de conversation est le 
centre. C'est un vaste édifice, avec portique corinthien, 
qui contient un restaurant et un café, de magnifiques 
salons, des salles de théâtre, de bal, un cabinet de lecture 
qui reçoit les grands journaux de France, d'Angleterre et 
d'Allemagne, et surtout des salles de jeux dans lesquelles se 
presse une foule de joueurs et de curieux. Ces jeux sont la 
roulette, le trente et un ou le trente et quarante : ils sont 
tenus par une société d'actionnaires qui paie annuellement 
à la ville 425,000 fr., et qui soutient l'enjeu contre tous 
* les joueurs qui se présentent. 

Autour d’une longue table recouverte d'un tapis vert, où 
se dessinent plusieurs séries de chiffres, sont installés le 
directeur et les caissiers avec leurs piles d’or et d’argent 
et leurs baguettes ou petits rateaux d’ébène qui* faci¬ 
litent la rapide répartition des mises ; puis, une vingtaine 
de joueurs et de joueuses, mélange de tout pays et 
de tout rang, occupés, dans un fiévreux silence, à calculer 
les chances, à faire le jeu, à remplir et plus souvent 
à vider leurs bourses et leurs portefeuilles. Chaque partie, à 
laquelle prennent part tous ceux qui le veulent, chacun pour 
la somme qui lui convient depuis 4 fr. 50 c. jusqu’à 40 ou 
42,000 fr., se règle en une minute et est immédiatement 
suivie d’une autre partie. Et cela dure douze heures par jour 
pendant les six mois de la belle saison. Il est triste de voir 


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des gouvernements se faire de leur intérêt nnc excase pour 
tolérer et même pour protéger ces jeux immoraux, honteux 
appât à la cupidité et source de tant de désastres. 

Carlsruhe, capitale du grand-duché de Bade, est une jeune 
et jolie ville, bâtie en éventail et parfaitement alignée. 
Toutes les principales rues aboutissent au château ducal; 
les autres sont demi-circulaires et passent comme des 
rubans sur les lames de l'éventail. Le château, son parc et 
ses jardins sont d’un agréable aspect. Toutes les places de 
U ville sont ornées d’âne statue ou d’un buste de duc ou de 
margrave. 

Heidelberg, autre ville du même duché, est riche de sites 
et de souvenirs. Cette ville, située sur le Neckar que tra¬ 
verse un beau pont de 235 mètres, a été tant de fois 
victime du fléau de la guerre qu’elle ne possède plus qu’une 
de ses anciennes maisons au pignon sculpté. Son université, 
connue sous le nom de Ruperta Caroline, date de 1386. 
La ville est entourée de hauteurs, de croupes boisées, pins 
fières que des collines et moins âpres que des montagnes. 
La plus élevée se dresse à 574 m. au dessus du fleuve. Son 
sommet est couronné par une tour, du haut de laquelle on 
jouit de la vue la plus étendue et la plus pittoresque : au 
dessous, la ville et la riche vallée du Ncckar, dont la rive 
opposée est bordée de nombreuses et verdoyantes col¬ 
lines; plus loin le Rhin qui coart et brille au soleil comme 
un filet d’argent au milieu de vastes plaines; les villes de 
Manheim, Worms, Landau et surtout la ville de Spire et 
l'immense cathédrale qui la domine comme un géant, 
avec ses quatre tours de 75 m. de hauteur, et ses vastes 
nefs romanes de 59 m. de largeur, sur 147 m. de longueur. 
Aidé d’une longue-vue, j’ai fort bien distingué au sud 
la flèche de Strasbourg, et au nord nn monument voisin 
de Francfort, villes éloignées l’une de l’autre de 40 lieues. 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


En descendant, on trouve à mi-côte les ruines du vieux 
château, qui était perché comme un nid d’aigle au-dessus 
de la ville. C’était une merveille architecturale, une mosaï¬ 
que de châteaux et de tours, à bon droit surnommée l’Allam- 
bra de rAllemagne. Pauvre château! Son seigneur ayant 
donné sa fille en mariage au duc d’Orléans, Louis XIV char¬ 
gea son ministre de réclamer le château comme héritage de la 
princesse. Malgré sa résistance et ses murailles de 7 mètres 
d’épaisseur, le château fut pris deux fois. Mélacetde Lorgcs, 
pour mieux servir Louvois, mirent leur gloire à entasser 
ruines sur ruines. Aussi les habitants du pays ont-ils encore 
aujourd’hui ces trois noms en exécration. Les nombreux 
visiteurs de ccs belles ruines ne manquent jamais d’aller voir 
le Grand Tonneau. Ce tonneau monstrueux repose sur un 
ber orné et ne ressemble pas mal à un navire sous cale. Il a 
8 m. de diamètre, il m. de longueur, et pouvait, contenir 
283,000 bouteilles de vin du Rhin. Devenu inutile, il n’est 
plus depuis un siècle qu’un objet de curiosité. 

A Darmstadt, capitale de la Hesse, l’église catholique offre 
un aspect imposant. Sa rotonde n’a pas moins de 75 m. de 
diamètre et de 4! m. de hauteur. Une petite ville voisine, 
Hombourg, renommée dans toute l’Allemagne pour 
ses eaux minérales et pour ses jeux de hazard, venait d’élre 
témoin d’un spectacle assez rare. Un espagnol avait deux 
jours de suite fait sauter la banque, c’est-à-dire fait lever la 
séance, après avoir épuisé toutes les ressources des fermiers 
des jeux. Déjà il avait eu la même chance quelques mois 
auparavant, et il réalisait ainsi en trois jours un bénificed un 
million. Ces exemples, bien propres à exciter la cupide ardeur 
des joueurs, ne décourageront malheureusement ni les fer¬ 
miers ni les princes qui prennent part au dividende, et qui 
savent bieu qu’au total c’est l’argent de l'étranger qui fait 
tous les frais. 


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BT SUR L ESCAUT. 


389 


Mc voici dans une ville toute allemande. Depuis Stras¬ 
bourg, j'avais eu plus d’une fois de la difficulté à me faire 
comprendre; mais c'est bien autre chose à Francforl-sur-lc- 
Mein, où le maître de l'hôtel sait à peine lui-même parler 
un peu le français. Cette ville, chef-lieu de la petite république 
du même nom, cl siège de la diète germanique, est, dit-on, 
l’une des plus agréables de l’Allemagne. Sa population se 
compose de 60,000 protestants, de 6,000 catholiques et de 
6,000 juifs. Ses anciennes fortifications ont été converties en 
promenades. Elle est reliée i son faubourg par uu beau pont 
de 15 arches, au milieu duquel s'élève la statue de Charle¬ 
magne. Les quartiers neufs ressemblent à ceux de nos gran¬ 
des villes; mais la vieille ville est l'une de celles qui ren¬ 
ferment le plus de rues tortueuses et sombres, do pignons 4 
sculptés, de façades peintes, de tourelles et de galeries sail¬ 
lantes. J'y ai vu plusieurs maisons dont la saillie augmen¬ 
tait à chaque étage, de telle sorte que le troisième ou 
quatrième étage avait moitié plus de circonférence que le 
rez-de-chaussée. 

L’ancien quartier des juifs est construit presque entière¬ 
ment en bois. Derrière le pignon de chétive apparence qui 
s’ouvre sur la rue, se prolonge une foule de compartiments 
étroits, sans soleil et presque sans air. L’une de ces mai¬ 
sons a vu naître tous les Botschild ; elle a vu aussi mourir, 
il y a peu d'années, la mire des célèbres banquiers, qui n’a 
jamais voulu échanger contre un palais la petite maison de 
ses ancêtres. Les juifs ont à Fraucforl deux synagogues 
ennemies l'une de l’autre ; la jeune a pris le titre de réfor¬ 
mée en se séparant de l’ancienne. Les synagogues sont, 
comme les temples protestants, sans autel et sans sacrifice. 
Le chandelier à sept branches est le seul symbole religieux 
qu’on y conserve. Le pentateuque, livre de la loi des anciens 
juifs, et aussi l'unique code des juifs modernes, y est 


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390 


EXCURSION SUR LE RHIN 


reproduit en plusieurs exemplaires sur autant de rou¬ 
leaux de parchemin richement décorés. Le jour do sab¬ 
bat, le rabbin déroule un exemplaire, dont il lit et explique 
quelques passages. La tribune et son fauteuil de président 
sont placés au fond d’une estrade élevée ; sur le devant est 
une galerie réservée pour les cérémonies du mariage, que les 
juifs contractent du reste sans difficulté avec des personnes 
de culte différent. 

Le Dom, cathédrale catholique, est une église ogivale de 
diverses époques, longue de 87 m. et large de 72 m. C’est 
dans son enceinte que les Empereurs d!AUemagne étaient 
couronnés. Parmi les tombeaux qu’elle renferme, j'ai remar¬ 
qué ceux de l'illustre famille de Tour-et-Taxis, dont l’ao- 
•cien hôtel est aujourd’hui le siège de la diète germanique, et 
celui du marquis de S*-Pern, lieutenant-général des armées 
du roi de France, mort en cette ville en 1761, à la famille 
duquel appartient l’un de nos honorables concitoyens M. de 
St-Pern, commissaire de la marine. 

L’hôtel de ville, appelé /former, c’est-à-dire le Bomain, 
est un monument d’origine inconnue, mais d'une haute 
importance historique. C’est là que les neuf princes-élec¬ 
teurs se réunissaient pour élire l’Empereur d’Allemagne; 
là, que le nouvel élu, la couronne en tête et le glaive eu 
main, apparaissait au balcon, et se faisait reconnaître par 
le sénat et les bourgeois rassemblés sur la place. Pour 
donner plus de pompe à cette proclamation, les quatre grands 
dignitaires de l’empire entraient au même moment en cor¬ 
tège sur cette place, au centre de laquelle étaient disposés 
un tas d’avoine, un bœuf entier rôti, des vases de vermeil et 
une urne pleine d’or, symboles de la prospérité du nouveau 
règne; puis l’un d’eux, à cheval, s’avançait dans le tas d’avoine 
jusqu’à la sangle de la selle, un autre coupait une large tran¬ 
che de bœuf, le troisième remplissait les vases de vin et 


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BT SUR L’ESCAUT. 


391 


d’eau, le quatrième puisait l’ordans l’urne et le jetait à plei¬ 
nes mains au milieu de la foule. On voit encore au Bœmcr 
le trône impérial, les portraits en pied de tous les 
empereurs, depuis Charlemagne jusqu'à François II « 
et aussi la célèbre bulle d'or, ainsi nommée de son sceau à 
feuille d’or, par laquelle l’Empereur Charles IV réglait les 
droits et privilèges des empereurs et des électeurs, et qui est 
restée en vigueur depuis 1356 jusqu’à l'époque de la disso¬ 
lution de l'empire en 1806. 

Une maison de la place voisine, reconnaissable au buste 
de Luther, fut habitée par le fameux hérésiarque, qui parlait 
souvent à la foule du haut de son balcon. Une autre place 
est ornée des trois statues réunies des inventeurs de l’impri¬ 
merie, Guttemberg, Fust et Sehœffer. Sur une troisième 
s’élève la statue de Gœthe, dont une inscription indique 
l'ancienne demeure ; la chambre qu’il occupait est restée 
depuis un siècle telle qu’il l’a quittée.Un objet d’art, qui passe 
à Francfort pour une merveille, représente Ariane assise 
sur une panthère. Ce groupe est exposé sur un socle tour¬ 
nant et derrière un rideau de soie rose qui donne au marbre 
la couleur de la chair. Sur le quai, on voit encore la cha¬ 
pelle du château qui fut construit par Louis-Le-Débon- 
naire et qui vit nattre Charles Le Chauve. 

Viesbaden, capitale du duché de Nassau, voit en ce mo¬ 
ment s’achever un beau temple en briques rouges, de style 
ogival, à trois nefs, haut et vaste comme nos grandes cathé¬ 
drales et surmonté de cinq flèches. Si plusieurs des ancien¬ 
nes rues sont tortueuses et mal bâties, les rues neuves et les 
boulevards sont bordés d'élégantes maisons et de somptueux 
bétels, grâce aux 30,000 visiteurs qui s’y donnent rendez- 
vous chaque année. Les sites agréables de la ville et des 
environs ne sauraient soutenir la comparaison avec ceux de 
Bade ; mais ses eaux et ses jeux ne sont pas moins firéquen- 


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392 


EXCURSION SUR LE RHIN 


tés. On n’a rien épargné pour créer et pour embellir sans 
cesse les promenades, les bosquets, les pièces d'eau tout au¬ 
tour du Kursaal , dont l’intérieur est enrichi de fresques et 
do statues, et tous les soirs inondé de lumière. Cette ville 
avait autrefois une forteresse romaine ; son sol est encore 
fécond en souvenirs de cette époque. 

A quelques kilomètres de Viesbaden, je quitte enfin la 
rive droite du Rhin, et, après avoir franchi le pont de 
bateaux, je pénètre dans Mayence, le chef-lieu de la Hcssc- 
Rhénanc, et l’une des principales forteresses de la confédé¬ 
ration germanique. Citadelle, triple enceinte, 20 bastions, 
8 lunettes, 12 forts détachés, large fleuve et camp retranche, 
cetto ville a tout ce qu’il faut pour constituer une place de 
guerre de premier ordre. Sa population est de 40,000 habi¬ 
tants, dont les trois quarts sont catholiques. Rien de plus sale 
et de plus négligé que le quai de Mayence. Une haute 
muraille, aussi triste d’aspect qu’inutile pour la défense, 
emprisonne la ville, la prive d’air et lui dérobe la vue de son 
beau fleuve. La plupart des rues sont élroitesct malpropres; 
on y rencontre peu d'édifices importants. La statue deGut- 
temberg qui s’élève au milieu de la place centrale, atteste 
que Mayence dispute à Strasbourg l’honneur d’avoir vu les 
premiers succès de l’illustre inventeur. 

La cathédrale est le seul monumentdigne d’attirerl’atlen- 
tion. Mais on aurait peine à la reconnaître,tant elle est ser¬ 
rée de toutes parts et enclavée dans des propriétés particuliè¬ 
res, sans ses deux hautes et vastes tours terminées en 
dôme. Sept fois incendiée et reconstruite, transformée 
pendant la guerre en caserne, en abattoir, en magasin, elle 
porte encore la trace des boulets lancés sur la ville pendant 
le siège de 1793. Sa longueur est de 119 m. et sa largeur 
de 30 m. Elle est sans façade et forme deux chœurs à ses 
extrémités. Ce sont deux absides romanes, chacune avec 


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ET SUR L ESCAUT. 


593 


son transsept, qui se regardent et qui sont réunies par une 
grande nef. On dirait deux églises soudées Tune & l’autre 
par leur façade. Les autels sont également tournés en sens 
opposé. Aussi les bancs de la nef sont-ils installés de côté, 
de sorte que les fidèles n'ont jamais de face ni à dos les 
antels où Ton dit la messe. Une autre bizarrerie de cette 
cathédrale, c’est que les bas-côtés sont de style ogival, 
tandis que le style de la nef est romano-biz&nlin. La 
chaire est un chef-d’œuvre. Les deux blocs de pierre dont 
elle se compose y sont fouillés, sculptés, transformés en 
galeries, en statues, etc., avec un .art qui ne se retrouve qu’à 
la chaire de Strasbourg. On n’admire pas moins la magnifi¬ 
que urne baptismale, qui est en bronze et du XIV 9 siècle. 

Mais la spécialité, le joyau de cette cathédrale, ce sont 
les tombeaux des archevôques-électcurs. L’église en est 
pavée, les autels en sont faits, les piliers en sont étayés, les 
murs en sont couverts. La pierre et le marbre y sont quel¬ 
quefois travaillés avec le plus grand art. Ces sépultures sont 
l’histoire monumentale des faits et des arts de six siècles 
entiers. Tout s’y mêle, les armoiries, les manteaux héraldi¬ 
ques, la mitre, la couronne, le chapeau électoral, le chapeau 
cardinal, les sceptres, les épées, les crosses abondent et 
s’amoncellent sur ces cénotaphes, et cherchent à recomposer 
aux yeux du passant la grande figure du président des élec¬ 
teurs de l'empire d’Allemagne, du prince-archevêque de 
Mayence. Parmi ces fastueux tombeaux, on en remarque 
deux qui sont loin d’étre les plus riches : le tombeau de 
S‘-Boniface, archevêque de Mayence, au VIII e siècle et 
celui de Faslrada, l’une des épouses de Charlemagne. 

Le plus beau jour de mon voyage fut celui où je descen¬ 
dis le Bhin de Mayence à Cologne. J’avais admiré sous le 
ciel d'Italie les sites fameux de Naples et de Gênes; j’étais 
encore sous le charme des vues si pittoresques de Bade et de 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


Heidelberg; mais je n'ai rien trouvé dans mes souvenirs que 
je pusse assimiler aux bords du Rhin, excepté les grandes 
Alpes dont l'austère majesté offre des aspects incomparables. 
Le soleil, radieux pendant tout le trajet, rendait les perspec¬ 
tives encore plus séduisantes. Les bords du Rhin ont été 
si souvent et si bien dépeints, qu'il serait inutile et téméraire 
à moi de vouloir en donner une nouvelle description. Je 
veux seulement présenter ici le tableau sommaire des divers 
genres de beauté qui m'ont frappé dans mon rapide pas¬ 
sage. 

Le nombre, l'étendue, la fertilité des lies que le bateau à 
vapeur rencontre presque à chaque instant, sont pour le 
voyageur un spectacle aussi agréable que nouveau. La plu¬ 
part sont habitées ; l'une de ces Iles vit mourir misérable¬ 
ment Louis-Lc-Débonnaire, poursuivi par ses fils. Quelques 
flots formés de roches portent encore les débris des ancien¬ 
nes tours qui en faisaient deschAteaux-forts. Les tours, leschi- 
teaux, les couvents, restaures ou en ruines, sont semés avec pro¬ 
fusion sur le penchant des collines et sur les sommets de l'une 
et l'autre rive du fleuve. Ici, on voit les vestiges du magnifique 
palais d'Ingelheim, que construisit Charlemagne, et qu'il orna 
de cent colonnes de marbre et de porphyre, et de précieu¬ 
ses mosaïques apportées de Rome et de Ravenne ; plus loin 
la célèbre abbaye d'Éberbach, fondée parS‘-Rernard ; ailleurs 
le Rolandsech, dont la légende et la tradition font remonter 
l'origine à Roland, le célèbre paladin ; puis le château et la 
plaine d'Andernach, résidence de plusieurs rois francs et 
théâtre de la défaite de Charles-le-Chauve, par son neveu 
Louis-le-Jcune. Reaucoup d'autres châteaux servaient à 
rançonner au nom des seigneurs les bateaux du Rhin. 
Aujourd'hui tous les péages sont abolis, excepté celui de 
Caub, qui subsiste encore au profit du duc de Nassau. 

On trouve tout sur le Rhin, même Charybde et Scylla. 


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BT SUR L*BSCAUT. 


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Tantôt le fleuve est lent, sans profondeur et large comme 
on lac; tantôt il est rapide, profond, resserré, plein 
d’écueils et de tourbillons. 

Mais ce qui rend cette partie du Bbin si pittoresque, c’est 
la multiplicité, la diversité et la richesse des côleaux, des 
rochers, des ravins, des montagnes, qui viennent se briser 
fièrement ou mourir en pentes douces sur l'une et Taulre 
rive. Dans un parcours de <00 kilomètres, on ne cesse 
d'admirer des milliers de collines, qui fuient, se heurtent et 
s’entreméleut, se superposent les unes aux autres, et pré¬ 
sentent à l'œil mille points de vue nouveaux, des ondula¬ 
tions infinies, des perspectives lointaines, des vallées ver¬ 
doyantes, des escarpements abruptes et sauvages comme nos 
grandes falaises, et hérissés des débris de vieux donjons per¬ 
chés à 300 m. au-dessus du Rhin. Sur la rive gauche, la 
nature plus sévère, quoique riche encore, couvre de forêts 
les parties les plus ombragées, et ne produit la vigne et les 
céréales que dans les plus beaux sites; mais toute la rive 
droite est d’une fertilité rare. Toutes ses pentes, même les 
plus légères anfractuosités de rocher y sont chargées d'arbres 
à fruit et surtout de vignes. C'est là que l’on voit le ch⬠
teau et les vignobles fameux de Johannisberg, qui assurent 
au prince de Metternich un revenu supérieur à 900,000 fr. 
Sous l’empire, cette riche propriété fut donnée par Napo¬ 
léon au maréchal Kellermann. 

La ville de Coblentz, sur la rive gauche du Rhin et sur la 
rive droite de la Moselle, est dans un site très pittoresque. 
J’y ai visité le ch&teau royal qui fut habité en 1799 par les 
comtes de Provence et d’Artois, et l’ancienne église Castor, 
qni possède un'tombeau avec cette inscription : Ludovici pii 
regis Romanorum et Francorum. Tout prés de cette église, 
une fontaine se fait remarquer par cette double inscription : 
Annie JS/9, mémorable par la campagne contre les Russes; 


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EXCURSION SUR LE ROIN 


et au-dessous : Vu et approuvé par nous , commandant 
russe de la ville de Coblenlz, général de Sainl-Priett , 
le 4 W janvier 4844. Sur la rive droite, vis à vis Coblenlz, 
s’élève à pic età une hauteur de 425 m., une forteresse d'un 
aspect formidable dont le nom signifie: Large pierre de 
l'honneur. La Prusse y a dépensé cent millions de francs 
depuis cinquante ans. 

Tout près de Coblentz et du beau pont que franchit la 
Moselle pour se jeter dans le Rhin, un monument érigé à la 
mémoire de Marceau, général à 22 ans, mort sur cette plage, 
porte cette inscription : Hic dneres , ubique nomen. Plus 
loin, sur un obélisque élevé en l’honneur d’un autre général 
français, mort à 29 ans, on lit: L'armée de Sambre- 
et-Meuse à son général en chef Hoche . A mesure qu’on 
descend le fleuve, oti voit grandir de plus en plus dix 
collines ou montagnes d’origine volcanique, formées de 
lave et de basalte, qu’on contemple du même coup-d’œil, 
et dont la hauteur varie de 300 à 500 mètres. C’est le dernier 
des beaux aspects du Rhin. 

La jolie ville de Bonn, où l’on débarque pour se rendre 
à Cologne par le chemin de fer, est la patrie de Belhoven. 
Son université est célèbre et occupe un palais qui a 425 m. 
de longueur et qui contient 450,000 volumes. L’origine de 
sa cathédrale aux 5 flèches remonte à S u -Hélène. Une par- 
ticularité remarquable de cette église, c’est que l’autel du 
chœur et ceux du transsept sont élevés de 5 m. au-dessus 
du pavé des nefs. 

Mais j’ai hâte d’arriver à Cologne, la Colonia Agrippina 
des Romains. Cette ville bâtie en demi-cercle sur la rive 
gauche du Rhin, compte 400,000 habitants, dont les trois 
quarts sont catholiques. Quoique soumise à la Prusse, elle 
est depuis soixante ans régie parle code français. L’ancienne 
ville est pleine d’animation ; mais lès rues y sont étroites, 


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ET SUR L’ESCAUT. 


397 


tortueuses, et généralement sales comme les habitants. C’est 
là cependant qu’ane multitude de Jean Farina fabriquent et 
débitent des torrents d’eau de Cologne. Les quartiers neufs 
ont perdu en activité ce qu’ils ont gagné en propreté et en 
agrément. Même dans la nouvelle ville, on rencontre assez 
peu de belles rues; point de jolies places, ni de statues, et 
fort peu de monuments dignes de fixer l’attention. 

Sur le Rhin, deux petits ports de sûreté, dont l’un a été 
construit parles français en 1810, abritent une flotille de 
bateaux à vapeur et à voiles. On achève en ce moment un 
fort beau pont de 550 m., le seul pont fixe qui existe 
depuis Strasbourg. Jusqu’ici Cologne n’avait, comme Mayence 
et Coblentz, qu’un pont de bateaux; elle ressemble encore à 
ces deux villes et les surpasse même par la malpropreté de 
ses quais. On ne peut voir le fleuve qu’en se rendant au 
milieu du pont. C’est aussi le seul endroit d’où l’on puisse 
jouir de l’aspect général et assez pittoresque de la ville. 

L’hôtel de ville a peu d’importance. <x C’est un édifice 
arlequin fait de pièces de tous les temps et de morceaux de 
tous les styles, a L’église de S^-ürsule renferme les reliques 
des onze mille vierges qui, d’après la tradition, subirent le 
martyre à Cologne dans le IV e siècle. Une grande chapelle 
est tout entière tapissée de crânes ornés de broderies sur 
velours. Dans l’église même, une masse d’ossements symétri¬ 
quement disposés sous des vitrines s’étend tout autour du 
chœur et des nefs. 

J’ai consacré ma première et ma dernière visite à la cathé¬ 
drale. C’est une merveille qu’on ne peut se lasser de voir et 
d’admirer. L’architecte de génie qui fut l’auteur de cette 
œuvre éblouissante n’a pas laissé son nom; mais heureuse¬ 
ment on a retrouvé ses plans, dont la moitié longtemps éga¬ 
rée a été, dit-on, découverte à Paris dans les poudreux rayons 
d’une petite boutique du quai Voltaire. C’est en \ 248que Far- 

26 


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EXCURSION SUR LE REIN 


chevêque Conrad posa la première pierre de l’édifice, à 15 m. de 
profondeur. Le chœur fat bénit 75 ans après. Les travaux 
souvent interrompus cessèrent entièrement en 1510. Long¬ 
temps oubliée, puis indignement mutilée par le mauvais 
goût du XYIIl* siècle, transformée en magasin à fourrages 
pendant la révolution, délaissée par le gouvernement impé¬ 
rial , qui refusa 40,000 fr. demandés pour l'empêcher de 
tomber en ruines, cette cathédrale a enfin triomphé de tous 
les dangers, grâce à la généreuse initiative du prince Fré¬ 
déric Guillaume, aujourd’hui roi de Prusse, qui verse chaque 
année 200,000 fr. à la caisse de l’œuvre. Les travaux, 
recommencés en 1820, sont poussés avec une grande acti¬ 
vité depuis 1842, toujours d’après les plans du premier 
architecte. Le directeur de ces travaux m’a affirmé que dans 
deux ans tout l’édifice sera terminé, excepté les flèches, 
auxquelles il no faudra pas consacrer moins de quinze 
années. Alors les frais de restauration générale auront 
atteint le chiffre de 18 à 20 millions. Les flèches aoront 
autant d’élévation que l’édifice a de longueur, 165 m. 
(23 m. de plus que la flèche de Strasbourg); la voûte a 
50 mètres de hauteur, (2 m. de plus que le chœur de 
Beauvais, 6 m. de plus que les nefs de Metz et d’Amiens). La 
largeur de la nef est de 50 m.; c’est la même largeur qn’fc 
Anvers, et 5 m. de plus qu’à Notre-Dame-de-Paris. Le tran¬ 
sept, qui est orné de bas-côtés, a 80 m. de longueur, et se 
termine par deux portails gigantesques à triple entrée. 

A l’extérieur, le chœur et un portail latéral sont seul s 
achevés. Mais c’est assez déjà pour faire admirer la majesté 
de l’édifice, les heureuses proportions des diverses parties, 
la richesse extraordinaire et le goût exquis des ornements. 
Ce portail secondaire étonne à la fois par ses vastes dimen¬ 
sions et par le fini de ses sculptures. Au centre du transept 
s’élève une belle flèche, qui s’accorde parfaitement avec le 


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ET SUR L’ESCAUT. 


599 


reste du monument. Le chœur s'élance d’une forêt de 
piliers, auxquels il se relie par une double et même quadru¬ 
ple rangée d’arcs-boulanis enrichis de galeries à jour. Cha¬ 
cun de ces piliers, miniature d'église, a la forme d'une croix 
et se termine par quatre tourelles, que surmonte une flèche 
chargée de bouquets de fleurs. Pour avoir une idée du soin 
qui préside aux travaux, il suffit de remarquer que, depuis 
20 ans, on a déjà employé 725 sortes de feuillages pour ces 
fleurons et ces crosses végétales. 

L'intérieur est encore plus admirable, quoiqu’il n'ait pas 
reçu toute sa perfection. La largeur et l’élévation prodi¬ 
gieuse de ces cinq nefs; ces 60 colonnes si légères, si élé¬ 
gantes, avec leurs statues, niches et dais délicatement sculp¬ 
tés, et afec leurs ptécieux chapiteaux de feuillage; cette belle 
galerie à jour et à double rang de coionnettes, qui décore 
si richement toute la partie supérieure de la cathédrale; ces 
nombreux arceaux fleuronnès qui courent et s’entrelacent le 
long des voûtes; cette splendide parure de couleurs et d’or 
qui fait merveilleusement ressortir toutes les dentelles, tous 
les feuillages, tous les fleurons des nefs, des galeries et des 
voûtes; ces trois étages de verrières qui ornent le chœur et 
qui orneront un jour tout l’édifice; ces dix immenses vitraux 
qui donnent déjà aux nefs une si somptueuse décoration (les 
uns, tout resplendissants de lumière, remontent au XV 9 
siècle, les autres plus éblouissants encore sont dus à la 
munificence du Roi de Bavière) ; toutes ces magnificences 
de détail, qui ajoutent à la perfection de l’ensemble, font 
déjà de celle cathédrale le chef-d’œuvre du style ogival. Que 
sera-ce, quand ses deux incomparables flèches s’élanceront 
à 500 pieds dans les airs? Alors elle n’aura pas d’autres 
rivales dans le monde que la basilique de S 1 -Pierre de Rome 
et la cathédrale de Milan. 

Toutes les chapelles de la cathédrale renferment des 


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400 


EXCURSION SUR LE RHIN 


objets précieux; c’est dans la chapelle de l'abside qu’on 
montre la célébré châsse où sont déposés les corps des Rois- 
Mages, reliquaire bizantin, en or massif, étincelant d’ara¬ 
besques, de perles et de diamants, dont la valeur est estimée 
de 7 à 8 millions de francs. Tout près, une dalle de mar¬ 
bre recouvre le cœur de Marie de Médicis, mère de Louis 
XIU, qui mourut à Cologne dans l'exil et la misère. Elle 
habitait la maison où était né Rubens : les deux inscriptions 
qu’on lit sur la façade de cette maison constatent son double 
titre à la curiosité du voyageur. L’église de St-Pierre, dans 
laquelle Rubens avait été baptisé, possède l’un des chefs- 
d’œuvre du grand peintre, représentant le martyre de 
S l -Pierre, crucifié la tête en bas. 

Aix-la-Chapelle est une ville jolie et commerçante. Ses 
eaux thermales sont toujours fréquentées; mais ses jeux de 
hasard viennent enfin d’être interdits parle roi de Prusse. Ses 
anciennes fortifications sont démolies et, à part deux ou trois 
monuments, on n'y trouve plus aucun vestige de la ville de 
Charlemagne et des empereurs d'Allemagne. L’hôtel de 
ville n'est riche qu’en souvenirs ; la grande salle impériale, 
qu’on restaure en ce moment, possède le plus ancien por¬ 
trait connu de Charlemagne et l’un des meilleurs portraits 
de Napoléon l* r . La cathédrale, qui relève aujourd’hui de 
l’archevêque de Cologne, se compose d’un chœur admirable, 
d’une haute et massive tour qui sert de nef, et d’un portail 
de divers styles, sans harmonie avec le reste de l’édifice. Le 
chœur a 38 m. d’élévation ; sa forme et la richesse de ses 
vitraux lui donnent de l’analogie avec la Sainte-Chapelle de 
Paris. Le dôme qui écrase cette belle abside, malgré son 
élévation et ses ornements sans goût, n’a que le mérite 
d’avoir servi de monument funèbre au grand Empereur. 

Au centre, une large dalle de marbre noir, que le pas¬ 
sant foule aux pieds sans la remarquer, porte cette inscrip- 


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BT SUR L ESCAUT. 


401 


tioo : Carolo Magno. C’est sous cette pierre que Charlemagne 
a reposé pendant350ans. En 997, l’empereur Otbon fit ouvrir 
son tombeau. On y trouva Charlemagne assis sur un trône de 
marbre enrichi de lames d'or, paré des ornements impé¬ 
riaux, l'épée au côté, la couronne en (été, les évangiles sur 
les genoux; le sceptre et le bouclier étaient à ses pieds ; le 
manteau impérial recouvrait ses épaules, et la panetière de 
pèlerin, qu'il portait toujours dans ses voyages à Borne, 
était attachée à sa ceinture. Otbon enleva une croix d’or, le 
trône, la couronne, le sceptre, le globe, \t livre des évangiles 
et l'épée, pour les faire servir au couronnement des Empe¬ 
reurs d'Allemagne. En 1165, Frédéric Barberousse fit ouvrir 
de nouveau la tombe de Charlemagne et placer son corps 
dans un sarcophage de marbre et d’or, pour être exposé à 
la vénération publique. Le trône impérial, fauteuil composé 
de quatre lames de marbre blanc, a pour siège deux plan¬ 
ches de chêne recouvertes d'un coussin de velours. Je me 
suis permis de sonner du cor de Charlemagne, instrument 
formé d'une énorme dent d'éléphant, et de toucher le crâne 
du grand homme, qui est enchâssé dans un buste d’argent 
et surmonté d’une couronne semblable à celle qu'il portait 
dans le tombeau. Le chanoine préposé à la garde de ces 
augustes restes m'affirma que la taille de l'Empereur était 
de sept pieds, et qu'un bâton d'argent d’une longueur 
étonnante, qu’il me montra, reproduisait exactement la 
longueur de son bras. Un os du bras a été incrusté dan9 un 
avant-bras d’argent offert par Louis XI. 

Au nom de Charlemagne se rattachent encore les nom¬ 
breuses et inestimables reliques que l’on vénère dans cette 
cathédrale. Il fit don à cette église de toutes les reliques 
qu’il avait reçues du patriarche de Jérusalem et du calife 
Haroun-al-Baschid, ainsi qu’il l’a certifié dans un diplôme 
délivré par lui-méme. Les grandes reliques, objet spécial de 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


la vénération des fidèles, comprennent : une robe de la S u - 
Viergc, les langes de l'enfant Jésus dans la crèche, la toile 
qui ceignit les reins du Sauveur sur la croix, enfin le drap 
sur lequel S^Jean-Baptiste fut décapité. Ces reliques, dont 
l'exposition n'a lieu que tous les sept ans, excepté en 
faveur des tètes couronnées, étaient exposées cette année. 

La chaire de la cathédrale est un prodige de la ciselure 
et de l'orfèvrerie du XI a siècle. C'est une splendide tonr de 
vermeil, ornée des plus précieuses incrustations d'onyx, de 
cristal de roche et d'ivoire. La basilique, semblable en cela 
aux églises d'Italie, n'a ni bancs, ni chaises pour les offices, 
qui s'y font dü reste avec la plus grande dignité. L’orgoe 
joue tous les morceaux de plain-chant qui ne sont pas 
chantés en musique. L'orchestre, placé dans une tribune, se 
compose de voix d'hommes, de femmes et d'enfants, et de 
nombreux instruments, dont quelques uns accompagnent 
toujours le célébrant à la préface et au pater. Dans toutes 
les provinces rhénanes on prononce le latin à l'italienne; 
ainsi Jésus se prononce iêsous , etc. 

D'Aix-la-Chapelle à Liège, les sites sont pittoresques et 
très variés : à Yerviors, on franchit en une heure deux 
rivières et dix tunnels. Liège, ville de 80,000 habitants, 
sur la Meuse, célèbre par ses hauts fourneaux, ses ateliers 
de machines à vapeur, ses manufactures d’armes et sa fonde¬ 
rie de canons, est l'une des quatre principales villes de Bel¬ 
gique. Si je fus peu flatté, là comme dans le reste du 
royaume, de l'aspect des nombreuses constructions en bri¬ 
ques, je fus heureux d'y retrouver la langue française assez 
souvent parlée. Celte ville a une citadelle, une université 
moderne, une jolie place ornée de la statue de Grétry, des 
promenades agréables, un beau palais de justice et plusieurs 
églises remarquables. 

La cathédrale est un vaste et beau yaisseau ogival du 


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BT SUR L’ESCAUT. 


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XIII* siècle, qui a 100 m. de longueur, et dont la voûte est 
peinte d’arabesques en style de la renaissance, avec des 
branchages dans lesquels se jouent des oiseaux. L’église de 
S‘-Barthélemy, bâtie en 1010, est d’un aspect singulière¬ 
ment sévère, avec ses vieilles tours noires et crevassées. 
L’an deses anciens chanoines s’appelait Mathieu Laensberg, 
si connu encore aujourd’hui par les almanachs qui portent 
son nom. C’est dans la belle égliso de S‘-Marlin, dont la 
haute tour romane domine la ville, que la sainte prieure 
Julienne obtint en 1246 l'institution de la Fête-Dieu, qui de 
là se répandit par toute la catholicité. L’église de S‘-Jacques 
est incontestablement le plus beau monument de Liège. 
Commencée dans le XI e siècle et terminée dans le XVI*, 
elle offre un magnifique échantillon des divers styles d’archi¬ 
tecture, depuis les formes romanes de son portail, jusqu’aux 
flamboyantes sculptures de son beau chœur et de ses voûtes 
entièrement peintes, où les arceaux croisés composent un 
véritable treillis de pierre. Les galeries intérieures et exté¬ 
rieures sont d’une rare élégance, ainsi que les dentelles de 
pierre qui retombent en double feston de toutes les ogives 
des nefs. 

De Liège à Namur, la ligne de fer côtoie la Meuso et 
sillonne un pays riche et pittoresque. Comme en Lorraine, 
on y voit vivre en bon voisinage le pommier, la vigne et 
le houblon. A quelques lieues au sud de la Meuse, la Lesse 
présente, avant de se jeter dans ce fleuve, un de ces carieux 
phénomènes qu’il faut aller voir, et qui laissent d’ineffaça¬ 
bles souvenirs. Celte rivière se précipite dans un gouffre 
insondable, appelé Trou de Belvaux , pour traverser une 
montagne d’où elle sort à une distance de 850 m. en ligne 
droite, après avoir décrit des sinuosités dont on n’a pu 
jusqu’ici apprécier la longueur. Avant de se frayer ce nou¬ 
veau passage, elle s’était creusé dans la montagne un autre 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


chemin, qu’elle laisse aujourd’hui presque à sec. Cette grotte 
offre à ses nombreux visiteurs des spectacles étonnants : lac 
ténébreux, qu’il faut passer en barque et à la lueur des tor¬ 
ches, salles hérissées de pointes de roches, voûtes élevées, 
labyrinthe inextricable, galeries spacieuses, couloirs étran¬ 
glés, précipices sans fond, monstrueux entassements de 
roches, souterrains d’aspect étrange et bien dignes des noms 
qu’ils portent : salle du dôme, défilé du diable , trône de 
Pluton , boudoir de Proserpine, etc. On y rencontre des 
masses de stalactites et de stalagmites, qui affectent toutes 
sortes de formes, de grandeurs et de nuances. Les riches 
couleurs et les mille formes de ces brillants dépôts calcaires 
ont mérité à une foule de salles ou galeries les noms de 
corridor de draperies, pyramide, saule pleureur, bénitier , 
cascade, mont-blanc, salle du vigneron, sentinelle, salle d'ar¬ 
mes, etc. On y trouve aussi la grotte d'Antiparos, assez sem¬ 
blable à la grotte célèbre de l’archipel grec, dans laquelle le 
savant Tournefort crut voir les pierres végéter et croître à la 
manière des plantes. 

Namur est une ville de 25,000 âmes, située au confluent 
de la Sambre et de la Meuse. Elle est assez jolie et très 
industrielle, mais elle n’a pas de monuments importants. 
Son enceinte est fortifiée; sa citadelle surtout est formidable. 
Elle couvre les flancs et couronne les sommets des collines 
escarpées qui dominent la ville et les alentours, en présen¬ 
tant un front de six batteries superposées. L’éclat d’une 
grande fête religieuse, qu’on avait célébrée la veille à 
Namur, jetait encore ses reflets sur le jour de mon passage. 
Trois évôques et 150 prêtres, suivis de500 hommes portant des 
cierges allumés et d’une foule immense, avaient célébré la 
clôture d’un jubilé par une magnifique procession du S-Sacre¬ 
ment dans les principaux quartiers de la ville. J'ai trouvé 
les rues encore pavoisces, ornées de ceposoirs, bordées d’un 


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ET SUR L’ESCAUT. 


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double rang de jeunes sapins, et transformées en longues 
avenues de verdure et de fleurs. 

Entre Namur et Mons s’étend la plaine de Fleuras, illus¬ 
trée par nos victoires. J'attachais un intérêt particulier à la 
vue de ce champ de bataille, le premier de ceux que mon 
père a parcourus. C’était en 1794, dans ce combat sanglant 
où un aérostat fixé dans les airs, machine de guerre d’un 
genre nouveau, instruisait Jourdan de tous les mouvements 
de l’ennemi. Deux ans auparavant, de l’autre côté de Mons, 
une autre grande bataille avait été gagnée à Jemmapes par 
le plus célèbre des anciens commandants de Cherbourg, le 
général Dumouriez. 

La ville de Mons tire son nom de l’éminence sur laquelle 
elle est bâtie, et compte 25,000 habitants. C’est une place 
forte qui a été, comme Namur, vingt fois assiégée, prise et 
reprise. Le Hainaut, dont elle est le chef-lieu, est d'une fer¬ 
tilité inépuisable et extrait annuellement des entrailles du sol 
d’énormes quantités do fer et de marbre, et trois millions*de 
tonneaux dc houille. Plusieurs mines ont jusqu’à 500 m. de 
profondeur et communiquent directement avec les canaux 
ou rivières, au moyen de chemins de fer souterrains. La 
province entière est couverte d’usines et d’ateliers de 
toutes sortes et de toutes formes. Malheureusement 
l’exploitation des inincs est souvent accompagnée de 
catastrophes. Deux jours avant mon passage, le feu 
grisou s’était déclaré dans une galerie, d’où l’on avait 
déjà retiré 60 cadavres. L’église de S^-Waudru est le prin¬ 
cipal édifice de Mons. L’élégance de sa construction et la 
richesse de son architecture ogivale du XV" et du XVI* 
siècle lui donnent rang parmi les plus beaux temples de la 
Belgique. Presque entièrement bâtie en marhre gris et en 
briques, elle a 25 mètres d’élévation sous voûte, 109 m. de 
longueur, 36 m. de largeur. La superbe tour à laquelle 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


l'architecte voulait donner 190 m. de hauteur, ne monte pas 
au-dessus des nefs. Les fenêtres du chœur sont ornées de 
bons vitraux, et les 15 chapelles qui entourent les nefc pos¬ 
sèdent des tableaux et des bas-reliefs de mérite. 

Bruxelles, chef-lieu du Brabant et capitale du royaume 
de Belgique, a 125,000 habitants, 160,000 en comptant les 
faubourgs. Son agréable situation sur le penchant d'une col¬ 
line et sur la Senne, la régularité de scs rues, la richesse de 
ses magasins et de ses hôtels, la beauté de ses monuments et 
de ses promenades, lui assignent un rang honorable parmi 
les plus jolies cités de l'occident de l'Europe. 

La collégiale qui a reçu le nom de S u -Gudule, nièce de 
Pépin-de-Landen, est la seule église monumentale de 
Bruxelles. Elle est de tous les styles et de tous les âges; le 
chœur appartient au style de transition et au style ogival pri¬ 
maire ; l'ensemble de l'édifice est du style ogival secondaire; 
plusieurs chapelles et ornements extérieurs ont tous les 
caractères du style flamboyant et même de la renaissance. 
Malgré ce défaut d'unité, S^-Gudule est un magnifique vais¬ 
seau à trois nefs, dont la longueur est de 100 m. Les tours 
s’élèvent avec autant d'élégance que de majesté à la hauteur 
de 70 m. La façade est décorée de statues. En souvenir 
de quelque tradition populaire, ou par une do ces fan¬ 
taisies dont on voit de fréquents exemples, l'artiste y a 
représenté dans le groupe principal S l -Michel protégeant 
S le -Gudulc contre le diable qui, pour mettre obstacle à son 
active piété, cherche avec un énorme soufflet à éteindre la 
lumière de la lanterne qu'elle tient à la main. 

A l'intérieur, les vitraux du chœur et du transept méri¬ 
tent d'être remarqués. La chaire est peut-être la plus belle 
de toute la Belgique, où cependant la plupart des chaires 
des grandes églises déploient un luxe étonnant. Dans le 
beau groupe do marbre qui est au-dessous, on reconnatt 


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ET SUR L ESCAUT. 


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Adam et Eve, poursuivis par la Mort; sur le dais 
ou couronnement, la S to -Vierge écrase sous le pied de 
la croix la tète du serpent; le double escalier qui conduit à 
la tribune sacrée est formé détrônes et de branches d’arbres, 
sur lesquels sont perchés une foule d’animaux symboliques 
et autres; un aigle, une autruche, un coq, un paon, un 
renard au raisin, même un singe vidant son coco, et un 
écureuil grignotant sa noix ; tout cela de grandeur et 
d’attitudes naturelles, et d’un fort beau travail. Celle 
splendide décoration do la chaire s’harmonise heureu¬ 
sement avec la richesse de la nef et des colonnes qui sont 
ornées des statues colossales des 42 apôtres. Dans la 
petite église du Sablon, on voit avec intérêt la somptueuse 
chapelle funéraire de la famille de Tour-et-Taxis, une autre 
chapelle revêtue d’incrustations en bois imitant les marbres 
de tous les pays, enfin la modeste tombe de Jean-Baptiste 
Rousseau. 

L’hôtel de ville forme un carré dont la façade principale 
est la seule qui soit richement décorée. Ses deux étages 
sont percés d’une multitude de belles fenêtres avec meneaux 
et ses angles sont ornés d’élégantes tourelles. Au centre de 
cette façade s’élève la tour, monument inimitable, dit M. de 
Gaumont, chef-d’œuvre de hardiesse et de légèreté. Carrée à 
la base, plus haut octogone, partout à jour, elle soutient 
à peine un escalier qui se tord sur lui-même, pour monter 
jusqu’à la statue de S l -Michel, statue colossale qui obéit au 
moindre souffle du vent et qui couronne la pyramide, à la 
hauteur de 97 m. au-dessus du pavé de la grande place. 

Celte place emprunte un caractère spécial de distinction 
à son magnifique hôtel de ville et à la Maison-du-Roi qui lui 
fait face ; mais aussi aux curieuses maisons qui l’entourent, 
et qui ont toutes le pignon pour façade. J’ai vu beaucoup de 
pignons sur rue dans nos villes du nord et de l’est, en Bel- 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


giquc et sur les bords du Rhin ; nulle part ils n'ont la même 
richesse que sur cette place. Plusieurs sont chargés de 
sculptures : on remarque surtout la Maison-des-Bateliers, 
dont le pignon représente la poupe d’un navire du XVII 9 
siècle, et la Maison-des-Brasseurs, qui [s’est fait une façade 
d’or avec les produits du Faro, et qui est surmontée à la 
hauteur du cinquième étage, d’une statue équestre de gran¬ 
deur naturelle. 

Le Palais du Roi a fort peu d’apparence et se compose de 
deux hôtels autrefois séparés par une rue. Le superbe parc 
qui s’étend vis-à-vis est parsemé de statues, au milieu des¬ 
quelles se distingue le monument funèbre érigé par les Bel¬ 
ges à la mémoire du général Belliard, ambassadeur de France, 
mort à Bruxelles en 1832. La place Royale est décorée de 
la statue éqnestre de Godefroi de Bouillon, originaire du 
Brabant. Au centre de la place dite des Martyrs, s’élève depuis 
1830 la colonne de la Liberté, en souvenir de l’indépen¬ 
dance de la Belgique. Une fontaine, d’ailleurs fort peu monu¬ 
mentale, mérite d’étre citée comme exemple des caprices 
populaires. La statuette assez peu décente qui la surmonte 
représente un enfant que les Bruxellois appellent le plus 
ancien bourgeois de la ville. Des soldatsfrançaisayant tenté de 
l’enlever en 1747, on assure que, pour calmer l’esprit public, 
Louis XV nomma cet enfant de bronze chevalier des ordres 
royaux et lui fit présent d’un chapeau et d'une épée qu’il 
porte encore aux jours de fête. 

Au moment où je me disposais à quitter Bruxelles, mon 
attention fut excitée par les joyeuses fanfares qui partaient 
d’une vaste diligence chargée de voyageurs et emportée par 
le galop de cinq coursiers vigoureux. Je lus à l’arrière ces 
trois mots en lettres d’or : Victoria-Bruxelles- Warterloo. 
Cest un service qui se fait tous les jours pendant la saison 
d’été et qui porte une foule de touristes, d’anglais surtout. 


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ET SUR L.’ESCAUT. 


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aa champ funèbre de Waterloo. Cette plaine qui fat an 
jour inondée de sang, se couvre aujourd'hui de moissons 
dorées; il parait qu’elle garde encore, debout ou en ruine, 
quelques uns des édifices qui furent témoins de ce terrible 
drame. Le roi des Pays-Bas a élevé au hameau du Mont- 
S‘-Jean une butte artificielle de 50 m., du haut de laquelle 
un lion colossal regarde la France, en tenant orgueilleuse¬ 
ment la patte levée sur un globe. 

Louvain, qui comptait autrefois 100,000 âmes et, dit- 
on, 4,000 métiers de tisserands, n'a plus que 50,000 habi¬ 
tants dans sa vaste enceinte. Sa principale industrie est la 
fabrication d'une sorte de bière, dont il se débite annuelle¬ 
ment plus de 200,000 tonneaux. Son université remonte à 
1426; c'est la plus célèbre etlaplus fréquentée du royaume. 
Son musée possède plusieurs chefs-d'œuvre de l'école fla¬ 
mande. L’hôtel de ville, dont les arts sont redevables à 
Mathieu de Layens, n’a pas de tour centrale; mais il est 
du reste bien supérieur à celui dç Bruxelles. Le rez-de- 
chaussée et les deux étages sont également ornés sur la 
façade et sur les côtés. Aux angles et au centre des pignons, 
des tourelles découpées à jour et garnies de balcons s'élancent 
au-dessus des toits comme d’élégants minarets, et se relient 
entre elles par une délicieuse galerie qui court le long des 
pignons et des toits. Ajoutez à la richesse de cet aspect 
général, la perfection des détails, des centaines de colon- 
nettes, d'archivoltes et de guirlandes, et quatre étages de 
niches destinées à recevoir les statues des grands personna¬ 
ges. Le dais de ces niches ressemble à une couronne de 
feuillages et de dentelles, tandis que leur base reproduit en 
groupes délicatement sculptés toutes les belles scènes de 
l'Histoire Sainte. Ce merveilleux monument est le Nec 
plus ultrà du style ogival fleuri.Ondiraitune châsse pétrifiée. 

Il n’est pas possible de visiter la curieuse église de 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


Saint-Pierre, sans remarquer les belles et grandes 
proportions de sa structure ogivale, la délicate sculp¬ 
ture do son jubé, la perfectio des ciselures de son 
magnifique tabernacle en forme de tour gothique, le nom¬ 
bre et le mérite supérieur de ses tableaux de l’ancienne 
école flamande, enfin les splendides sculptures de sa chaire. 
L’artiste a su réunir avec goût dans ce vaste sujet une 
vigne immense, deux palmiers de 8 à 9 m. de hauteur, des 
anges, S‘-Pierre et son coq, le blessé de Jéricho et le Sama¬ 
ritain qui le monte sur son cheval. Les autres églises ne 
sont pas beaucoup moins riches en objets d'art. S lc -Gertrude 
possède une haute et belle flèche carrée, tout entière 
en granit, ornée de crosses végétales depuis la base jusqu’au 
sommet. Les stalles en bois de chêne sont fouillées avec 


une prodigieuse délicatesse de ciseau ; les 28 scènes de la 
Passion qui y sont représentées sont encadrées de feuillages 
si bien découpés et si parfaitement imités, qu’ils semblent 
prêts à s’agiter au plus léger souffle. A S‘-Michel, les murs des 
nefs disparaissent presque entièrement derrière les confession¬ 
naux sculptés avec magnificence et les tableaux de chemin 
de croix, les plus grands et les plus beaux que j’aie tus. 

Dans plusieurs églises beiges, un crucifix, d'une gran¬ 
deur étonnante est fixé à demeure sur le bord même de la 


chaire. Souvent aussi on dresse dans une chapelle ou bien le 
long des murs un ou même deux calvaires, sur lesquels on voit 
J.-G. revêtu d’une longue robe rouge ou verte, semée de 
larmes. Cet usage est surtout fréquent à Louvain. C’est dans 
cette ville que j’ai rencontré la dernière des grandes foires 
dont j’avais remarqué l’étalage dans les principales villes 
de la Belgique et des bords du Rhin. Ces foires, qui durent 
deux, trois et jusqu’à quatre semaines, cessent d’ôtre fré¬ 
quentées par le haut commerce et perdent chaque année 
de leur importance. 


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ET SUR L’ESCAUT. 


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Matines, ville de 30,000 habitants, avantageusement con¬ 
nue pour ses dentelles et sa chapellerie, est la métropole 
religieuse du royaume. La cathédrale deS-Rombaud, belle 
et vaste église à trois nefs ogivales, appartient généralement 
au XV* siècle. La voûte a 30 m. d’élévation ; la tour, dont 
les dimensions sont colossales, se dresse avec une majesté et 
une sobriété d’ornements dont j’ai trouvé peu d’exemples, 
et s’arrête brusquement à la hauteur de 98 m. Le cadran, 
qui marque l’heure sur les quatre côtés à la fois, mesure 
15 m. de circonférence. La chaire n’est pas moins monu¬ 
mentale que celles de Bruxelles et de Louvain ; les autels et 
les colonnes des nefs sont ornés de belles statues. Cette 
basilique et plusieurs autres églises sont riches de sculptu¬ 
res et de peintures de choix, parmi lesquelles on admire un 
superbe Christ en ivoire de Duquesnoy, la Pèche miraculeuse 
de Rubens, et le meilleur des treize tableaux dans lesquels il 
a peint l’Adoration des Mages. 

C’est à Aix-la-Chapelle et à Malines que j’ai remarqué le 
plus de statues de la S^-Vierge et de calvaires exposés dans 
les rues, avec ou sans lumière pendant la nuit, mais presque 
toujours avec des inscriptions entremêlées do majuscules 
coloriées qui servent de chronogrammes. Je n’ai pas visité 
une seule église soit en Belgique, soit en Allemagne, sans y 
voir placé en évidence un tronc destiné à recueillir le 
Denier de S'-Pierre. Dans les provinces Rhénanes, le clergé 
ne porte ordinairement la soutane que dans les églises; en 
dehors de l’enceinte sacrée, il est revêtu d’une très longue 
redingote noire. En Belgique, le petit manteau est le com¬ 
plément obligé du costume ecclésiastique. A Malines, le 
clergé porte en guise de rabat un petit col bleu-clair, qu’il 
replie sur la soutane; dans les autres diocèses, le collet blanc 
se porte avec ou sans le rabat français. Partout le prêtre est 
revêtu de l’étole et de la barette pour l’administration du 
sacrement de pénitence. 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


Anvers, qui compte environ 100,000 habitants, remporte 
sur toutes les cités belges par la beauté de son port et l'éten¬ 
due de son commerce maritime, par l'importance de sa 
citadelle, par le nombre et Ja perfection de ses tableaux et 
de ses monuments religieux. Celte ville est la patrie de 
Jordaens, des deux Téniers, de Van Dyck, et de plusieurs 
autres artistes et historiens célèbres. C'est la ville natale de 
l'un des membres les plus zélés de notre Société académi¬ 
que, M. Le Chanteur de Pontaumont, inspecteur de la marine. 
Le père de notre honorable trésorier-archiviste, M. Le 
Chanteur, duquel un écrivain distingué a pu dire qu'il était 
« l'honnête homme aimable, la grâce exquise dans la sévère 
probité a remplissait sous l'Empire les fonctions de com¬ 
missaire principal de la marine à Anvers. Ami des beaux- 
arts <el membre honoraire de l'académie de peinture de cette 
ville, il y lit l'acquisition de nombreux tableaux de Jor¬ 
daens, de Rubens, etc., qu'il a donnés en partie aux églises 
de S^Pierrc-Azif, sa paroisse natale, de Honfleur et du 
Rozel. L'église de Notre-Dame-du-Vœu et la chapelle de 
l'Hôpital maritime de Cherbourg doivent aussi à sa généro¬ 
sité deux tableaux de l'école d’Anvers, qui représentent 
Jésus-Christ en croix et la Décollation de Saint Jean- 
Baptiste. 

L'Escaut n'a pas moins de largeur à Anvers que le Rhin à 
Cologne, et de plus il offre, à 25 lieues de la mer, assez de 
profondeur pour recevoir les vaisseaux de premier rang. 
Les vastes et profonds bassins qui s'avancent dans la ville et 
que l'on vient de prolonger pour les besoins du commerce 
au-delà des anciennes fortifications, pourraient contenir 
une flotte entière. Ces avantages exceptionnels font du port 
d'Anvers l'un des plus importants de l'Europe. On sait qoe 
Napoléon voulait y fonder son grand arsenal maritime, et 
que Carnot y soutint en 1814 un siège glorieux contre les 


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ET SUR L’ESCAUT. 


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anglais. La Tille possède plusieurs belles places, des mes 
bien bâties, un grand nombre de maisons avec pignon sculpté 
snrrue. Dans toutes les villes belges, on voit s’avancer en 
dehors des maisons des glaces inclinées qui transmettent à 
l’intérieur la vue de la rue entière ; ces glaces abondent dans 
les principales rnes d’Anvers. Une belle statue décore la 
place Verte ; c’est la statue de Rubens, le grand homme de 
cette ville des beaux arts. Vingt de ses meilleurs tableaux 
forment la galerie d’honneur du musée, qui renferme beau¬ 
coup d’autres chefs-d’œuvre de l’école flamande. 

La cathédrale est le plus grand et le plus somptueux des 
temples delà Belgique. C’est une splendide église ogivale du 
XV* et du XVI* siècle. Sa flèche magnifique, chef-d’œuvre 
d’Appelmans., s’élève à la hauteur de 125 m. et n’est aujour¬ 
d’hui surpassée que par celle de Strasbourg. Elle contient 
43 cloches pour les divers oflices religieux et 40autres pour 
le carillon. La longueur de l’édifice est de 117 m.; sa lar¬ 
geur de 50 m.; elle est de 65 m. au transept. De toutes les 
églises que j’ai vues, c’est la seule qui ait sept nefs. Ces 
larges nefs se réduisent à trois à la hauteur du chœur et sont 
remplacées par d’immenses chapelles. Au centre de la croix 
s’élève un dôme élégant et à jour. Le crucifix ne repose 
point comme ailleurs sur une arcade; il est suspendu à la 
voûte, ainsi que les deux reliquaires qui l’accompagnent, au 
moyen de deux chaînes. On admire dans cette grandiose 
basilique trois chefs-d’œuvre de Rubens : l’Assomption, 
vaste composition terminée en seize jours ; l’Erection de la 
croix, en trois panneaux; enfin la célèbre descente de croix. 
Cette œuvre capitale du grand maître forme le panneau 
central d'un triptyque, dont il a orné les volets de quatre 
sujets distincts. La chaire s’appuie sur quatre statues repré¬ 
sentant les quatre parties du monde. Les délicates sculptu¬ 
res de cette chaire et des boiseries du chœur sont dignes de 

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EXCURSION SUR LS RHIN 


la majesté du temple et de ses peintures merveilleuses. Les 
confessionnaux, qui sont si luxueux en Belgique, et dont cha¬ 
que montant est orné d’une belle statue d’ange, de prophète, 
d’apôtre ou d’évangéliste, m’ont paru plus splendides dans 
cette cathédrale que partout ailleurs. Pourélre parfaitement 
belle, il ne manque à Notre-Dame d’Anvers que de voir 
achever sa seconde flèche, compléter ses vitraux cl démolir 
les maisons qui entourent le chœur. 

Presque toutes les autres églises possèdent de précieux 
objets d’art. La plus remarquable après Notre-Dame est 
l’église de S 1 -Jacques, beau temple gothique de 100 m. de 
longueur et de 50 m. de largeur. Son colossal jubé serait 
admirable s’il n’avait pas le défaut de trop masquer le 
chœur. Les chapelles, les colonnes, les murailles sont tapis¬ 
sées de statues et de tableaux. La chapelle de l’abside, con¬ 
nue sous le nom de chapelle de Bubons, renferme le tom¬ 
beau du grand artiste et un fort beau tableau de laS u -Yierge, 
aux pieds de laquelle il s’est peint lui-même, ainsi que tous 
les membres de sa famille. L’église de S l -Paul, moins dis¬ 
tinguée comme monument, est peut-être plus riche encore 
en sculptures et en tableaux d’élite. L’autel seul a coûté 
140,000 fr. Autour de celte église, une enceinte réservée, 
appelée Calvaire, réunit une multitude de statues et de grou¬ 
pes de grandeur naturelle, représentant les principaux per¬ 
sonnages et les grandes scènes de la religion : anges, patri¬ 
arches, prophètes, apôtres, Marie, Joseph, Lazare et ses 
sœurs; paradis terrestre, puits de Jacob, jardin des oliviers, 
agonie, crucifiement et sépulture de J.-C., etc.; tout s’y 
trouve reproduit avec autant de goût et de vraisemblance 
qu’il est possible dans un sujet si difficile et dans un espace 
nécessairement trop resserré. 

Je fus frappé de la pompe extraordinaire que je vis 
déployer à S 1 -Paul pour une inhumation de 3*classe. Le char 


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ET SUR L’ESCAUT. 


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funèbre était tout entier d’une richesse inouic; il y avait sur¬ 
tout dans le couronnement une telle profusion de sculptures 
et d’or, que je ne trouvai rien de comparable à son éclat, 
sinon les splendides voitures de cérémonie de nos Souve¬ 
rains. La môme pompe se manifeste dans toutes les solen¬ 
nités religieuses; et j’aurais peine à décrire tout le luxe de 
draperies, de velours, de broderies d’or, de statuer et de 
lumièresque j’ai vu déployer dans plusieurs églises, à l’occasion 
de la fête de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs. Les grandes 
églises belges se distinguent aussi par un luxe étonnant de 
sonnerie. Ainsi, à Anvers, outre le carillon qui se renouvelle 
à chaque quart-d’heure, le marteau de l’horloge répète 
l’heure après avoir sonné la demie, mais sur une cloche 
moins forte que celle qui marque les heures. 

Gand, patrie de Charles-Quint et chef-lieu de la Flandre 
occidentale, forme un triangle avec Anvers et Bruxelles. 
C’est chose remarquable de voir ainsi rapprochées, et à 
quelques lieues seulement l’une de l’autre, ces trois villes 
dont la moins peuplée renferme 100,000 habitants. Gand, 
qui dès le moyen-âge était presque aussi célèbre par son 
industrie que (avilie d’Anvers par son prodigieux commerce, 
est encore aujourd’hui la première cité manufacturière du 
royaume. Cette grande et belle ville est située au confluent 
de deux rivières, coupée en 26 lies et percée de 300 rues. 
Elle est renommée pour la beauté de son jardin botanique 
et les richesses de son horticulture. Le Beffroi est surmonté 
d’un dragon que l’on prétend avoir été apporté de Constan¬ 
tinople par l’empereur Baudouin, comte de Flandre. Près de 
la place principale, on voit exposé sur un grossier affût un 
énorme pierrier qui remonte au XIV e siècle, époque de l’en¬ 
fance de l’artillerie. 11 se compose de trente longues barres 
de fer, ayant de 6 à 7 centimètres de face en tous sens, 
reliées dans toute leur longueur par deux, trois ou même 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


quatre rangs de cercles épais. Il a 6 ni. de long, 3 m. 50 c. 
de circonférence et pèse 16,000 kilog. II s'est signalé 
autrefois dans les sanglantes luttes de la commune, et il 
porte encore le nom de Merveille de Gand. 

La cathédrale de S‘-Bavon est une vaste et somptueuse 
église, presque entièrement ogivale, commencée dans le 
X 9 siècle, et terminée dans le XVI 9 . Ses voûtes sont très éle¬ 
vées et sa tour massive n'a pas moins de 85 m. de hauteur. 
La chaire, qui a coûté 80,000 fr. et qui est en acajou, ainsi 
que les quatre longues rangées de stalles du chœur, repro¬ 
duit l'arbre de vie admirablement sculpté. Elle est ornée de 
quatre statues de marbre : deux anges gardent la double 
entrée de la chaire, au-dessous de laquelle on voit la Vérité 
se dévoiler au Temps. Le maltre-autel est décoré d'un 
beau groupe en marbre blanc qui représente J.-C. en croix 
et Madeleine à ses pieds, et qui se dessine heureusement 
entre les colonnes de l'abside. La merveille de cette cathé¬ 
drale, aussi belle de formes que riche de peintures et de 
sculptures, est le célèbre tableau de l'Agneau recevant les 
adorations des saints de l'ancienet du nouveau Testament. 
Cette magnifique toile où l'on voit groupés avec tant de 
fraîcheur et une vérité si frappante les monuments 
et les personnages de tous les âges et de toutes 
les parties du monde, représente la scène principale d’un 
vaste poëme religieux en douze tableaux. Ce chef-d'œuvre 
des frères Van Eyck est un objet d'admiration depuis 450 
ans. Autour du chœur sont appendus les écussons des Che¬ 
valiers de la Toison-d'or, qui tinrent dans celte cathédrale 
leur dernier chapitre en 1559, sous la présidence de Phi¬ 
lippe II, roi d'Espagne. Les autres églises de Gand sont 
ornées d’une foule d’excellents tableaux et des meilleures 
sculptures de Duquesnoy. 

Le Béguinage de cette ville est le plus considérable qui 


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ET SUR L’ESCAUT. 


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soit en Belgique. Cette institntion remonte an VII e siècle et 
doit son origine à S u -Beggue, fille de Pepin-de-Landen. 
C’est une communauté de six à sept cents femmes, qui ne 
sont liées cependant par aucun vœu. Chacune d’elles vit du 
travail de ses mains et habite, au milieu d’une vaste 
enceinte coupée de plusieurs rues, une petite maison isolée 
sur la porte de laquelle est inscrit un nom de saint ou de 
sainte. Elles se réunissent seulement pour les exercices de 
piété et, en entrant dans leur église, elles se couvrent d’un long 
voile de coton blanc qui les enveloppe de la tête à la 
ceinture pendant toute la durée des offices. 

Quoique Bruges ne soit plus cette florissante cité qui, 
sous les ducs de Bourgogne, au XV e siècle, réunissait les mai¬ 
sons consulaires de dix-sepl nations, et qui vit en un même 
jour 150 navires étrangers entrer dans son port, c’est encore 
une fort belle ville de 50,000 habitants, située au confluent 
de plusieurs canaux et remplie de somptueux monuments. 
Le Beffroi, magnifique tour gothique du X1U* siècle, a 108 
mètres d'élévation et renferme le plus beau carillon de la 
Belgique et peut-être de l’Europe. Il contient 48 cloches, 
dont la plus grosse pèse 9,000 kilogr.; le cylindre en cuivre 
est percé de 30,000 trous destinés aux chevilles qui font 
jouer 190 marteaux. Ce carillon a coûté 300,000 fr. Gomme 
ceux de toutes les villes de la Belgique et du nord de la 
France, il joue tous les quarts d’heure et ne donne que 
quatre airs dans l’espace d’une année, un pour le quart, un 
autre pour la demie, et ainsi du reste. J'avoue que ce luxe de 
musique monotone finissait par m’être peu agréable. 

On dit que la cathédrale de S*-Sauveur eut primi- 
tirement S-Éloy pour fondateur. Une belle statue en mar¬ 
bre représente au pied de la chaire le saint architecte teuant 
le plan à la main. L’église est de plusieurs époques et de 
styles divers. Sa haute tour carrée est ornée de douze tou- 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


relies romanes. Les nefs latérales appartiennent à l'enfance 
dn gothique; le chœur et la grande nef sont seuls d’une 
belle architecture ogivale. Son massif jubé est tout entier 
revêtu de marbre. Les chapelles possèdent de bons tableaux 
et quelque belles sculptures. 

L’église de Notre-Dame est, comme la cathédrale, com¬ 
plètement isolée, construite en briques, pavée en marbre et 
privée de vitraux de couleur. Sa tour énorme et sans goût 
est surmontée d’une pyramide fort haute et légèrement 
inclinée, qui sert de point de direction aux navigateurs de 
la mer du Nord. Les murs des «bas-côtés sont si élevés, 
qu’ils nuisent à l’aspect extérieur du vaisseau principal. La 
grande nef, aussi vaste que belle, a 100 m. de longueur et 
30 m. d’élévation sous voûte. L’élégance et la richesse de 
ses colonnes et de ses formes ogivales frappent d’autant plus 
le spectateur, que les galeries supérieures sont en plein- 
cintre et que les nefs latérales affectent la plus grande sim¬ 
plicité. La chaire est d’un bon ciseau ; les confessionnaux 
sont chargés de sculptures jusqu’à l'excès. Ainsi l’un d’eux 
présente, au milieu de trois autres statues, la statue de 
S u -Anne portant dans ses bras la S u -Yierge, qui porte elle- 
même l’enfant Jésus. Le jubé, les autels, les chapelles, tout 
est couvert de marbre et enrichi de sculptures et de tableaux. 
Mais tout s’efface devant le célèbre groupe de la Vierge 
avec l’enfant Jésus ; Horace Walpole a inutilement offert 
300,000 fr. de ce beau marbre, où respire le génie de 
Michel-Ange. On admire aussi le tombeau de Charles-le- 
Téméraire et surtout celui de sa fille, Marie de Bourgogne. 
Leurs belles statues en bronze doré sont couchées sur de 
splendides sarcophages en pierre de touche; sur toutes 
les faces des deux mausolées, de ravissantes statuettes 
d’anges soutiennent un arbre généalogique, où sont sus¬ 
pendus les 80 écussons émaillés de leurs ancêtres. 


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ET SUR L ESCAUT. 


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L’hospice S‘-Jean possède les plus rares tableaux de 
l'ancienne école flamande, dus au pinceau d’Hemüng. Les 
trois chefs-d'œuvre les plus admirés sont : le Mariage 
mystique de S le -Catberine, le triptyque consacré àTAdora¬ 
tion des Mages, enfin les quinze médaillons qui décorent la 
merveilleuse châsse de S k *-Ursule et qui reproduisent l'his¬ 
toire de sa vie et de sa mort avec tout le charme de la 
poésie, du sentiment religieux et de la plus minutieuse 
perfection. J'ai pu visiter aussi la chapelle du Saint-Sang, 
et y adorer les gouttes du sang de J.-C. apportées de Jéru¬ 
salem au temps descroisades par Thierry, comte de Flandre, et 
par lui déposées dans cette chapelle. De l'oratoire primitif, il ne 
reste plus qu’un joli minaret, qui couronne la chapelle actuelle. 
Cette chapelle, de style ogival flamboyant, a de bobs vitraux; 
mais ils ont moins de prix que la châsse du Saint-Sang, 
œuvre remarquable d'orfèvrerie, enrichie de pierres pré¬ 
cieuses. 

L'hôtel de ville mérite de fixer l'attention par l’élégance 
de sa construction gothique, par le nombre et la délicatesse 
des niches, dais et statues de sa façade, enfin par les tourel¬ 
les élancées et les anges en bronze doré qui surmontent les 
toits. Le palais de justice a conservé un riche souvenir de 
son ancienne splendeur; c’est une cheminée grandiose, har¬ 
monieux mélange de bois, de pierre et de marbre, véritable 
chef-d’œuvre de la sculpture du XVI e siècle et du style de la 
renaissance. Tout le bas est en pierre dè touche; la partie 
supérieure est ornée de médaillons en marbre représentant 
Fhistoire de Suzanne et de cinq grandes statues princières, 
qu’entourent une foule de génies, d'armoiries et d'orne¬ 
ments de toutes sortes, du meilleur goût et du travail le 
plus fini. 

On voit aussi à Courtrai une cheminée monumentale, 
composée d’un triple étage de galeries. Elle est ornée de 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


statues en bois et en marbre, et d’une profusion de sculptu¬ 
res en style flamboyant. L’irtiste y a reproduit, dans le goût 
de l’époqoe, plusieurs sujets ou emblèmes religieux: le 
supplice des damnés dans les flammes de l’enfer, le 
mauvais riche appelant Abraham, etc. C’est sous les murs 
de celte ville que l’armée française commandée par Robert 
d’Artois perdit en 1302 contre les Flamands la fameuse 
bataille des éperons d’or. Les églises de Notre-Dame et de 
S'-Martin sont chargées de marbres, ornées de tableaux et 
enrichies de plusieurs belles sculptures. J'y ai particuliére¬ 
ment remarqué une chaire ornée de douze ou quinze statues 
d’anges cl un tabernacle gothique de 10 m. de hauteur qui, 
selon un usage assez fréquent en Belgique, est isolé et 
comme suspendu entre deux des arcades latérales du chœur. 
Les tours des églises, les places et les rues de la ville 
étaient enebre pavoisées au moment de mon passage, en 
souvenir du séjour que le roi Léopold y avait fait huit jours 
auparavant. Dix longues rues étaient garnies des deux côtés 
d’une forêt de jeunes arbres verts, plantés à quatre mètres de 
distance, reliés entre eux par des guirlandes et décorés 
d’oriflammes. 

Tournai, antique capitale des Francs, vit naître Clovis et 
mourir son père Childéric. Le tombeau de ce prince y fut 
découvert en 1655. Parmi tous les insignes royaux qu’il ren¬ 
fermait, on trouva un grand anneau d’or servant de cachet, 
qui portait la figure du Roi, avec ces mots gravés en exer¬ 
gue : Childerici regis . Cette ville, qui compte aujourd’hui 
30,000 habitants, a de jolis quais sur l’Escaut, des rues bien 
bâties et une bonne citadelle. 

La cathédrale est, après Notre-Dame d’Anvers, la plus 
vaste et la plus monumentale des basiliques belges. L’exté¬ 
rieur est d’une majesté sévère; les cinq tours carrées et mas¬ 
sives qui pèsent sur le centre et sur les quatre angles du 


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EJ SUR L’ESCAUT. 


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transept sont même d'un aspect disgracieux. Mais dès qu'on 
pénètre dans l'enceinte, on est frappé d'étonnement, en con¬ 
templant les grandioses et mystérieuses perspectives qui se 
déroulent sur tous les points, et l'on admire les belles pro¬ 
portions du monument et les mille détails qui ne cessent 
d’exercer la sagacité des savants. La longueur du temple est 
de 147 m.; sa hauteur sous voûte de 33 m.; elle est de 
49 m. sous la lanterne ; sa largeur au transept est de 63 m. 
Le chœur, ses bas-côtés et leurs chapelles appartiennent 
au XII* siècle et sont justement renommés pour leurs colos¬ 
sales dimensions et pour la hardiesse et les heureuses pro¬ 
portions de leur style ogival primaire. Le reste de l'édifice, 
qui est moins élevé, avait été construit dans les siècles 
précédents et dans toute la perfection du style roman. Le 
transept surtout est fort remarquable par les bas-côtés qui 
l’entourent et par ses belles voûtes qui s'arrondissent aux 
extrémités else terminent en abside à double étage. La vaste 
galerie qui règne comme à Notre-Dame-de-Paris sur toute 
la largeur des nefs latérales, ajoute encore à l'étendue et au 
caractère imposant de la cathédrale. Le jubé, dont la hau¬ 
teur et la largeur sont proportionnées à son épaisseur de cinq 
mètres, est riche de lames et de sculptures de marbre ; mais, 
ici comme dans la plupart des églises à jubé, cette masse, 
qui sépare le chœur du reste du temple et brise la pérspec- 
tive, me parait également nuire à l'aspect général du monu¬ 
ment et à la solennité des offices. 

Cette cathédrale d’architecture si splendide, dont le 
pavé même est un beau parquet de marbre, a fort peu de 
tableaux et de vitraux de couleur : les seules verrières 
qu’elle possède ornent les galeries supérieures du chœur, et 
représentent les donations et quelques épisodes de la vie de 
nos rois Chilpéric et Sigebert. Parmi les objets précieux de 
son trésor, on distingue une belle chasuble, en velonrs rouge 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


avec broderies or et soie, offerte par S l -Thomas do Cantor- 
béry, et un riche manteau impérial donné par Charles- 
Quint et transformé en chape. 

Telles sont les impressions qne j’ai reçues, les beautés de 
la nature et des arts qui ont captivité mon attention et sou¬ 
vent excité mon admiration dans les provinces baignées par 
le Bhin et l’Escaut. Le Rhin m'a offert des perspectives 
indescriptibles et la cathédrale de Cologne est restée à mes 
yeux le type le plus parfait du style ogival, l’expression du 
beau idéal de l’architecture religieuse. La Belgique vient de 
m’apparaître à son tour belle de génie et d’ardeur, revêtue 
d’un manteau d’or et tout étincelante de pierreries. Remar¬ 
quable par son esprit religieux et sa civilisation, par l’iné¬ 
puisable fécondité de son sol et de ses mines, par le pro¬ 
digieux développement de son commerce et de son 
industrie, par le nombre et l’opulence de ses populeuses 
cités, par la somptueuse architecture, les riches sculptures, 
la brillante orfèvrerie de ses temples et de ses monuments 
civils, enfin par les 75,000 tableaux disséminés dans ses éta¬ 
blissements publics, cette petite contrée peut rivaliser, pour 
la prospérité matérielle/ avec les plus grands et les plus 
beaux pays du monde ; tandis que, au point de vue artistique, 
son culte pour les beaux arts et ses nombreux chefs-d'œo- 
vre lui méritent le premier rang après l’Italie. 

Le Nord de la France ressemble assez à la Belgique. On 
y trouve même fertilité du sol, même abondance d’usines et 
de produits industriels, même prospérité, même luxe de 
fortifications, mêmes souvenirs de guerres. 

La ville de Maubeuge est située sur la Sambre et connue 
par ses hauts-fourneaux. J’y pris à mon retour quelques 
jours de repos dans une cordiale hospitalité de famille. La 
maison que j’habitais porte encore l’empreinte des boulets 
vainement lancés par l’ennemi dans le siège de 1815. Le 


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BT SUR L’ESCAUT. 


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chef de la famille, vénérable octogénaire, n’avait jamais vu, 
avant cette froide et pluvieuse année, la vigne refuser son 
irait. Aatoar de cette place forte, on voit les champs do 
Malplaquet, où Villars fut vaincu par Marlborough, et les 
hauteurs deWaltignies célébrés par la victoire de Jourdan sur 
le prince de Cobourg. A quelques lieues de là, la petite ville 
d'Avesnes possède une tour de 400 m. de hauteur, qui 
repose sur quatre piliers seulement, et un carillon qui joue 
moitié plus souvent que tous les carillons belges. 

Cambraj, patrie de Dumouriez, n'a plus la belle cathé¬ 
drale de Fénelon ; celle qui lui a succédé fut mêmel’ander- 
nier dévorée par les flammes. On y voit encore un assez 
mauvais tombeau de l'illustre archevêque. 11 ne reste de 
l’ancien palais archiépiscopal qu’un portique à trois entrées 
ornées de sculptures, sur lequel on lit ces deux devises: 
A gladio pax. A clavejuttùia. 

Dans les environs de Lille, tonte la plaine est hérissée de 
moulins à vent et d’une forât de hautes cheminées d’usines. 
Lille, ancien chef-lien de la Flandre française, a l’aspect, 
l'opulence et la nombreuse population des grandes cités 
belges. Comme dans ces villes, les rues sont larges et bien 
bâties, et la plupart des maisons ont des caves habitées : les 
caves de Lille sont peuplées de 15,000 artisans. Cette grande 
ville de guerre est fière de la puissante citadelle que Vau- 
ban lui a construite. Ses portes sont monumentales. L’une 
de ses belles places est ornée d’une colonne surmontée 
d’nne statue : c’est un hommage rendu Aux Lillois de 4792, 
en mémoire de leur courage civique. Une autre place est 
décorée d’une statue de bronze, avec cette inscription : 
Le général Négrier , mort glorieusement à Paris , en juin 
4848. Les églises de cette ville n'ont rien de remarquable, 
excepté quelques chaires richement sculptées. Les offices 
religieux s’y célèbrent avec beaucoup de pompe: ainsi, pour 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


toute solennité funèbre, le catafalque se compose d’an vaste 
dais orné de draperies et de franges de deuil ; au-dessus, une 
couronne suspendue à la voûte laisse tomber d’amples dra¬ 
peries qui vont se fixer aux colonnes du transept. Les 
Musées de la ville sont très riches. A côté des belles toiles 
de Rubens, de Paul Véronèse, de Van Dyck, etc., on voit68 
dessins authentiques de Raphaël et 497 de Michel-Ange. 
Lille et Valenciennes, autre ville du département du Nord, 
ont la réputation d’étre, avec Lyon, Bordeaux, Grenoble et 
Dijon, les villes de France restées les plus fidèles au culte des 
beaux arts. 

Arras a vu naître Robespierre et Lebon, qui l’ensan¬ 
glantèrent pendant la Terreur. L’hôtel de ville, bel édifice 
gothique, est surmonté d’un beffroi monumental. Les deux 
places de la ville haute sont entièrement bâties en arcades 
et rappellent la domination espagnole. La cathédrale est 
une vaste et belle église grecque, à laquelle on parvient, da 
côté du grand portail, en franchissant un escalier de 48 
degrés. Si l’on veut voir un bijou d’architecture ogivale, il 
faut visiter la petite église du S‘-Sacrement. Toutes les 
sculptures de cette chapelle sont d’un travail délicieux; 
l'autel, le rétable, tout le sanctuaire, sont ornés de statues 
k demi-voilées par des draperies et de véritables dentelles 
de pierre. Les vitraux en grisaille et les beaux dessins des 
marbres dont la chapelle est pavée complètent la décoration 
de ce gracieux monument. 

Amiens est une jolie ville de 55,000 habitants. Patrie 
de Pierre- l'Ermite, elle a élevé au prédicateur de la première 
croisade une belle statue auprès de la cathédrale. Cette 
cathédrale est l’un des plus beaux, peut-être même le plus 
remarquable des monuments religieux de France. Sa lon¬ 
gueur est de 138 m.; sa largeur de 46 m., elle est de 70 m. 
à la croisée; sa hauteur sous voûte est de 44 m. Quoique 


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son élégant clocher central ait 130 m. d'élévation, il ne 
pent être mis au rang des flèches monumentales de Chartres, 
de Strasbourg, d’Anvers, etc. Commencée en 1220 sous 
l'épiscopal d’Evrard de Fouilloy et terminée en cinquante 
ans, d'après les plans et en partie sous la direction deRobert 
de Luzarches, cette basilique n’offre point les disparates de 
style que nous avons signalées dans la plupart des plus beaux 
édiflees, et présente un ensemble d’une merveilleuse harmo¬ 
nie et d’une perfection presque sans rivale. Cependant le 
portail du nord est trop nu. La façade principale laisse elle- 
même à désirer : elle a moins de largeur que les nefs, et 
ses deux tours, si belles d'ailleurs, sont inégales et man¬ 
quent d’élévation. Mais quelle profusion de colonnes, de 
dais et d’aiguilles, de guirlandes et de crosses végétales dans 
toute cette brillante façade! Quelle multitude de statuettes 
et de statues colossales sur la façade et dans toutes les vous¬ 
sures de ses trois profonds portiques ! Quelle magnificence 
dans les rosaces du portail et des transepts! Quelle élégance 
dans les clochetons qui ornent le chœur et les nefs! 

L'intérieur est peut-être plus parfait encore que l’exté¬ 
rieur. Dans aucun temple les voûtes ne sont plus légères et 
plus hardies, les courbes plus gracieuses, les nervures et les 
clefs plus délicatement ciselées. On admire l’élégance et les 
riches proportions de ses 126 colonnes, dont 44 sont entiè¬ 
rement détachées. Plusieurs de celles qui sont engagées dans 
les murs du chœur rendent un son assez semblable à celui 
d’une cloche, ce qui les fait appeler piliers sonnants. 
Tontes les colonnes sont couronnées de chapiteaux de feuil¬ 
lages aussi variés de formes que parfaits d'exécution. Une 
guirlande profondément fouillée court dans tout l'intérieur 
de l’édifice au-dessous de la galerie supérieure, qui est à 
jour dans le transept et autour du chœur. C’est dans le 
transept qu’il faut se placer pour jouir du plus beau coup 


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EXCURSION SUR LE RHIN 


d'œil de celle magnifique cathédrale et de l'effet des éblouis* 
santés couleurs de ses rosaces. Il est bien regrettable que 
toutes ces belles fenêtres soient dépouillées de leurs vitraux 
et que la surabondance de lumière remplace l'heureux effet 
du demi-jour, de la mystérieuse obscurité qui convient à 
la maison de la prière et au sanctuaire de la divinité. Mal¬ 
gré ce défaut, les grandioses dimensions du monument, 
l'élévation des voûtes, l'élégance des colonnes, la hardiesse 
des arcades, la beauté des chapelles, la délicatesse de 
toutes les sculptures; en un mot, l’unité du style, l'heureux 
accord des proportions, la richesse et l’harmonie des détails 
donnent à ce splendide édifice une perfection, une supé¬ 
riorité qui le rend digne, ainsi que le chœur de Beauvais, 
d'avoir servi de modèle à la cathédrale de Cologne. 

Les précieuses boiseries do chœur, qui n'ont de rivales 
que dans les métropoles d’Auch et d’Àlbi, sont ornées de 
dais, de trèfles, de pinacles, de statues et de groupes repré¬ 
sentant de nombreuses scènes de l'ancien et du nouveau 
Testament. La teinte d'ébène que le temps a donnée au bois, 
ajoute encore à l'effet de ces merveilleuses sculptures. Sur 
la clôture extérieure du chœur, une double série de grands 
médaillons en pierre reproduit avec une délicatesse remar¬ 
quable de ciseau les principaux faits de la vie de S l -Firmii. 
On admire aussi derrière le chœur un enfant assis auprès 
d'un tombeau, célèbre sous le nom de génie ou d'enfant 
pleureur : ce marbre pleure si bien et sa douleur est si vraie, 
qu'on est tenté d'aller le consoler. Il ne faut pas toutefois 
chercher dans nos églises de France, même dans nos monu¬ 
ments les plus somptueux, cette profusion de sculptures et 
de tableaux que nous avons admirée dans les temples bel¬ 
ges. Au contraire, nos belles cathédrales surpassent généra¬ 
lement celles de Belgique par la pureté des formes, par 
les somptueux ornements du portail, par le nombre et la 
richesse des tourelles, des colonnes et des rosaces. 


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ET SUR L’ESCAUT. 


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On a dit qu’en unissant la nef d’Amiens au chœur de 
Beauvais et au portail de Beims surmonté .de deux flèches 
semblables à celles de Chartres ou de Strasbourg, on aurait 
une cathédrale qui ne laisserait rien à désirer. Il est certain 
du moins que ces monuments sont les chefs-d’œuvre de 
l’architecture religieuso , en France. Mais à la suite de 
ces noms glorieux nous devons citer la grandiose et sévère 
basilique de Bourges, l’élégante et somptueuse cathé¬ 
drale de Tours, celle d’Orléans, plusieurs églises de Paris, 
etc. N’oublions pas que la Normandie est la province de 
France la plus riche en monuments gothiques. Bouen mon¬ 
tre avec orgueil sa splendide église de S ( -Ouen, celle de 
S-Maclou et sa magnifique cathédrale, dont la flèche en fer 
va bientôt surpasser en hauteur la flèche de Strasbourg, sans 
toutefois l’égaler en mérite. La ville de Caen possède plusieurs 
belles églises de styles divers, dont la plus remarquable est 
celle de S l -Étienne. La cathédrale de Bayeux se distingue 
aussi par la majesté de ses proportions et la riche coordon¬ 
nance de ses trois styles d’architecture. 

Je suis heureux de pouvoir inscrire au tableau d’hon¬ 
neur le nom de notre belle cathédrale de Coutances. Elle 
n’est pas de9 plus vastes; mais l'unité de son style ogival, 
l'harmonie de ses proportions, la distinction de ses formes, 
la noblesse de ses ornements, l’élégance de ses colonnes en 
faisceaux, comme celles de Cologne, l’élancement de ses 
flèches et la magnificence de son dôme, lui donnent incon¬ 
testablement, dit l’Auteur des Cathédrales, un rang hono¬ 
rable entre les plus merveilleuses productions de l’art 
chrétien du moyen-âge. Ce savant archéologue m’a dit à 
moi-même que la cathédrale de Coutances occupe à ses 
yeux la sixième place parmi les monuments religieux de la 
France. 


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TABLEAU COMPARATIF 


Des dimensions connues des principaux monuments 
religieux d’Italie, de France, de Belgique et des 
Provinces Rhénanes. 


NOMS DES MONUMENTS. 

a 

93 93 

S>2 

§3 

Largeur 

intérieure. 

Largeur 
à l'extérieur 
du transept, 

Hauteur 
sous voûte. 

Hauteur des 
coupoles, 
tours 

ou flèches. 

S l -Pierrc de Rome. 

mètres. 
185 

métrés. 

90 

mètres. 

135 

mètres. 

60 

métrés. 

139 

Cathédrale de Cologne.... 

165 

50 

90 

50 

165 

Id. de Milan. 

118 

57 

87 

46 

109 

Id. de Florence— 

148 

55 

90 

45 

91 

Id. de Reims. 

148 

31 

50 

38 

83 

S l -Ouen de Rouen . 

148 

» 

» 

35 

80 

Cathédrale de Spire. 

147 

59 

70 

40 

75 

Id. de Tournai.... 

147 

40 

65 

33 

60 

Id. d’Amiens. 

138 

46 

70 

44 

130 

Id. de Bordeaux... 

137 

18 

45 

27 

75 

Id. de Rouen. 

136 

32 

67 

28 

145 

Notre-Dame de Paris. 

133 

45 

51 

35 

68 

Cathédrale d’Orléans. 

130 

29 

55 

33 

81 

Id. de Chartres.... 

129 

33 

63 

34 

122 

Id. de Metz. 

124 

31 

50 

44 

121 

Id. de Troyes. 

120 

48 

» 

» 

» 

S l -Étienne de Caen. 

120 

» 

» 

32 

>t 

Cathédrale de Mayence.... 

119 

32 

50 

38 

75 

Id. d’Anvers. 

117 

50 

65 

40 

123 

Id. de Bourges.... 

116 

41 

» 

38 

» 

Id. de Strasbourg.. 

115 

28 

44 

31 

142 

S l -Bavon de G and. 

112 

34 

54 

39 

85 

Cathédrale de Matines. 

110 

30 

51 

30 

98 

S^-Waudru de Mons. 

109 

36 

58 

25 

i) 

Cathédrale d’Auch. 

106 

23 

» 

27 

» 

Id. de Bayeux_ 

102 

30 

38 

23 

77 

Notre-Dame de Bruges.... 

100 

33 

A 

30 

115 

S^-Gudule de Bruxelles... 

100 

34 

» 

39 

70 

Cathédrale de Tours. 

97 

30 

46 

28 

70 

Id. de Tout. 

80 

» 

» 

36 

76 

Id. de Coutances .. 

74 

» 

» 

27 

75 

Chœur de Beauvais. 

63 

42 

59 

48 

»> 

Cathédrale de Lyon. 

60 

27 

» 

33 

50 

S l -Marc de Venise. 

» 

» 

» 

» 

99 

S l ®-Geneviève de Paris.... 

» 

» 

» 

» 

79 


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SDK L'ORIGINE 

DES PLANTES CULTIVÉES, 


NOTE LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE 
DE LA SOCIÉTÉ IMPÉRIALE ACADÉMIQUE DE CHERBOURG, 1856, 


Par M. Avjc. LE JOLIS. 


Quelle est l'origine, quelle es! la patrie primitive des 
nombreux végétaux cultivés par l'homme, soit pour sa 
nourriture, soit pour divers usages économiques et indus¬ 
triels? — C'est là une question qui n'importe pas au bota¬ 
niste seul, mais qui peut offrir à tout le monde un certain 
intérêt, au moins de curiosité ; c'est là aussi un problème 
difficile à résoudre et qui a fourni matière à bien des opi¬ 
nions contradictoires. 

Longtemps cette question a paru insoluble; longtemps et 
presque de nos jours encore, on a regardé comme chose 
impossible d'arriver à connaître l'origine des plantes culti¬ 
vées. a L'origine, écrivait M. de Humboldt en 1807, la 
première patrie des végétaux les plus utiles à l'homme et 
qui le suivent depuis les époques les plus reculées, est un 
secret aussi impénétrable que la première demeure de tous 
les animaux domestiques. Mous ignorons la patrie des gra- 

28 


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450 


SUR l'origine 


minées qui fournissent la nourriture principale aux peuples 
de la race Mongole et du Caucase; nous ne savons pas 
quelle région a produit spontanément les céréales, le fro¬ 
ment, l’orge, l’avoine et le seigle. Les plantes qui consti¬ 
tuent la richesse naturelle de tous les habitants du Tropi¬ 
que, le Bananier, le Carica papaya, le Janipha Manihot et 
le Mais, n’ont jamais été trouvés dans l’état sauvage. La 
pomme de terre présente le même phénomène, a 

En présence d’une telle incertitude, on a eu recours aux 
suppositions les plus diverses pour expliquer l’origine de 
ces plantes, et nombreuses sont les hypothèses, souvent plus 
que hazardées, qui ont été émises sur ce sujet. Parmi elles, 
l’une des mieux accréditées autrefois présentait ces plantes 
comme ayant été en quelque sorte façonnées par l’homme, 
c’est-à-dire obtenues, par une longue culture, d’espèces sau¬ 
vages dont les formes étaient très différentes dans l’origine, 
et dont, pour ce motif, nous aurions peine maintenant à 
reconnaître la parenté avec les produits auxquels elles ont 
donné naissance. On a prétendu encore que ces formes pri¬ 
mitives auraient pu disparaître de la surface du globe, par 
suite de changements survenus dans la constitution des lieux 
quelles habitaient dans le principe. 

Mais des faits positifs sont venus enfin démentir ces 
hypothèses tout-à-fait gratuites, et, grâce surtout aux décou¬ 
vertes des botanistes voyageurs, nous savons maintenant 
qu'un grand nombre de ces végétaux existent à l’état véri¬ 
tablement sauvage dans certaines contrées jusqu’alors peu 
visitées. C’est ainsique l’on a trouvé la pomme de terreau 
Brésil, le froment et l’orge dans l’Asie occidentale ; et les 
résultats déjà obtenus permettent de penser qu’une explora¬ 
tion plus attentive des diverses régions du globe, fera 
constater la patrie d’origine de toutes les plantes cultivées. 
Telle est du moins l’opinion exprimée récemment par un 


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431 


m DES PLANTES CULTIVÉES. 

botaniste illustre, qui s’est occupé d'une manière spéciale de 
la solution de ces problèmes intéressants et a consigné le 
résultat de ses recherches dans un chapitre du magnifique 
ouvrage qu’il vient de consacrer à la géographie botanique, 
science pour ainsi toute nouvelle dont il a posé les bases et 
coordonné les lois. C’est dans cet ouvrage, si riche en faits, 
si profond en érudition, que je puiserai la substance des 
lignes qui vont suivre et qui pourront donner une idée de 
l’état actuel de la question. 

M. de Candollea étudié, une à une, la plupart des plantes 
cultivées, et, en discutant tous les indices fournis par la 
science ou par la tradition qui sc rattachent à leur histoire, 
il a réussi à élucider un grand nombre de faits jusqu’alors 
très obscurs; de plus, il a mis sur la voie d’une solution 
prochaine des questions pour lesquels on manque de docu¬ 
ments suffisants. Sur 137 espèces généralement cultivées, 
les unes dans les pays tempérés, les autres dans les régions 
intertropicales, M. de Candolle en compte 83 qui ont été 
retrouvées sauvages dans un état identique à celui des 
plantes cultivées; à ce nombre on devra probablement 
ajouter 21 autres espèces, quoique leur qualité spontanée 
soit encore un peu incertaine. On éprouve également de 
l’indécision pour quelques autres plantes, qui n’ont été vues 
à l’état spontané que sous une forme différente de celle des 
variétés cultivées, ou dont la valeur spécifique est douteuse; 
mais en définitive, il existe seulement 32 espèces bien 
déterminées, qui n’aient pas encore été rencontrées dans 
des conditions de nature à les faire regarder comme évi¬ 
demment sauvages. Je citerai parmi ces dernières et 
comme exemples, les diverses espèces de Cannes à sucre et 
de Tabacs, le Giroflier, le Citronnier, le Néflier du Japon, 
le Jambosier, l’Arbre à pain de l’Océanie, la Pastèque, le 
Concombre , l’Aubergine, la Tomate, l’Arachide, la Batalc 


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432 


SUR l'origine 


et l'Igname. — En voyant quel nombre restreint de végé¬ 
taux il reste à découvrir à l'état sauvage, et en considé¬ 
rant que ce sont des espèces originaires de contrées assez 
peu explorées, on peut facilement supposer que tôt ou tard 
on arrivera d'une manière certaine à résoudre la question 
d'origine de toutes les plantes cultivées, en ce qui con¬ 
cerne leur état spontané. 

Quant à la connaissance de leur patrie primitive, la ques¬ 
tion est déjà plus avancée sous ce rapport, et l'on sait, pour 
la presque totalité de ces plantes, de quel pays ou du moins 
de quelle grande division du globe elles sont originaires. Si 
l'insuffisance des renseignements fait quelquefois hésiter 
pour la patrie d'une espèce entre deux contrées voisines, la 
même indécision n'existe pas lorsqu'il s'agit de choisir entre 
les trois divisions de l’ancien monde, et surtout entre l'an¬ 
cien monde et le nouveau ; et les rares exceptions qui sub¬ 
sistent à cet égard sont fournies par des plantes dont l'identité 
spécifique n’est pas établie d'une manière précise, de telle 
sorte qu’il est présumable que chacune de ces régions a donné 
naissance à des espèces réellement distinctes, quoique con¬ 
fondues sous un même'nom dans les cultures. 

Ici se présente une remarque très curieuse à faire quant à 
la répartition primitive sur le globe des espèces utiles à 
l'homme. «Elle est, dit M. de Candolle, contraire à l'hypo¬ 
thèse qui se serait présentée à priori, si l'on avait essayé delà 
deviner d'après l'utilité future pour l’espèce humaine, comme 
on le fait souvent quand il s'agit du but de certains phéno¬ 
mènes naturels. Ce ne sont pas toujours les pays dans les¬ 
quels l'espèce humaine prospère, qui étaient primitivement 
doués de végétaux fort utiles ; ainsi, les États-Unis n’avaient 
primitivement pas une seule plante nutritive, ni une scole 
plante d’une utilité quelconque assez grande pour qu'on la 
répandtt dans les cultures. L'Europe en avait moins que l'Asie 


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DBS PLANTES CULTIVÉES. 


453 


occidentale. La Nouvelle-Hollande, la Nouvelle-Zélande, et 
le Cap, n’ont pas fourni une seule espèce, quoique la 
population actuelle trouve dans ce pays des conditions excel¬ 
lentes de climat. » 

En étudiant, sous le rapport de leur distribution géogra¬ 
phique, les 157 espèces dont il a été question plus haut, on 
trouve que 33 de ces espèces seulement sont originaires des 
contrées chaudes de l’Amérique; les plus intéressantes de 
ces plantes sont : la pomme de terre, les tabacs, le manioc, 
la batate, la tomate, l’ananas, le papayer, le cocotier, le 
cacaotier, l'arachide, le maïs, le goyavier, l’avocatier, le 
sapotier, le corossol, l’agave, etc. Les 124 autres espèces, 
appartenant à l’ancien monde, sont réparties ainsi qu'il suit: 
73 dans l'Asie, 36 dans l’Europe, 4 dans l’Afrique, et enfin, 
il sont douteuses, soit qu'elles appartiennent à la foisà deux 
de ces régions, soit que leur individualité spécifique soit 
contestable. 

Pour arriver à connaître la patrie d'origine d'une plante 
cultivée, il est nécessaire d’employer des méthodes diverses 
d'investigation et de les contrôler l'une par l'autre. Les 
recherches dans les auteurs systématiques et dans les her¬ 
biers ne peuvent suffire, à cause de la date comparative¬ 
ment récente de ces ouvrages et de ces collections; l’étude de 
la géographie botanique est d’un plus grand secours, en fai¬ 
sant voir de quelle manière les espèces voisines du même 
genre sont distribuées sur le globe à l'état sauvage. « Plus 
ces espèces sont groupées dans une seule région ou dans un 
seul continent, plus il est probable que l’espèce cultivée en 
est originaire. Plus une espèce cultivée présente de races et 
de modifications dans un pays, plus la culture en est ancienne 
dans ce pays. » 

Il faut, <Pautre part, interroger l'histoire et la tradition des 
peuples, et surtout leur langue. Les études linguistiques, en 


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454 


sun l'origine 


effet, sont de nature à fournir souvent des preuves positives, 
alors que d'autres renseignements font défaut; on peut voir, 
dans l'ouvrage de M. de Candollc, quel heureux parti l'auteur 
a su tirer de cette source féconde pour élucider des points 
controversés. Ainsi, toutes les fois que dans une langue primi- 
tive telle que le sanscrit, l'hébreu, le slave, le celte, etc., 
une plante est désignée par un mot simple et radical, on 
peut en conclure que la culture de cette plante date des 
premiers âges du peuple qui parlait cette langue, *et par 
suite, il j a toute probabilité pour que la plante soit origi¬ 
naire du pays primitivement habité parce peuple. Au con¬ 
traire, si le nom d'une plante cultivée est un mot composé 
et dérivé de radicaux étrangers, il est positif que la culture 
n'avait pas pris naissance dans la contrée où la langue était 
en usage, et qu'elle y avait été introduite à une époque pos¬ 
térieure. Il arrive quelquefois qu'une même plante possède, 
dans plusieurs langues, des noms radicaux différents; on peut 
alors en inférer deux choses : ou l'espèce, répandue à l'état 
sauvage dans une vaste étendue de pays, a vu commencer 
sa culture sur divers points séparément et sans communica¬ 
tion des peuples entre eux, tel est par exemple le cas du 
houblon, du grenadier ; ou bien, il existait primitivement 
plusieurs espèces sauvages distinctes, de patries différentes, 
qui plus tard ont été confondues dans les cultures sous une 
même dénomination collective, comme il est arrivé sans 
doute pour le chou, le lin et le coton. 

Les noms de plantes qui indiquent une provenance étran¬ 
gère, prouvent nécessairement, comme je viens de le dire, que 
la culture de ces* plantes a commencé hors du pays où elles 
portent ces noms ; mais il faut se garder <fe prendre ces 
dénominations trop à la lettre pour en inférer la véritable 
patrie des plantes, car les noms' d'origine sont souvent trom¬ 
peurs sous ce rapport. C'est ainsi que le maïs porte le nom 


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DES PLANTES CULTIVÉES. 


435 


de Blé de Turquie dans presque tous les pays de l'Europe, 
bien qu'il soit incontestablement de provenance américaine. 
Par contre, le Riz de la Caroline est originaire de l'Inde, 
de même que le coton cultivé aux États-Unis; et le 
Peuplier d'Italie n'est pas indigène dans ce dernier pays. 
Enfin, le sarrasin, nom dont on a voulu expliquer l'étymo¬ 
logie en prétendant que cette plante aurait été introduite 
par les Sarrasins, ne tire pas certainement son origine des 
contrées méridionales où il est peu ou point cultivé et où 
il était d'ailleurs inconnu au moyen-âge, mais tout au 
contraire, nous a été apporté de la Russie orientale et de la 
Sibérie. 

Je terminerai ces notes*par quelques observations sur les 
céréales, celles des plantes cultivées qui sont le plus impor¬ 
tantes ponr l'homme, dont la culture est la plus ancienne, 
et sur l'bistoire desquelles ont circulé les opinions les plus 
erronées. Tout récemment encore on a prétendu avoir 
réussi à obtenir une espèce de froment par la culture d’one 
graminée indigène dans le midi de la France ; les journaux 
se sont emparés de cette annonce merveilleuse et l'ont 
répandue dans le public où elle a été acceptée avec une trop 
aveugle confiance. Bien loin de se trouver porté à croire à 
la possibilité de la transformation en blé d'une herbe sau¬ 
vage de nos champs, on est forcé au contraire de reconnaî¬ 
tre que, de toutes les plantes cultivées, les graminées et en 
particulier les céréales sont celles qui se sont conservées 
depuis les temps les plus reculés avec le plus de fixité dans 
leurs caractères botaniques. En effet, les grains de froment 
trouvés dans les cercueils des momies égyptiennes, sont iden¬ 
tiques à ceux de froments cultivés de nos jours, et l'on 
reconnaît facilement dans nos espèces actuelles les céréales 
que cultivaient les Romains. Le froment nous fournit ainsi 


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456 


sur l’origike 


une preuve de la constance de ses caractères quant au nom¬ 
bre et à la grosseur des graines, car cette plante est évidem¬ 
ment restée stationnaire depuis des milliers d’années, a Les 
efforts incessants de l’homme, dilM. deCandolle,nc l’ont pas 
rendu plus productif, et les blés de miracle ne sont pas plus 
communs ni plus abondants de nos jours qu’ils ne l’étaient à 
l’époque romaine, a 

C’est donc une supposition toute gratuite et entièrement 
dénuée de fondement, que l’opinion émise par Buffonet 
par d’autres écrivains, qui prétendent que les céréales 
seraieut un produit factice de l’homme. D’ailleurs peut-on 
concevoir comment des hommes, encore à l’état de barba¬ 
rie, auraient eu l’idée qu’une longue culture pût améliorer 
les herbes qu’ils trouvaient sous leurs pas, et quand même 
ils eussent eu cette notion intuitive, a leur état de société 
n’eùt-il pas été un obstacle à une application efficace du 
principe ? a On ne voit pas de nos jours des peuples peu 
civilisés essayer la culture des herbes à graines non farineu¬ 
ses, et, comme le fait fort bien remarquer M. de Candolle, 
les hommes n’auraient certainement pas été tentés de colti- 
ver les diverses espèces de froment et d'orge, si les graines 
de ces plantes n’avaient pas été, dès le principe, pesantes et 
nourrissantes telles qu’elles le sont aujourd’hui. 

Je puiserai encore dans l’ouvrage du savant professeur 
de Genève, quelques détails sur l’histoire particulière du 
froment, de l’orge, de l’avoine et du seigle. 

La culture du froment remonte & l’origine même de 
l’agriculture, et d’après la Genèse, se rattache aux premiers 
actes de l’homme sur la terre. Les traditions mythologiques 
démontrent également l’ancienneté de cette culture dans 
l'Égypte et la Grèce, et l’existence d’un nom radical dans la 
langue sanscrite fournit une indication analogue pour le 
Nord de l’Inde. On sait l’époque de son introduction en 


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DES PLANTES CULTIVÉES. 


457 


Chine, vers l’an 3822 avant l’ére chrétienne. C’est donc, 
d’après les documents historiques, dans la région comprise 
entre les montagnes de l’Asie centrale et la mer Méditerra¬ 
née que la culture du froment a pris naissance, et c’est aussi 
dans cette région que le froment a été rencontré à diverses 
reprises à l’état sauvage. Outre les indications fournies à cet 
égard par les anciens auteurs, Diodore de Sicile, Strabon, 
Béroze, etc., des renseignements plus modernes sont venus 
à l’appui de cette opinion. Olivier dit positivement avoir 
trouvé le froment, l’épeautre et l’orge, à Tétât véritablement 
sauvage, en Mésopotamie et en Perse sur les bords de l’Eu¬ 
phrate; et plus récemment, en 1854, M. Balansa a rencon¬ 
tré le froment spontané dans l’Asie-Mincure. En con¬ 
sidérant la variété extraordinaire de noms que portait le 
froment dans les langues anciennes de l’Europe et de 
l’Asie, M. de Candolle pense que l’habitation primitive 
de cette plante devait s’étendre sur une vaste région, 
probablement des bords de la Méditerranée jusqu'au Nord- 
Ouest de l’Inde. 

Je n’ai parié jusqu’ici que du froment ordinaire (TYiticum 
tatimm). Quant à l’épeautre (Triticum spella), elle parait 
avoir été cultivée par les peuples celtes et germaniques, 
et il est probable que c'était le grain appelé par les 
Grecs, nom que plus tard on a appliqué mal à propos au 
mais. L’épeautre n’a pas de nom en sanscrit et n’existait pas 
dans l’Inde ; elle ne figure pas nen plus au nombre des 
céréales introduites en Chine en l’an 2822 avant J.-C. Les 
commentateurs de l’aneien Testament traduisent par épeau- 
tre le mot Kuusemeth qui se trouve trois fois dans la Bible ; 
mais l’épeautre, qui convient peu aux pays chauds, est incon¬ 
nue maintenant en Égypte et l’on n’en a jamais trouvé de 
graines dans les cercueils des momies, tandis que l’Exode 
indique la culture du Kussemclh en Égypte. D’ailleurs les 


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458 


SUR L’ORIGINE 


qualités attribuées au Kussemeth convieuuent également au 
Locular (Triticum monococcum ), qui prospère mieux que 
l’épeaulrc dans les pays chauds et dont les Syriens et les 
Arabes faisaient leur pain, au dire d'Hérodote et de 
Strabon. 

L’orge a été cultivée de toute antiquité en Égypte, en 
Palestine, en Grèce et dans l’Inde, et, chose fort remarqua¬ 
ble , l’espèce la plus répandue alors était l’orge à six rangs 
(Hordeum hexastichum ), c’est-à-dire précisément celle qui 
parait la forme la plus éloignée de l’état spontané d’une gra¬ 
minée et que par conséquent on serait plutôt porté à regar¬ 
der comme une race obtenue par suite d’une longue culture. 
C’était elle que cultivaient les Hébreux et les Égyptiens; c’est 
aussi la seule qui ait un nom en langue sanscrite et qui 
fut connue des anciens peuples de l’Inde. L’orge à 4 rangs 
(Hordeum vulgare) et l’orge & 2 rangs (H. distichum) 
n’étaient cultivées que dans la région méditerranéenne. On 
peut en conclure, avec M. de Candolle, que « toutes sont 
des plantes dans un état primitif, non altéré parla culture, » 
et que l’on avait donné d’abord la préférence à l’orge à 6 
rangs « à cause de son apparence plus productive a. Les 
anciens auteurs indiquent la patrie de l’orge en Palestine, 
en Géorgie, en Babylonie, dans l’Inde septentrionale et en 
Phrygie; mais on ne sait laquelle des trois espèces ils avaient 
en vue. L’orge à deux rangs croit spontanément dans les 
prairies voisines de la mer Caspienne et aussi dans les step¬ 
pes du Sud-Est du Caucase ; quant aux deux autres espè¬ 
ces, elles n’ont pas été récemment retrouvées d’une manière 
certaine à l’état sauvage. 

On a indiqué diverses contrées comme étant la patrie du 
seigle; mais on a été souvent induit en erreur par d’autres 
espèces voisines du même genre, spontanées dans le Sud-Est 
de l’Europe et l’Asie occidentale. Ainsi les seigles que l’on 


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DES PLANTES CULTIVÉES. 


439 


rencontre en Sicile, dans (es fies de l’archipel, au Caucase, 
en Arménie et en Bithynie, appartiennent à quatre espèces 
différentes, toutes distinctes du seigle cultivé. C'est dans 
l'Europe centrale seulement, et plus particulièrement dans 
les états autrichiens, la Hongrie, la Dalmatie et la Transyl¬ 
vanie, que l'on trouve le véritable seigle cultivé croissant 
hors des cultures, au bord des chemins, dans les prés et les 
bois; il doit donc être originaire de ces contrées. D'ailleurs 
les noms primitifs donnés à cette plante dans les langues 
slaves et germaniques, indiquent une culture très ancienne 
dans ces pays : ce qui vient confirmer l'opinion des anciens 
Grecs «qui regardaient la Thrace et la Macédoine comme le 
point de départ de cette culture, inconnue alors chez eux 
ainsi que dans l’Égypte et dans l’Inde. 

Enfin, les mêmes contrées qui ont produit le seigle 
paraissent être également la patrie de l’avoine, comme 
l'indiquent, d'un côté le grand nombre et la variété des 
noms slaves, et de l’autre, la rareté et la nouveauté de la 
culture dans la région Méditerranéenne. En effet, l’avoine 
n’était connue anciennement ni des Hébreux, ni des Égyp¬ 
tiens, ni des Grecs, ni des peuples de l’Inde, de la Chine, 
et de l’Arabie, et encore aujourd’hui on ne la cultiverait 
en Grèce que comme objet de curiosité. Au contraire, elle 
était très en usage chez les anciens peuples de la Germanie 
qui, suivant Pline, en faisaient leur pain. De nos jours on 
trouve, dans les États autrichiens, l’avoine croissant sponta¬ 
nément dans les haies, au bord des chemins, sur la lisière 
des bois. Quelques auteurs ont pensé que ces pieds pou¬ 
vaient être échappés des cultures; mais, dit M. deCandolle, 
« si Pavoine se naturalise ainsi hors des terrains cultivés 
dans cette seule contrée, ne serait-ce point qu’elle en est 
originaire, et ces pieds sauvages ne seraient-ils point les 
restes des plantes aborigènes, aussi bien que des individus 


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440 sur l’origine des plantes cultivées. 

sortis des champs? Si l’espèce est aborigène dans ce pays, 
la culture a certainement envahi son habitation primitive, 
surtout les localités qui lui conviennent; alors comment dis¬ 
tinguer aujourd’hui les pieds issus des plantes aborigènes et 

ceux issus de plantes cultivées. On arrive donc à la 

même conclusion que pour le seigle : ou l’Europe occiden¬ 
tale tempérée, sans être le pays d’origine, est éminemment 
favorable à l’espèce au point qu’elle se naturalise hors des 
cultures, et l’origine est impossible à deviner; ou plus pro¬ 
bablement, la patrie primitive est précisément cette région, 
et la culture répandue sur les stations d’origine depuis des 
milliers d’années, a déterminé un mélange complet entre les 
pieds spontanés et les pieds cultivés, de sorte que ceux qui 
vivent aujourd’hui descendent des uns et des autres, n 



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REFLEXIONS SOMMAIRES 


SUR QUELQUES 

SUBSTANCES ALIMENTAIRES, 

LUBS EN SÊANCB PUBLIQUE, LE 1 er MAI 1855, 


Par H. BESMOU, 

Pharmacien en chef de la Marine, Membre de la Légion d’Honnear. 


a II existe à l’égard des subsistances bien des erreurs et 
des préjugés répandus dans le monde; il appartient surtout 
aux chimistes, aux physiologistes et aux économistes instruits 
de les combattre et de les déraciner, a 

C'est à propos du pain, l’élément essentiel de notre ali¬ 
mentation en France, que mon illustre et bienveillant ami, 
M. Girardin, de Rouen, s’exprime de la sorte. C’est qu’en 
effet, à toutes les époques de disettes des grains, de cherté 
du pain, chacun cherche un moyen d’en diminuer le prix 
de revient sans se préoccuper suffisamment de le rendre à 
la fois plus nutritif et plus abondant. Ce moyen existe dans 
le grain lui-méme et est bien simple. Au lieu de rechercher 
presque uniquement les procédés susceptibles d’en exalter 
la blancheur, outre mesure, il suffirait, au contraire, d’y 
conserver tous les éléments essentiels du grain lui-méme 


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442 


RÉFLEXIONS SOMMAIRES SUR 


que la minoterie perfectionnée sait aujourd'hui parfaitement 
extraire et classer à son profil. il est incontestable que Ton 
obtient un pain d’une blancheur très convenable avec des 
farines blutées de manière à retirer 75 kilogrammes de 
farine pour 100 kilogrammes de boulange ou même de fro¬ 
ment bien nettoyé. Dans le procédé actuel de la minoterie, 
cette somme de produits se décompose en trois sortes ven¬ 
dues sous les noms de farine 1™, 2 e et 3% classification bien 
plutôt arbitraire que sérieusement représentative de leur 
aspect et de leur valeur alibile. Si cette industrie en agit 
ainsi, c'est qu'elle y trouve une source de bénéfices plus 
élevés et ce n'est, à mon avis, qu’au détriment des intérêts 
du consommateur. 

Je ne saurais admettre néanmoins dans toute leur pléni¬ 
tude, les opinions savamment développées par M. Jacques 
Yalserres, dans le Constitutionnel du 12 Avril dernier. Cet 
économiste me semble attribuer une trop grande influence 
aux remoulages successifs des gruaux et basses matières 
dont les principes constituants, fortement azotés, subiraient 
dans cette série de* pulvérisations une altération considéra¬ 
ble, notamment le gluten qui est l'élément le plus nourris¬ 
sant. Dès 1846, j'ai constaté que les farines épurées à 25 
pour cent, alors qu’elles contenaient toutes les issues blan¬ 
ches du grain donnaient au moins autant de gluten, plus de 
gluten môme, que les farines les plus épurées de la chambre. 
Ces essais sont corroborés par les travaux de M. Millon, 
pharmacien major des armées, qui en a fait à l'Institut 
l’objet d’un rapport fort estimé. Ce ne saurait donc être au 
mode de mouture, ni au nombre des remoulages qu’il 
faudrait attribuer les modifications qu’ont observées ceux 
qui soutiennent l'opinion contraire. A diverses reprises, j’ai 
été appelé officiellement à faire des essais de mouture sur 
une vaste échelle, et chaque fois j’ai constaté, de la façon la 


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QUELQUES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 443 

plus Dette, la plus exacte, que les farines, provenant du 
même grain, blutées au même degré, après mouture par un 
ou deux tours de meules, ou bien encore soumises aux 
remontages adoptés par la minoterie, non seulement conte¬ 
naient la même proportion de gluten sec, mais qu'il n'exis¬ 
tait entre elles en réalité que des nuances presque imper¬ 
ceptibles; elles ne pouvaient être reconnues que par la 
comparaison attentive des types, et d'avis unanime, nous 
avons accordé, en commission, l'avantage aux farines obte¬ 
nues par les procédés de l'industrie, lorsque nous les avons 
soumises à la panification elle-même. 

C'est donc ailleurs qu'il faut aller chercher l'explication 
du peu de corps que généralement présentent les farines 
extrêmement blanches. Ne serait-ce pas dans l'espèce du 
grain que résiderait celle cause? 

Le minotier trouvant à vendre ses produits avec d'autant 
plus de bénéfice et de facilité qu'ils sont pins blancs, choisit 
de préférence les grains qui donnent le plus de. blancheur. 
Ce sont, en général, les plus féculens et, s’ils sont bien 
nourris, ce sont les plus denses; de sorte qu'achetant au volume 
et vendant au poids, outre l'éclat de la farine, sa blancheur 
plus grande qui lui permet de retirer quelques centièmes de 
plus, il en résulte pour lui un triple avantage de ne pas s'atta¬ 
cher aux grains les plus riches en azote, les plus alibiles par 
conséquent; aussi dans notre pays surtout, l'on n'emploie 
aucunement les blés durs qui, cependant, sont plus riches 
en gluten, rendent davantage au pétrin et fournissent un 
pain bien plus substantiel. 

Le pain ne varie pas seulement dans son dégré de blan¬ 
cheur, dans sa valeur alibile par suite de ces causes natu¬ 
relles. Il est parfois l'objet d'introductions illicites ou de 
tentatives qui n'ont d’autre but que d'en réduire la valeur 
commerciale, au profit du producteur. L'on constate, en 


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444 


RÉFLEXIONS SOMMAIRES SUR 


effet, à toutes les époques de rareté des céréales, la manie, 
pour ne pas dire plus, de prôner sinon de pratiquer des 
mélanges destinés seulement à le blanchir, soit en y intro¬ 
duisant des éléments susceptibles de lui faire prendre 
plus d’eau comme le riz, le maïs, la fécule de pomme 
de terre, quand celle-ci est à vil prix, soit en y mé¬ 
langeant des légumineux qui relèvent les farines infé¬ 
rieures et, en terme de boulangerie, lui donnent du TïetU- 
bon. Ces additions sont certes incapables de nuire à la 
santé publique; si les premières diminuent la valeur 
alimentaire du pain, les secondes ne sauraient encourir le 
même reproche; mais toutes dénaturent le pain et peuvent 
par l’avidité des spéculateurs le gâter au détriment du goût 
et de la bourse du consommateur, surtout de l’ouvrier qui 
se trouve si souvent lié par le crédit vis-à-vis de son bou¬ 
langer. Loin de moi la pensée de discuter l’étrange formule 
d’un pain avec 1/3 partie de seigle 1 de fécule de pomme 
de terre, qu’un fabricant de fécule de Paris a fait publier 
dans les grands journaux. Personne n’a pu s’y méprendre 
et chacun a immédiatement reconnu qu’il s'agissait d’une 
reproduction de la charge de M. Josse. 

D’autres industriels, notamment à Rouen, ont renouvelé 
la pensée d’ajouter du riz cuit, au lieu de farine de riz. 
C’est encore là une de ces pratiques à repousser dans l’in- 
térêt de la population. Si le pain acquiert bien plus de 
blancheur, c’est qu’il retient une quantité d’eaa bien plus 
considérable, prés d’un tiers en plus de la proportion nor¬ 
male ; ce surcroît d’eau n'apporte évidemment aucun profit 
à l’alimentation. Dans quelques instants nous allons voir 
que le riz par lui-méme, sans tenir compte du surcroît d’eau 
qu’il fait absorber viendrait déprécier la richesse réellement 
alibile du pain dans la confection duquel il serait entré. U 
devient donc rationnel et profitable de consommer ccs 


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QUELQUES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 


445 


diverses denrées en nature et sons d’autres formes, d’autant 
plus que l’on y retrouve l’immense avantage de pouvoir 
varier l’alimentation et de flatter même les goûts de chacun 
selon son gré, ses besoins, son état de santé. 

En résumé le pain extrêmement blanc perd de sa valeur 
nutritive; ce qui revient à dire, qu’abstraclion faite des 
mélanges qui le déprécient, le pain blanc qui se rapproche¬ 
rait le plus du taux d’épuration à 25 pour cent, ou encore 
du pain actuel de nos manutentions de la Marine, serait 
sans contredit le plus économique, le plus nourrissant, je 
dirai même le plus sapide. Sa valeur alimentaire serait 
encore accrue si l’on y faisait entrer une proportion notable 
de blés durs. 

Ce que je viens de dire des farines dertaetdes fécules que 
Ton doit rejeter comme susceptibles d'introduire des abus 
dans la fabrication du pain, me conduit tout naturellement 
à vous entretenir rapidement de quelques unes d'entre elles. 

Sous l’influence despotique de la mode, il semblerait 
aujourd’hui que ce qui vient de l’étranger, même en fait 
d’aliments, justifie la réputation que lui donne l’industria¬ 
lisme. C'est ainsi que le riz, l’arrowroot, le tapioka semblent 
acquérir chaque jour une vogue de plus en plus croissante. 
Ils sont certes d’une précieuse ressource, d’un immense 
avantage, si nous venons à les considérer sous le titre 
d’auxiliaires, mais on dit àl’enviquelerizesttrès nourrissant, 
c’est une grave erreur qu’il importe de ne pas laisser pro¬ 
pager. De toutes les céréales le riz occupe le dernier rang 
de l’échelle, a M. Boussingaull qui a parcouru l’Amérique 
méridionale avec tant de profit pour la science et qui a pu 
pratiquement et par expérience en apprécier la valeur ali¬ 
mentaire ne le considère pas comme une nourriture bien 
substantielle.» C’est à tort également que l’on répété que le 
riz est le seul aliment des Indes-Orientales, et en effet, le 

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446 


RÉFLEXIONS SOMMAIRES SCR 


docteur Lequerré, qui a longtemps habité Pondichéry, rap¬ 
porte que le riz est associé au kari, qui est un mélange de 
poisson, de viande et de légumes cuits arec du riz. Il fait 
avoir vu, dit-il, les indiens manger pour se faire une idée de 
l’énorme quantité de riz qu’ils engloutissent dans leur esto¬ 
mac. Il serait impossible aux européens d’en manger autant 
à la fois ; aussi trouvent-ils que le riz ne les nourrit pat. • 
Disons plus, c’est que ce fait est admis par tous les marins 
de quelques grades qu’ils soient, quelque soit la spécialité 
à laquelle ils appartiennent. 

Pour nourrir autant que le ferait un kilogramme de pain, 
il faudrait, en effet, d’après les bases adoptées comme point 
de comparaison par MM. PayenetBoussingault, il faudrait, 
dis-je, consommer environ 3 kilogrammes de riz cuit. Aussi 
devient-il nécessaire de l’associer à un aliment fortement 
azoté comme la viande. Le riz pour faire un bon potage 
exige un bouillon extrêmement substantiel ; sans cela H est 
fade et il diffère considérablement du potage quedonneraitle 
même bouillon soit avec le pain soit avec le vermicel. Il 
devient conséquemment plus rationnel de le retrancher de 
la confection des soupes au beurre ou à la graisse qui ne 
seraient pas suffisamment confortables et ne sauraient con¬ 
venir longtemps aux gens qui fatiguent, ni aux adolescens, 
ni aux enfants qui ont besoin de prendre de l’accroissement. 
C’est enfin un aliment de luxe qui ne saurait suppléer le 
pain pour la classe indigente. Il en est à plus forte raison 
de même pour les fécules que je viens de signaler, l’arow- 
root, le tapioka qni ne sont nullement azotés et ne peuvent' 
figurer que dans les aliments uniquement respiratoires. 

C’est donc le cas de remplacer dans les temps de disette, 
de cherté du pain, non seulement ces agens nutritifs de 
moindre valeur mais encore les céréales elles-mêmes par 
les semences bien plus alibilesdeslégumineux ; les haricots, 


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QUELQUES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 


447 


les pois, les fèves, les lentilles, dont le prix de vente est 
toojonrsbien inférieur au prix du froment et surtout à celui 
du riz. 

Un point capital à établir, c’est que ces légumineux con¬ 
tiennent quatre fois plus d’élément plastique, sanguifiablc 
que la semence de riz et, tandis que ce dernier coûte de 45 
à 50 fr. le quintal métrique, dernière qualité, les premiers 
varient de 25 à 30 ou 55 fr. selon l’espèce et en première 
qualité. • 

Serait-ce donc alors une question de saveur', de goût qui 
pourraient faire répudier les légumineux? non,évidemment, 
car l’expérience s'en fait journellement sur nos tables 
modestes ou plus aisées. Pour nous en convaincre du reste, 
il suffit de faire l’essai bien facile qui suit : cuisons séparé¬ 
ment à l’eau, simplement avec un peu de sel, du riz, des pois, 
des baricots et goûtons. Le riz restera insipide, fade, sans 
goût; il serait absolument impossible d’en faire un repas 
entier. Le haricot, le pois surtout nous offrira de la saveur, 
du parfum. Nul n’élèvera de conteste à cet égard, eh bien ! 
comme il faut (théoriquement) 3 kilogrammes de riz sec qui 
coûteraient 1 fr. 50 pour équivaloir à un kilogramme de 
haricots ou de pois qui ne coûterait que 25 à 35 centimes, 
n’ai-je pas eu raison de dire que le riz est un aliment peu 
nourrissantet par conséquent pour nous complètement de 
luxe? 

Il est vrai que pour certains estomacs très délicats le 
haricot n’est pas toujours sans inconvénient, surtout quand 
il présente de la difficulté à la coction; aussi n’ai-je ici 
pour but que dé fixer votre attention sur l'économie et 
les avantages qu’il peut offrir aux classes pauvres qui n’ont 
pas la possibilité de varier leur nourriture ni de choisir leurs 
mets. Toutefois, le pois, la fève qui coûtent moins cher que 
le haricot et qui lui sont supérieurs comme valeur nutritive 


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448 


RÉFLEXIONS SOMMAIRES SUR 


ne déterminent pas les mêmes effets, et cependant dans leur 
étal naturel, on les voit souvent repousser, tandis que si 
l’industrie les a convertis en farines, mis en sacs élégants, 
portant l'étiquette de pois décortiqués, ils deviennent bientôt 
Tobjct d’une grande faveur et à un prix double ou triple de 
leur valeur initiale. Il y a quelque chose de bien phls éton¬ 
nant, c’est qu’il a suffi de les dénaturer, en les mélanlà quel¬ 
ques autres farines d’une moindre valeur, d’y ajouter quel¬ 
ques aAmates variés, de les colorer de telle ou telle nuance 
pour voir les mêmes personnes qui vous assurent ne pou¬ 
voir supporter les purées, les préconiser jusqu’à l’exagéra¬ 
tion comme étant des produits excellents, essentiellement 
réparateurs. C’est dans la classe aisée, je dirai même ins¬ 
truite, c'est dans la catégorie des malades, c’est parmi les 
personnes qui se dévouent à leur donner des soins en quel¬ 
que sorte religieux que l’on peut puiser la preuve d’une 
confiance aveugle pour tous les féculens vantés par le char¬ 
latanisme. Qu’est-ce, en effet, que la longue série de 
prétendus aliments toniques et réconfortants dont on déguise 
la provenance sous des noms parfois les plus bizarres, quand 
ils ne sont pas mensongers; tels sont par exemple, le raca- 
hout des arabes, le racacbout, son rival, le riz cochina pres¬ 
que mort-né, l’indostane, la revalenta, l'ervalenla,lasolanta, 
le palamoud, etc. 

Les noms assez rudes deracahout,racachout, qui ne carac¬ 
térisent aucun être soit du règne végétal, soit du règne animal, 
n’expliquent pas d’avantage l’origine ou la localité d’où ces 
substances peuvent provenir; l'on ne saurait, en effet, faire 
dériver ces dénominations de l’arracachaescu/enta, genre voi¬ 
sin de la cigüe, originaire de Santa-Fé de Bogota et dont la raci¬ 
ne extrêmement féculente, est employée depuis assez long¬ 
temps dans les Antilles françaises. Ce sont, du reste, des mé¬ 
langes, dit-on, de glands doux, heureusement dénaturés par la 


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QUELQUES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 


449 


torréfaction et de quelques antres farines on fécules d’avoine, 
de pomme de terre, édulcorés par lo sucre, parfumés au 
cacao, au santal. Cependant dans le racahout sans odeur, ces 
aromates ont été complètement supprimés. 

Le palamoud présente au moins une prononciation 
euphémique; mais son nom n'indique pas d'avantage sa 
composition, son origine. C'est un mélange, dit Payen, de 
même sorte, avec addition de farine de maïs, dit blé de Tur¬ 
quie ; serait-ce alors à celle adjonction qu'il doit d'être 
annoncé comme le potage préféré des sultanes qui en igno¬ 
rent sans doute aussi bien l'existence que les arabes du 
désert ignorent de même, celle du racahout. 

La revalenta que depuis son invention on a francisée sem¬ 
blerait être une sorte d'anagramme du nom botanique de la 
lentille, à moins que l'on n’aille chercher son étymologie dans 
le verbe latin revalere (revenir en santé). C’est à ce qu'il paraît 
encore une composition faite sans grand effort de génie. L'on 
y a peut-être supprimé la farine de lentille pour lui substituer 
la farine du pois cultivé dont le prix est bien moins élevé. 
Cette farine composée m'a semblé additionnée de farine 
d'avoine torréfiée ou gruau d'avoine et d'un peu de maïs. 

L'ervalenta qui est assez exactement la même chose rap¬ 
pelle bien mieux son origine, la lentille, ervum lent, qui en 
fait la base; ce dernier nom serait compris de tout le monde; 
mai9 il deviendrait moins distingué de l'aller acheter sous 
cette dénomination chez son épicier à un prix extrêmement 
réduit, et pour certaines personnes cela en diminuerait 
énormément la réputation. 

Le tapioca français, le riz cochina en quelque sorte 
délaissé, ne sont que des préparations analogues, des fécules 
de pommes de terre et de riz que l'on a légèrement humec¬ 
tées, puis soumises à une sorte de coction sur des plaques de 
cuivre étamées pour les transformer d'abord en une sorte 


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450 


RÉFLEXIONS SOMMAIRES SUR 


d'empois, puis les granuler irrégulièrement. Dans cette opé¬ 
ration il peut se glisser parfois assez de négligence pour 
qu’il s'y trouve des traces de cuivre dont la présence pour¬ 
rait provoquer de notables accidents. 

La solanta mériterait de notre part une sorte de répara- 
tioo, car son nom rappelle d’une façon absolument transpa¬ 
rente l'origine dont elle émane, mais elle a encore le tort 
gravement reprochable pour la classe indigente ou peu aisée 
d’étre tenue à un prix quatre ou cinq fois plus élevé, que 
si on lui eut conservé son nom beaucoup moins aristocra¬ 
tique de fécule de pomme de terre. 

Quel est le prix du kilogramme de ces produits? Le 
racahout, la revalenta raffinée, dit M. Payen, sont vendues 
16 fr. le kilogramme, le palamoud, la revalenta ordinaire 
8 fr., la solanta, 2 fr. 60. Vraie bagatelle! si on les compare 
aux pastilles sucrées et aromatisées à l’osmazAmequi n’attei¬ 
gnent que 66 fr. Mais il faut bien le dire, c'est là un sim¬ 
ple bonbon qui doit réparer les forces durant les voyages et 
après les maladies ! 

S’il ne s'agissait toujours que de satisfaire une fantaisie qui 
nimposAt aux personnes qui les achètent qu’une dépense 
de peu d’importance, je considérerais comme au moins inu¬ 
tile de m’en occuper ici, mais ces personnes semblait y 
trouver un aliment très fortifiant, complètement réparateur, 
tandis qu’elles se soumettent avec une aveugle confiance à 
tous les inconvénients d’une nourriture insuffisante qui les 
affaiblit d'avantage et entretient, si elle ne détermine oa 
ramène réellement un état morbide plus sérieux. 

Je dirais donc, en me résumant, qu’aucunes fécules, qu’au¬ 
cunes farines, seules, aromatisées, sucrées ou non, ne sau¬ 
raient constituer une nourriture complète, quand même 
elle contiendraient des farines de légumineux, voire même 
un peu de gélatine ; aussi les pètes, chocolats analeptiques, 


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QUELQUES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 


451 


sirops binotritifs ne sont également qne des préparations, 
des formes spéciales et tentantes qne le mercantilisme 
emploie pour écouler à des prix souvent fabuleux les élé¬ 
ments isolés ou mélangés que je viens d’énumérer ou bien 
leurs congénères. 

Plus récemment on vient de recommander pour les cam¬ 
pagnes lointaines le biscuit au bouillon comme devant 
apporter nne grande amélioration dans l’alimentation de nos 
marins de l’état et du commerce, le ne saurais taire lacrainte 
que je ressens qu’une pareille addition d’nn principe anüna- 
lisé dans ces galettes n'en rendre la conservation bien plus 
difficile à bord de nos bltimerts, quand je songe aux influ¬ 
ences si variées si énergiques jui résultent de l’humidité des 
cales, du passage alternatif des climats froids aox climats 
chauds et réciproquement ; il faut y joindre encore les ravages 
dont, par suite de cette addition, ils deviendraient bien 
davantage l’objet de la part des animaux rongeurs ou des 
insectes ; cette préparation ou innovation faite dans un but, 
fort louable sans doute, nonobstant l'élévation de son prix 
de revient, pourrait bien avoir le sort du gluten granulé qui 
souvent après un an de campagne revient parfois altéré au 
point de répandre l’odeur de la poussière de vieux fromage. 
J’admets même ici que la préparation de ces biscuits aura 
été loyalement faite avec des bouillons de première qualité, 
au lieu de provenir d’éléments déjà épuisés, quoique pou¬ 
vant donner à l’analyse du chimiste les mêmes proportions 
d’azote. C’est ainsi que l'on pourrait, sans que la science 
puisse affirmer la substitution, donner à ces biscuits la 
même richesse en azote au moyen de la gélatine des os, de 
la chair de cheval, etc. Cela pourrait n’étre pas indiffé¬ 
rent pour les consommateurs qui ne sont pas encore tous 
convaincus et décidés en faveur de ces éléments, de cette 
viande, les consciencieuses études des hommes de coeur qui 


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452 


RÉFLRXIONS SOMMAIRES SUR 


se sont dévoués à Àlfort, et en cela, le doate ne saurait être 
blâmable, quand on a entendu les rapports des vieux mili¬ 
taires que la pénurie et la faim, lescondiments, par excellence, 
ont réduits à consommer cette chair; elle deviendrait bien¬ 
tôt de luxe, si pour perfectionner cette viande, il fallait 
changer les habitudes actives du jeune cheval, et le sou¬ 
mettre aux conditions de repos et d’engraissement adopté 
pour la race bovine et cela en rejetant de la consommation 
les animaux trop vieux ou surmenés. 

Puisque je viens de prononcer le mot de bouillon, per- 
meltez-moi d’examiner quel est le mode le meilleur, le plus 
économique de le préparer. Examinons quelle est l’action 
de l’eau, des légumes, des aromates dans cette préparation 
culinaire de la viande et quelle différence se manifeste sur 
l’influence du rôtissage. J’ai compris par avance ce qu’un tel 
sujet pourrait peut-être prêter à la critique, à la plaisante¬ 
rie de quelques uns ; l’utilité réelle qu’il présente me (ait 
passer au-delà et déjà j’entrevois quelle est parfaitement 
comprise et que je puis compter sur la continuation de 
votre bienveillante indulgence. 

Si l’expérience journalière nous apprend que les vian¬ 
des sont d’autant plus faciles à digérer que leur cohésion est 
moindre, leur dureté moins grande ; qu’ainsi la chair des 
poissons, de la volaille., sont infiniment plus légères que la 
chair du bœuf, du mouton, du porc, elle nous enseigne 
aussi qu’il convient d’attendre, avant de les soumettre à la 
cuisson, que les viandes soient attendries par suite de cer¬ 
taines réactions intérieures et spontanées, qui se passent 
dans leurs tissus et qui les désagrègent au bout d’un laps 
de temps qui devra varier selon l’essence % de la viande, la 
température de la saison, depuis 24, 36 heures en été jus¬ 
qu’à 3 et 4 jours et même bien au-delà en hiver, à moins 
cependant que la gelée n’intervienne. Dans ce cas la con- 


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QUELQUES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 


453 


gélation des socs liquides a brisé les cellules des (issus; dès 
le dégel, la mortification est suffisante et l’altération putride 
marcherait avec rapidité. Le gibier fait un peu exception à 
cette régie; aussi les gastronomes attendent-ils qu’il sc soit 
complètement attendri, notamment pour la bécasse, qui 
sous ces influences profondes contracte un parfum tout 
spécial qu’ils recherchent avec passion. 

L’on peut prolonger bien plus longtemps la macération 
intérieure de la viande au moyen de marinades, de l’huile, 
sans aucun inconvénient pour la santé; au contraire, ainsi 
soustraites à l’action directe de l’air ambiant, les viandes se 
perfectionnent, se parfument, et elles deviennent alors des 
aliments essentiellement assimilables, toniques et fortifiants; 
mais elles développent en même temps quelques uns des 
bénéfices et des inconvénients delà bonne chère. 

Le degré de cuisson, le mode suivi pour l’opérer, déter¬ 
minent également suivant les espèces, les qualités des vian¬ 
des, une réaction aussi variée qu’elle est considérable. Dans 
le rôtissage, par exemple, les parties extérieures, chauffées 
brusquement, éprouvent une température de 120° à 130°, 
pour les saisir, les dorer, tandis que le centre du morceau ne 
s’échauffe pas à 100°. A cette température il y aurait appari¬ 
tion de vapeurs abondantes. Ce phénomène se manifeste 
dans le rôtissage des volailles grasses par un dégagement 
de quelques jets de vapeurs, qui se succèdent avec une régu¬ 
larité assez remarquable. Elles fument leurs pipes, disent 
dos cuisinières ; c’est alors que la cuisson avance, et qu’il 
faudra bientôt l’arrêter. Dans ce cas les viandes qui n'ont 
pas atteint intérieurement une chaleur de plus de 70° sont de¬ 
venues sapides, juteuses. La coagulation des éléments albumi¬ 
noïdes* solubles, enraie l’évaporation des sucs intérieurs qui, 
en s’échauffant à 60° ou 70°, complètent le ramollissement de 
la fibre. L’hématosine, principe colorant du sang, sc colore eu 


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454 


VÉFLXU0N8 SOMMAIRES 8UR 


rooge et elle développe l’arome que l’on désigne communé¬ 
ment sons le nom d’osmazôme, qui lait tonte la délicatesse 
des rôtis. Ce parfum varie selon la provenance des viandes 
et le mode de nourriture des animaux. 

La chair du vean est très aqueuse, sans parfum à bien 
dire; elle exige une cuisson bien plus avancée, il faut la 
pousser jusqu’à un commencement d’évaporation intérieure, 
une sorte de dessiccation et opérer à l’extérieur une sorte 
de caramélisation. C’est surtout pour cette viande que les 
arrosages an benrre deviennent nécessaires pour maintenir 
l’arome. 

Le rôtissage au four opère d’une façon analogue pourvu 
que les vases contiennent assez de liquide pour éviter qne la 
dessiccation ait lien; la vapeur que renferme l’espace clos 
pendant la durée de la cuisson, transmet facilement la cha¬ 
leur, tout en laissant les muscles imbibés de liquide. Cest 
cette vapeur mobile qui vient remplacer l’arrosement. Hais 
ces rôtis sont biens moins déUcals que ceux faits à l’air libre, 
surtout quand ils sont obtenus au mouvement régulier de 
l’ancien tourne-brocbe. 

Lorsque l’on fait usage de l’eau pour la coetion des vian¬ 
des, les réactions varient beaucoup, sinon dans leur essence, 
du moins par rapport au produit final que l’on obtient. An 
lieu de confondre tous les éléments de la viande comme 
dans les rôtis, ou se propose, an contraire, sous rinfinence 
de l’eau chaude, d’effectuer une analyse réelle de la viande 
et cela en opérant la transformation moléculaire des lissas, 
des tendons, et des éléments susceptibles de se géfaliniscr, 
la dissolution de l'albumine, de l’hématosine, etc., et des 
sels acides inhérens à sa constitution. Le bouillon, en effet, 
doit contenir tous ces éléments réunis et celui là sera le 
meilleur, qui, sons le môme volume, conliendrale pins de ces 
principes nourriciers dont je viens d’abréger la nomeacia- 


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QUELQUES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 455 

tare technique. Mais la réunion de ces principes essentiels 
de la chair ne suffit pas pour donner au bouillon toutes les 
qualités sapides et économiques que nous y recherchons; il 
doit contenir encore des substances végétales extractives, 
sucrées et aromatiques, qui, avec le sel, lui servent de con¬ 
diment; elles y apportent leur saveur propre et réagissent for¬ 
tement sur la dissolution des éléments solubles de la viande 
en lui communiquant leurs propriétés savoureuses. 

D'après ces données, il devient évident que, pour prépa¬ 
rer un bon bouillon, et par suite un excellent potage, il faut 
choisir de préférence la chair musculaire, la diviser afin que 
l’imbibilion se fasseplus facilement, et le plus complètement 
possible, la mettre dans l’eau froide, n’agir qn’i une tempé¬ 
rature voisine de l’ébullition afin de ne déterminer qu’avec 
lenteur et partiellement la-coagulation de l’albumine et de 
l’bématosine ; car sans cela, le liquide baignant ne pénètre 
plus avec la même facilité et alors il faudrait prolonger la 
coction. Il faut surtout se garder de recourir à Une vive 
ébullition. L’eau, dans ce cas, n’a point une température plus 
élevée; elle n’agit donc pas avec plus d’énergie, tandis que 
la vapeur qui se formerait entraînerait l’arome de la viaBde 
et des légumes que la couche graisseuse qui surnage tend à 
y conserver. C’est avec raison que j’ai entendu, dès ma jeu¬ 
nesse, mon aïeul recommander de faire seulement frémir le 
bouillon. La science depuis lors est venue confirmer ce que 
la pratique attentive avait démontré à nos devanciers. 

Maie lorsqu’au lieu de n’avoir pour objet que la prépara¬ 
tion du bouillon, du consommé, la viande doit servir, comme 
dans nos modestes ménages, chez nos ouvriers, pour nos 
troupes, de plat accessoire, sinon unique, le mode opéra¬ 
toire doit un peu varier. Au lieu de mettre à la fois et l’ean 
froide et la viande, il faut au contraire avoir la précaution 
de porter par avance l’eau à l’ébullition, en y ajoutant qoel- 


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456 


RÉFLBXIONS SOMMAIRES SUR 


ques légumes sucrés et aromatiques, la carotte, 1’oignoo, 
puis mettre la viande dont l’extérieur se trouve saisi parla 
coagulation de l’albumine normale et celle de l’hémato- 
sine. L’osmose ou l’action capillaire se fait avec plus de len¬ 
teur ; le centre de la masse s’échauffe moins vite, alors les 
sucs intérieurs réagissent d’une façon un peu analogue à ce 
qui s’opère dans le rôtissage; les muscles s’attendrissent et, 
au bout de 4 heures au plus dans les hôpitaux, on retire 
la viande, qui sous le couteau rend un jus abondant, et 
sapide ; le bouilli offre alors tous les avantages d’un ali¬ 
ment tendre et convenable que nos malades consomment 
avec profit, dès qu’ils sont soumis à la demi-ration. 

Une obseryation pratique qui n’est pas sans un grand 
intérêt, c’est d’établir que ce double résultat est parfaitement 
atteint avec les morceaux de 2*choix, quoique plus grais¬ 
seux ; c’est donc par une sage économie que ces morceau 
sont exclusivement achetés par nos troupes. Le soldat y 
trouve, eu égard au prix, avantage sous le rapport du goût 
de sa viande., et son bouillon est convenablement concentré; 
mais pour les malades, il convient de réserver les muscles 
les moins graisseux. Ces réflexions viennent confirmer les 
excellentes mesures prises dans les grands centres pour la 
classification et la taxe de la viande selon les régions d’où 
elles émanent. 

C’est ici le cas de réduire à leur valeur les assertions, 
parfois intéressées, que l’on répand sur la valeur alibile des 
os* Beaucoup de personnes croient encore que les os amé¬ 
liorent le bouillon; rien n’est plus erroné; les os, en effet, à 
la température de l’eau bouillante ne lui cèdent presque rien 
et, si l’on vient à la porter jusqu’au point de désorganiser en 
partie les tissus, le liquide se trouble, devient blanchâtre et 
ne se clarifie que très difficilement. Ce bouillon serait sans 
parfum et privé de tous les caractères organoleptiques qui 


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QUELQUES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 


487 


nous rendent cet aliment si appétissant. Longtemps cette 
erreur a échappé à la sagacité d’un savant aussi illustre que 
recommandable par les immenses services qu’il a rendus à 
l’industrie. 

Pour clore cet entretien presque familier, il me reste à 
vous dire que la qualité des eaux exerce aussi une grande 
influence sur la qualité du bouillon et surtout sur la cohésion 
du bouilli. Je viens de vous recommander de ne pas acti¬ 
ver l’ébullition qui lui enlève son arôme; c’est pour éviter, 
en faisant le remplissage au fur et à mesure, d’introduire de 
nouvelle eau, qui nécessairement apporte une nouvelle pro¬ 
portion des sels qu'elle contient. S’ils sont calcaires, ces sels 
viennent incruster en quelque façon les tissus musculaires, 
les rendre durs, secs et parfois coriaces. Il nuisent donc à la 
fois à la qualité du potage et surtout à celle du bouilli. C’est 
ce qui peut avoir lieu généralement pour les eaux des puits 
creusés dans les anciens lits de la mer ou dans les rues voi¬ 
sines; quelques unes m’ont paru contenir encore assez de 
sels calcaires et magnésiens pour devoir les rendre peu pro¬ 
pres à la cuisson des légumes et même au savonnage. 

Un sentiment naturel de susceptibilité que vous devez 
partager me convie à relever en dehors de notre belle 
province la valeur alimentaire d’un de no9 plus importants 
produits agricoles ; je veux parler du blé noir ou sarrasin, 
objet de préventions, à mon sens, imméritées. Si la culture 
de cette polygonée est à tort considérée comme arriérée, 
bien plus ses préparations culinaires sont regardées comme 
grossières et indigestes par beaucoup de personnes des 
villes ; c'est encore là, je crois, une prévention que la théo¬ 
rie et l’expérience permettent de combattre avec succès. 

La composition chimique du sarrasin se trouve presque 
calquée sur celle du riz et du maïs. Bien plus azoté, plus 
nourrissant que le premier, la farine de sarrasin est, au con- 


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458 


RÉFLEXIONS SOMMAIRES SUR 


traire, moins alibile que celle du maïs auquel jusqu’à ee 
jour personne n’a reproché de donner des aliments lourds et 
peu digestibles. Pas plus que le blé noir, le maïs seul ne 
peut être panifié; or, théoriquement il serait inexplicable 
que les préparations correspondantes dont le blé noir ferait 
la base fassent d’une consommation moins avantageuse sous 
le rapport de la santé. 

Serait-ce à l'aspect de'la farine, de ses préparations, qni 
malgré un blutage élevé, restent bises; serait-ce à la pré¬ 
sence des débris tégumentaires (de la coque), plus ou 
moins fins et ténus dont elles sont parsemées qu’il faut rap¬ 
procher le peu de penchant que les personnes des villes ont 
pour le blé noir, cela serait possible; car ces débris sont en 
si minime proportion qu’il n’j a pas lieu d’en tenir compte. 
Ne trouve-t-on pas également des débris ligneux dans les 
farines ordinaires de nos campagnes ; ces quelques millièmes 
de son peuvent-ils inspirer quelque crainte; ne viennent-ils 
pas prouver que ceux qui existent dans la farine de blé 
noir jouissent également d’une innocuité complète? 

Serait-ce donc à la saveur particulière que possède le 
sarrasin, saveur qui, de prime abord ne saurait plaire à 
tout le monde? Mais cette saveur est due à un élément 
tonique, excitant que l’analyse au palais fait de suite recon¬ 
naître pour être celle de l’agaric comestible dont le goût et 
le parfum osmazêmé est si recherché des gastronomes. 

Quoique les proportions des éléments azotés, féculens 
et huileux, que contient le sarrasin loi assignent un rang 
bien inférieur au froment, la consommation, qui s’en fait 
chaque jour, nous prouve que ses formes culinaires, toutes 
primitives, soit à l’eau, soit au lait, ses bouillies, sont exci¬ 
tantes, toniques et semblent plus réparatrices que celles au 
froment dont les gens de la campagne se dégoûtent promp¬ 
tement; les bouillies au sarrasin, au contraire, forment la 


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QUELQUES SUBSTANCES ALIMENTAIRES. 


459 


base du repas du soir dans tontes nos fermes aisées. Loin 
d’être trouvées indigestes par ces experts depuis longue 
date, elles laisseraient plutôt à désirer sons le rapport de 
leur plasticité alimentaire; c’est ce que constate encore un 
vieux dicton de notre pays que vous ne me reprocherez pas 
de taitre ici. Si certaines personnesdélicates des villes éprou¬ 
vent une sorte de répugnance pour cette alimentation, elle 
n’en est pas moins positivement très recherchée des femmes, 
des enfants, des adolescent Je dirai plus encore; nos marins 
et nos soldats, qui reviennent des colonies épuisés par les 
maladies les plus débilitantes, y trouvent un aliment de leur 
goAl qui semble les tonifier, et contribuer à bien dire à les 
faire revivre. 

Nosgalettesnormandessont,ilest vrai, d’une digestion plus 
difficile; mais celles qui sont préparées à la farine de froment 
ne leur sauraient être préférées sous ce rapport. Les pre¬ 
mières sont plus substantielles et plus réparatrices que les 
bouillies. Si elles sont appréciées par nos travailleurs des 
campagnes dans les temps de la moisson, elles le doivent en 
partie à l’addition des œufs qui sont nécessaires à leur con¬ 
fection. Cette addition en élève la valeur alibile jusqu’au dia¬ 
pason d’un aliment fortement azoté, plastique et sanguifiable. 

Poissent ces considérations très sommaires conserver au 
sarrasin le droit de bourgeoisie qu’il a depuis si longtemps 
conquis parmi nous. 

Je m’arrête; plosque vous, je sens le besoin de laisser au 
savant collègue qui va me succéder, le plaisir et l’honneur 
de vous charmer aux accent toujours si suaves et si ravis- 
sans de la poésie. C’est donc ici le moment, déjà bien trop 
recalé peut-être, de terminer la tâche qui m’était imposée 
an grand détriment de votre patience pour laquelle je vous 
exprime ici ma plus vive et sincère gratitude. 


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RAPPORT MÉDICO-LÉGAL 

Sur un eas d’Infantieide par eombustioa 

D’UN NOUVEAU-NÉ DANS UN FOYER, 

Par M. BESNOü, 

Pharmacien en chef de la Marine, Membre de la Légion d’Honneor. 


Jusqu’à ce jour les annales criminelles ont eu, fort heu¬ 
reusement, à enregistrer très peu de cas d’infanticide par 
suite de la combution d’un nouveau-né. Je fus appelé, il y a 
quelques années, à examiner des cendres provenant de lin¬ 
ges tachés de sang, brûlés ainsi que le corps d’un enfant, 
lors du chauffage d'un four destiné à la cuisson du pain. 

Mes recherches furent complètement confirmatives des 
soupçons qui planaient sur la prévenue ; j'isolai des cendres 
qui m’avaient été remises des portions d’os que je parvins 
à réunir, de façon à reconstituer et à pouvoir reconnaître 
sans doute possible les organes principaux du squelette 
d’un enfant arrivé à terme. 

Jusqu’au jour des débats, la prévenue nia son crime et 
même jusqu’après la déposition du docteur qui l’avait visitée. 

Elle entendit mon témoignage avec émotion et elle ne pat 
résister à la vue des portions du squelette de son enfant; 
elle fondit en larmes et avoua son forfait. 

Un crime semblable, accompli, je le crois, avec plos de 


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d’un nouveau-né dans un foyer. 


461 


cruauté encore, me fit commettre, il y a quelques mois, par 
M. le juge d’instruction de Cherbourg, à l’effet de recher¬ 
cher dans une masse de cendres pesant près de cinq kilo¬ 
grammes la preuve matérielle d’un acte aussi horrible. 

Les débris osseux de l’enfant avaient été très probable¬ 
ment finement broyés après la combustion, puis môlés à la 
masse de la cendre; celle-ci avait été mouillée pour en 
faire une masse compacte, puis pilée de nouveau et mélée 
à de la terre, de telle sorte qu’il m’avait paru impossible 
d’abord de pouvoir espérer, dans le cas de l’existence du 
crime, obtenir un résultat confirmatif. le devais penser qu’il 
pourrait en ressortir, au contraire, des conséquences favora¬ 
bles aux deux prévenues. C’est dans cette conviction que je 
me livrai à mes investigations, alors qu’une circonstance im¬ 
prévue, un hazardinoui sont venus, bien plus que la modeste 
expérience du chimiste, porter le plus grand jour sur ce 
drame, et en confirmer la réalité. 

Il s’agissaitd’aprèslacommission rogatoire de reconnaître : 

1° Si des cendres que l’on a trouvées au domicile des 
nommées Àlexandrine-Célestine Houllet, et Madeleine Le 
Roy, demeurant au Yast, prévenues d’infanticide, n’ont pas 
été produites par des matières textiles et animales, c’est-à- 
dire par la combustion de l’enfant de la fille Houllet, du 
placenta, et des linges tachés de sang qui auraient servi à 
l’accouchement. 

2° Quels sont la nature, l’espèce et les effets que peut 
produire comme abortif une plante desséchée qui a été éga¬ 
lement saisie au même domicile. 

Après avoir prêté le serment de remplir en notre honneur 
et conscience la mission qui nous est confiée, nous avons 
prié M. le juge d’instruction de faire transporter ces pièces 
à conviction à notre laboratoire de l’hôpital de la marine 
pour y être procédé ce jour dit et suivants aux investigations 
dont le détail suit. 50 


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462 


INFANTICIDE PAR COMBUSTION 


N° I. 

La première pièce à conviction que noos désignons sons 
le n° 1 est an petit paquet plat, en papier blanc qui porte 
pour suscription : Plante de $abine saisie chez la fille 
Houllet. Il est cacheté aa pain azyme, parfaitement iotact 
et tel qu’il existait dans le cabinet de M. le juge d’instruction. 

L’ouverture de ce paquet nous offre à considérer une 
partie de plante blanc grisAtre, cotonneuse, sèche, qui ne 
saurait appartenir au genre Juniperus , espèce sabtita, ainsi 
que le porte la suscription. Elle n’en a point l’aspect, ni 
l’odeur, ni la saveur, d’abord aromatique comme le cassis, 
puis enfin en quelque sorte vireuse. La sabine est une coni¬ 
fère, tribu des cupressinées, appartenant au genre Juniperus 
(Génévrier); c’est un arbuste toujours vert, sombre, à feuil¬ 
les verticilléessur4rangs,rhomboïdales, aigües, imbriquées, 
étalées, lancéolées acuminées, munies d’une glande dorsale, 
ef un vert foncé , d’une odeur forte, comme vireuse, d’une 
saveur un peu brûlante. Le fruit est une baie bleuâtre, 
pédoncule, isolé, unique, recourbé. Cette plante est très forte¬ 
ment emménagogue et considérée comme susceptible de 
provoquer l'avortement. Nous en joignons un échantil¬ 
lon. 

La plante saisie chez les inculpées appartient à une 
famille bien éloignée de celle des conifères. Elle est rangée 
dans la grande famille des composées ou synanthérées, tribu 
des radiées. C’est le Santolina chamæcyparyssus de Linnée, 
vulgairement appelé aurâne femelle. C’est une plante semi- 
ligneuse, un sous-arbrisseau à peine ; elle est plus ou moins 
fortement cotonneuse, blanche et à reflet parfois un peu 
argenté. Les feuilles sont un peu charnues, pétiolées, A limbe 
denté, à dents ascendentes, droites, obovales, disposées sur 
4 à 6 rangs, longs de deux millimètres. L’inflorescence est 


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d’un nouveau-né dans un foyer. 


465 


en capitule snbglobuleux. Le irait, au lieu d’étre une bâte 
assez grosse, est ao akène oblong, très petit. L’odeur de 
celte plante est assez prononcée ; elle est franchement aro¬ 
matique; sa saveur est amère; elles se rapprochent de celles 
de la camomille. Celte plante est nn très bon tonique; elle 
est vermifuge, mais elle ne. saurait être considérée comme 
abortive. Comme l'absinthe, l’armoise, elle peut tout an 
pins jouir de propriétés légèrement emménagogues. Aucun 
auteur nouveau ne la regarde comme ayant des propriétés 
éminemment actives. 

Quoique nous n’ayons pas le fruit, ni même la calatkide 
qui caractériserait sans nul doute possible la Santoline ou 
auréne femelle, la comparaison que nousavons faite de cotte 
plante exclut complètement la Sabine. Nous croyons devoir 
sans crainte affirmer que c’est de la santoline ou auréne. 

Examen du n° 2, cendres. 

La seconde pièce à conviction se compose d’un sac en 
toile, scellé à la cire rouge et au timbre de M. le juge 
d'instruction. Ce sac est parfaitement intact ; il contient 
quatre à cinq kilos d’une cendre brunâtre, assez grosse, 
imparfaitement brûlée, comme mélangée avec une espèce 
de terre tourbeuse ou dite de bruyère ; elle renferme des 
débris de roches schisteuses en grande quantité : cette cen¬ 
dre semble provenir de la combustion de glèbes ou mottes en 
partie de tourbe ; à coup sûr, elle ne peut être attribuée à 
l’ustion du bois seul. En effet, le triage fait à la main per¬ 
met d’en isoler des portions de bois incomplètement brûlés, 
du charbon, des pelotes brunes assez cohérentes, des débris 
divers; mais on n’y aperçoit à l’œil seul aucun corps 
ayant une forme déterminée et qui puisse paraître analogue 
à des os ou à des fractions d’os. 


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INFANTICIDE PAR COMBUSTION 


Pour arriver alors à rechercher ces débris animaux, no¬ 
tamment ceux d’un enfant nouveau-né, nous avons séparé 
au moyen de tamis métalliques à mailles de diverses gran¬ 
deurs et de plus en plus serrées les éléments de celte cendre 
eu égard à leur volume. 

Le premier triage ou partie la plus grossière se compose 
de brindilles de bois, de charbon de bois, de portions de 
schistes, et de pelotes de cendresagglomérées. Lavée à l’ean 
par lévigation au fond d'un vase profond, cette première 
partie a permis d’en isoler, en vertu de leur faible densité, 
le bois et le charbon qui sont venus surnager. Par la décan¬ 
tation, nous avons pu apercevoir dans le dépêt quelques 
rares portions blanches, caverneuses, que nous avons soi¬ 
gneusement recueillies et qui ne sont autres choses que des 
débris osseux, sans aucune forme appréciable. 

Nous avons opéré de même snr les produits séparés par 
un tamis à mailles plus serrées et il nous a été encore pos¬ 
sible de recueillir des osselets d’une forme spéciale et carac¬ 
téristique dont nous donnerons ainsi que pour les premiers, 
le détail, la nature, l'espèce et la provenance. 

De petites portions brunes que nous avons recueillies avec 
soin ont quelque ressemblance avec un produit animal non 
complètement charbonné. Elles ont été soumises en vain 
aux moyens les plus sensibles pour t&cher d’y décou¬ 
vrir, soit un produit cyanuré, soit un charbon azoté, suscep¬ 
tible de donner par la potasse ou mieux encore par le 
potassium un cyanure alcalin ; aucune trace d’azote ne s’est 
manifestée. La facilité avec laquelle l’incinération s’en est 
faite, la couleur noire qu’elles ont prise tout de suite par le 
feu, l’odeur particulière qui s’est produite, prouvent que ce 
ne peuvent être des portions animales carbonisées, et au con¬ 
traire, que ce sont des portions de terre de bruyère non 
brûlée. 


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d’un nouveau-né dans un foyer. 


465 


Enfin noos avons pu séparer encore trois vertèbres de 
reptiles très petits, deux fragments également très petits de 
bncardes, puis des épingles, un bec de plume métallique, 
des bouts de fil de fer très fins et une quantité considérable 
de petits clous fins et plats, et des pointes fines, analogues 
à ceux que Ton met habituellement sous les sabots de 
femme. 

Les diverses recherches que nous venons d'énumérer ne 
noos ayant pas permis de pouvoir reconnaître des portions 
de charbon animal isé, la couleur brune des cendres, la pré¬ 
sence de portions tourbeuses ou de terre de bruyère que 
nous avons signalées ne nous laissaient guère d’espoir de 
pouvoir constater par les essais chimiques appropriés la 
présence d’éléments azotés provenant de la combustion 
soupçonnée d’un enfant nouveau-né. Du reste, cet élément 
nouveau ne saurait apporter une aide bien sérieuse à l’appui 
de l'accusation, attendu qu’il arrive souvent que l’on jette 
dans un foyer des substances azotées, animales qui, intro*» 
duites en certaine quantité, pourraient fournir la réaction 
que nous allons chercher à produire ; néanmoins nous avons 
cru devoir ne pas négliger cette recherche. 

Quelques grammes de cendres ont été à diverses reprises 
traitées par un peu de potassium et la chaleur dans un tube 
en verre fermé à la lampe. D’autres portions ont été calci¬ 
nées avec toutes les précautions nécessaires, dans un petit 
creuset de porcelaine, avec de la potasse caustique pore. 

Aucun produit cyanuré ne s’est formé; les réac¬ 
tifs les plus sensibles, les plus appropriés sont restés muets. 
Pour contrôler ces essais nous avons opéré avec des cendres 
de notre fourneau à distiller où nous ne brûlons que du bois, 
mais dont on allume le feu avec do charbon embrasé de 
notre fourneau de la tisannerie où l’on brûle de la houille. 
Avec ces dernières cendres, nous avons pu former un com- 


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INFANTICIDB PAR COMBUSTION 


posé cyanure que les mêmes agens chimiques appropriés ont 
nettement dénoté, malgré sa quantité infiniment petite. 

D'autre part, la présence des alcalis qui se forment pen¬ 
dant la combustion des substances ligneuses , la potasse, un 
peu de chaux, celle de débris de fer nombreux pouvant avoir 
donné lieu, en quelque façon normalement à la formation 
d’un composé azotifère cyanuré, nous avons traité une cer¬ 
taine quantité de ces cendres par Peau distillée, en faible 
quantité, pour avoir une solution concentrée ; nous avons 
concentré ce liquide avec soin et à une température infé¬ 
rieure à l'ébullition. Soit avant la concentration, soit après 
cette opération, nous n’avons pu par les sels de fer, de cui¬ 
vre, reproduire les couleurs caractéristiques des cyanures ou 
cy a no ferrures, en agissant avec toutes les précautions d*aci- 
dulage susceptibles de les faire apparaître. 

Un traitement analogue a été opéré au moyen de l'alcool. 
Les mêmes opérations, les mêmes essais, les mêmes pré¬ 
cautions ont été employés. Aucun indice d’élément cyanuré 
ne s’est manifesté. 

Gomme conséquence, comme conclusion, il découle for¬ 
cément qu’il n’existe dans ces cendres aucun reste, aucun 
vestige de charbon azoté provenant de matières ani¬ 
males. 

Si l’on rapproche ce résultat négatif de la constatation 
d’ossements bien caractérisés, on sera tenté de croire à une 
contradiction dans les deux expériences qui auraient dâ 
être confirmatives l’une de l’autre. Il est extrêmement 
facile de se rendre compte de cette différence, d’abord par 
la quantité énorme de cendre qui existe, par la présence des 
gneiss ou schistes, de la terre qui composent ces cendres en 
immense majorité, soit les 90 à 95 centièmes. La combus¬ 
tion de la chair musculaire a été ainsi énormément favori¬ 
sée, elle a été complète; conséquemment là où il y a disparition 


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d’on nouvkau-né dans on foybr. 


467 


et absence de charbon azoté, là il est impossible de former de 
cyanure. Ce qui nous donne le droit d’émettre celte opinion, 
c’est qne les ossements que nous avons isolés sont complè¬ 
tement privés de la matière organique qui les forme jusque 
dans leurs parties les plus internes. Ils sont non seulement 
calcinés à blanc, mais bien plus, quelques uns portent les 
traces de l’immense chaleur à laquelle ils ont été exposés, 
non seulement les plus gros sont réduits à leur élément 
inorganique terreux, mais la caustification d’une partie de 
la chaux a eu lieu et alors sous l’influence de la petite 
quantité de manganèse et de fer que contiennent les os, il 
s’est formé un caméléon vert, un manganate qui les colore 
nettement en vert-bleuâtre dans quelques parties. Cette 
réaction atteste sans possibilité de réplique aucune l’exis¬ 
tence d’une chaleur éminemment intense du foyer; quel¬ 
ques uns de ces os 6ont à demi fondus et sont à cet état que 
l’on désigne sous le terme de porcelanisêt. 

Mais si la chair musculaire, si les principes quaternaires 
organiques ont pu disparaître en entier; l'élément terreux, 
minéral fixe, a pu y être laissé, soit après l’avoir brisé, les os, 
par exemple. Cependant la séparation que nous avons faite 
et dont nous avons donné le détail ne semble guère permet- 
tre d’espérer que les os les plus volumineux y aient été 
conservés et broyés, néanmoins pour nous en assurer, nous 
avons procédé à la recherche de l’élément principal qui 
constitue la charpente osseuse animale avec tout le soin 
qu’exige ce difficile et long travail dans la circonstance 
actuelle. 

Pour cela nous avons pris 200 grammes de la cendre que 
nous avons lavée à l’eau distillée jusqu’à épuisement des 
sels solubles ; puis nous avons traité le résidu par l’acide 
azotique étendu d’eau en opérant à chaud. Après 48 heures de 
contact, nous avons jeté la masse sur un filtre et recueilli le 
liquide, qui a été sursaturé par l’ammoniaque liquide. 


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INFANTICIDE PAR COMBUSTION 


H s’est formé tout de suite un très volumineux précipité 
blanc, peu dense, sans forme cristalline déterminable au 
microscope, ayant toutes les apparences d’un sous-phosphate 
calcaire, que nous cherchions à produire. 

Repris par un excès d’acide acétique, puis essayé de nou¬ 
veau : 1° par l’azotate d’argent, nous avons obtenu un 
précipité jaune pâle, abondant, devenant olivâtreà la lumière, 
très soluble dans l’acide azotique, peu soluble dans l’ammo¬ 
niaque ; 2° par l’acétate de plomb, il s’est formé également 
un précipité abondant, blanc, qui après lavage complet, noos 
a donné au chalumeau le globule blanc à facettes, caracté¬ 
ristique du phosphate de plomb. La chaux a été décelée par 
ses réactifs habituels. 

Le poids total do phosphate basique de chaux, bien lavé, 
complètement desséché et calciné, a été de 21 grammes 
50, pour 200 grammes de cendres, soit 10 pour cent. 

Gomme il est certaines cendres de plantes, celle 
de bruyère, par exemple, qui contiennent plus de 10 pour 
cent de leur poids de phosphate, il semblerait imposable 
d'affirmer sur cette quantité qu’il y a dans le cas actuel on 
excès de phosphate, dont la cause devrait être recherchée. 
Mais si nous tenons compte de la nature de la cendre, du 
mélange des éléments gneissiques et schisteux, de terres de 
toutes sortes, qui entrent d’après le dosage pour plus de 
moitié de son poids, il en résulte forcément que cette 
quantité en définitive de 22 pour cent au moins de phos¬ 
phate est excessive; elle me semble même impossible à admet¬ 
tre comme étant normale. Il faut donc l’attribuer à la pré¬ 
sence d’éléments phosphatifères anormaux, et dans la cir¬ 
constance présente, il devient permis de croire qu’elle est 
duc à la présence d’un élément minéral qui peut provenir de 
la combustion, de l’incinération d’un animal, dont nous 
caractériserons l’espèce plus tard. 


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D'ON NOOVBÀU-NÉ DANS ON FOYER. 469 

Il est essentiel de rappeler que cet essai a plus spéciale¬ 
ment porté sur les parties agglomérées de la cendre qui indi¬ 
quaient évidemment qu'on y avait dû jeter de l’eau pour les 
réunir en masse et ainsi en masquer les éléments étrangers. 
C'est dans ces agglomérations que se voyaient et se retrou¬ 
vaient le plus de portions des os que nous avons éliminées. 

Pour achever notre tache, il ne nous reste plus qu’à 
examiner avec soin les fragments d’os ou les osselets dont 
nous avons déjà parlé et qui proviennent des triages par 
lévigation. 

L’état de division est tel pour la plupart d'entre eux qu’il 
est absolument impossible d'en reconnaître la forme, le 
volume; quelques uns cependant permettent d’émettre avec 
la plus grande réserve, il est vrai, une opinion; mais il en 
est un certain nombre qui, par leur forme, leur état de con¬ 
servation parfaite, sont éminemment caractéristiques. 

C'est en ayant sous lesyeux un squelette d’enfant venuà9 
mois, en comparant les formes, les volumes, que nous nous 
croyons suffisamment autorisé à en opérer le classement 
comme suit : 

4° Partie inférieure d’on fémur; 

3* Partie supérieure d’un fémur droit ; 

3° Partie supérieure d’un tibia gauche ; # 

4° Epiphyse d'un des gros os des membres inférieurs ? 

5° Os du métatarse ou du métacarpe; 

6° Enfin et sans aucun doute, aucune contestation possi¬ 
ble , onze osselets parfaitement caractéristiques des phalan¬ 
ges, phalangines et phalagettes d'un squelette humain. 

Pendant le cours de nos recherches, une commission 
rogatoire en date du 3 août nous a été transmise par 
M. Jaubert, juge d’instruction, successeur de M. Trébutien, 
sus-dénommé. 

Elle nous confère la mission complémentaire d’examiner 


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470 


INFANTICIDE PAR COMBUSTION 


an marteau saisi postérieurement chez les prévenues et 
auquel adhèrent des matières qui lui ont paru dire det o» 
pulvérisés et des cheveux. 

Après avoir de nouveau prêté serment de remplir celle 
nouvelle mission avec honneur et conscience, nous avons 
qpntinné nos opérations comme suit : 

Le marteau qui nous est remis est enveloppé avec soin ; 
il porte sur sa face latérale droite deux taches brunes, 
ocracées, qui sont un peu plus brillantes que le reste de la 
rouille qui l’a envahi en entier. Il présente de plus sur la 
touche et assez adhérentes quelques fibrilles d'un blano-jau- 
nfttre, un peu mat, ressemblant assez à des fils d’araignées, 
ou plutôt encore aux fibrilles qui s’attachent aux vieux meu¬ 
bles, notamment sous le dessous des lits ; elles sont en cbe- 
vétrées comme elles. Elles n’ont point le diamètre ni le lui¬ 
sant des cheveux. 

Examen des deux taches brunes. 

L’examen attentif lait à l’aide d’une bonne loupe Délaissé 
apercevoir aucune gerçure, aucune partie écailleuse dont 
les arêtes jouiraient d’une certaine transparence, comme 
cela s’observe sur les écailles ou esquilles formées de sub¬ 
stances albuminoïdes telles que le sang. La teinte est ocra- 
cée foncée, mais non pas brune et brillante, comme si c’était 
du sang desséché, ainsi que nous l'avons constaté par un 
essai comparatif. Ces taches s’enlèvent difficilement et per¬ 
dent leur brillant par cette opération. Ces petites masses, 
dont le poids en totalité n’atteint pas un 20* de milligramme 
sont disposées sur des lames de verre mince pour y être 
soumises aux recherches physiques ou chimiques suivantes : 

1° Examinées de nouveau et comparativement, elles ne 
présentent pas l’aspect brillant, ni la transparence d’écail- 
les de sang desséché ; 


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d’un nouvrau-né dans on fotkr. 


471 


2* Traitées par une goutte d'eau, elles n'ont éprouvé, 
après plusieurs heures de macération, ancanc modification 
dans leur forme, anenne diminution dans leur volnme. — 
Le liquide qui les baigne n'a pris aucune coloration. 

Ce liquide, soumis à l’action de la chaleur n’a formé 
aucun trouble; il a conservé sa transparence initiale et la 
parcelle brune a conservé sa forme et son volnme. 

Une autre petite portion traitée de même, pois addition¬ 
née d’un goutte de solution de tannin ne s’est pas troublée; 
le liquide a conservé toute sa transparence, tandis que la 
petite masse brnne, oc racée, est devenue d’un très beau bleu 
(tannate de fer). 

Une troisième portion traitée de même par l’eau distillée 
comme ci-dessus, puis additionnée d'un goutte d’acide 
chlorhydrique, n’a manifesté aucun trouble. La parcelle 
brune s’est peu à peu dissoute pour former une solution 
d’on beau jaune d’or, déliquescente, de chlorure ferrique. 

L’absence complète des réactions que nous cherchions à 
produire comme devant caractériser la présence du sang 
exclut toute idée de l’existence de ce liquide animal. 

Les réactions obtenues caractérisent et attestent, an con¬ 
traire, la présence de l’hydroxide de fer qui constitue la 
rouille. 

Examen des fibrilles adhérentes à la touche du marteau. 

Le grossissement à la loupe n’étant pas suffisant pour 
reconnaître, sans doute possible, la nature de ces fibrilles, 
nous avons encore en recours au microscope qui journel¬ 
lement nous fournit un moyen d’investigation des plus pré¬ 
cieux. 

Comparées avec des cheveux d’un enfant qui venait de 
naître, avec des poils de divers animaux, chat, lapin, rat* 


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472 


INFANTICIDE PAR COMBUSTION 


souris, nous avons bien mieux qu’à l’œil nu ou armé d'ooe 
loupe, reconnu la différence d’organisation de ces fibrilles. 

Au lieu d’un cylindre, coloré extérieurement, à tube inté¬ 
rieur transparent qui caractérise les cheveux et les poils, ces 
fibrilles offrent des parois extrêmement minces, complètement 
transparentes, un peu contournées sur elles-mêmes, un pen 
analogues aux fils d’araignées, mais ressemblant d’avantage 
à des fibrilles de matières textiles, du vieux linge, du 
coton par exemple. 

Mues à macérer dans l’eau pendant 48 heures, elles n’ont 
point troublé ce liquide. Soumis à l’action de la chaleur il 
ne s’est pas troublé. Traité par une goutte de solution de 
tannin, il a conservé également sa transparence ; l’acide 
azotique est resté de mémo muet et impuissant. 

Soumises enfin à l’action énergique d’une solotion de 
potasse caustique, ces fibrilles ne se sont pas dissoutes. 

Des cheveux placés dans des circonstances identiques ont 
au contraire complètement disparu. 

Gomme conséquence et conclusion, il résulte de ces essais 
que les fibrilles qui existent sur la touche do marteau ne 
présentent aucun des caractères optiques ou chimiques des 
cheveux; mais bien ceux des tissus aranéeux ou des 6brcs 
ligneuses les plus tenues. 

Conclusions générales. 

De l’ensemble de ces recherches botaniques, optiques, et 
chimiques et de leur discussion, il résulte que : 

1° La portion de plante saisie chez les prévenues sas- 
dénommées est un rameau de SantoIine,diteaurêne femelle, 
plante tonique, vermifuge, mais non abortive ; 

2° Il n’existe point de charbon animal azoté dans les 
cendres recueillies dans le foyer de ces prévenues. 


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d’on nouveau-né dans un foyer. 


473 


3° L’analyse chimique rigoureuse démontre et constate 
dans ces cendres une proportion anormale de phosphate 
calcaire, élément terreux qui prédomine dans l’ossature 
humaine; 

4* Par la lévigation, il a été isolé de ces cendres des frag¬ 
ments d’os et notamment onze osselets caractéristiques 
appartenant à un enfant nouveau-né ou à un fœtus d’environ 
9 mois; 

5° Les taches observées sur la face latérale droite du mar¬ 
teau ne sont pas des taches de sang; 

6° Les fibrilles qui se trouvent adhérentes à la touche de 
ce marteau ne sont point des cheveux d’un enfant, d’un fœtus 
humain. 



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MÉDECINE LÉGALE. 


SUICIDE PAR LA NICOTINE, 


Par H. BESIVOIJ, 

Pharmacien en ehef de la Marine, Membre de la Légion d'Honnear. 


Chacun se rappelle avec effroi l’horrible drame qoi se 
passa an château de Bilremont, en Belgique, il y a une 
dizaine d’années environ, et par suite les délicates recher¬ 
ches qu’eut à exécuter alors M. Stass pour isoler de plu¬ 
sieurs organes de Foignies l’alcaloïde éminemment toxique 
que recèle le tabac. L’action de cet alcali végétal liquide est 
si violente qu’il tue avec une grande promptitude et à la 
dose de quelques gouttes seulement, soit par l'ingestion 
intérieure, soit par l’absorption diatralcptique. 

Depuis cette époque, aucun empoisonnement par ce 
terrible agent n’a heureusement été, que je sache, consigné 
dans les annales criminelles. L’an dernier, en mai 1859, un 
empoisonnement volontaire eut lieu chez un sons-officier du 
régiment alors en garnison dans notre ville; mon honorable 
et excellent ami M. le docteur Fonssagrives me pria d’exa¬ 
miner si en effet, comme la rumeur publique le disait, ce 
militaire s’était donné ainsi la mort; mes recherches 
furent tellement affirmatives que je crois bon de consigner 


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SU1CIDB PAR LA NICOTINE. 


475 


ici les remarques que je pus faire. C’est un devoir, pour le 
toxicologisle et pour le médecin légiste, de ne pas en 
quelque sorte enterrer dans ses papiers des observations 
toujours précieuses en médecine légale, et surtout celles qui 
ne sont pas sans présenter certaines difficultés d’exécution. 
La constatation des alcalis organiques est certes de ce nom¬ 
bre. Il serait donc en quelque façon blâmable, celui qui tai¬ 
rait les modes d’analyses, les modifications de procédés, qui 
peuvent conduire, et à plus forte raison, ceux qui l’ont con¬ 
duit à la découverte de la vérité. Il en est de même de la 
description des effets produits sur l’organisme et des indi¬ 
cations souvent précieuses que donne l’étude des lésions 
cadavériques que révèle l’autopsie. 

Au lieu d’un mémoire étendu que le plus souvent on né¬ 
glige de lire, je crois devoir me borner à donner ici la sub¬ 
stance même des notes prises sur la table du laboratoire, 
conséquemment les faits, débarassés des accessoires qui 
servent bien plus è l’amour-propre de l’expérimentateur, 
qu’aux véritables intérêts de la science. 

J'aborde donc tout de suite le sujet avec le plus de laco¬ 
nisme possible. 

Etat desprincipaux organes qui m'ont éti remis. 

Langue. — Couleur blanc-grisâtre; pas de rougeur, pas 
d’érosions, pas de tuméfaction. 

Œsophage .—Sans rougeur, sans érosions, sans tuméfac¬ 
tion ; odeur bien faible, comme empyreumatique. 

Estomac. — Pas de rougeur, odeur ayant de l’analogie 
avec celle de l’oesophage. 

Il contient quelques grammes d’un liquide peu coloré, à 
peine ambré, non acide, produisant lentement et difficilement 
la réaction alcalinesur les papiers colorés appropriés, quoique 
ces essais n’aient eu lieu que le troisième jour de la mort. 
Le papier de curcuma est à peine influencé. 


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476 


SUICIDE 


Les vapeurs d’un bouchon de verre imprégné d’acide 
chlorhydrique ne présentent aucun accroissement <Tio- 
tensité. 

Ce liquide est immédiatement mis de côté, puis il est 
saturé par un léger excès d’acide chlorhydrique pur, très 
dilué. 

L’estomac est lavé avec soin par l’eau acidulée; celte eau 
de lavage est réunie au liquide précédent; la filtration s’en 
opère avec difficulté, quoique les deux masses réunies for¬ 
ment un total de plus de 250 grammes. 

Le produit de la filtration est à peu prés incolore; il est 
concentré au bain-marie avec la plus extrême précaution 
et en opérant continuellement l’agitation. Il est ramené an 
poids de 40 grammes; puis il est additionné de & à 10 volu¬ 
mes d’alcool à 95° pour opérer aussi complètement que pos¬ 
sible la coagulation de toutes les matières organiques albu¬ 
minoïdes. 

Après une nouvelle filtration qui se fait avec assez de rapi¬ 
dité, le liquide est de nouveau ramené par l’évaporation an 
bain-marie à son volume primitif. 

Il est alors saturé par un bien faible excès de soude porc 
en solution peu concentrée; puis il est agité avec 4 parties 
en volume d'éther hydrique pur à 58° B. Le tout est mis 
dans un petit flacon-entonnoir, bouché à l’éméril et portant 
un robinet inférieurement. 

Après la séparation des deux couches, on isole la cooche 
inférieure; la partie éthérée qui surnage, qui est à peine 
colorée, est reçue dans une capsule de porcelaine, puis mise 
à évaporer à la température ordinaire, puis enfin chauffée à 
50° ou 60°, pour enlever les dernières traces d’éther. Il 
reste un liquide brunâtre, qui rougit à l’air du soir au lende¬ 
main. 

Repris par l’acide chlorhydrique dilué, puis filtré et 


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PAR LA NICOTINE. 


477 


sursaturé par la soude pure, cofin traité par l’éther hydri¬ 
que, isolé de la couche inférieure comme il est dit ci-dessus, 
enfin évaporé à l’air libre, ce nouveau liquide donne environ 
tm gramme d’une substance de consistance huileuse, 
dont l’odeur et la saveur rappellent le jus de la pipe, avec 
arrière odeur d’urine de souris. 

Ce liquide est jaune foncé; il rougit à l’air; il est soluble 
dans l’eau, l’alcool, l’éther, le chloroforme. 

Sa saveur est très Acre ; il prend à la gorge comme le jus 
de pipe. 

Soumis aux réactifs qui suivent, il donne lieu aux phé¬ 
nomènes successivement et corrélativement signalés ici. 

Papier de curcuma : coloration rouge-orange très foncé. 

Acide sulfurique à froid : rien. 

Id. à chaud : couleur rouge vineux. 

Acide azotique à froid : rien. 

Id. à chaud ; couleur jaune. 

Acide chlorhydrique en vapeur : vapeurs blanches très 

manifestes. 

Id. liquide à froid et à chaud : rien. 

Solution aqueuse d'iode : précipité briqueté jaune ocracé, 
qui disparaît à chaud. 

Teinture alcoolique d'iode affaiblie : rien. 

Acide sulfurique et bichromate de potasse : rien, d’abord 
de bien tranché, quoiqu’il y ait une teinte légèrement ros⬠
tre ; mais bientôt il se produit une couleur verte qui se 
fonce et acquiert l’intensité d’un beau vert de chrôme. 

Acide sulfurique et per oxide brun de plomb : rien. 

Chlorure d*or : précipité jaune. 

Id. de Platine : rien. 

Id. de Palladium : rien. 

Ces caractères spécifient la nicotine. 

31 


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478 


SUICIDE 


Nota. — Après que l'estomac avait été bien lavé, il a été 
mis à macérer pendant dix à douze heures avec un peu 
d’eau acidulée par l’acide chlorhydrique ; au bout de ce temps 
le liquide baignant a été séparé et filtré ; il a été ensuite 
concentré avec précaution et saturé comme le précédent; 
puis au lieu d’ajouter de l’éther hydrique comme dans le 
premier traitement, on a employé du chloroforme pour dis¬ 
soudre la nicotine, s’il en restait; la quantité de cet alca¬ 
loïde liquide que l’on a de nouveau obtenue était presque 
égale à celle qu’à fourni le premier mode. 

La macération prolongée est donc nécessaire pour 
être sûr de retirer la totalité du poison . 

L’emploi du chloroforme, en outre de ce qu’il est bien 
moins volatil que l’éther hydrique rectifié, a semblé ans» 
offrir un avantage marqué. Un fait assez remarquable et 
intéressant à signaler, c’est que pendant l’évaporation qui a 
été faite au bain-marie, il s’est développé nettement et 
distinctement une odeur vive et pénétrante de nicotine, 
qui a déterminé et fait éprouver l’excitation spéciale qu'elle 
produit sur les muqueuses du nez et des yeux; ce qui 
n’avait pas eu lieu pendant la concentration de la solation 
éthérée. Gomme cet effet est un excellent caractère de la 
nicotine et qu’il sert môme à la distinguer de la conicine, il 
est donc préférable de recourir au chloroforme immédiate¬ 
ment, puisqu’il fait apparaître cette marque importante de 
l’alcaloïde cherché et qu’il ne présente aucun inconvénient 
pour l’isolement de ses congénères. 

Enfin, comme complément de ces recherches et pour ne 
pouvoir laisser aucun doute possible sur l’action du liquide 
extrait, on a essayé son influence sur des rats, soit par 
l’absorption des muqueuses buccales, soit en employant la 
méthode diatraleptique. Par cette dernière méthode, l’action 
s’est fait énergiquement sentir presque aussitôt ; des mouve- 


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PAR LA NICOTINE. 


479 


ments nerveux se sont manifestés immédiatement ; la para¬ 
lysie s'est propagée promptement dans les organes de la 
locomotion et la mort est survenue au bout de moins de * 
deux minutes et pourtant on n’avait fait que toucher la 
petite échorchure avec une baguette do verre trempée dans 
l’alcali organique obtenu de cette analyse. 

L’expérience faite en plongeant la baguette ainsi impré¬ 
gnée dans la bouche d’un second rat a été encore plus pré¬ 
cise; la mort ne s’est pas fait attendre dix secondes. 

Conclusions . 

En résumé, la nicotine dont l’acreté est cependant extrême, 
ne me semble pas devoir appartenir à la section des caus¬ 
tiques, ni même à celle des substances âcres. 

Les expériences directes qui ont été faites font croire 
qu'elle doit être classée parmi les stupéfians ainsi que les 
essences de rue, de sabine et d’if, qui, elles aussi, ne déter¬ 
minent aucune rubéfaction sur les muqueuses, ainsi que je 
l’ai rapporté dans ma note sur un cas d’empoisonnement par 
ces agens réputés abortifs. 

La substitution du chloroforme comme agent de dissolu¬ 
tion me semble préférable à l’emploi de l’éther sulfurique. 

La nicotine détermine la mort par absorption cutanée 
avec une grande promptitude, quoique de beaucoup infé¬ 
rieure à son action par la voie des muqueuses. 



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EXCURSION 

AUX 

COTES DE GRÈCE ET DE SYRIE, 


PAR M. LE VICE-AMIEAL 

Comte BOUET-WI LLAÜIHEZ, 

Préfet du 1 er arrondissement maritime, ex-commandant en chef de la station 
française dans les mers dn Levant. 

(extrait de ses journaux de bord 1856-1857.) 


Lu à la séance du 15 février 1861, de la Société Impérialt 
Académique de Cherbourg. 


Messieurs, 

Honoré de vos suffrages, convié à prendre part aux tra¬ 
vaux de la Société Académique qui a sous sa sauvegarde le 
dépôt séculaire des études religieuses, morales et scientifi¬ 
ques de la cité de Cherbourg, je me demandais si je devais, 
en venant vous remercier de votre gracieux accueil, vous 
parier guerre ou vous parler marine ? Mais pourquoi vous 
parler de guerre, quand la France ne parle que de paix ? Et 
pour ce qui touche la marine, je dois, dans la position que 
j'occupe à la tête de l’arseual dont s’énorgueillit Cherbourg, 
faire passer les actes bien avant les paroles. 

C'est donc un petit voyage rétrospectif, mais assez récent, 
aux côtes de Grèce et de Syrie que je vous demanderai de 
faire en compagnie de votre nouveau collègue ; presque un 


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DE GRÈCE ET DE STRIE. 481 

voyage d’antiquaire, et, à ce titre, il doit intéresser le savant 
aréopage qui m’écoute. 

C'était en janvier 1856: nous venions d’en finir avec 
Sébastopol; la paix se concluait, et je recevais l’ordre de 
partir pour la Grèce, afin d'y prendre le commandement de 
la flotte du Levant, et du corps de troupes anglo-françaises 
stationnées entre le Piréc et Athènes, dont les environs 
étaient souillés par le brigandage. 

Le 27, la frégate qui portait mon pavillon quittait les 
côtes de Provence ; le 28, le cap Corse était doublé et nous 
apercevions Monte?Christo ; le 50, je jetais l'ancre à Mes¬ 
sine, et pendant que le charbon s’embarquait à bord, j’allais 
étudier les bas-reliefs de la statue du vainqueur de Lépante, 
de Don Juan d’Autriche. On comprendra ma curiosité : 
j'avais décrit la bataille navale qui porte ce nom, quelques 
années auparavant, et je tenais à constater si mon récit, 
emprunté aux documents des bibliothèques de Paris, était 
conforme aux bas-reliefs reproduisant les phases de ce grand 
fait d’armes, qui a fait triompher la croix dans les mers du 
Levant; grande fut ma joie, quand je retrouvai sur le socle 
d’airain les galères chrétiennes rangées en croissant devant 
les galères turques, ainsi que je l'avais décrit ! 

Le 1 er février, je suis à l’ouvert de l’Adriatique; le 2, 
j'aperçois les cimes neigeuses du mont Taygèle, et le 3, 
j’entre dans le port du Pirée, à l’aube du jour. 

Le 4, je parais dans Athènes à la tête de l’escadron de 
dragons que j’avais amené de France sur ma frégate; à cette 
vue, les affiliés des brigands tremblent et les honnêtes gens 
se rassurent. 

J’ai hâte de gravir l’antique Acropole ; j’y monte accom¬ 
pagné de mon vieil ami l’amiral Canaris, l’illustre brûlotier 
de la guerre de l’indépendance ; je franchis les propylées 
dont Périclès fit comme le pérystile d’entrée du magnifique 


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483 


EXCURSION AUX COTES 


temple do Parthénon ; à droite, c’est le temple de la Vic¬ 
toire; à gauche, c’est celui d’Erectée; au sommet de l’Acro¬ 
pole, c’est le Parthénon lui-même, ce splendide monument 
de marbre, dont les ruines sont encore pleines de grandeur 
et de majesté. Je me dirige ensuite vers le monticule voisin; 
c’est là que l’aréopage tenait ses lits de justice, en plein air, 
assis sur des gradins taillés dans le roc, modestes sièges qui 
ont bravé les ravages des temps, grâce à leur simplicité toute 
primitive; en face c’est le Pnyx, le fameux Pnyx ! celle tribune 
aux haràngue 80 ùDémosthènesfulmina,maisen vain, contre 
la politique envahissante de Philippe de Macédoine. Après 
le Pnyx, c’est le temple de Thésée, presque intact, bien qu’il 
soit le plus ancien de tous ces monuments. 

Je reviens au Pirée pour visiter Salamine dont j’avais 
aussi naguère expliqué et commenté le combat naval qui a 
illustré jadis cette rade; le mont Hymète était à ma gauche; 
le mont Daphné à ma droite ; les plaines d’Éleusis devant 
moi, au-delà de Salamine. Je gravis le monticule d’où 
l’orgueilleux Xcrxès fut témoin du désastre de sa flotte, 
alors qu’il croyait venir assister à son facile triomphe. 
Voilà bien l’étroit passage par où l’on pénètre dans la rade, 
et que fermaient les lignes de galères grecques établies sur 
neuf rangs de profondeur; c’est delà que l’bérolque Thémis- 
tocle, donnant l’exemple du courage, comme il avait donné 
le plan de la bataille, repoussa les lourdes barques de Xerxés, 
qui vinrent briser leurs efforts impuissants contre le front 
d’airain des galères grecques. 

Mais où sont le Géphise et l’Ilissus? Les voilà.. ou 

plutôt voilà les lits de cailloux que leurs ondes bleues cares¬ 
saient jadis, et quelles visitent bien rarement aujourd’hui, 
tant le déboisement de l’Hymète, de Daphné, de toute cette 
ceinture de monticules qui entourent la plaine d’Athènes, a 
augmenté la sécheresse de l’aride AttiquelLe mois de janvier 


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DE GRÈCE ET DE SYRIE. 


483 


de Tannée 1857 me retrouve encore au Pirée ; mais grâce à nos 
patrouilles incessantes, à pied et à cheval, entre Athènes et 
le Pirée, les abords de ces villes sont enfin purgés de ces 
bandes de brigands qui, avant mon arrivée, s'étaient empa¬ 
rés traîtreusement d'officiers français pour les mener prison¬ 
niers dans leurs montagnes; je renvoie mes troupes en 
France, et c'est dans l'archipel du Levant que je reçois 
l'ordre de promener nos couleurs, pour y décourager les ten¬ 
tatives de piraterie signalées dans cet archipel. Annoncée de 
loin par son panache de noire fumée, la frégate à hélice la 
Pomone qui porte mon pavillon, apparaît d’abord devant 
Smyrue et y mouille le 2 mars 4 857, ainsi que les deux 
avisos le Brandon et le Solon qui doivent m'accompagner 
dans ma tournée. 

Smyrne, cet entrepôt principal du commerce levantin, 
venait de s'enrichir rapidement à la suite de la guerre de 
Grimée. Rien n'est plus pittoresque que les bazars de 
Smyrne, que son pont des caravanes, que ses rues si vivan¬ 
tes, bien qu’étroites et tortueuses; on s'y heurte à chaque 
pas contre l'Arménien au long bonnet, le Turc au caftan 
vert, contre le chamelier à la rude figure, et surtout contre 
cette innombrable file de chameaux dont rien ne saurait 
déranger la marche grave et cadencée. 

Mais à Smyrne, ottomans, européens, grecs ou israélites, 
vivent péle-méle dans un grand état de tranquillité, presque 
de tolérance; on dirait que l'esprit de commerce, de lucre, 
domine les rivalités religieuses; aussi est-il rare que le calme 
social y soit troublé d'une manière inquiétante : c'est donc 
ailleurs que nos couleurs ont à se montrer, tout en parais¬ 
sant dans les canaux des Iles qui servaient jadis de repaire à 
la piraterie; c'est à la côte de Syrie, particulièrement; aussi 
est-ce vers ces parages que je dirige la route de mon esca¬ 
drille, en passant par les lies de Milo et de Santorin. 


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484 


EXCURSION AUX COTES 


Prenant à peine le temps d’examiner à Milo l'amphithé⬠
tre de marbre près duquel fut trouvée la fameuse statue de 
Vénus, qui a gardé le nom de cette lie, et, à Santorin, le 
volcan sous-marin qui bouillonne au fond des eaux toujours 
chaudes de la petite anse de Tulcano , je fais route le 31 
mai pour la côte de Syrie; le 25, la Pomone atterrit sur le 
mont Carmel, Où les couleurs françaises flottent depuis 
Saint-Louis sur le couvent des Carmes qui couronne ce 
monticule, et peu après, nous jetons l'ancre devant Saint- 
Jean-d’Acre, qui n’en est éloigné que de deux lieues. 

Que de souvenirs anciens et modernes réveille cette ville 
de Saint-Jean-d'Acre, l’autique Ptolémaïs! Assiégée et con¬ 
quise jadis par Philippe-Auguste et les croisés français, 
c'est elle qui de nos jours arrêta le plus grand capitaine des 
temps modernes dans sa marche conquérante vers l’Orient. 

Escorté de mon état-major, je suis reçu aux portes de la 
ville par le pacba lui-même, au bruit de l’artillerie des forts 
et avec une pompe toute orientale. Bizarre rapprochement 
des époques et des lieux ! C’est au milieu de Mahométans, 
encore éblouis du prestige de nos armes devant Sébastopol, 
que nous franchissons cette triple enceinte de remparts où 
le sang français avait jadis coulé à flots, et les rues voûtées, 
tortueuses, qui font de cejte cité une inextricable laby¬ 
rinthe ! 

Le lendemain, spectacle plus saisissant encore. Je débar¬ 
que avec officiers et matelots au pied du mont Carmel, afin 
d’effectuer un pèlerinage au couvent bâti sur la cime; guidés 
par les frères carmes déchaussés, nous visitons la grotte et 
l'autel taillés dans le roc, où la sainte Vierge Marie fut hono¬ 
rée pour la première fois, comme mère de Dieu le fils; celle 
où le prophète Élie eut des visions célestes, dont les arabes, 
aussi bien que les chrétiens, ont conservé les traditions 
sacrées ; puis enfin le cimetière renfermant les restes mor- 


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DE GRÈCE ET DE SYRIE. 


485 


tels des soldats français morts à l’attaque de Saint-Jean- 
d'Acre, sous le général Bonaparte. 

Je devais le lendemain appareiller pour Tyr; mais, 
avant de quitter ces parages consacrés par tant de souve¬ 
nirs religieux et nationaux , je voulus que ma frégate salu&t 
à coups de canon le pavillon français arboré depuis tant de 
siècles sur cet antique monastère, et voici pourquoi : 

L’année précédente, une frégate autrichienne, ayant à 
bord un arcbiduc, avait jeté l’ancre devant le mont Carmel. 
Méconnaissant les vieux droits de la France, cette fille atnée 
de l’Eglise, ce prince s’était offusqué de voir les couleurs 
françaises flotter sur un cou vent appartenant à toute la catho¬ 
licité; il avait donc été enjoint aux frères carmes de s’abste¬ 
nir d’arborer notre drapeau sur le couvent, ne fut-ce que 
pendant la visite de l’archiduc. Mais ces dignes religieux, 
réunis en assemblée extraordinaire, répondirent ; a qu’ils 
s seraient très heureux de recevoir la visite de l’archiduc ; 
» que, toutefois, ils n’amèneraient pas le pavillon de la 
a France qui flottait sur leur couvent depuis Saint-Louis, a 
Je devais donc un remerciment public, éclatant, à ces dignes 
frères ; aussi, défilant sous vapeur, avec ma frégate et mes 
deux avisos, au pied du mont Carmel, je les saluai de toute 
notre artillerie, aux acclamations de la population turque et 
chrétienne que ce spectacle avait attirée sur le rivage. 

Le 27 mai, la Pomone jetait l’ancre devant Tyr, qui n'est 
plus connue que sous le nom de Sour. Comment reconnaî¬ 
tre aujourd’hui cette ancienne reine de la Méditerranée, 
dont Carthage, Utique, Cadix, ses colonies secondaires, 
attestent et la puissance et l’habileté maritime ? Cette opu¬ 
lente Tyr, qui étendait son commerce jusque dans l’Océan, 
et envoyait ses marins naviguer au-delà de l’Angleterre et 
des Canaries ! C’est à peine si son port, ce berceau de la pre¬ 
mière marine du monde, peut livrer passage à ma frêle 


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486 


EXCURSION AUX COTES 


baleinière, envahi qu’il est par de nombreux bancs de sable. 
Quatre on cinq petites barqaes de pécheurs : voilà tonte la 
flotte de cette ancienne reine des mers ; et, quant à la ville, 
ce n’est pins qu’un amas informe de 3 ou 400 huttes en 
pisé, quiiabite une population arabe des plus misérables; 
toutefois, les traces de son ancienne splendeur se retrouvent 
encore dans le voisinage du port et de ses murailles en rui¬ 
nes, près desquels on rencontre, à chaque pas, des fdts de 
colonnes, quelques unes colossales et en granit rouge, 
dignes de Tyr-la^Superbe. 

La Pomone fait, de là, route pour Salda (jadis Sidon), 
berceau de la marine phénicienne et dont Tyr, même, ne 
fut, suivant quelques auteurs, qu’une colonie détachée, qui 
absorba la mère-patrie en peu de temps, à cause de sa posi¬ 
tion inexpugnable. 

Sidon, célèbre par la fuite de la reine Didon, qui fonda 
Carthage pour échapper à la mort qui la menaçait dans son 
palais même, s’est mieux conservée à travers les siècles 
que Tyr, sa voisine; la ville ne compte pas moins de 15,000 
habitants. Le même cérémonial militaire qu’à Saint-Jean- 
d’Acre m’attendait au débarcadère de Saïda; mais sans y 
perdre de temps, je traverse la ville, aux rues voûtées 
comme celles de Saint-Jean-d*Acre, de Jérusalem, et, en 
général, de toutes les villes de la Syrie ; je monte avec mes 
ofliciers sur l’éminence où le roi Saint-Louis bâtit une tour 
qui porte encore son nom. . . • Saint-Louis, dont le sou¬ 
venir est palpitant sur toute cette côte, arrosée de sang 
français ! Le port de Sidon, comme celui de Tyr, est obs¬ 
trué par les bancs de sable, par suite d’un abord difficile; 
quelques petites barques s'y trouvent amarrées ; tel est, de 
nos jours, l’aspect de ce berceau de la maririe phéni¬ 
cienne. 

Nous levons l’ancre et mettons le cap sur Beyrouth, qui 


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DE GRÈGE ET DE SYRIE. 


487 


est aujourd’hui, maigre sa médiocre rade, la plus impor¬ 
tante cité du littoral de la Syrie sous le rapport des riches¬ 
ses et de la population. Les commerçants européens, Israéli¬ 
tes, grecs, etc., s’y trouvent en grand nombre. M. Edmond 
de Lesseps, parent de l'énergique et habile directeur de la 
compagnie de Suez, remplissait alors à Beyrouth les fonc¬ 
tions de consul général, et voulut présider lui-méme à la 
réception princière que nous firent chrétiens et musulmans : 
saints à coups de canon, régiments sous les armes, musique, 
café sur les divans, fêtes de nuit dans le consulat français, et 
dont la colonie européenne avait, à l’avance, organisé les 
préparatifs, tout cela nous fut prodigué. 

Beyrouth est presque au cœur du Liban, ou Maronites et 
Druses se lançaient, dès cette époque, des menaces de mort, 
que l’habileté de notre consul général ne pouvait contenir 
qu’à grand’peine ; aussi me pria-t-il instamment de rece¬ 
voir sur ma frégate les chefs maronites et les chefs druses, 
pour leur prêcher, et, au besoin, leur intimer la concorde, 
au nom de la France. Ce fut le prince Bèchir, émir ou gou¬ 
verneur général des maronites, tous chrétiens, comme on le 
sait, que je reçus le premier à mon bord. 11 avait quitté son 
habitation du Liban depuis la veille pour venir me voir, et 
m’offrit un magnifique cheval, que je crus devoir refuser. 
D’une stature imposante, le prince Béchir frappait tout 
d’abord par l’énergique sérénité de sa belle figure ; il portait 
les ordres de l’Autriche, et au cou, la croix de commandeur 
de la Légion d’Honneur. Il s’engagea à ne pas attaquer les 
druses; mais, hochant la tête, il semblait dire que les premiers 
coups viendraient de leur côté. 

Le chef des druses vint à son tour: comme il voyait en 
moi un combattant de Sébastopol, auquel les osmanlis fai¬ 
saient grand accueil, il n’osa pas avouer sa haine séculaire, 
et moins encore, naturellement, les féroces projets que dès 


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488 


EXCURSION AUX COTES 


lors il méditait peut-être. Il‘y a de cela trois ans, Messieurs, 
et que de flots de sang maronite répandu par les druses, 
nous séparent déjà de cette époque! 

Le 4 juin, je quittai Beyrouth, pour me diriger sur Tri¬ 
poli ; et, à mesure que nous approchions de cette ville, la 
chaîne des montagnes du Liban s'élevait de plus en plus à 
nos yeux. Au-dessus de Tripoli même, leurs cimes se mon¬ 
traient envahies par les neiges. 

Adossé au pied de ces montagnes, Tripoli a vu son com¬ 
merce et son importance devenir peu à peu l'apanage de 
Beyrputh, qui communique plus facilement avec les villes 
de l'intérieur et notamment avec Damas. 

De Tripoli, je fais route pour remonter la cête d'Asie, en 
passant à Chypre. La fable, comme on le sait, y fait naître 
Vénus de l'écume des flots et ajoute que la déesse païenne 
mit pied à terre dans la petite baie de Paphos, dont la plage 
n'offre d'ailleurs rien de remarquable ; elle n'a ni verdure 
ni bosquets, aucune végétation enfin qui puisse expliquer 
une pareille tradition mythologique. 

Après l’ile de Chypre, c’est l'tle de Rhodes ; j’y jette 
l'ancre le 11 juin : Boulevard maritime des anciens cham¬ 
pions de la chrétienté, la ville de Rhodes, aujourd’hui tor¬ 
que, était encore tout émue de la terrible catastrophe qui 
venait de l'ébranler jusque dans ses fondements, c'est-à- 
dire, de l'explosiou d’un vaste magasin de poudres établi 
sous l'ancien palais des Grands-Maîtres de l’ordre de Rho¬ 
des. Nous passons en canot entre les deux jetées du port 
où s'élevait jadis le colosse Bhodien ; c'est de là aussi que 
s'élançaient avec tant de hardiesse les galères chrétiennes, 
pour livrer leurs combats à outrance aux flottes musulma¬ 
nes ; nous sommes dans la rue des Chevaliers, dont chaque 
maison porte encore sur sa façade l’écusson de ces héroï¬ 
ques batailleurs : les fleurs de lys de France s'y retrouvent 


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DE GRÈCE ET DE SYRIE. 


«489 


presque à chaque pas et notamment sur la façade du 
Grand-Prieuré ; mais, quelques années encore, et il ne res¬ 
tera plus guère de ces glorieux vestiges, car les maisons 
tombent en ruines pour la plupart, et ces ruines entraînent 
avec elles leurs symboles historiques. 

De Rhodes, nous nous rendons à Boudroum, ancienne 
Halicarnasse, où la frégate anglaise la Gorgone se boudait 
des antiquités recueillies par M. Newton dans le mausolée 
ou tombeau du roi Mausole, une des ex-sept merveilles du 
monde connu des Anciens. C'est d’ailleurs à cet archéolo¬ 
gue anglais que l'on doit la découverte de l'emplacement de 
l’ancien mausolée, dont les ruines sont aujourd’hui presque 
toutes souterraines. M. Newton m'offre de me piloter dans 
les caveaux où il opérait des fouilles depuis quelques 
semaines. Les richesses du monarque défunt et de son 
inconsolable épouse y avaient été jadis enfouies, disait-on ; 
mais jusqu’à ce jour, on n’y avait découvert que deux 
magnifiques vases d’albâtre, $ur lesquels étaient gravés ces 
mots : a De la part du grand roi Xerxès. » 

Mon savant cicerone me fit remarquer les curieux débris 
de la vaste pyramide au-dessus de laquelle la reine Arthé- 
mise avait fait placer la statue en marbre du roi Mausole 
conduisant un quadrige; de beaux restes de ce quadrige 
étaient déjà embarqués à bord de la Gorgone . 

Mais ma frégate et ses 2 avisos sont à bout de leur appro¬ 
visionnement de charbon ; nous faisous donc route de nou¬ 
veau pour Smyrne, notre dépôt central de combustible, 
d’où après un court séjour, je prends la mer de nouveau. Le 
18 juillet, je jette l’ancre dans le port de Nauplie, vis-à-vis 
les ruines d’Argos, la capitale d’Agamemnon. Près de ces 
ruines, se voyaient aussi celles, non moins curieuses, de 
Tirynthe, la plus vieille cité de l’antiquité grecque, et dont les 
énormes blocs de pierres cyclopéennes, entassés en guise 


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490 


EXCURSION AUX COTES 


de remparts, furent, dit-on, l’ouvrage du puissant Hercule; 
je cingle ensuite vers l’Eubée, et le 23 juillet, je suis dans 
la baie de Marathon. Après m’être dirigé tout d’abord vers 
le tumulus où furent ensevelis les grecs tués pendant le 
combat, je pus constater que la description de ce champ de 
bataille, telle que la donne le jeune Anacbarsis d’après Héro¬ 
dote était très exacte; que le camp des grecs dut, en effet, 
s’établir dans la montagne qui domine le fond de la plaine, 
tant parce qu’il était ainsi à l’abri de toute attaque et de 
toute surprise, que parce qu'il commandait la route d’Athè¬ 
nes; que l’armée grecque, dut, comme le raconte ('historien, 
se développer en bataille le long de cette même montagne, 
et s’y adosser momentanément, pour n'élre pas tournée par 
la cavalerie perse; qu’enfin,la droite et la gauche de l’armée 
des perses durent perdre beaucoup de monde, lorsque les 
deux ailes renforcées des grecs se précipitèrent avec furie 
sur elles pour les jeter dans les deux marais, que les perses 
avaient eu l’imprudence de laisser entre eux et le rivage; 
ces marais existent encore. 

Je ramassai quelques morceaux de marbre, débris da 
tumulus élevé il y a plus de 2000 ans à la gloire des vain¬ 
queurs. . . • Marathon! Salamine! noms immortels, qui 
rappellent les deux plus héroïques efforts qu’une nation ait 
produits, peut-être, pour défendre son indépendance mena¬ 
cée par des hordes ennemies! 

Mais je me trompe. Messieurs, ne pouvons-nous 
pas revendiquer une palme aussi glorieuse pour notre patrie, 
dans l'histoire d’un passé encore peu éloigné de nous? Et le 
grand mouvement des combattants de 92, dont nous som¬ 
mes les héritiers, ne montre-t-il pas la France défendant 
victorieusement ses frontières contre l’Europe coalisée, avec 
l’énergie, dirai-je l’acharnement d’une lionne qui défend 
ses petits? 


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DE GRÈCE ET DE SYRIE. 491 

Lorsque la guerre n’est qu’une œuvre méthodique, où 
deux armées s’entrechoquent sans obéir à un mobile puis¬ 
sant ou à d’habiles combinaisons stratégiques, elle est peu 
digne d’intérét; mais lorsque l’indépendance de la patrie est 
en jeu, et que le génie du chef d’armée se manifeste et 
brille pendant la bataille, comme la foudre au milieu d’un 
orage, le spectacle devient alors aussi intéressant qu’il est 
grandiose; ce spectacle, Thémistocle et sa flotte nous le 
donnent à Salamine; Miltiade et son armée à Marathon ; 
et, en 92, les quatorze armées de la France, sur ses fron¬ 
tières. 


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ETUDES 


SUR 

H" RAICON, sieur la HOUGBET etde liLANDE, 

Historiographe du Cotentin au XVII • siècle, 


Par H. de PONTAUHONT, 

Membre de la Légion d’Honneur et de la Société des Antiquaires de Normandie. 


L'histoire d'une ville est écrite dans ses monuments. Les 
vestiges de théâtres, de thermes, nous rappellent la domi¬ 
nation romaine qui nous civilisa; les restes d’un château- 
fort, l’invasion des Barbares, la division du sol, la violence 
féodale ; les églises et les couvents, le règne de Dieu sur U 
terre ; les écoles et les hospices, celui des monarchies et 
des municipalités. Yalognes possède tous ces nobles débris 
qui désigne les grandes villes d’autrefois; mais malheureu¬ 
sement, depuis 1789, cette cité, belle encore par ses monu¬ 
ments, est bien déchue de son ancienne splendeur. Valo- 
gnes, qui dans la période gallo-romaine avait un théâtre 
spacieux et des thermes importants, n’a plus rien aujour¬ 
d’hui. Cette ville qui, sous Louis XIV, était à juste titre 
nommée le Versailles du Cotentin; qui, en 1777, avait 
15,000 âmes et 43 équipages, compte à peine aujourd’hui 


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SIEUR DU HOUGUET ET DE LA LANDE. 493 

5,000 âmes et une voiture à livrée y fait événement. L'herbe 
festonne de sa verdure mélancolique ses pavés, que dutébran- 
ler, au temps de Lesage, l’équipage armorié de la marquise 
deTurcarct. Si vous êtes attiré à Valognes par quelque vieil 
ami qui vous y réclame ou par une visite à son excellent 
collège des Eudistes, vous trouvez, à toute heure du jour, 
les rues et les places si peu fréquentées, que vous y enten¬ 
dez le bruit de vos pas. Valognes, comme Herculanum et 
Pompeï, est plein de demeures vastes et délabrées, dont 
quelques-unes, résidences de familles aujourd’hui éteintes, 
ont retenti de fêtes brillantes, auxquelles on n’invitait point 
le ministre Chamillard. Cette ville n’a conservé de son 
ancienne grandeur que sa succulente cuisine : elle devait 
être la patrie d’adoption de l'illustre Vatel. 

Au temps de la plus grande splendeur de Valognes, 
sous le règne de Louis XIV, vivait dans ses murs M. 
Pierre Mangon du Houguct, savant antiquaire et vicomte 
du lieu, dont la mémoire est précieuse aux amis des antiqui¬ 
tés locales. Il aida puissamment, par son savoir et son zèle, 
Tintendant Foucault et le père Dunod dans les fouilles, 
faites en 1692, qui révélèrent l’existence d'un cirque et de 
thermes gallo-romains à Valognes. Il laissa un grand nom¬ 
bre de manuscrits sur les antiquités du Cotentin. 

J’ai recueilli sur M. Mangon du Houguet divers docu¬ 
ments inédits, que je vais relater ici. A défaut d'une bio¬ 
graphie complète, ils pourront donner quelques notions sur 
un homme distingué à tous égards et dont personne ne s’est 
occupé jusqu’à ce jour, bien qu’il ait été le précurseur des 
archéologues du Cotentin. 

Voici l’extrait d’une lettre iuédite que l’abbé Toustain de 
Billy écrivait à M. Foucault, intendant de la Basse-Norman¬ 
die, sous la date du 26 août 1705: « . . . C’est, Monsieur, 
» ce que j’ai pu connaître jusqu’à présent, non seulement 

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494 


ÉTUDES SUR M r * MANGON, 


» de Mortain, mais de tout noire Golcnlin; mais, ou elles 
» sont publiques et connues par des livres imprimés, ou 
a bien, vous les avez. Feu M. du Houguet , du nom de 
a Mangon , ancien vicomte de, Valognes, était curieux de 
a bon goût et de bon esprit; il a laissé beaucoup de 
a mémoires sur ces cantons, c’est-à-dire de Valognes et des 
» environs; vous les avez ; il y a mille bonnes choses, a (1) 

M. de Gerville, mon vénérable maître et ami, adressa la 
lettre suivante au petit-fils du savant vicomte. 

A M.Mangon delà Lande , directeur des domaines à Poitiers. 

« Valognes, le 15 juillet 1835. 

a J’arrive, Monsieur, aux nouveaux renseignements que 
je puis vous donner sur votre ancêtre, M. Mangon du Hou- 
güet, notre ancien vicomte. Par les mémoires de l’abbé de 
Billy, je savais que M. du Houguet avait fait des recherches 
estimées sur l’histoire de notre ville; je les cherchais depuis 
25 ans très-inutilement, lorsque, l’hiver dernier, le hasard 
me fit tomber sur un gros livre manuscrit à peu près indé¬ 
chiffrable; j’y vis, pourtant, que c’était le travail de notre 
bon vicomte. Je connaissais un écolier patient et habile 
déchiffreur; je le priai de m’en faire une copie; je surveil¬ 
lai constamment son travail, et je parvins à obtenir une 
copie écrite d’une manière correcte et lisible : c’est la col¬ 
lection de tous les titres authentiques extraits de toutes les 
archives, sans excepter les livres noir et blanc de l’évécbé, 
etc. A la fin du chapitre des Cordeliers , je lis ce qui suit : 
Sépulture de ma famille, suivant les contrats et concessions : 
En l’année présente 1702, j’ai acheté une tombe, carreau 
d’Yvetot, par 12 livres, et l'ai fait graver par M. Antoine 
Roger, auquel j’ai payé 18 liv. pour son travail, 4 liv. pour 

(1) Mém. pour Thistoire du Cotentin. Bib. Impériale n° 1027, 
iw pièce. 


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SIEUR DU HOUGUET ET DE LA LANDE. 


495 


les matières à remplir les lettres, et 3 liv. 15 s. pour la 
placer. L’inscription est telle, de ma façon : D. O. M. S. 
anni Domini 1702 : Petrus Mangon, s cuit fer , Dominas du 
Houguet , anntrn œtalis agens 7/, faciebat n'6i, conjugi 
B . if. et suis, in spem misericordianun Dei et vitœ œtemm 
in regno cmlorum . (Ajouter la date de notre mort) B. M. 
(benè merenti) comme aux tombeaux romains. Mes armes 
en écusson timbré, qui sont celles des Mangon , du Val-de- 
Saire , dont je suis la branche aînée, et portant d’or au che¬ 
vron de gueules, accompagné de trois gonds de sable, au 
chef d’azur chargé d’une main d’or sortant d’un nuage de 
même. Et, au-dessous de la place nette où l’on mettra le 
temps de ma mort, est écrit : hoc monumentum et sedile 
desupersequunlur heredes et poster os in ppetuum ex contracta 
et beneficio . Par acte du 29 août 1699, le couvent des Cor¬ 
deliers de Yalognes a concédé, à perpétuité, au sieur Mangon 
du Houguet et à sa famille, comme amis et bienfaiteurs de 
leur maison, le droit d’inhumation prés des marches de 
l'autel de la Vierge, dans leur église. Enfin, on trouve dans 
la généalogie manuscrite de la maison d’Argouges l’indica¬ 
tion ci-après : le sieur du Houguet Mangon, ancien vicomte 
de Yalognes, a laissé plus de 30 volumes manuscrits en 
grand papier in-4°, contenant : fondations d’abbayes, char¬ 
tes de donations que l’on y faisait, patronnages, fiefs, 
arrière-bans, recherches de noblesse, partages, traités de 
mariage, arrêts, sentences, généalogies,.et autres titres qui 
regardaient particulièrement le Cotentin. 

» Agréez, etc. Cn. de Gervillb. a 

Voici l’acte de mariage de Pierre Mangon, tel qu’il se 
trouve dans les registres de l’état civil de Yalognes, à la 
date du 18 septembre 1657 : a Noblo homme M ra Pierre 
Mangon, escuier, sieur de Longuemare (1), conseiller du 

(l) M. Pierre Mangon ne prit le nom de du Houguet qu'après 


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«496 


ÉTUDES*SUR M rt MANGON, 


Roi, vicomte et capitaine de Valognes et premier assesseur 
au siège de bailliage du dit lieu, et damoiselle Charlotte Le 
Roux ont été espousés en l'église de Valognes par messire 
Hybouët, prêtre, maistre doyen et official du dit lieu, en 
présence de noble Jean Mangon, escuier, sieur du Houguet, 
M* Marin Le Roux et autres. 

Cette union fut heureuse et dura quarante-huit ans, ainsi 
qu’il résulte de l’acte qui suit: 

« Pierre Mangon, escuier, sieur du Houguet, âgé de 70 
» ans, décédé ce jourd’hui, a été inhumé dans l’église des 
» R. P. Cordeliers, après y avoir été conduit par messire 
» Le Grand, prêtre et vicaire de Valognes, assisté du 
a clergé, le 46* jour de novembre 1705. » 

Madame du Hougnet survécut à son mari ; nous la trou¬ 
vons dans quelques uns des actes de l'état civil de Valo¬ 
gnes comme marraine de ses petits-enfants. 

Il y a dans l’acte de décès de M. du Houguet nne erreur 
manifeste, car il résulte de l’épitaphe faite par lui-même et 
que nous avons vue plus haut qu’en 1702 il était Agé de 71 
aus. Il avait donc au moins 74 ans en novembre 1705, 
époque de sa mort. Du reste, il est curieux de rapprocher 
l’inexplicable laconisme de l’acte mortuaire de ce savant 
distingué, qui avait été pendant plus de 20 ans le premier 
magistrat de Valognes, de la solennité de rédaction de l'acte 
de décès de son fils Julien, mort jeune et fort peu de temps 

la mort de son père Jean que nous voyons figurer ici comme 
témoin. Je le vois adopter ce nom pour la première fois le il 
octobre 1668, dans l’acte de baptême de sa fille Françoise-Thé¬ 
rèse, qui eut pour parrain Henri-Hubert Gigault de Bellefonds, 
de l'Ile-Marie, commandant la ville et château de Valognes. 
Sous la date du 27 mars 1672, nous trouvons encore l'acte de 
baptême de Anne-Jeanne, fille de Pierre*Mangon du Houguet, 
laquelle eut pour marraine sa tante damoiselle Jeanne Mangon, 
femme de Guillaume du Mesnildot, escuyer, sieur du Vaast. 


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SI BU R DU HOUGUBT BT DE LA LANDB. 


497 


après son père. Trop souvent, à cette époque, la rédaction 
de l'état civil était abandonnée aux simples sacristains des 
paroisses, qui tronquaient les dates et les noms aussi bien 
que les qualités, quand ils ne les omettaient pas entière¬ 
ment. 

Yoici Pacte mortuaire do jeune Mangon qui porte la 
rédaction qu'aurait dû avoir celui de son père. 

Julien Mangon, escuier, sieur du Houguet, décédé du 27 
janvier 1709, Agé de 28 ans, a été inhumé dans l'église des 
R. P. Cordeliers, ou la cérémonie du convoi a été faite par 
messire Julien de Laillier, prêtre, docteur de Sorbonne, 
curé et official de Valognes, assisté du clergé, chantres, 
entre autres Messire Jean Launey, vicaire audit Valognes, 
messire François Laisnej, prêtre, sieur de Vaudemon, 
chantre auxiliaire et autres. La cérémonie du convoi faite 
avec la croix d'argent, une volée de cloches et trois volées 
le jour d'avant. 

Ajoutons A ce qui précède que M. du Houguet avait 
formé une magnifique collection de médailles, d'antiques et 
de livres rares. Il possédait on des plus anciens exemplai¬ 
res manuscrits de la Coutume de Normandie . Ce livre, qui 
venait de l'abbaye de Montebourg, est passé dans la biblio¬ 
thèque de Colbert, et se trouve aujourd'hui à la bibliothèque 
impériale à Paris. 

Notre savant antiquaire, on le voit, mettait à profit tous 
les loisirs que lui laissait sa magistrature vicomtale pour se 
livrer à l’étude de nos antiquités. Comme Montaigne, il 
aimait à consacrer aux lettres ses villégiatures dans ses 
terres du Houguet et de la Lande, situées sur les rives dé 
la Saire, dans ce pays aux collines grises qui abritent des 
villages de granit gris; où les arbres sont rares, les hommes 
durs, les femmes viriles et Gères ; où l'odeur de la bruyère 
en fleurs vous arrive par vives bouffées, avec les vivifiantes 
saveurs de la brise salée et du silex broyé par la vague. 


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498 


ÉTUDES SUR H" MANGON. 


Le vicomte Pierre Mangon, S r da Hoagoet etde la Lande 
est représenté aujourd'hui par ses arriérc-petits-fils MM. 
Amédée Mangon de la Lande, général de brigade, chef 
d’état-major de l’armée de Paris et de la ! " division militaire, 
et Alphonse Mangon delà Lande, officier de cavalerie retraité 
à Avranches. 



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TRADITIONS 

BELATITES AU B. THOMAS HÉLIE, 


Par H. l’abbé GILBERT, 

Vicaire-général, membre de la Légion d'Honnenr et de la Société académique 
de Cherbourg. 


Il est vrai, comme le constate II. Léopold Delisle, que 
Clément, auteur contemporain d'un récit latin des vertus et 
des miracles du B. Thomas, ne lui attribue point le titre do 
curé de Saint-Maurice, qu’il garde le silence sur ses rela¬ 
tions avec S*-Louis et ne dit rien do calice et de la chasu¬ 
ble conservés comme ayant appartenu au saint prêtre. Il 
est vrai encore qu’aucun de ces trois articles n’est mentionné 
par l’écrivain'qui, peu de temps après Clément, a imité son 
récit en vers français. Toutefois ce silence peut-il être 
opposé à la tradition populaire comme un démenti ; et faut- 
il regarder cette tradition comme une erreur, une croyance 
mal fondée? Nous ne le pensons pas. Examinons successi¬ 
vement les trois points dont il s'agit. 

Art. 1 er . — Du titre de curé de S*-Maurice attribué au 
B. Thomas. 

Si la tradition parlait d’un long exercice des fonctions 
curiales, nous trouverions la réfutation de cette hypothèse 


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TRADITIONS RELATIVES 


dans le (este même de Clément. Il affirme en effet que les 
22 années que le Bienheureux passa dans le sacerdoce furent 
vouées aux travaux apostoliques des missions. Mais la tradi¬ 
tion attribue peu de durée au temps que le serviteur de 
Dieu donna à l’administration paroissiale. On comprend 
dès lorsque l’écrivain, qui n’entre dans aucun détail sur les 
œuvres du saint missionnaire pendant cette longue période 
de 22 ans, ait omis le récit d’un fait transitoire et d'une 
importance peu considérable. 

Voyons maintenant sur quel fondement repose cette tra¬ 
dition populaire : nous ne croyons pas sans force en sa 
faveur les observations suivantes : 

4° Dans l’enquête officielle, faite en 1699 par Mgr. de 
JLoméniedeBrienne, évêque de Coutances, et dont le procès- 
verbal a été retrouvé en 1843 parM. l’abbé Colin aux archi¬ 
ves de l’hospice de Coutances, tous les témoins interrogés 
déposent que l’on a cru de temps immémorial que le saint 
prêtre avait été quelque temps, vers la fin de sa vie, curé 
de S l -Maurice. ( Voir spécialement la déposition du sire 
Dugardin.) 

2° D’après les mêmes témoignages, la procession trien¬ 
nale des habitants de S‘-Maurice à Biville (distance de 7 
lieues) remonte à l’antiquité la plus reculée et, suivant le 
sire Dugardin, jusqu’au décès même du Bienheureux. Aussi 
Mge. de Loménie indique à l’an 1260 la fondation de cette 
procession, dans VIdea cultûs , tableau sommaire des monu¬ 
ments qui établissent la perpétuité du culte rendu au saint 
prêtre. En accomplissant ce pèlerinage, les habitants de 
S‘-Maurice se proposaient de vénérer le tombeau de leur 
ancien curé. Que pourrait-on opposer de raisonnable à leur 
persuasion? 

3° Ils prétendent encore aujourd’hui qu’une chasuble et 
d’autres ornements sacrés conservés dans leur église ont 


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AU B. THOMAS HÉLIE. 


501 


appartenu au saint prêtre pendant qu’il administrait leur 
paroisse. Ils ont donné le nom du B. Thomas à une fon¬ 
taine qu’ils regardent comme retraçant aussi le souvenir du 
Bienheureux. 

4°'Nous n’avons rien trouvé qui pût être objecté contre 
cette tradition, conservée à Biville comme à S l -Maurice. De 
tels faits ne sont point inventés à plaisir, et quand, parmi les 
000 paroisses évangélisées par le saint prêtre, une seule 
s’attribue l’honneur d'avoir été administrée par lui, sans 
qu'aucune autre lui conteste cette gloire, nous pouvons 
regarder le fait comme certain. 

Art. II. — Des relations du B. Thomas avec le roi 
S‘-Louis. 

Le saint prêtre a—t-il reçu le titre et exercé à la cour les 
fonctions de chapelain royal prés de S‘-Louis, pendant une 
durée un peu notable ? Nous n'hésitons pas à répondre 
négativement, avec M. Léopold Delisle et les Bollandistes. 
Une interruption considérable des travaux du missionnaire 
à l’occasion d’un fait si important n’eût pu être omise par 
Clément, qui eût indiqué cet épisode en racontant les 22 
ans que le Bienheureux passa dans le sacerdoce. Ajoutons 
que l’on trouverait son nom dans la liste des clercs de la 
chapelle du saint Boi, qui lui-même n’aurait pas manqué 
de figurer avec les deux cardinaux Hugues de S'-Cher et 
Eudes de Cbâteauroux, pour demander la canonisation de 
son pieux chapelain. 

Mais comme il s’agit uniquement, selon la croyance popu¬ 
laire et d’après les biographes qui l’ont admise, de fonctions 
exercées très peu de temps par l’homme apostolique, on ne 
peut rien conclure du silence de Çlément. Examinons en 
effet, d’après cet auteur lui-même, le but qu’il se propose 


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TRADITIONS RELATIVES 


dans son récit et le caractère de son livre. Il rédige une 
compilation (i compilationem ), un répertoire qui, rapproché 
dn texte original de l'enquête faite pour la canonisation, 
formant un volume considérable, fournisse au curé de Biville 
le moyen de présenter aux pèlerins qui venaient de contrées 
très éloignées, ex diversis arbis climatibus , ce qu'ils avaient 
à imiter (les vertus), et ce qu’ils avaient à admirer (les mira¬ 
cles ), dans l'histoire du Bienheureux. En racontant la vie, 
il n'insiste que sur les détails édifiants propres à faire res¬ 
sortir les vertus éminentes de son héros. Une seule phrase 
parle de sa vie d’instituteur; aucun détail n'est donné sur 
ses deux pèlerinages lointains, ni sur les quatre années qu’il 
passa à l'université de Paris ; et quand Clément parcourt les 
22 années durant lesquelles le missionnaire évangélisa suc¬ 
cessivement plus de 600 paroisses, nous n’avons sous les 
yeux aucune des circonstances si variées qui ont dû se pro¬ 
duire pendant ces longues pérégrinations apostoliques. Il n’a 
parlé des évéques de Coutances et d’Avranches que pour 
dire qu’ils ont établi le B. Thomas missionnaire dans leurs 
diocèses. S'il nomme la dame de Bricquebec, c’est parce 
qu'elle a attesté, d’après ce qui lui avait été confié par son 
saint directeur, qu’une goutte de sang avait coulé avec ses 
larmes, à la pensée des souffrances de J. C. S'il parle du 
seigneur et de la dame deVauville, c’est parce que leur château 
fut le dernier asile de leur vénérable ami. Il ne mentionne 
du reste que les témoins des miracles opérés par le serviteur 
de Dieu, les deux cardinaux Hugues de S l -Cher et Eudes de 
Châteauroux, et les Ecclésiastiques qui prirent part 4 
l’enquête pour la canonisation. N'oublions pas d'ailleurs que 
le texte de cette volumineuse enquête était, d’après Clément, 
* le complément indispensable et inséparable de son récit. 
Cette information canonique contenait des détails que 
l’auteur n'a pas jugé utile de reproduire, et rien n’empéche 


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AU B. THOMAS HÉLIE. 


505 


de penser que, dans ce recueil officiel et complet, on lisait 
les récits attribués aujourd’hui à un témoignage purement 
oral. Il est donc impossible sur ce second article comme sur 
le premier de se prévaloir du silence de l’bistorien Clément. 

Le P. Le Mière, cordelier de Bayeux, qui écrivait en 
46^6 la vie du B. Thomas, est le premier auteur connu 
qui ait parlé de ses relations avec S'-Louis. Faut-il en con¬ 
clure que son récit n'est qu’une fiction, une œuvre d'imagi¬ 
nation ou de crédulité ? Pour répondre à cette question, 
noos allons citer les documents que nous fournissent l'en- 
qnéte de Mgr. de Brienne et les monuments érigés dans 
l'église de Biville ; nous trouverons ensuite dans l'histoire 
de S^Louis lui-même des renseignements qui suffisent pour 
justifier et expliquer la tradition sur ce point. 

Consultons d'abord les enquêtes faites en 4696 et 4699, 
et les monuiqents érigés dans l'église de Biville. 

En 4696, Mgr. de Brienne fait une visite solennelle à l'église 
de Biville ; c'était le premier acte de l'enquête que ce prélat 
commençait pour la canonisation. Le procès-verbal de cette 
visite contient la description du tombeau élevé à la gloire 
do B. Thomas en 4533 par le curé Michel Le Verrier. Ce 
monumeot (malheureusement remplacé en 4778) était orné 
de dix tableaux peints, qui représentaient le saint mission¬ 
naire prêchant devant les évêques de Coutances et d’Avran- 
ches, et obtenant de Dieu huit miracles, parmi lesquels six 
résurrections. On concevrait facilement que la sépulture du 
saint prêtre ne retraçât d’autre souvenir que celui de scs 
prédications et de ses miracles. Mais, suivant Mgr. de 
Brienne, trois lignes au-dessous de la description que nous 
venons de citer, nous lisons : (1) « Sur ledit mausolée est 

(1) Bt saper dicto mausolæo effigies longitudinis 5 pédant, 
lapide secto dicti B. Thomæ, qua repræsentytur indutas orna- 
mentis sacerdotalibus, manibus junctis, jacens super illod 


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TRADITIONS RELATIVES 


une statue de pierre sculptée, représentant le B. Thomas 
revêtu de scs ornements sacerdotaux, couché sur le tom¬ 
beau, les mains jointes, les yeux levés et fixés vers le ciel. 
Sur sa chasuble sont les armes du roi S*-Louis dans un éco 
écartelé : lis, château, lion et aigle, a Ce tombeau portait 
donc aux yeux de l’évêque et de ceux qui raccompagnaient 
un signe commémoratif de S l -Louis. 

En 1699, dans la longue déposition qu’il fait devant la 
commission nommée par l’évêque, le sire Dugardin, seigneur 
de Biville, atteste sous la foi du serment qu’il a vu et que 
l’on conserve dans l’église de cette paroisse : c 1° un portrait 
peint avec cette inscription : Pourtrait du B . Thomas de 
Biville , aumosnier de S'-Louis. Ce tableau fut donné par 
une dame de Coutances, il y a 73 ans (en 1626); 2* un 
tableau de cuir doré et argenté à fleurs... et a appris de ses 
père et mère et par les curés et prêtres, anciens de ladite 
paroisse, que ledit tableau, qui parait très bien fait, a été 
donné il y a plus de 450 ans , et l’on voit par l’inspection 
d’iceluy qu'il était et est encore très-beau, et l’on y remar¬ 
que le roi S l -Louis, dépeint à genoux sur un prie-Dieu, 
entendant la messe célébrée par un de ses chapelains , et 
ledit B. Thomas, comme un vénérable vieillard, revêtu d’un 
surplis, à genoux proche de lui, en qualité d’aumosnier.* Ce 
tableau, qui remonte au-delà de 4549 , peut être regardé 
comme contemporain du tombeau érigé en 1533 par le curé 
Michel Leverrier. 

Nous savons donc, d’après l’autorité d'une information 
juridique très sérieuse, qu’à cette dernière époque,c’est-à- 
dire 276 ans après la mort du Bienheureux, trente années 
environ avant les ravages des huguenots, les pèlerins qui visi- 

sepulchrum et cœlum intuens et aspiciens; super casulam 
depicta sunt insignia B. Ludovici Galliarum regis, in scuto 
quadripartite, nempe lilium, castel lum, leo et aquila. 


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AU B. THOMAS HÉLIE. 


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(aient l'église de Biville trouvaient en faveur de la tradition 
populaire un monument très remarquable, exposé solennel¬ 
lement à la place la plus houorable et la plus conforme au 
sujet représenté : au milieu du devant l'autel, et vis-à- 
vis d'une des extrémités du tombeau, dont il complétait 
l'ornementation. 

Ajoutons un àutre monument découvert récemment et 
dont l’authenticité parait incontestable. Quatre bas-reliefs 
en pierre de même forme et de même dimension, O 111 70 e de 
hauteur, 0* 45 e de largeur, furent retrouvés en 1853 sous le 
pavé du chœur de Biville. Ils ont été conservés, restaurés 
et convenablement replacés dans le chœur par les soins de 
M. l’abbé Godefroy, de Cherbourg. Ils représentent quatre 
personnages, deux rois et deux reines. Le premier ne peut 
évidemment convenir qu’à S*-Louis, dont il représente 
l’apothéose : le saint roi a la couronne en tête; il tient de la 
main droite un sceptre fleurdelisé et de la gauche la main 
de justice; il est enlevé au ciel sur les ailes d'un ange. 
Cet ange développe un philactère sur lequel était peinte 
une inscription malheureusement effacée par le badigeon. 

Le 2* bas-relief représente un roi également couronné et 
portant le sceptre de la main droite ; la main gauche est 
passée en partie dans la ceinture bouclée, à laquelle sont 
suspendues, à droite l’aumênière, à gauche une dague dans 
son fourreau. Le costume, du moins pour la robe et le 
manteau, est tout'à fait semblable à celui de S l -Louis. Sur 
le 3% on voit une reine jeune, le front ceint d’une couronne 
non fleuronnée; elle porte aussi dans sa main droite un 
sceptre un peu plus court; la main gauche tient un livre 
fermé. La robe tratnanle était toute d’or et recouverte d'un 
manteau de pourpre brodé d’or. (Tous ces reliefs étaient 
enluminés.) Sur le 4 e enfin, une femme de taille plus 
élevée tient de la main gauche un livre ouvert. Elle n’a pas 


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306 


TRADITIONS RELATIVES 


de couronne et son bras droit manque entièrement. La 
figure, aussi belle que noble, annonce un Age plus avancé que 
celui de la reine représentée sur le 3 e bas-relief. Le costume, 
quoique différent, parait aussi fort riche et la robe a dû être 
dorée. La coiffure ressemble à celle que Ton voit sur la tête 
de la reine Blanche. 

Tout porte à croire que ces bas-reliefs représentent 
S‘-Louis et sa famille, savoir : le saint Roi, son fils Philippe- 
le-Hardi, sa mère Blanche-de-Castille, et sa femme Mar¬ 
guerite de Provence. On ne comprendrait pas que S‘-Lonis 
eût été placé avec d'autres personnages que ceux de sa 
famille dans un ouvrage qui devait être complet et faire 
partie d'un devant d'autel ou d’un tombeau. Lors même 
qu’il resterait quelque doute sur les trois derniers person¬ 
nages, il n’est pas possible d'en conserver pour le portrait dn 
saint roi. Or S‘-Louis n’est point et n'a jamais été patron 
de Biville, et il n y a pas de trace d'autel dédié en son 
honneur dans cette église; il est donc naturel de regarder 
cette sculpture comme destinée elle-même à rappeler les 
relations du monarque récemment canonisé et de sa famille 
avec le saint prêtre que la piété du peuple invoquait déjà si 
universellement. 

D'ailleurs des archéologues très compétents ont prononcé 
sans hésiter que ces sculptures offrent tous les caractères dn 
XY° siècle. Ces bas-reliefs constatent donc un fait impor¬ 
tant, c’est que 200 ans environ après la mort du B. Thomas 
et 200 ans avant le récit du P. Lemière, il était de traditioo 
que le Bienheureux avait eu des relations particulières avec 
le saint roi. 

Noos parlons dans un article à part du calice et de h 
chasuble, regardés comme un don de S'-Louis, origine qui 
se rattache naturellement aux relations qui ont existé entre 
les deux saints personnages. 


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AU B. THOMAS HÉLIE. 


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Le témoignage de Historien contemporain est donc sup¬ 
pléé par des documents du plus grand poids, tirés de 
l'enquête faite à la fin du XVII e siècle et des anciens monu¬ 
ments de Biville. 

Apprécions maintenant, en rapprochant le récit de Clé¬ 
ment de l'histoire de S k -Louis, les relations qui ont dû exis¬ 
ter entre le Bienheureux et le saint roi. 

D'après la tradition, mentionnée par le P. Lemière en 
4636, par les témoins de l'enquête épiscopale en 1699 et 
par les biographes plus récents, c'est vers la fin de sa vie 
que le B. Thomas fut mandé par S k -Louis. Or le roi quitta 
la France pour la 7° croisade en 1248 et ne revint qu'en 
septembre 1254; le B. Thomas mourut en octobre 4257. 
Ce serait donc dans ces trois dernières années qu'il fau¬ 
drait placer les faits qui ont donné lieu au titre traditionnel 
d'aumônier de S l -Louis. Mais d'après le témoignage irrécu¬ 
sable de Clément, le saint missionnaire passa les quatre 
dernières années de sa vie dans le diocèse, le parcourant nu- 
pieds; et, pendant les deux dernières, plusieurs maladies 
interrompirent le cours de scs travaux. Cherchons donc loin 
de Paris et de la cour les relations entre le saint roi et le 
B. Thomas; nous verrons qu'elles ont eu lieu dans le diocèse 
même. C'est un fait qu'il fautadmettre, tout en le dégageant 
de certains embellissements que quelques biographes du 
XVIII e siècle ont cru pouvoir y ajouter. 

S'-Louis passa cinq mois en Normandie en 4256 (depuis 
le mois de mars jusqu'au mois d'août), il visita plusieurs 
des ailles qui appartiennent aujourd'hui au département de 
la Manche, et il fit pendant ce voyage beaucoup de largesses 
aux pauvres et aux églises. Il est impossible que le saint 
roi, recherchant avec avidité tout ce qui intéressait la piété 
et les bonnes œuvres, comme nous l'attestent tous les histo¬ 
riens de sa vie, ait ignoré la réputation de sainteté et de 


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TRADITIONS RELATIVES 


miracles qui entourait alors un vieillard révéré depuis vingt 
années par tous les habitants des deux diocèses. Le pieux 
monarque n'aura pas manqué de chercher une occasion de 
voir l'homme de Dieu : il lui aura confié la distribution de 
quelques aumônes et l'aura probablement chargé d'exercer 
près de lui, du moins transitoirement, quelques fonctions 
sacerdotales. C’en est assez, comme le font remarquer les 
Bollandistcs (Acta. Bruxelles, 1853, t. 8, p. 596), pour avoir 
accrédité et perpétué le titre d'aumônier royal donné an B. 
Thomas, quand même il n'aurait pas été investi de ce litre 
par une nomination directe et formelle. On a pu remarquer 
que le sire Dugardin, dans la déposition déjà plusieurs fois 
citée, distingue les fonctions d'aumônier de celle de chape¬ 
lain , distinction qui n'est pas sans importance et qui expli¬ 
que comment le nom de notre saint prêtre n'a pas dû être 
inscrit dans le catalogue des clercs de la chapelle royale de 
S-Louis. 

La question que je soumis en 1839 à la Congrégation des 
Rites à Rome, en qualité de postulateur de la cause du 
B. Thomas au nom de Mgr. l'Évêque de Coutanccs, était 
assurément très indépendante du titre d'aumônier royal 
attribué au Bienheureux. Je crus même devoir, en déposant 
les pièces à l'appui de la supplique, exposer les objections 
récemment présentées contre cette opinion. Cependant, et 
quoique la décision qui autorise le culte du saint prêtre 
n'ait pas pour objet la question secondaire qni nous occupe, 
la Congrégation des Rites n'a pas cru s'écarter de la vérité 
historique en attachant quelque importance à la tradition 
populaire. 1° Elle a donné elie«mêmc au B. Thomas, en 
tête du décret de béatification, le titre d’aumônier de 
S k -Louis ; « Decretüm confirmationis cultus ab immemo- 
rabili tempore præsliti servoDei Thomœ Helyœ, presbytère 
Bevillensi et e letmosynarioS. Ludovtci /XGalliarumregis.» 


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AU B. THOMAS HÉLIE. 


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a Décret qai confirme le culte rendu de temps immémorial 
au serviteur de Dieu Thomas Hélye, prêtre de Biville, 
aumônier de S'-Louis IX, roi de France. » 2° Elle a fait men¬ 
tion de cette tradition dans la 6 e leçon rédigée pour l’office du 
B. Thomas (le 19 octobre) en des termes très conformes à la 
manière dont les Bollandistes ont traité cette question: 
« Tanta Beati Thomœ virtus S. Ludovicum IX, Galliarum 
regem, qui Normaniam inferiorem eo tempore visitavit, 
latere non potuit, proditumque memoriœ est, eleemosynarii 
titulo ilium décorasse. » « L’éminente vertu du B. Thomas 
ne put être ignorée du roi S‘-Louis IX qui visita à cette 
époque la Basse-Normandie, et la tradition atteste qu’il lui 
donna le titre de son aumônier, a 

Art. III. — Du calice et des ornements du B. Thomas. 

I. Ces objets sacrés ont été réellement à l’usage du saint 
prêtre. 

Bien n’empêche, comme M. L. Delisle le fait remarquer, 
d’admettre cette assertion ; et ces monuments dans leur 
ensemble présentent tous les caractères du XIII e siècle. 
Citons à l’appui de cette opinion, quoique personne ne l’ait 
combattue, un passage de l’enquête faite par Mgr. de Lomé- 
nie en 1699; nous croyons ce texte digne d’être publié. 

M. Laurent Coupey, curé de Biville, M. André Estard, 
son vicaire, M. Michel Lepelletier, prêtre du même lieu, 
déposent : 

« Il est à remarquer qu'après avoir été longtemps cachés 
dans une muraille faite exprès pour les conserver, ainsi que 
tout ce que les paroissiens avaient mis en dépôt entre les 
mains de M. Frimât, vicaire de Biville, durant les guerres 
civiles, et d’autres ornements de ladite église, afin de les 
conserver, tout se trouva consommé à l’exception des 

33 


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TRADITIONS RELATIVES 


ornements du B. Thomas, lesquels sont encore à présent en 
leur entier. 

» M. Germain Varangue, curé de Biville (en 1628), 
étant allé à Villedieu porter le calice du B. Thomas pour y 
faire racommoder quelque chose au fond, s'adressant à un 
orfèvre quiavait ouy parler du B. Thomas; ilachetta eiprès 
des gants et un mouchoir pour le tenir en y travaillant, 
lesquels il conserva comme saintes reliques. Et, comme un 
jour le feu prit aux maisons de ses voisins toutes couvertes 
de paille, le feu passa par dessus sa maison et brûla l'autre 
côté sans toucher à la sienne, ce qu’ayant attribué aux méri¬ 
tes du B. Thomas, il vint ensuite visiter sa sépulture en 
actions de grâce. » 

Il ne nous a pas paru inutile de prouver par cette citation 
que le calice et les ornements de notre Bienheureux étaient 
associés au culte dont il était l’objet, non-seulement dans 
le XVll*siècIe, mais avant les pillages des Huguenots vers le 
milieu du XVI*. 

II. Tout porte à croire que le calice et les ornements dn 
B. Thomas viennent du roi S l -Louis. 

1° On ne présente aucune objection sérieuse contre cette 
opinion. Voici les seules difficultés qu’on a pu élever contre 
elle. L’inscription gravée sur le pied du calice est peut-être 
du XV e siècle, et il n’est pas certain qu’elle exprime un don. 
Les broderies de la chasuble n’ont pas de signification héral¬ 
dique, et pourraient bien n’êlre pas l’écusson écartelé de 
S l -Louis. 

Quand l’inscription du calice aurait été altérée ou même 
ajoutée au XV* siècle, quand elle n’exprimerait point une 
offrande ou un don, ce vase sacré n’en présente pas moins, 
quant à son ensemble, tous les caractères du XIII e siècle 
que l’on ne peut contester. Ce calice, dont un dessin exact 
a été donné dans les Annales archéologiques de M. Didroo, 


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AU B. THOMAS HÉLIE. 


51 ! 

est en argeut doré et digue d’avoir été offert par un roi. 
Comparé à celui qui a été trouvé en 1854 dans le tombeaa 
d’Hervée*, évéque de Troyes, mort en 1223, il lui ressemble 
tellement par la forme et la dimension, qu’on les croirait 
volontiers sortis de la même main. 

La chasuble a aussi tous les caractères des chasubles du 
XIII e siècle. Elle retombe, sur les côtés, au-dessous des 
mains, et n’a qu’une ouverture ronde pour passer la tête. 
Voici ses dimensions : longueur, au dos, l m 33 e ; largeur, 
1“ 35 e ; diamètre de l’ouverture, 0 m 33 e . Elle est aujour¬ 
d’hui dans un complet état de vétusté, et on ne peut plus 
distinguer qu'à la loupe ses couleurs primitives. Elle parait 
être d’un seul morceau d’étoffe et sans coutures, de sorte que 
les dessins, qui au dos sont verticaux, affectent sur les 
bras et le devant un position toute différente. 

L’étoffe était d’une richesse vraiment royale. L'or y est 
prodigué sur le*fond et dur l’orfroi orné de losanges. Le 
champ, aussi losangé, est semé de figures en or: (1) fleur 

(t) Il ne peut y avoir la moindre difficulté quant à la signifi¬ 
cation héraldique de la fleur de lis d’or ( France , SK Louis) et 
du château à trois tours crénelées (Castille , la reine Blanche, 
mère du saint roi). On peut même joindre ce dernier emblème 
avec le lion efflanqué et allongé (Léon , à cause des liens qui 
unissaient étroitement les maisons de Castille et de Léon). M. de 
Caumont pense que VAigle simple qui formait les armoiries de 
la maison de Maurienne peut être attribué à Marguerite de Pro¬ 
vence, femme de S 1 Louis. L’incertitude que présente la valeur 
héraldique de ces deux dernières figures ne nous parait pas 
suffire pour rejeter ou révoquer en doute le caractère que pré¬ 
sentent les deux premiers emblèmes, dont l’interprétation ne 
donnerait lieu à aucun dissentiment, s’ils se trouvaient seuls sur 
la chasuble. 

11 n’est pas hors de propos de faire remarquer que la chasu¬ 
ble du B. Thomas conservée à St-Maurice, et dont l’enquête de 
1699 fait mention, aussi bien que de celle qui existe à Biville, 


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513 


TRADITIONS RELATIVES 


de lis d’or, château, lion et aigle éployé. Comme Ta dit M. 
de Caumont dans son Abécédaire , les lis et les châteaux sont 
disposés sur la même ligne et alternent, les lions et les aigles 
sont agencés pareillement, toutefois sans alternance, de 
sorte que chaque ligne de fleurs de lis et châteaux se trouve 
comprise entre un rang, de lions et un d’aigles. Mais il 
ajoute : a Comme il y a deux rangs de ces dernières armoi¬ 
ries (sur fond verdâtre), pour un de France et de Castille (sur 
fond rouge), la teinte verdâtre domine. » Il y a une légère 
inexactitude dans cette partie de la description faite par M. 
de Caumont. D’après le dessin de M. l'abbé Godefroy (1), 
remarquable parla parfaite reproduction des formes et des 
riches couleurs de la chasuble, l’alternance du rouge et du 
vert est telle qu’il y a parité absolue dans les deux cou¬ 
leurs. On y voit aussi que tous les signes héraldiques ont 
quelques différences de forme avec la gravure de M. Boite!. 

M. L. Delisle affirme qu’au moyen-âge les figures de 
lions, d’aigles, etc., étaient souvent employées sur des étoffes 
et des ameublements sans aucune signification héraldique. 
Ce témoignage même nous autorise à conclure que cette 
chasuble, qui présente tous les caractères du XIII e siècle, a 

est semée de fleurs de lis , sans mélange d aigles ni d’aucune 
autre décoration héraldique. 

Une très grande similitude existe aussi entre les dessins de 
la chasuble du B. Thomas et l’écu écartelé ( fleurs de lis et ch⬠
teaux crénelés ), que Ton trouve sur plusieurs briques armoriées 
dans la chapelle de St-Georges, à la cathédrale de Coutances; 
chapelle dotée par l’évêque Jean d’Essey en 1274 (. Archives du 
chapitre , 2 e cartulaire, n° 278). Mais il n’y a nulle trace de 
lions ou d’aigles dans le pavé de cette chapelle ni des deux 
autres dotées par le même évêque. 

(1) Nous devons aux recherches de M. l’abbé Godefroy les 
observations détaillées qui concernent la chasuble du Bienheu¬ 
reux et les bas-reliefs de Biville. 


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AU B. THOMAS HÉLIE. 


513 


fort bien pu ôtre offerte par S k Louis, lors mémo quelle do 
serait point ornée des armoiries royales. Ainsi rien n’infirme 
l’opinion qui attribue au saint roi le double don de la chasu¬ 
ble et du calice. 

2° Cette opinion est d’ailleurs très vraisemblable. 
En effet, la même tradition qui assure que le calice et la 
chasuble de Bivillc ont appartenu au B. Thomas, atteste que 
le roi S-Louis les a donnés. Nous ne pouvons découvrir un 
seul motif qui nous porte à admettre la tradition sur un 
article, et à la rejeter sur l'autre. Disons quelque chose de 
plus. Cette tradition est parfaitement conforme à ce que 
nous savons des libéralités du saint roi envers les églises et 
le clergé, pendant ses voyages, et spécialement dans celui 
qu’il fit à celte époque en Basse-Normandie. D’après la 
Chronique de l’abbaye de Savigny, citée par les Bollandis- 
tes (19 octobre, p. 596), S 1 Louis visita alors plusieurs 
monastères en Normandie, y distribua beaucoup d'étoffes de 
soie et fit d’abondantes aumônes dans cette province (1). 
Pourquoi prétendrait-on que le B. Thomas n’a pu avoir 
part à ces pieuses largesses ? On avouera du moins que 
l’histoire est loin de contredire la tradition sur cet article. 

3° Au contraire, les hypothèses récemment présentées sur 
l’âge et le sens de l’inscription du calice et sur les broderies 
de la chasuble sont loin d’être incontestables. 

L’inscription est placée autour d’une bande étroite qui 
forme la bordure inférieure de la base du calice; elle porte 
six fois ces paroles : par amour sui donne. Si l’inspection 
des caractères dénote, suivant quelques archéologues, une 
époque postérieure au XIII e siècle, il est possible que les 
lettres primitives aient été altérées par un orfèvre chargé de 

(1) ln diebus illis plurima mon as ter i a in Normanniâ visi- 
tavit etpannos plurimos olosericos eisdem obtulit neenon et 
multas eleemosynas in eâdem provinciâ fecit. 


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514 


TRADITIONS RELATIVES 


faire quelque réparation à ce vase sacré : de pareils faits ne 
sont pas sans exemple. Quant à l'interprétation très moderne 
qui applique ces paroles au mystère eucharistique, nous 
l'admettons au point de vue de l'orthodoxie, tout en faisant 
remarquer que, dans ce sens, il eût été convenable de dire : 
me donne ou me sut donné par amour . Mais s'il s'agissait 
ici d'une légende dogmatique ou liturgique, elle devait être 
placée de manière à pouvoir être vue et lue par la personne 
qui se sert du calice, et non point dans un lieu où elle 
restait invisible. D'ailleurs le calice étant à l'usage exclusif 
des prêtres, l'inscription devrait êtrcdirée de la Sainte- 
Écriture et en langue latine, la seule usitée au moyen-âge 
dans le clergé et dans la liturgie. Ainsi, avec des archéolo¬ 
gues nombreux et très compétents, nous croyons impossible 
qu'une inscription dogmatique et liturgique eût occupé 
cette place à la base inférieure du calice et qu'elle eût 
été exprimée en ces termes et en langue française, même 
au XV* siècle. Ajoutons avec M. Coupcy (Mémoires de la 
Société Académique , 4843, p. 97), que le mot amour signi¬ 
fiait au XIII e siècle amitié, affection pure et dévouée, et 
convenait parfaitement pour exprimer un don fait au saint 
prêtre par le saint roi. 

La question de la signification héraldique des broderies a 
été résolue affirmativement par Mgr. de Loménie en 1696, 
par le sire Dugardin et tous les témoins de l'enquête eo 
1699. M. de Gerville, dans ses Eludes sur le département, 
p. 88, M. Goupey et ensuite M. de Gaumont ont partagé 
la même opinion. Tout en effet dans cette chasuble convient 
à S 1 Louis et à lui seul; lui seul a pu la donner au Bien¬ 
heureux. On sait d'ailleurs que le saint roi faisait confec¬ 
tionner des étoffes à ses armes ; Joinville nous l'apprend 
dans ses Mémoires (l 1 * 6 p., n. 15) : « Et il (Philippe-le-Hardi) 
me dit qu'il avait tiex atours brodés de ses armes, qui 


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AU B. THOMAS HÉLIE. 


315 


li avoient coosté huit cens livres parisis. Et je li diz que il 
les eust miex employés se li les eust donnez pour Dieu et 
eust fait ses atours de bon cendal enforcié de ses armes, si 
comme son père (S 1 Louis) faisait. » La chasuble est bien 
une étoffe battue à ses armes; et si la présence de l'aigle sur 
l'écusson royal s'explique moins naturellement que celle du 
lis, du château et du lion, nous aimons mieux attendre qu'on 
la justifie, que de contredire tant d'autorités d'accord avec la 
tradition. 

Ces observations me paraissent suffisantes pour render 
à la tradition l'autorité et la confiance qu'elle mérite, sur 
les trois articles qui font l'objet de cette dissertation. Du 
reste, je me propose d'ajouter quelques développements à 
ces considérations, dans un travail à part, et de publier pro¬ 
chainement une histoire complète de la vie et du culte du 
Bienheureux Thomas. 


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PEH-KWAI 


M. le C.-Amiral d’Aboville a la, à la séance du 4 janvier 
1861 » une notice sur S. E. Peh-Kwai, gouverneur da 
Kwang-Tong et vice-roi intérimaire des Deux-Kwang, 
pendant une partie de la durée de l’occupation de Canton, 
par les forces alliées de France et d’Angleterre (1857-1859). 
M. d’Aboville mit ensuite sous les yeux de la Société 
l’original d’une lettre de faire part du décès de ce haut 
mandarin. La traduction de cet intéressant document est due 
au regrettable P. Deluc, missionnaire apostolique, détaché 
pendant deux ans en qualité d’interprète au corps d’occu¬ 
pation à Canton, et appelé dans ces derniers temps à rem¬ 
plir les mêmes fonctions auprès du général Mootauban, 
commandant en chef l’expédition de Chine. C’est eu 
s’acquittant d’une mission toute pacifique que l'abbé Deluc 
vient d’être Saisi devant Pékin par les Chinois, et qu’au 
mépris du droit des gens, il a été mis à mort avec un raffi¬ 
nement inoui de cruauté. 

La lettre qui va suivre a été adressée par le fils du défunt 
à M. le C.-Amiral d’Aboville pendant qu’il commandait à 
Canton. 

Sur l’enveloppe de cette lettre de faire part de décès ou 
lit ces mots : Tak Tajin (à M. d’Aboville). Sur la lettre 
même:— “ Fou (lettre annonçant la mort d'un parent). 


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PEH-KWAI. 


517 


Moi, Sbeongman, homme sans piélié filiale, pour le mal¬ 
heur de mes graves péchés, je ne suis pas mort et j’ai com¬ 
promis mon défunt père : (Le sens doit être ainsi compris : 
Je suis sans pitié filiale, car je devais mourir à la plaeede 
mon père). Les Tsing suprêmes lui avaient conféré dans 
l’ordre militaire la dignité de première classe du second 
degré. Dans l'ordre civil, la dignité de seconde classe du 
premier degré, ajoutant en outre (après sa mort) la dignité 
civile de première classe du second degré. Comme récom¬ 
pense, il lui ont donné la plume de paon. Sous “KiàKing”, 
l’année Kéimao, il fut nommé Licencié. Il a été vice-pré¬ 
sident du tribunal de la guerre, censeur de droite au tribu¬ 
nal des censeurs; gouverneur de la province Kwang Tung; 
par intérim commissaire impérial et vice-roi des Deux 
“ Kvang ”. Il a été aussi gouverneur de la province de 
44 Kouan ” et dans le 44 Kwang Tung ”, trésorier, juge cri¬ 
minels intendant des grains et du sel. Dans le 44 Szchuen * 
préfet.Dans le 44 Kwang Tung” magistrat de “Nanheung”, 
de 44 Tung kivan’', de “Lungmun” de “Pooning”. Dans le 
44 Kiang Su ”, magistrat de 44 Lung Sai”. C’étaient là les 
positions et les dignités qu’avait obtenues mon père 
“Yutin’' (Yutin est un des petits noms de Pih Kivi). 
L’année Keimei de 44 Heen fung” le 23 delà troisième lune, 
à l’heure yao (dixième heure) j’ai eu la douleur de le voir 
finir par la maladie dans ses appartements au yamoun du 
gouverneur de 44 Kwang Tung”. Il était né l’année Kang 
sent de 44 Kien long", le vingt-cinquième jour de la pre¬ 
mière lune à l’heure yan (3® heure). Il avait atteint une lon¬ 
gévité de 70 ans. Moi 44 Sheong raan” homme sans piété 
filiale, j’étais à Pékin candidat attendant une position. 
Conformément aux règles, je me suis mis en grand deuil et 
immédiatement, me traînant sur les genoux et sur les 
mains, je suis venu à Canton pour les soins des funérailles et 


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518 


PBH-KWAI. 


pour reconduire le cerceuil (dans mon pays). Je vous fais 
part de ces tristes nouvelles. On a choisi avec soin les 22* 
et 23* jours de la 4* lune pour les cérémonies des funérail¬ 
les. Par ordre de ma mère (adoptive sans doute) signant, 
l’orphelin Sheong man verse des larmes de sang et se pros¬ 
terne. Portant le deuil d’un an, les trois neveux Sheong 
Shin, Sheong Kwan et Sheong Min essuient leurs pleurs et 
courbent leur tète. Portant le deuil de neuf mois, les petits 
neveux Tseng-Kat, Tseng Tou essuient leurs larmes et cour¬ 
bent leur tête (c’est-à-dire vous saluent profondément). 


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JERUSALEM, 

Par H. DIfiARD (de Lousta). 


Ainsi qu’on orage s’avance avec impétuosité 
sur l’océan, et chasse devant lui les vagues, 
jusqu’h ce qu’elles se brisent ; ainsi qu’un 
esprit élève aans la tempête les flots blan¬ 
chissants, et les précipite en écume sur un 
banc de sable ; de même nos armées se pré¬ 
cipitent, dans leur formidable appareil, h la 
rencontre de l’ennemi. Ossun. 


Muse du Sinaï, majestueux génie, 

Viens dans ton char d'éclairs, de foudre et d'harmonie, 
Secouer sur mon front ton céleste flambeau, 

Descends de ta hauteur, franchis le vaste espace. 

Et prête-moi ces feux qui dévoraient le Tasse 
Quand il chantait le saint tombeau. 

Les peuples répandus à l'Occident du monde 
Donnaient ensevelis dans une nuit profonde : 

Comme un astre brillant Charlemagne avait lui ; 

Mais cette aube des arts, dont nous parle l'histoire, 
Resplendissant joyau de sa royale gloire, 

Disparut avec lui. 

Alors tout retomba dans d’affreuses ténèbres, 

Tout se vêtit de deuil et de formes funèbres; 

Alors on vil surgir les siècles féodaux, 

Siècles pleins de grossière et superbe ignorance, 

Où l'on n’entendait rien que des cris de vengeance 
Rallier de sanglants drapeaux. 

Du fond de ce chaos un moine solitaire 
En prophète inspiré s’élance sur la terre ; 

Sa voix fait tressaillir peuples et potentats, 

Et sa foi se changeant en un pieux délire : 

Cueillez! cueillez ! dit-il, les palmes du martyre 
Et courez aux combats ! 


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520 


JÉRUSALEM. 


Courez, Jérusalem, la cité des miracles, 

La ville où s’accomplit le plus grand des oracles, 

Est soumise à la loi d’un prophète imposteur. 

Et la tombe du Christ, objet de votre hommage, 
Subit un sacrilège et honteux esclavage, 

Chez un peuple blasphémateur. 

Chrétiens, levez-vous donc, affrontez les alarmes! 
Nouveaux Ifathatias, Dieu bénira vos armes ! 

De l’antique Sion franchissez les remparts. 

Et pour la délivrer des insultes du crime 
Plantez sur le tombeau de l’auguste victime 
Vos sacrés étendards ! 

Semblables aux échos des tonnerres qui grondent, 
A cet ardent appel cent mille voix répondent : 

Dieu le veut ! Dieu le veut ! vite nos boucliers ! 

Vite nos gantelets et nos cottes de mailles, 

La foi fait les héros et gagne les batailles 

Pour notre foi soyons guerriers! 

Cet élan belliqueux a passé d’âme en âme : 

Les prêtres ont béni l’éclatante oriflamme ; 

Et, sous les plis flottants de ce drapeau des rois. 
Mêlant l'hymne de guerre aux célestes louanges 
Se forment à l’envi les nombreuses phalanges 
Des soldats de la croix. 

Bientôt ces bataillons qu'aucun danger n’arrête, 
Marchent d’un pas rapide à la sainte conquête : 

On voit au premier rang briller les paladins, 

La fleur des chevaliers et l’élite des princes 
Quittant pour Jésus-Christ le sceptre des provinces 
Qu’ils gouvernaient en souverains. 


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JÉRUSALEM. 


531 


Vous étiez là surtout, délices de ma lyre, 
Religieux héros d’un siècle que j’admire : 
Baudouin, Bohémond, 1 Tancrède, Godefroi, 

Et yotre lance, honneur de la chevalerie, 

Des sommets du Taurus aux champs de la Syrie 
Portait la stupeur et l’effroi. 

Du haut de ses remparts l'orgueilieuse Byzance 
Redoutait de vos bras l’indomptable vaillance. 

Et son lâche emperèur, aux traités clandestins, 
Tremblant sous les lambris de son palais sonore, 
Voyait déjà rouler sous les flots du Bosphore 
Le vieux trône des Constantins. 

Tout fuyait devant vous. Les villes alarmées 
Tombaient sous le bélier de vos grandes armées. 
L’Orient subjugué croulait avec fracas : 

Ptolémaïs, Damas, Antioche, Trébisondc 
Étaient autant d'échos qui redisaient au monde 
Votre bravoure et vos combats. 

La main qui vous livra la triste Palestine* 

Vous conduisit enfin vers la cité divine. 

Du tombeau de Jésus vous brisâtes les fers. 

Sur ces lieux adorés on vit couler vos larmes, 

Et l’Occident, joyeux du succès de vos armes. 
Vous applaudit par des concerts. 

L’Égl ise qu’illustraient vos sublimes conquêtes 
Unit l'éclat du culte à la pompe des fêtes ; 

Elle se revêtit d’ornements radieux, 

Et ses chants de bonheur, ses cantiques d’ivresse 
Avec des flots d’encens, d’amour et d’allégresse. 
Montèrent jusqu’aux cieux. 


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522 


JÉRUSALEM. 


An parfum des autels, aux hymnes d'espérance, 

Se joignit le transport des bardes de la France, 

On vit les ménestrels et les vieux troubadours. 

Pour chanter des chrétiens l'immortelle victoire. 
Oublier les tournois où paradait la gloire, 

Où trônaient les amours. 

Cependant de Sion l'enceinte funéraire 
Vit un trône éclatant sortir de sa poussière; 

Et ce trône affermi par vos vaillantes mains, 

Bravant le fanatisme et ses haines profondes, 

Pendant quatre-vingts ans fit refluer les ondes 
D'un peuple entier de Sarrasins. 

Et si ce trône, assis sur les brûlants cratétes 
Qu'allumait le volcan des discordes guerrières, 

Dans leurs gouffres béants ne se fût englouti, 

On verrait aujourd’hui l’Islamisme en ruine 
Pleurer comme un fantôme aux portes de Médine 
Son culte anéanti. 

Mais pourquoi nous bercer de ce songe illusoire? 
Pourquoi de nos revers rappeler la mémoire ? 

Sur ces noirs souvenirs tirons un voile épais, 

Et racontons combien deux siècles de batailles. 

A travers tant de deuil, de sang, de funérailles, 

Nous apportèrent de bienfaits. 

Mille troupeaux de serfs parqués dans vos domaines. 
Levaient en vain les bras pour fracasser leurs chaines. 
Toujours ils retombaient sous ce poids détesté, 

Mais enfin, secouant ces chaînes accablantes, 

Ils allèrent gagner dans vos luttes puissantes 
Les lauriers de la liberté ! 


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JÉRUSALEM. 


523 


Du commerce et des arts l’ignorance première 
Reçut de vos exploits un rayon de lumière. 
Byzance yous montra ses palais, ses tableaux, 

Ses temples dont l’ogive ornait l’architecture ; 
Venise vous offrit sa pompeuse parure 

De marbres blancs et de vaisseaux. 

Votre saint dévouement préserva la patrie 
Des lois du fatalisme et de la barbarie, 

Et si vous n’eussiez fait vos guerres de géants, 

Les peuples abrutis de l’Europe tremblante 
Auraient courbé la tête et frémi d’épouvante 
Sous le sabre des Musulmans. 

Que n’eussent ravagé ces hordes de Tartares? 
Bientôt on les eût vus, dans leur fureurs barbares, 
Profaner, démolir nos temples immortels, 

Souiller, au cri d’Allah^ le vin des sacrifices, 

Piller comme un butin les lampes, les calices, 

Et les richesses des autels. 

Ces merveilleux clochers, aux formes colossales, 
Ces dômes imposants des hautes cathédrales, 

Ces nefs où notre orgueil à la foi se soumet, 
Auraient vu renverser leurs colonnes tronquées, 

Et d’insolents vainqueurs élever des mosquées 
Aux mânes vains de Mahomet. 

Aussi de vos grands noms admirés d’âge en âge, 
L’avenir gardera l’éclatant héritage; 

Il saura votre foi, vos travaux glorieux. 

Et le marbre enrichi par la main de l’histoire. 

De vos nobles exploits transmettra la mémoire 
A nos derniers neveux. 


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TABLE. 


Pages. 

Liste des membres de la Société. v 

Biographie de M. Laimant. xv 

Notes sur l’administration municipale de Cher¬ 
bourg. 1 

Les olim du château de Tourlaville. 40 

Notice sur la galerie couverte de Bretteville-en- 

Saire. 92 

Le général Jouan. 97 

Vie du B. Thomas Hélie, de Biville. 173 

Béatification du B. Thomas Hélie, de Biville. 243 

De l’anse St-Martin-Hague. 248 

Monnaies romaines découvertes à Cherbourg en 

1857 . 289 

Blason de Cherbourg. 295 

De l’église Notre-Dame-du-Vœu de Cherbourg... 315 

Visite au château de Scalloway. 349 

Quinze jours à Rome et excursion sur le Rhin et 

sur l’Escaut. 356 

De l’origine des plantes cultivées. 429 

Réflexions sur quelques substances alimentaires.. 441 

Infanticide par combustion. 460 

Décès par la nicotine. 474 

Excursion sur les côtes de Grèce et de Syrie.... 480 

Études sur Mangon du Houguet. 492 

Traditions sur le B. Thomas Hélie. 499 

Peh-Kwai. 516 

Jérusalem. 519 


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